Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?
Olivier Caïra: Je suis enseignant en IUT et sociologue. Mes travaux portent sur les industries de loisir et les expériences de la fiction. J’ai publié deux livres chez CNRS Editions, Hollywood face à la censure en 2005 et Jeux de rôle : les forges de la fiction en 2007. J’ai trente-six ans, trois enfants, et j’ai la chance d’avoir des passions en parfait accord avec mes deux métiers.
Daniel Dugourd: J’ai déjà répondu à cette question dans une précédente interview, et je n’ajouterai rien de plus sans la présence de mon avocat !
Comment est né le projet de l’Atelier du jeu de Rôle ? Pouvez-vous nous en dire plus sur Pinkerton Press ?
OC : « L’atelier du jeu de rôle » est le prolongement logique de la parution des Forges de la fiction en 2007. Ce livre m’a valu de nombreux contacts dans les milieux du jeu et des sciences humaines, au point qu’il m’a paru évident de passer de l’écriture à l’édition, afin de créer des passerelles entre ces deux mondes. Avec l’équipe de Pinkerton Press, nous avons cherché une formule à mi-chemin entre mon travail pour CNRS Editions et les articles de fond publiés sur certains sites ou dans Casus Belli « grande époque »… C’est finalement l’idée d’une collection à la fois théorique et pratique qui a fait l’unanimité : un thème fort, des regards variés, une démarche multi-gammes, et surtout un langage accessible et orienté vers le jeu.
DD : Olivier cherchait une structure éditoriale assurant une totale indépendance rédactionnelle. Selon moi, la meilleure solution pour garantir l’indépendance rédactionnelle et la transparence vis-à-vis des lecteurs, c’était de créer une structure associative sur le modèle des Editions du Club Pythagore. Nous avons donc créé Pinkerton Press : c’est une association à but non lucratif dont les membres sont les auteurs qui participent à la rédaction de nos ouvrages. Ainsi, ce sont les auteurs qui décident collégialement de la politique éditoriale et commerciale. D’autre part, tous nos auteurs étant des professionnels confirmés, nous pouvons produire des ouvrages d’excellente qualité. Enfin, chacun travaillant également pour d’autres éditeurs de jeux de rôle, nous entretenons d’excellents rapports avec l’ensemble de la profession.
Votre première publication, Jouer avec l’Histoire, est prévue pour mars 2009… Pouvez-vous nous parler plus avant de sa forme et de son contenu?
OC : Le thème du jeu historique est abordé de manière ouverte, en partant du principe que l’Histoire telle qu’elle est traitée en jeu de rôle peut s’enrichir d’éléments fantastiques ou lorgner vers la science-fiction. Jouer avec l’Histoire, c’est aussi parfois la faire dérailler vers des uchronies. Dans tous les cas, les auteurs partagent un goût et une curiosité pour le passé, et les meneurs font face à des problèmes très pratiques : comment planter le décor et incarner les personnages d’une époque donnée ? comment gérer les anachronismes, les stéréotypes ou les experts autoproclamés autour de la table ? comment aborder des thèmes douloureux de l’Histoire récente ? que faire si les PJ font basculer le cours des événements ? C’est à partir ces questions que les auteurs ont travaillé, chacun dans son registre : témoignage, enquête de terrain, analyse, ou encore conseils pratiques.
On retrace ainsi la genèse de trois grandes gammes : Te Deum pour un massacre, Pavillon Noir et Maléfices. Jérôme Larré propose une méthode d’écriture pour les campagnes historiques. Romain d’Huissier analyse les liens entre Histoire et genres de fiction. Antoine Dauphragne présente ses enquêtes sur le Moyen Âge au travers de gammes comme Aquelarre, Miles Christi, Pendragon ou Ars Magica. Puis nous abordons, avec les auteurs de Crimes, les thèmes difficiles de l’Histoire récente : racisme, antisémitisme, colonialisme, etc. Christophe Valla et moi-même abordons la question du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, en invitant trois auteurs à témoigner : Christian Grussi pour Arkeos, Thierry Salaün pour Cthulhu DDR et Julien Heylbroeck pour WarsaW.
DD : Nous avons voulu faire un ouvrage à la fois beau et pratique. Nous avons opté pour un grand format poche (format proche des boites de DVD) : ça se tient bien en main, ça se manipule facilement et ça peut s’emporter pour une lecture à l’extérieur, dans le métro ou au bistrot. Nous avons voulu soigner la présentation afin que ces ouvrages forment une collection que l’on garde : nous avons opté pour une couverture à rabats, un aspect satiné avec du vernis sélectif, et un beau papier bouffant. Dernier objectif : nous voulions absolument que le prix soit très abordable afin qu’il ne représente pas un investissement pour les lecteurs. Nous y sommes parvenus, puisque le premier volume est annoncé à 9,90 € TTC. Nous espérons ainsi qu’il connaîtra une plus grande diffusion, offrant ainsi d’autres regards sur le jeu de rôle.
