Tout d'abord, un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview! Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi(parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?
Née en 1972, parcours classique, Bac littéraire et arts plastiques à 17 ans, 3 années à l'école Émile Cohl. Première parution en 1993. Dessinatrice B.D. et Illustratrice.
Mes passions : le dessin, la musique, l'entomologie et tout ce qui se rapporte à la nature.
L'entomologie... Voilà une passion peu commune! Dis nous en plus! Qu'est ce qui te fascine dans le monde des insectes?
Petite, mes parents passant leur temps à bricoler de vieilles bicoques ardéchoises, je restais les jours de mauvais temps à dessiner ou à inventer des mondes imaginaires pour mon frère, mais dés que le soleil pointait son nez, je m'évadais dans la nature. Les insectes sont les premiers habitants que l'on rencontre. Ils sont fascinants à regarder, les formes, les couleurs, les modes de vie... toute une iconographie vivante là, sous mes yeux. Une source intarissable d'idées. Et l'idée que le commun des mortels en a horreur, m'attire encore plus vers eux !!
Enfant, quelle lectrice étais-tu?
J'allais piquer des B.D. dans la bibliothèque de mes parents, je passais mes samedi fourrée à la bibliothèque pour en dévorer d'autres. Je lisais tout, pourvu qu'il y ait des images.
Les BD occupaient-elle une place prépondérante parmi tes livres de chevet?
j'aurai aimé avoir une chambre composée uniquement de meubles en BD (comme Gaston Lagaffe avec ses labyrinthes de courrier en retard) si ça peut te donner une idée de la place que tient la B.D. dans mon coeur !!
Quels étaient alors tes auteurs préférés?
On commence tous par Hergé, puis Franquin, mais très vite, je me suis plongée vers des lectures plus "adultes" au niveau graphique : Moebius, Leloup, Gotlib...
Le dessin a-t-il toujours été une passion? Qu'est ce qui t'en a donné le goût?
Aussi loin que je me souvienne, en maternelle.
Pour avoir la paix, il suffisait de me donner un crayon et une feuille pour occuper mes journées. Certains membres de ma famille étaient peintres à leurs heures, ma grand-mère maternelle m'a fait faire le tour du monde et des musées. J'en garde un certain goût de l'art et des architectures.
Et puis surtout, un besoin personnel de m'évader du monde réel en m'inventant d'autres mondes graphiques, une façon de m'exprimer et de communiquer par l'écrit et le dessin beaucoup plus facilement que de vive voix.
En 96 paraissait le premier tome de Fée Fée et tendres automates scénarisé par Téhy. Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve remontant à l'enfance?
Même si c'était une passion, je ne pensais pas que cela puisse être un métier.
Puis il y a eu le "déclic" François Bourgeon.
Je venais de trouver un auteur qui avait la même vision que moi de ce que pouvait être la B.D.
J'ai eu la chance de tomber sur des professeurs d'arts plastiques aussi bien au collège qu'au Lycée qui m'ont poussée dans cette voie.
Alors le rêve d'adulte est devenu réalité.
Quelles sont les grandes joies du métier d'illustratrice?
La liberté créatrice (surtout en B.D.), la maîtrise de son univers graphique, pas de censure (ou très peu -ça dépend si on bosse pour une certaine tranche d'âge-) par rapport à d'autres métiers graphiques où il faut se plier à l'avis du client ou à ses goûts.
©Béatrice Tillier, Robert Laffont
et les grandes difficultés?
C'est un travail de longue haleine, où il faut parier sur le long terme car le salaire n'est pas à la hauteur de la quantité de travail fourni.
Pour quelle raison n'as tu pas pu finir cette fresque épique et romantique qui a révélé tes talents d'illustratrice et de coloriste parvenant à conférer une âme à des automates?
Pfff, c'est une longue histoire, mais pour faire court, le scénariste étant également dessinateur a préféré terminer tout seul son histoire.
Et pour que les lecteurs aient la fin de l'aventure, il a fallu que je finisse par céder...
Là, le rêve est devenu cauchemar !!
©Béatrice Tillier, Robert Laffont
Peux-tu nous parler des Sheewõwkees, une jolie série destinée aux ados, scénarisé par Thomas Mosdi et mis en image par Brazao, Olivier...
