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Entretien avec Cyril Demaegd
entretien accordé en juin 2009


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’interview… question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Non au contraire, je préfère largement le tutoiement ! Tu peux donc y aller pour le « tu »…

Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ? ( Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse)…
Je m’appelle Cyril Demaegd, j’ai 38 ans et je suis éditeur de jeux. Avant de faire du jeu j’ai fait des études de sciences qui m’ont conduit comme beaucoup dans l’informatique. Je suis passionné par la musique (un mix entre hard rock des années 70 et Tool) et je collectionne les PV. Mon numéro de carte bleue est le 555-49568741556…

Quel joueur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes jeux favoris?
Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours été joueur de jeux de société, car je n’aimais pas joueur seul. J’ai donc pratiqué tous les classiques, du Monopoly aux Echecs, en passant par la bonne paye, le Cluedo, le Risk. Bref rien de bien original, mais c’était dur de trouver autre chose à l’époque !

Si enfant on joue beaucoup, plus rares sont les adultes qui s’adonnent régulièrement aux jeux de société… Un jeu en particulier t' a-t-il fait basculer dans les « jeux pour grands » ou n’as-tu finalement jamais cessé de jouer?
En fait un jour j’ai vu une émission sur les jeux de rôles à la télé et j’ai été fasciné par ce concept. J’ai donc bassiné ma mère jusqu’à ce qu’elle me trouve un JdR (c’était l’ultime épreuve). Je devais avoir 14 ans à l’époque ; j’ai converti mes amis et ça a bien mobilisé mon temps pendant l’adolescence. Puis, le temps manquant pour préparer de bons JDR, je suis progressivement repassé aux jeux de plateau. D’abord par Civ, Dune et les jeux Games Workshop, puis par Catane et El Grande. En bref, je n’ai jamais effectivement arrêté de jouer !

Si tu devais expliquer le jeu de rôle à ma grand mère en quelques mots, comment t'y prendrais-tu?
C’est plutôt simple en fait. C’est une histoire, mais dans laquelle les joueurs participent avec le conteur, chacun incarnant un personnage, plutôt que d’écouter simplement.

Le JdR semble quelque peu en perte de vitesse. Les pionniers vieillissant, travaillant et ayant des enfants, ils se tournent vers des activités moins chronophages, telles que les jeux vidéos ou les jeux de société justement... On le sent en recul dans les boutiques spécialisées. Penses-tu qu'une page est en train de se tourner? Oui et non. Je pense qu’il est impossible que le JdR disparaisse complètement, car les versions informatiques qui s’y substituent ne sont à mon goût que des ersatz sans saveur qui ne font qu’inciter les mauvais penchants des joueurs (course au XP, Porte-Monstre- Trésor) sans pour autant pouvoir capturer l’essence d’une vraie belle partie avec de l’émotion, de l’enquête, de la tragédie. En conséquence le JdR devrait perdurer au moins dans les milieux underground ou estudiantins et ce n’est peut être pas plus mal qu’il soit un peu en retrait. Cela évitera peut être les dérives médiatiques auxquelles on a assisté par le passé…

Etant éditeur et passionné par le jeu de rôle, l'envie d'éditer un jeu de rôle fait-elle partie des multiples projets d'Ystari?
L’envie, clairement oui, mais le temps c’est une autre histoire ! En plus je n’ai franchement aucun projet concret. Disons donc que pour l’instant je laisse ça aux professionnels, mais que si je tombe sur un projet motivant, je me laisserai peut être tenter…

On a beaucoup opposé jeux allemands (belle mécanique) aux jeux américains (thème fort), plaçant souvent les jeux français entre les deux… Penses-tu aussi qu’il existe différents écoles ludiques?
Oui. Evidemment il y a des exceptions et de toute manière, je pense que c’est un peu plus compliqué que « belle mécanique » contre « thème fort », mais cette notion d’école est finalement logique. Quand on voyage, on se rend compte que la différence culturelle qui existe entre les peuples est importante (et parfois abyssale). Dès lors, il est logique que les gens ne jouent exactement pas aux mêmes jeux, puisqu’au fond le jeu est une sorte de représentation de notre vision du monde.

De joueur à créateur, comment as-tu franchi le pas?
Disons que c’est dans mon caractère. J’ai du mal à rester passif vis-à-vis de quelque chose qui me passionne et en plus j’adore créer des trucs à partir de rien, donc je me suis retrouver auteur assez logiquement et sans vraiment m’en apercevoir. Mon but n’était pas vraiment de m’éditer ou de me faire éditer, mais plutôt de voir comment on créait un jeu et de savoir si j’étais capable de mettre en place quelque chose qui tenait la route.


