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Entretien avec Sébastien Abellan
accordé aux SdI en mai 2008


Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.) ?
Alors… J’ai donc 29 ans depuis peu de temps, et cela fait désormais 6 ans que je suis professeur de Lettres Classiques. C’était une issue logique, vu que lorsqu’on a fait une Maîtrise de Lettres Classiques, il ne reste que peu de solutions… Du coup, je dois bien reconnaître que tout ce qui tourne autour de l’Antiquité fait partie intégrante de mes passions. L’histoire en elle-même m’intéresse moins, d’ailleurs, que la culture qui y est liée : j’ai toujours trouvé plus intéressant de savoir comment les Romains concevaient le mariage que de connaître la date précise de la bataille de Zama.
L’autre passion, c’est le dessin. Ca fait des années que je dessine tout le temps, partout et en grande quantité. Aujourd’hui, je commence à atteindre un niveau qui me satisfait un minimum, et si je ne peux en aucun cas me prétendre professionnel, j’avoue bien aimer ce que je fais.
Enfin, il y a le jeu de rôle. Mais chut, c’est la question suivante !

Comment es tu tombé dans la marmite du jeu de rôle?
Et hop, ça tombe bien.
Le jeu de rôle, j’y suis venu assez tardivement. Quand j’étais gamin, je jouais pas mal aux Livres Dont Vous Êtes Le Héros, au point que mes parents m’avaient même acheté la boîte de L’œil Noir, pensant y trouver sensiblement la même chose. La déception fut grande : c’était difficilement jouable seul. La boîte doit encore traîner dans un coin sombre de leur grenier…
Ado, je me suis mis à Warhammer Quest et Battle. C’est là que ça a commencé à changer : on jouait avec mon frère, et on avait inventé des histoires à nos Héros. C’est quand on a voulu raconter ce qui se passait entre un donjon et une bataille qu’on a lu les règles étendues de WH Quest, qui expliquaient comment ouvrir vers un jeu de rôle.
J’avais 19 ans à l’époque. Depuis, j’ai pas vraiment arrêté.

Si tu devais expliquer à ma grand-mère ce qu’est le jeu de rôle en quelques mots, que lui diriez-vous ?
Alors vous voyez, mamie, le jeu de rôle c’est pas si compliqué que ça. Il y a quelqu’un qui raconte une histoire, et qui interprète les personnages ; et les autres joueurs interprètent les protagonistes de l’histoire, et racontent comment ils réagissent. Pour savoir comment se passent leurs actions, ils doivent lancer des dés dont le résultat indique s’ils ont réussi ou pas.
Démonstration : vous dormez dans votre lit, tranquillement blottie entre deux chats, quand soudain un bruit atroce vous tire du sommeil. Vous descendez jeter un œil, et voyez que sur le tapis de la salle à manger, il y a une flaque de sang. Qu’est-ce que vous faites ?
Et hop. C’est ça, le jeu de rôle.

Quel sont ou quels ont été tes jeux de rôle de chevet ?
Mon JdR principal a longtemps été Vampire, qui est le premier jeu avec lequel j’ai eu un personnage qui dépassait le stade de blague assumée, et qui dépassait les deux scénarii d’affilée.
J’aime également beaucoup Arkéos, ne serait-ce que parce qu’avec mes études, j’ai une tendresse toute particulière pour tout ce qui peut relever de la recherche archéologique. Si en plus je peux y mettre du Pulp, des Nazis, et des artefacts sacrés, je suis heureux.
Enfin, depuis peu, je me suis mis à COPS, pour lequel j’achète sans discontinuer depuis quelques semaines. C’est cool, COPS : ça permet de réinvestir toutes les séries télé policières (bon, peut-être pas Navarro, même si je suis sûr qu’avec un peu de boulot c’est adaptable), l’univers est bourré d’idées, et les personnages ont la classe.