Olivier travaillait surtout dans l’illustration et le graphisme, et à force de me suivre sur les salons B.D., je lui ai transmis le virus de la B.D.
Il s’est donc associé à Thomas Mosdi pour réaliser cette histoire d’exotic-fantasy. J’ai apporté mon aide à la mise en couleur pour les deux premiers tomes et Olivier a réalisé la couleur du dernier opus, histoire de se remettre dans le bain et devenir un auteur complet.
Cette série a un peu souffert ne pas avoir été mise dans la collection adéquate (terre de légende chez delcourt) alors qu’elle était destinée aux plus jeunes. Mais ça reste une jolie expérience de travail à trois
En 2005 paraissait Mon voisin le Père Noël que vous avez signé avec Philippe Bonifay. Comment as-tu abordé ce récit particulièrement sombre?
J'ai rencontré Philippe en 1993. Nous savions que nous travaillerions ensemble un jour.
Ses histoires sont toujours très belles, mais très sombres.
Ce n'est pas ce côté là qui pouvait être dur à aborder, je savais à quoi m'attendre et je n'ai toujours illustré que des récits très durs, aussi bien en B.D. qu'en illustrations.
Le changement pour moi résidait dans le coté contemporain.
Le premier tome du Bois des Vierges vient de paraître en librairie. Comment est née cette aventure scénarisée par le talentueux Dufaux?
Encore une belle rencontre.
Nous étions au festival B.D. de Mouscron (Belgique) et mon dessin a réveillé chez Jean un désir de conte à l'ancienne. Il m'a donc proposé un scénario écrit sur mesure pour mon univers graphique.
J'ai tout d'abord dû refuser car je terminais le père Noël et m'étais engagée sur un autre projet.
Le barbu en rouge sorti dans les bacs et le découpage écrit du projet n'arrivant pas, j'ai accepté la collaboration avec Jean Dufaux. Les essais d'autres dessinateurs sur cette histoire ne l'ayant pas convaincu, l'éditrice chez qui il avait signé, m'a recontactée. Et voilà !
©Béatrice Tillier, Robert Laffont
As tu entrepris des recherches documentaires pour mettre en image « Le Bois des Vierges » bien que cette histoire hors du temps soit en lisière du conte? (si oui) Quelles ont été tes sources iconographiques?
bien sûr, comme avant chaque album. Même si ce n'est pas une obligation, ça reste un acte rassurant. Cela permet également de s'immerger dans un univers, de plonger dans le temps, de comprendre le fonctionnement des choses, des objets, des vêtements pour avoir ensuite plus de facilité à s'adapter à toutes les situations proposées par le scénario.
En ce qui concerne les costumes, j'aimais déjà beaucoup cette période (en témoigne les "crevées" du vêtement de Jam), je n'ai eu qu'à replonger dans mes livres de peintures (merci Clouet !!) et approfondir du côté des costumes de théâtre (mine d'or pour les reconstitutions !!). Quelques DVD de films sur l'époque sont venus compléter tout cela.
Pour les architectures, j'avais déjà pléthores de livres sur les châteaux et ma propre banque d'images photographiques glanées pendant mes voyages.
En revanche, la nouveauté résidait dans les animaux (eeeeh oui, quand on aime les insectes et qu'il faut faire des loups !!!).
Heureusement, j'ai la chance d'avoir un ami photographe animalier (http://www.animailes.com/) qui m'a gentiment donné ses photos de loups et lynx en liberté, et un autre ami passionné par le monde animalier et peintre à ses heures, qui m'a prêté ses livres. Tous les deux sont remerciés dans l'album.
Les personnages des loups sont graphiquement très impressionnant. Mi-bête, mi-homme mais conservant toute l'expression de leur bestialité. Comment les as-tu abordé? A-t-il été difficile de trouver ce subtil équilibre? Entre la phase de recherche et leur représentation finale, leur apparence a-t-elle évoluée? Serait-il possible de voir les dessins de recherche?
Au début, je ne savais pas trop comment j'allais m'y prendre.