Comment sont née les éditions Ystari ? De l’idée à sa réalisation, cela a-t-il relevé du parcours de combattant ?
Là encore, c’était dans la logique des choses. Après avoir créé mon jeu - Ys - j’ai souhaité voir ce qui se passait après. J’ai donc tenté de le faire éditer. J’ai eu quelques retours positifs, mais tous les éditeurs voulaient faire des changements dans le jeu. C’était assez logique finalement, puisque Ys était un jeu « pour joueurs » et qu’aucun éditeur français n’était vraiment dans ce créneau à l’époque. Mais bon, j’avais confiance dans le jeu et j’étais surtout curieux de voir comment on éditait un jeu, j’ai donc décidé de me lancer. Cela n’a pas été si difficile, dans le sens ou j’avais déjà une structure (Ystari existait déjà en tant que boite d’informatique) et quelques amis dans le milieu qui m’ont aiguillé pour m’éviter de faire trop d’erreurs.

Quelles étaient les activités informatiques d'Ystari?
Celle d’une SSII classique. Rien de folichon et c’est justement pourquoi j’ai dévié vers un métier plus intéressant (si pas plus lucratif malheureusement).

Deux questions indiscrète et sans doute moult fois posées: pourquoi le titre de bon nombre de vos jeux est-il en Ys? D'où vient le pseudo de Karis avec lequel tu hante les forums?
C’est vrai que j’y répond souvent à celle du Y et du S ! Et bien, c’est venu bêtement et par hasard. On a sorti Ys, puis longtemps cherché un nom pour le second jeu, et quand il s’est avéré que ce serait Caylus, l’un des testeur a remarqué que ce titre contenait un Y et un S, comme pour YS et YSTARI. Donc on a décidé de continuer cette série par jeu, mais ça a un peu trop fait boule de neige à mon goût ! Quand à mon pseudo, comme pour bien des gens il vient du nom d’un de mes persos de AD&D (un paladin pour l’anecdote).


On parle souvent d’une patte Ystari, comment la définiriez-vous ?
Pour commencer je suis un peu circonspect avec cette formule parce que les gens ont parfois tendance à faire des raccourcis. On leur dit « patte Ystari » et les grincheux concluent « toujours le même jeu ». Or, j’essaye justement de faire en permanence le grand écart et de travailler avec des auteurs très différents (ou quand je suis l’auteur, de me forcer à aborder quelque chose que je n’ai jamais fait). Pour moi, nos jeux « maison » (ce qui exclu donc la gamme Ystari Plus) sont toujours aussi différents que possible. Ainsi, je ne crois pas qu’Yspahan soit semblable à Caylus, ou à Sylla (et c’est vrai pour un peu tout).
Maintenant, il est vrai qu’il y a tout de même des traits d’union entre nos jeux. Je pense que cela est du premièrement à mon goût personnel (étant donné que je choisi ce que je souhaite éditer) et que je m’aperçois que j’aime les jeux à tendance « allemande » (mécanismes intéressants et bien réglés) mais un poil plus méchants et interactifs. Ainsi, nos jeux intègrent souvent un élément interactif perturbant (par exemple le prévôt à Caylus, ou la caravane d’Amyitis), qui leur donne un caractère plus agressif que leurs homologues teutons.
Par ailleurs, j’aime bien le foisonnement, donc j’ai tendance à choisir des jeux proposant une multitude de choix pour marquer des points, ainsi qu’une certaine frustration (on n’a pas assez de temps/d’actions pour faire tout ce qu’on souhaite faire).
Enfin je dirais que nos jeux ont toujours une courbe d’apprentissage, c'est-à-dire qu’on n’en fait généralement pas le tour rapidement, et qu’il faut quelques parties pour en apprendre les subtilités (c’est également vrai pour notre petit dernier – Bombay – qui est pourtant le plus simple de la gamme). Malheureusement, à l’heure actuelle, ce dernier facteur est un problème puisque devant le foisonnement de nouveautés, les gens n’ont plus le temps de « creuser »…
Enfin bref, la patte Ystari c’est un mélange de tout cela, mais surtout pas une recette ! Et s’il y en a une, je ne veux surtout pas la connaître !

