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Entretien avec Bergeron
Entretien accordé aux SdI en mars 2009


Avant de commencer, êtes vous farouchement opposé au tutoiement?
Non, je n’ai aucun problème dans le fais de me faire tutoyer et de tutoyer mon interlocuteur.

Tout d'abord un grand merci de vous prêter au petit jeu de l'interview...
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?(Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse)…

Le désir d’être créateur de bande dessinée m’habite depuis que je suis en âge de lire et d’écrire. Mais comme il ne se donnait pas de formation comme tel au Québec, j’ai opté pour le graphisme au DEC (qui est l’équivalent du bac en France) qui ne m’a définitivement pas convaincu puisque je ne l’ai pas terminé… En sortant des études collégiales, j’ai donné quelques ateliers BD à Québec et en 1990, j’ai été Grand gagnant du 6ième concours international de bande dessinée organisé par la C.A.I.J. Charleroi (Belgique). C’était une belle reconnaissance à cette époque même si elle ne m’a pas ouvert toutes les portes que j’aurais pu espéré. J’ai donc décidé de me trouver un emploi rémunérateur et j’ai été embauché par une boîte de productions vidéo où j’y ai travaillé comme animateur 3D. C’était en 1991, alors la complexité des logiciels était assez basse pour que j’apprenne le métier « sur le tas ». Parallèlement, j’ai publié à cette époque une compilation de courtes histoires scénarisées par d’A.-P. Côté : La voyante. Encore une fois, comme il fallait bien vivre, j’ai fondé avec mes frères une compagnie de multimédia et de 3D (SVC – en 1995). J’y ai travaillé jusqu’à la fin 99 pour faire le bond en 2000 du côté des jeux vidéo comme designer jusqu’en 2004. C’est pendant cette période que je me suis complètement détourné de la bande dessinée. Ça été à cette époque, un raz le bol total dû aux perspectives professionnelles insignifiantes pour un québécois en bande dessinée. Mais avec l’arrivée de nouveaux auteurs, la percée des gars comme Labrosse, Voro et Mivilles-Deschênes que j’ai cru à un retour possible de mon rêve d’enfance. Donc, en tentant des approches chez Spirou en 2002, Thierry Tinlot le rédac en chef de l’époque m’a donné ma chance. J’ai illustré sporadiquement de courts récits pour ce magazine pendant 2 ans ce qui a renforcé mon assurance d’être prêt pour le grand saut. En 2004, je joignais l’équipe de Grafiksismik (un petit studio de dessinateurs de Comics) pour laisser derrière moi mon travail de designer de jeux et m’attaquer à temps plein à celui de dessinateur. Depuis 2006, je vole de mes propres ailes comme auteur de bande dessinées.



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris


Quel lecteur étiez-vous enfant ? Quels étaient alors vos dessinateurs favoris?
Je suis de la génération des dernières années Franquin. Jeune, j’ai été un grand lecteur du magazine SPIROU, ce qui m’a permis de découvrir des séries phares pour mon jeune age tel, Les tuniques bleus, Yoko Tsuno, Gaston Lagaffe… Plus tard, à l’adolescence, j’ai découvert Moebius, Hermann, Rosinski, Derib. Ce sont de belles années de lectures !

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse?
Comme mentionné plus haut, oui ! À l’age de huit ou neuf ans, c’était clair que ce métier était fait pour moi (et à l’inverse aussi) Malgré un passage à vide dans le début des années 2000, je sais que je suis à ma place comme dessinateur de BD.

Quelles sont pour toi les grandes joies du métier de dessinateur?
La possibilité de toucher à plusieurs styles et d’univers. Ne pas être pris dans un carcan monotone et de pouvoir illustrer ce que bon nous semble. Dessiner c’est voyager tout en restant immobile. C’est un peu vivre des aventures et plusieurs vies par procuration.

Publier votre premier album a-t-il relevé du parcours de combattant ?
Oui et non. Avant de signé avec les éditions Soleil, ce fut plusieurs années de dossiers envoyé à gauche et à droite avec continuellement des refus au retour. Mon premier projet d’album (Tokyo Ghost) m’a par contre été proposé par Nicolas Jarry qui avait déjà ses entrées dans le milieu professionnel. Après un dossier sommaire de quelques pages, le tout était accepté. Ce qui prouve à quelque part, que même avec du talent, il est difficile de passer l’étape de la signature. Il faut aussi quelqu’un pour nous introduire et croire en notre potentiel.


Pourquoi avoir publié Saint-Germain sous un ton véritable nom et non sous le pseudo que tu as utilisé jusque là pour signer tes albums?
Les gens me posent beaucoup cette question. Pour faire une histoire simple, je dirais que Djief va rester chez Soleil et que j’ai signé avec Saint-Germain une série plus personnelle. De plus, je sais pertinemment que les amateurs du style Djief ne se retrouveront pas tous dans un état de grâce avec ce que je fais sous Bergeron et vice versa.