Quels sont tes meilleurs et tes pires souvenirs de JdR ?
Mes meilleurs souvenirs de JdR sont sans doute dus à Vampire, et à la campagne d’un ami qui nous dure depuis maintenant près de 7 ans. Bien sûr, on a terminé la première saison, mais il était hors de question d’abandonner les personnages qui allaient avec.
Mon pire moment… une partie d’ADD 2, avec un MJ qui s’en foutait, n’avait pas envie de s’attarder sur notre enquête, et a expédié les phases de roleplay en 2 secondes. A ce tarif, j’allais oublier le scénar du LdB de L5A, le tournoi de Jade, avec le même MJ. 7 heures à lancer des dés, et seulement ça, c’était atroce.

Un petit mot sur la disparition du papa du jeu de rôle qui nous a quitté ce funeste 4 mars 2008?
Je passe pour un monstre si je dis que ça ne m’a même pas atteint ? Gygax, c’est longtemps resté juste un nom pour moi, synonyme d’un jeu dont la seule partie a été un calvaire. Je lui sais gré d’avoir inventé tout ça, mais je ne peux pas vraiment dire que j’ai été ému.

De joueur à auteur, comment et pourquoi avoir sauté le pas?
Je sais pas. Globalement, à force de dessiner, je suis constamment à la recherche de l’idée de BD qui fera de moi un homme riche et célèbre, entouré par des femmes lascives. Bon, là, il s’est avéré que l’idée de Praetoria Prima était plus propice à un JdR qu’à une BD, ne serait-ce que parce que je suis incapable d’écrire un scénario. Alors voilà, j’ai jeté mes idées sur le papier, j’ai gribouillé quelques dessins, et au final, c’est devenu un JdR. Presque par hasard, en fait !

Etrange que tu te dises incapable d'écrire un scénario alors que tu peux tracer les contours d'un univers de jeu et écrire des scénarios s'y déroulant!
Le problème, c’est que le scénario de BD obéit à des règles strictes au niveau du rythme, du découpage… Il y a toute une technique que je ne maîtrise absolument pas.
Ecrire un pitch, ça oui, je peux. Une situation initiale, un événement perturbateur, quelques péripéties, un événement de résolution, une situation finale. Pas besoin d’aller chercher plus loin. Mais faire tenir tout ça dans des pages et surtout des cases, c’est un autre problème.



Peux tu en quelques mots nous faire le pitch de Praetoria Prima?
La Praetoria Prima a été créée par Agrippa, général d’Octave, futur empereur Auguste, pour le protéger des assassins de Cléopâtre à l’époque où l’Empire n’existait pas encore. Depuis, la section secrète défend Rome et ses valeurs, combat ses détracteurs, élimine ses ennemis, et préserve l’Empereur.
Le jeu en lui-même se déroule à partir de 54 ap. J.-C. L’Empereur Claude vient de mourir assassiné, et le jeune Néron, âgé de 17 ans, monte sur le trône. Autour de lui, c’est vipères et Cie : on complote pour le renverser en cette situation de fragilité, ou au contraire pour l’influencer et diriger l’empire à sa place. On prend donc la Praetoria Prima dans une période délicate, puisque les espoirs entiers de Rome sont placés dans ce jeune homme objet des convoitises de tout un empire.

Quelles ont été tes principales sources documentaires? S'il ne fallait retenir qu'un ouvrage sur la vie sous la rome antique, quel serait-t-il?
J’ai plein de bouquins chez moi, d’histoire et de civilisation. Mais les bases étaient importantes : L’Histoire de la Rome antique, en PUF, et surtout Le Guide romain antique chez Hachette ont été exhumés de mes cartons pour l’occasion ! S’il ne fallait en retenir qu’un ? Le deuxième. A garder près de soi pour toute maîtrise, histoire de savoir répondre aux questions ! Il y a de minuscules erreurs, mais pour presque tout, c’est exceptionnel.