Quels sont vos projets éditoriaux présents à venir? Peux-tu nous en dire plus sur Assyria, le prochain jeu de Emanuele Ornella à qui l'on doit notamment l'excellent Oltre Mare?
A courte échéance, la seconde extension de RFTG qui rajoute un aspect guerrier au jeu ainsi qu’une palanquée de nouvelles cartes assez puissantes. Puis effectivement, nous sortirons Assyria à Essen. C’est un jeu de nomadisme. Les joueurs y incarnent des tribus qui tentent de survivre et de s’étendre sur un territoire désertique. Ils peuvent également construire des puits et des Ziggurats, pour raffermir leur position. Comme souvent chez Ystari et chez Emanuele Ornella, c’est un jeu multi stratégie avec pas mal de façons de marquer des points. Je l’aime beaucoup parce que ce n’est pas le énième jeu de gestion classique, mais qu’il intègre des aspects intéressants dans la propagation des tribus.
Sinon, nous allons également sortir une boite d’extension pour 5 de nos jeux (Amyitis,CMC, Metropolys, Sylla, Yspahan). Le but ici est de continuer à faire vive ces jeux en proposant des choses qui permettront de renouveler l’expérience de jeu. C’est un point d’honneur pour moi, plutôt qu’une opération commerciale. Chacun des jeux que nous sortons est important à mes yeux et il n’y a pas de « filler » comme on dit dans la musique. Malheureusement, de nos jours, il y a tellement de jeux qui sortent qu’on a l’impression que les jeux sont destinés à avoir une durée de vie de 1 ou 2 parties avant de rejoindre définitivement une étagère. Je trouve cela dommage, dans la mesure où nos jeux ne peuvent donner leur pleine mesure aussi rapidement. Donc ce projet vise à remettre en lumière nos jeux et à les faire redécouvrir sous un autre angle. On verra bien si l’idée séduit !



J'ai lu sur le forum de TricTrac que tu envisageais de rééditer Détective Conseil, jeu d'enquête à la lisière du jeu de rôle à ce jour introuvable ou alors à vil prix, la spéculation aidant. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet pour le moins enthousiasmant?
C’est dans mes projets effectivement, mais c’est un peu tôt pour en parler puisque je suis toujours en discussion avec les ayant droits de l’auteur (qui est mort). Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire cette réédition car c’est clairement l’un des mes jeux fétiches. Un OVNI ludique que j’ai bien envie de remettre au goût du jour…



Quel auteur rêverais-tu d'éditer?
En fait, je en rêve pas vraiment d’éditer un auteur en particulier, dans le sens ou n’importe quel auteur peut produire des bons ou des mauvais jeux. Mais bon, j’avoue un faible pour Wolfgang Kramer, qui a généralement une production d’une qualité toujours haute et qui a publié quelques chef-d’œuvre.


Quels sont tes dernier coup de cœur? (ludiques, cinématographiques, littéraires ou bdistiques)
Pas vraiment de coup de cœur ludique ces temps-ci hormis le coopératif sur BSG, ce qui rejoint mon coup de cœur série du moment (même si elle est à présent terminée). En littérature,je viens de terminer le dernier Simmons, Terreur, que j’ai trouvé brillant. Simmons est en grande forme en ce moment, parce que j’avais déjà adoré Illium/Olympos. Au ciné, j’ai apprécié Gran Torino (Clint !) et Millennium. Pas trop Star Trek par contre, décevant sur bien des points (les histoires de voyage dans le temps sont à la SF ce que les jumeaux sont aux polars). Enfin en BD, mon coup de cœur du moment est Servitudes (même si ça commence un peu à dater).


Si tu devais partir t'exiler sur une île déserte et qu'on te permettait d'emporter trois jeux, quels seraient-ils?
Il vaudrait mieux emmener des jeux jouables en solo, mais bon supposons que j’ai des partenaires. J’emmènerais les Princes de Florence, Torrès et Caylus pour leur richesse et leur rejouabilité. Mieux vaut être prévoyant !

Y a-t-il une question que je n'ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Pas vraiment. J’ai plutôt été bavard en fait !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire :
Si tu étais…

C’est assez difficile, mais bon je te réponds ce qu’il m’aurait plu d’être !

Un personnage de cinéma :Luke Skywalker. Toute mon enfance…
Une créature mythologique : Le Sphinx. A cause de son goût pour les énigmes.
Un personnage de BD : On va dire Le Scorpion…j’hésitais un peu avec Bragon (plus mon caractère).
Un personnage biblique :Moïse. Pas très original, mais bon…
Un personnage de roman :Robert d’Artois dans Les Rois Maudits. Il est énorme, surtout interprété par Jean Piat !
Un personnage historique: Vraiment pas facile ! Tant d’époques et de choix. Allez on va dire Nikola Tesla, qui est encore un mystère de nos jours..
Un personnage de théâtre :Sûrement Cyrano pour posséder sa verve. Pour le nez aussi…
Une oeuvre humaine: Si je dois être concret je te dirais La Transfiguration de Raphaël, plus abstraitement je te dirais la conquête spatiale…
Un jeu de société:On va dire Amyitis, parce que c’est tout de même 2 ans de ma vie !
Un mécanisme de jeu de société:La majorité avec des petits cubes (à la El Grande). Quand j’ai vu ça, je me suis demandé pourquoi personne n’avait eu cette idée simple et géniale avant…
Une recette culinaire: Simplement des pâtes, ans sauce avec du parmesan. Mon péché mignon !
Une boisson : Un bon Pessac-Leognan…ou alors un Coca light c’est selon !

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé !
Le Korrigan