Mon petit doigt m’a dit que tu étais à l’origine du projet de série autour de l’énigmatique Conte de Saitn Germain. Qu’est ce qui te fascine dans ce personnage secret et haut en couleur?
J’ai découvert le Comte de Saint-Germain par pur hasard en feuilletant une encyclopédie, je crois… Et comme à peu près à la même époque j’avais vu le film de T. Gilliam sur les aventures du Baron de Munchausen, j’y ai perçu des similitudes et été totalement attiré par le personnage. J’avais alors préparé un récit sur ce personnage et réalisé quelques pages, mais comme j’étais loin d’être mûr professionnellement à ce moment, j’ai vite remisé le projet dans mes cartons. Près de vingt ans plus tard, j’ai proposé à Thierry de reprendre cette idée sur une base de mélange de genres et qu’il y apporte toute la richesse de son talent de scénariste!

Peux-tu en quelques mots nous faire le pitch de Saint-Germain?
Je reprend ici quelques lignes que Thierry a déjà écrites pour présenter Saint-Germain : Maximilien Dubet de Mondou, dit « Le comte de Saint Germain » est un personnage ambigu, qui travaille en tant qu’agent secret pour Louis XV mais poursuit simultanément ses propres objectifs. Ses origines sont nébuleuses, ses motivations mystérieuses. Ceci étant dit, il est un archétype du héros positif et pragmatique. Jamais pris à court d’humour, il préfère rire de la mort plutôt que de la craindre. Nous verrons au fur et à mesure des épisodes qu’un tel tempérament n’est pas inné mais s’est construit sur de nombreux drames personnels.
Sinon, je rajouterais de mon côté que notre série est un mélange de genres mêlant fantastique, réalité historique et feuilletons populaire à la Dumas. C’est un récit qui n’a pas la prétention de se prendre au sérieux et qui se veut un agréable moment de lecture, le temps d’un voyage dans le monde des bulles.
Aurais-tu un livre en particulier à conseiller au lecteur désireux d’approfondir sa connaissance du personnage historique?... si tant soit est qu’il soit possible de séparer l’histoire de la légende en ce qui concerne le conte…
Sincèrement, je n’en ai aucune idée… Nous sommes parti du personnage historique pour en faire quelque chose d’autre. Je sais qu’il existe quelques romans reprenant les aventures de Saint-Germain mais je ne les ai pas lu à part « Le pendule de Foucault » d’Umberto Eco où le comte fait une petite incursion…

Serait-il possible, pour une planche donnée, de vois les différentes étapes de ca conception, du crayonné à la colorisation?
Voici en quelques étapes simplifiées la création de la planche 17 du tome 1 (voir les jpeg ci-joint).


J’esquisse le découpage de la planche de façon très détaillé avec en général toute ma documentation visuelle préalablement montée. J’y ajoute des valeurs de gris pour bien visualiser la scène.

De ce découpage, je produis un bleu, que j’imprime sur un carton dans un format avoisinant les 175% de la page finale.

La planche ne noir et blanc est entièrement dessinée sur carton sans encrage. J’utilise de simples crayons plombs H et 2B.

Une fois numérisée, j’entreprends la coloration avec Photoshop. La première étape consiste à appliquer des masses de couleurs pour délimiter mes aplats et les teintes de fond.

La finition de la coloration est faite à l’ordinateur avec, entre autre, une superposition d’aquarelle numérisée.

Parmi ces différents étapes, y en a-t-il une que tu apprécies particulièrement?
L’étape du découpage est celle que je maîtrise le mieux. Mais j’aime beaucoup les étapes du dessin et de la coloration. Mon seul souci dans ces étapes est le temps restreint qui leur est alloué pour des raisons bassement financières et aussi de délais de livraison.

Comment as tu travaillé sur les décors et les costumes? Quelles furent tes sources iconographiques et comment as-tu abordé l'esthétisme de l'album?
Je grappille dans les bouquins ou sur les galeries Internet de peintres du 18e, je ramasse toute documentation, reproductions de gravures et iconographie du siècle des lumières que je peux trouver. Et aussi, je me procure les DVD de films se passant à cette époque (Les liaisons dangereuses, Le parfum, Fanfan, Barry Lyndon…) Pour l’esthétique final je dessine comme je sens le projet, sans me prendre la tête. Par intuition j’avance dans le projet tout en essayant techniquement d’améliorer les attitudes et les faciès des personnages. C’est un processus d’appropriation d’univers qui prend un certain temps avant d’être totalement acquis, quelques fois deux ou trois albums sont nécessaires.

Dans quel environnement travailles tu lorsque tu t'attèles à la planche à dessin? Silence monacal? musique de circonstance?
Ça dépend, à l’étape du découpage, j’écoute souvent de la musique (des trames sonores de films, du classique ou de l’alternatif…) Aux étapes du dessin final ou de la coloration, j’aime bien écouter des émissions de radio que j’accumule en balado-diffusion sur mon ordinateur (ou « podcasting » si tu préfères) Il y a des jours ou je travaille dans le silence complet ce qui n’est pas une mauvaise chose non plus puisque avec deux enfants à la maison, le silence est quelque fois un luxe.