Venons-en à présent aux Tables de la Loi et parlons un peu mécanique : comment as-tu élaboré le système de jeu? Quel sont en quelques mots les grand principes le régissant?
En fait, quand j’ai commencé à réfléchir au système, je voulais d’abord un jeu avec seuil de difficulté, parce qu’il me semble que c’est ce qui correspond le mieux à la diversité des situations possibles. Ensuite, je voulais un seul type de jet pour tout le système et limiter au maximum le nombre de dés lancés. Dernière chose, je voulais trouver quelque chose qui permettrait de lier interprétation et mécanique. Il m’a fallu peu de temps pour élaborer le système de base, mais une éternité pour tout peaufiner !
A présent, le système est le suivant : on a un score de Caractéristique+Compétence, et il s’agit de dépasser un seuil avec 1D10. La subtilité intervient au niveau des Valeurs : en suivant un certain nombre de préceptes, les PJ peuvent augmenter des scores de Virtus (courage), Fides (honneur) ou Pietas (piété) qui gouvernent chacun 2 Caractéristiques. On lance alors autant de dés pour un jet que le score de Valeur concerné par la Caractéristique utilisée. C’est clair ? Bon, c’est mieux expliqué dans le livre. Mais en gros, plus un joueur prend la peine de respecter les préceptes de la Praetoria, meilleur il est.



Trouver un éditeur a-t-il relevé du parcours du combattant?
Houla, non ! A dire vrai, je n’avais jamais vraiment envisagé de faire publier Praetoria Prima. Il s’avère que Jean-François, l’éditeur, voulait comme premier jeu L’Horlogerie des rats, de Patrick Djez Baltazar. J’avais donc été embauché comme dessineux, à la base, puisque j’illustrais les idées tordues qui sortaient du crâne de Djez. Le problème, c’est qu’HdR n’était pas prêt à être publié : il m’a donc été proposé de sortir Praetoria Prima à la place. Ca s’est donc fait presque par hasard !

Travailles tu déjà sur de futurs suppléments pour Praetoria Prima?
Que oui ! D’ici septembre, on espère sortir un écran de jeu, en trois volets, illustré par (attention, c’est un secret) Remton. Il sera accompagné d’un livret avec diverses choses : les cartes illustrées des grandes villes citées dans le LdB (Rome, Lugdunum, Athènes et Alexandrie), une aide de jeu sur l’insertion des femmes dans la section, et un scénario.
La suite, c’est une campagne énorme, en trois volets, qui doit couvrir les coulisses du règne néronien… J’avoue que ça m’effraie un peu, et en même temps ça me donne vachement envie.
Pour après, on verra !

La conception d'un jeu de rôle est parfois un travail solitaire, souvent un travail d'équipe... poursuivras-tu seul cette aventure ou de nouvelles plumes vont-elles venir t'épauler?
Tout seul, c’était rigolo mais épuisant, avec un manque certain de recul par rapport au travail. Au moins niveau illus, je pense qu’on fera appel à quelqu’un d’autre. L’écran ne sera pas fait par moi, par exemple. Niveau écriture… je sais pas. Je suis ouvert à tout, même si le côté historique peut souvent effrayer les bonnes volontés qui se considèrent trop peu au point sur la période.


BD, ciné, romans, quels sont tes derniers coups de coeur?
En BD, ce serait le comics Fell, de Warren Ellis avec Templesmith au dessin. Pour son ambiance glauque et sa maîtrise graphique.
En roman… pas eu de réel coup de cœur depuis un moment. On va dire n’importe quel bouquin de Iain Pears.
En cinéma, le dernier film qui m’a scotché au cinéma, c’était Les Promesses de l’ombre, de David Cronenberg. Un putain de film, vraiment.



Y a t il une question que je n'ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Heu… non. Je vois pas.

Pour finir et afin de mieux de connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...

Un personnage de cinéma : Indiana Jones ! Juste pour le chapeau, les idoles, et le fouet.
Une créature mythologique : un Faune. C’est heureux de vivre, ça saute partout, c’est sympa.
Un personnage de BD : Marco dans Le Combat ordinaire.
Un personnage de JdR : un Toréador dans Vampire : la Mascarade.
Un personnage biblique : Ezekiel, parce que c’est un prénom classe.
Un personnage de roman : Mathieu, dans La Mort dans l’âme de Sartre. Ado, ce perso m’avait fait frissonner comme jamais.
Un personnage de théâtre : Arf, facile ! Mercutio, dans Roméo et Juliette de Shakespeare.
Une œuvre humaine : Un tableau de Botticelli ou Ghirlandaio… Mettons Saint Thomas de Botticelli.
Une recette culinaire: Les cannelloni !

Un grand merci pour le temps que tu nous accordé et longue vie à Praetoria Prima!


Le Korrigan