Quel sera le mode de diffusion de l'ouvrage et quel en sera le tirage?
OC : Contrairement à Jeux de rôle : les forges de la fiction qui était destiné au grand public, la collection « L’Atelier du jeu de rôle » s’adresse aux joueurs. Il nous paraissait évident que nous devions privilégier les boutiques spécialisées, car c’est là que nous pouvons trouver notre lectorat. Pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une boutique à proximité de chez eux, ils pourront sans difficulté se procurer nos ouvrages dans les boutiques on-line.
DD : Pour garantir un prix de vente aussi faible, nous devons compter sur un volume de vente plus important qu’un jeu de rôle. Ce qui n’est en soi pas une utopie : comme un magazine, notre collection est multigamme. Nous avons commandé 3.000 exemplaires de Jouer avec l’histoire. En-dessous, le projet n’était tout simplement pas rentable. Ceci étant, notre seuil de rentabilité se trouve très en-deçà du seuil de rentabilité d’un magazine. Quand les joueurs découvriront le livre en boutique, ils seront agréablement surpris par sa qualité… et tout aussi agréablement surpris par le prix de vente.
Quels sont les prochains titres qui seront publiés Pinkerton Press?
OC : Le prochain volume sera consacré à l’horreur dans les jeux de rôle. Nous conserverons certainement la même démarche : différents traitement de l’horreur dans quelques gammes, l’horreur et son utilisation dans une partie de jeu de rôle, les problèmes posées par ce thème et quelques pistes de réflexion pour les lecteurs. Le tout sera agrémenté d’exemples, de conseils pratiques, de témoignages d’auteurs ou d’illustrateurs. Ceci n’étant pour l’heure que l’état de notre réflexion… l’auteur responsable de la rédaction de ce volume étant totalement libre de ses choix.
DD : Nous avons chargé Jérôme Larré (coauteur de COPS et de Vermine) et Willy Favre (l’auteur de Brain Soda) de la coordination du deuxième volume. Ils ont d’ores et déjà commencé à réunir une équipe d’auteurs spécialisés dans le domaine. Le brain storming est en cours ! Ils devront également nous trouver un titre plus sexy que « Jouer avec l’horreur »…
Comment voyez-vous l’évolution du marché et surtout de la communauté de joueur… Pensez-vous qu’elle a su se renouveler?
OC : Il est très difficile de produire des statistiques crédibles sur le milieu des rôlistes. On peut être rôliste sans être inscrit en club, sans se rendre dans les conventions, voire sans jamais acheter un ouvrage de jeu de rôle. Donc on ne compte pas les joueurs comme on pourrait recenser les licenciés en rugby ou en badminton.
Lorsqu’on se rend en club ou en convention, voire lorsqu’on suit les échanges en ligne, on voit clairement que les discours sur le jeu de rôle comme pratique « de jeunesse », comme étape dans la construction de l’identité, sont déconnectés du terrain. La majorité des rôlistes a passé la trentaine sans cesser de jouer, pas plus que l’on n’arrête de lire ou d’aller au cinéma. De même, l’idée que le jeu de rôle serait un dérivatif aux incertitudes de la vie scolaire ou universitaire ne convainc plus personne : les rôlistes confirmés ont souvent des diplômes et des métiers valorisés. Il faudrait arrêter de dire que les joueurs créent des personnages de fiction pour compenser tel ou tel aspect de leur vie réelle ! Tant que l’on traitera les loisirs des gens comme des symptômes et non comme des choix, on passera à côté de leur richesse.
Le vrai problème aujourd’hui, pour le marché comme pour le milieu, c’est précisément le renouvellement des générations, face à la concurrence de nouveaux loisirs.
DD : Mon impression générale, c’est que le marché est bien vivant, mais que personne ne veut le croire ! On observe un vrai dynamisme au niveau des créations françaises. Bien que s’adressant à des niches, ces jeux parviennent à trouver un public et à le fidéliser. Personnellement, ce qui m’inquiète le plus, c’est la santé des boutiques qui tendent à être désertées par les joueurs. Par contre, certaines boutiques on-line, malgré une très forte concurrence, font preuve d’une grande vitalité. Ce serait pourtant très regrettable que les boutiques abandonnent les jeux de rôle : nous avons besoin de cette lisibilité pour renouveler le public et faire connaître les nouveautés. Je ne m’explique pas le refus de certaines boutiques à entrer en stock des produits qui se vendent très bien en VPC ! J’ai pu constater que lorsqu’une gamme est proposée dans les boutiques physiques, les ventes par correspondance dans son secteur géographique s’effondrent à leur profit. Il faut impérativement que les boutiques fassent un effort pour proposer les nouveautés dans des délais raisonnables… et que les joueurs reprennent l’habitude de s’y montrer !
Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé et longue vie aux éditions Pinkerton press!