Comment as-tu travaillé l’apparence de tes personnages et celle de Saint-Germain en particulier?
Concernant le héros principal, Saint-Germain ne s’est pas imposé immédiatement dans les recherches préparatoires, contrairement à Joseph qui lui s’est fixé très rapidement! Mes méandres sur Saint-Germain viennent sans doute du fait que je ne m’étais pas débarrassé de mes lointains balbutiements graphiques sur ce personnage qui ne convenaient plus tout a fait.
Vous avez développé un site internet de toute beauté pour cette série. Comment est né ce projet et comment avez-vous abordé sa réalisation?
Merci pour l’appréciation du site ! On y a bien bossé et nous sommes très fier du résultat. Dans l’idée, le site est évolutif et a été conçu pour être bonifié après chaque nouvel album. A l’origine, c’est nous qui avons proposé à Glénat de le réaliser puisque mon passé de designer Internet me permettait d’approcher techniquement ce mandat. Pour le reste, nous étions les mieux placés pour savoir comment nous voulions l’articuler et quelles informations nous voulions y intégrer. Il a été conçu comme un complément aux albums et pas seulement comme un outil de promotion.

En tant que dessinateur, comment vis-tu les séances de dédicace? Comment s’est déroulé la grand’ messe d’Angoulême?
Très bien ! Les lecteurs sont généralement sympathiques et débordant de politesse malgré leurs attentes interminables en ligne!!! Je suis toujours aussi surpris du nombre de personnes que je vois passer durant ce festival… Heureusement, je n’en suis qu’à ma seconde édition et je ne suis pas encore blasé par tout ce cirque. Je m’y amuse encore beaucoup !

Depuis que tu es passé de l'autre côté en devenant auteur, as-tu encore le temps de lire des BD?
Oui, j’essaye de rester au fait en lisant aussi des revues spécialisées ou des critiques d’albums autant pour un soucis professionnel que pour mon propre plaisir.



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris


Quels sont tes derniers coups de coeur?
Ayant de jeunes enfants, j’ai eu droit depuis quelques années au visionnement d’une bonne sélection de films d’animation et de films jeunesse de tout acabit (quelques fois contre mon gré). Il faut avouer que les films de Pixar m’ont tous renversé et m’ont ramené à l’état de gamin à chaque fois! Sinon, ce serait plutôt du côté de mini-séries de HBO que ma femme et moi aimons regarder en DVD une fois les enfants couchés. Dans cette lignée, les deux saisons de Rome m’ont particulièrement éblouies !
Du côté musical, je redécouvre les symphonies de Haydn et le messie de Haendel. Aussi dans la musique pop, j’écoute du Cœur de pirate, du Alexandre Désilets, du Feist…

A part Saint Germain, sur quels autres projets travailles-tu actuellement?
Je continue, en parallèle de Saint-Germain, ma saga chez soleil Celtic « Le crépuscule des dieux » qui comptera 6 tomes au total (j’en suis à travailler sur le 4ième) Et je réalise aussi en ce moment quelques contrats de couvertures toujours pour Soleil Celtic et leurs « Contes du Korrigan ». Je poste régulièrement sur mon blog des images en productions : www.djief.com

Y a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterai néanmoins répondre?
Non, pour le moment, je suis un auteur comblé. Et la suite des aventures de Saint-Germain m’attend de pied ferme ! Je dois me montrer à la hauteur des attentes graphiques des lecteurs.



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris


Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire :

Si tu étais…

Un personnage de cinéma : l’écureuil préhistorique dans « l’Ère de glace » (quel modèle de persévérance)
Une créature mythologique : un phénix (Aaaah, renaître de ses cendres !)
Un personnage de BD : Schroeder des Peanuts (celui qui joue du Beethoven au piano continuellement et qui ignore Lucie)
Un personnage biblique : Aucune idée, un personnage secondaire regardant la cène de l’extérieur très certainement.
Un personnage de roman : Athos pour son caractère peu loquace et son pragmatisme
Un personnage historique: Galileo Galilei pour sa fascination de comprendre l’Univers et ressentir son exaltation lors de sa découverte que la Lune serait un monde au même titre que la Terre et non une sphère parfaite éthérée.
Un personnage de théâtre : Mmmm, le rôle de metteur en scène me conviendrait mieux en fait.
Une oeuvre humaine: un igloo : froid de l’extérieur, chaud en dedans ! ^__^
Un jeu de société: « Monopoly », pour convenir à mes ambitions de futur maître du monde ! (non, sans blague, je serais plutôt « serpents et échelles »)
Une recette culinaire: une soupe (mais pas au lait !)
Une boisson : une bière douce sans arrière goût.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé... et rendez-vous pour le tome 2 !
Ce fut un plaisir !



Planche T2 © Glénat / JF Bergeron / Thierry Gloris


Le Korrigan



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