Et puis j'ai pris le parti d'étudier d'abord les animaux tels quels, les apprivoiser en quelque sorte. Ensuite, j'ai pensé à chaque personnage comme s'il était humain et agissait comme tel, avec juste une apparence un peu plus poilue. J'ai conservé des yeux humains pour les hautes-tailles, à savoir un iris plus petit et beaucoup de blanc autour. C'est aussi ce qui leur donne leur regard "humain".
La dignité et la noblesse de tous les personnages, voulu par Jean dans le scénario, m'a donné une ligne conduite à tenir pour la mise en scène et m'a permis justement de leur donner cette stature.
Je ne suis pas une fondue des recherches crayonnées à tout va. Je conserve mon énergie pour la réalisation. Je considère la documentation comme une nourriture que je digère et met en forme dans ma tête et quand tout est clair pour moi, je "note" par des croquis les pistes que je vais prendre. Je n'ai donc pas beaucoup de croquis de recherches. Ils servent surtout de référence pour la réalisation de l'album et de mise au point entre le scénariste et moi.
Parallèlement, ton trait souligne aussi l'animalité des personnages humains, montrant au final que ces ennemis ancestraux sont bien plus proches qu'il n'y paraît... Comment as tu travaillé cet aspect?
C’était justement cela qui était passionnant, montrer l’humanité des bêtes et l’animalité des hommes. Il n’y a pas forcement de « recette », il s’agit juste de garder cette idée en tête au moment où on dessine les personnages. Je me met dans leur peau, je joue avec la mise en scène, les postures , les faciès...
Comment avez-vous organisé votre travail avec Jean Dufaux? Entre le découpage et la planche finalisée, quelles ont été les étapes de votre travail?
Jean donne d'abord son histoire découpée à partir de laquelle je fais des roughs plus ou moins poussés. C'est sur cette base que l'on se met d'accord pour la mise en scène, car le reste n'est que de la mise au propre. À ce stade, il y a beaucoup d'échanges (mail, coup de fil ou rencontre), je pose pleins de questions qui arrivent en cours de découpage, sur des points de détails auxquels le scénariste n'a pas forcément pensé à l'écrit mais qui ont une importance quand il faut les mettre en image.
| Le Bois aux Vierges
Ces coulisses d'un des meilleurs album de ce début d'année 2008 vous proposent de dévouvrir de magnifiques
crayonnés et les différentes étapes de l'élaboration d'une planche. |
Tes couleurs sont toujours envoûtantes, parvenant à souligner une ambiance de façon réellement saisissante. Comment abordes-tu les mises en couleur de tes planches? Quelle(s) technique(s) utilise(s)-tu?
Pour moi, ce n'est pas juste de la mise en couleur. C'est une des étapes de la planche (rough, crayonné, encrage et couleur) aussi importante que les autres, si ce n'est plus, car c'est la première que l'on va remarquer. La couleur ne sert pas à "faire joli" ou "finir" la planche pour qu'elle soit plus commerciale. J'utilise la couleur comme une actrice de l'histoire. Elle participe au récit, donne l'ambiance, le ton, les camps. chaque personnage possède une couleur propre, en fonction de son rang, son métier ou de son caractère et irradie son environnement.
Quand je crayonne ou encre mes pages, je suis déjà en train de penser à la couleur, à la source lumineuse de la scène.
J'attaque alors directement la mise en couleur, sans faire d'essai, puisque tout a été déjà pensé et mûrement réfléchi. C'est ça "la couleur directe " !!
Comme j'aime avant tout le dessin, j'aime travailler en transparence pour lui laisser la part belle. J'utilise donc des encres acryliques (indélébiles) Magic color transparentes.
Pour certains travaux, je me sers aussi de l'aquarelle, mais finalement, comme je ne possède pas la technique et la maîtrise des aquarellistes anglais, je l'utilise comme mes encres, alors on ne voit pas la différence entre les deux !!
©Béatrice Tillier, Robert Laffont
Lorsque tu t'attelles au dessin, travailles-tu de façon séquentielles ou par scènes, au grès de tes envies?
Je préfère quand même travailler dans l'ordre, pour être dans l'esprit du récit. Pour des raisons techniques , je travaille par scènes de 6 pages, pour que la mise en couleur des pages en vis à vis ou d'une scène dans un même lieu soit faite en même temps pour garder une unité de couleur. Et comme je suis payée à la livraison des pages, il faut une certaine régularité d'envoi !!
Par contre, sur la page elle-même, je dessine rarement dans l'ordre. Souvent je commence par la dernière case. Parfois, je fais tous les décors, puis tous les personnages ou encore que les animaux puis les hommes. Ou alors j'attaque par une case qui me fait envie et je laisse pour la fin celle que je ne sens pas trop en espérant que ça se débloque avec le temps !!!
Combien de temps te prend en moyenne la réalisation d'un album?
C’est toujours difficile à chiffrer, car pas forcement réalisé dans les mêmes conditions. Pour « Fée... » le scénariste exigeait beaucoup de correction, ça n’avançait pas, on reculait sans cesse. au bout d’un moment, on y perd son entrain et on fait traîner...de peur de devoir à nouveau recommencer la planche.
Pour « le père Noël », je l’ai différé pour raison de santé afin qu’il n’en pâtisse pas. et puis l’ambiance chez Casterman était horrible, je n’ai jamais vu une maison d’édition aussi peu professionnelle et incompétente à vendre et promouvoir des bouquins !!
Alors que pour le « bois des vierges », l’éditrice est géniale, l’ambiance aussi, tous les moyens sont donnés pour travailler dans de bonnes conditions et l’histoire est écrite sur mesure pour mon dessin. Résultat : les recherches se sont faites pendant les travaux de mon domicile et mon déménagement, et la réalisation pure a débuté à mon installation. 1 an pour les 54 pages. Je suis également passée en couleurs directes totales pour cet album pour gagner encore un peu de temps.
Comme quoi, l’environnement est très influent sur la réalisation !!
Dans quel environnement sonore te trouves-tu lorsque tu t’atèles à la planche à dessin?
Le choix va dépendre du contenu : j’adapte la musique en fonction de mes scènes, comme une bande originale de film ! Ça peut dépendre aussi de l’humeur et du moment de la journée (nuit ou jour), si j’ai besoin de calme ou de me maintenir éveillée ou dans un certain état pour être dans la peau de mes personnages. donc la musique est très variée : beaucoup de B.O. de films, de rock anglais et d’alternatif, un peu de pop parfois, du jazz et du blues...
Je ne conçois de travailler sans musique. ça permet de se maintenir dans une sorte de bulle et de s’isoler du monde extérieur, pour plus de concentration sur le dessin.
En tant que dessinatrice, comment vis-tu les séances de dédicaces?
Je continue d’en accepter beaucoup, pour faire plaisir au public, le rencontrer, croiser aussi des confrères et consoeurs. Mais j’avoue que je commence un peu à fatiguer, pas dans le sens où ça m’ennuie, mais plutôt que j’en reviens souvent très fatiguée ou malade, même si j’y ai pris beaucoup de plaisir.
Tu as travaillé avec scénaristes inventifs et donné corps à leurs univers... L'envie d'écrire et de mettre en scène tes propres histoires te titillent-elle?
Bien sur, car avant d’en faire mon métier, il me fallait bien un support pour assouvir ma passion du dessin et de la B.D. J’ai donc pleins d’histoires qui dorment dans mes tiroirs. Mais de là à les illustrer pour le grand public, j’ai encore de l’appréhension, MES histoires peuvent-elles en intéresser d’autres ? comme tu le dis, j’ai travaillé avec des grands scénaristes, plus doués que moi. Je continue d’apprendre à leur contact et pour moi, cette formation n’est pas encore terminée !
Y a-t-il une question que je n’aurais pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
C’est dur d’être une fille dans un monde si masculin ?
Mais elle est tellement banale, que je n’y répondrais pas et c’est très bien !!!
Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Bon, c’est bien pour te faire plaisir !
Merci Si tu étais…
Un personnage de cinéma : Maud (dans Harold et Maud) pour sa vision de la vie.
Une créature mythologique : Une sirène pour vivre au fond de l’eau ou une hamadryade pour vivre dans les arbres.
Un personnage de BD : Yoko Tsuno
Un personnage biblique : Saint Thomas
Un personnage de roman : Béatrice Portinari (Dante, la divine comédie)
Un personnage de théâtre : Scapin
Une oeuvre humaine : Le papier !!!
Une recette culinaire: des Penne à la carbonara
Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé…