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Entretien avec Sylvain Cordurié
accordé aux SdI en janvier 2010


Tout d'abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview... Peux-tu nous en dire un peu plus sur vous? ( Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse).
Tout ça ?
Pour le parcours, j’ai commencé par cinq ans aux Beaux-Arts. À la suite de quoi j’ai fait une formation en P.A.O. qui m’a amené sur Metz (j’habitais Angers) où j’ai rencontré Sandrine. Après la formation, j’ai intégré Oriflam, une société spécialisée dans le jeu de rôles. Pour la faire courte, j’ai travaillé six ans dans ce secteur avant de tenter ma chance dans la BD avec Sandrine et Stéphane Créty.
Je suis né en 1968 (je vous laisse faire le calcul smiley ).
Quant au compte en Suisse, la question vient trop tôt. Je me ferai un plaisir de vous informer si les choses évoluent…
Les passions… En premier lieu, la BD… Plus en faire qu’en lire, à franchement parler. Je suis aussi raisonnablement mordu de poker.

Quel lecteur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes dessinateurs favoris?
Les comics de Lug et Arédit furent mes premières lectures marquantes. J’ai vraiment grandi dans cet univers, avec une ignorance quasi absolue du franco-belge. J’étais un grand fan de Frank Miller, John Byrne, George Perez… Le seul auteur français qui m’interpellait à cette époque, c’était Loisel.

Et quels sont-ils aujourd'hui?
Il y en a beaucoup. Si je ne devais donner qu’un nom - ça m’arrange smiley - ce serait Rosinski. Il continue à explorer, à s’amuser là où d’autres, aussi expérimentés, sont davantage dans le récitatif.

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Oui. Inventer des histoires, animer des personnages, ça m’a toujours parlé.

Cette envie d'inventer des histoires, la thématique de tes albums et les univers que tu esquisses... Tout cela laisse envisager que tu as pu être attiré par le jeu de rôle ? Qu'en est-il ?
J’ai pratiqué le jeu de rôles pendant mes années Beaux-Arts. Quand on y réfléchit, le JdR, c’est du théâtre d’improvisation autour d’une table. On se plonge dans un imaginaire quelques heures durant. C’est incroyablement formateur. Et il n’y a pas mieux pour apprendre à sentir les personnages. C’est davantage cet aspect qui m’est profitable aujourd’hui.
Salëm et Enharma doivent beaucoup à mon passage chez Oriflam. Mais pour le reste, mes références sont plus littéraires ou cinématographiques que rôlistiques.

Sherlock Holmes ©Laci

Quelles sont selon vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Compliqué de répondre à cette question... Les joies et les difficultés se rejoignent souvent…
Signer sa première BD est un grand moment. La voir imprimée en est un autre. Après, sur la durée, le plus passionnant, ça reste la traduction du scénario par les dessinateurs.
La plus grande difficulté, c’est que je ne peux jamais vraiment laisser ce métier de côté. Je bosse constamment. Et quand je ne bosse pas, j’y pense. Un peu pénible parfois…
Les autres difficultés tiennent surtout aux mœurs discutables de la profession. Mais je ne vais pas m’étaler sur ce point…

2003 paraissait La Pierre de Mort-Levée, premier tome de Salem la noire dessiné par Stéphane Créty. Comment es-tu passé de l’autre côté de la barrière en devenant scénariste ?
Plus facile. smiley
Cela tient à une date : le 1er janvier 2000. Je me suis rendu compte que je voulais faire de la BD depuis dix ans, sans jamais m’en être donné les moyens. À partir de ce jour-là, je lui ai consacré toutes mes soirées.
En 2001, Sandrine m’a présenté Stéphane, un collègue qui comme elle œuvrait dans l’animation. Steph était lui aussi mûr pour l’aventure. On s’est associés pour monter un projet refusé par huit éditeurs. On est revenus dessus, avec le soutien actif de Sandrine, et Delcourt s’est intéressé à la nouvelle mouture.

En 2009 paraissaient pas moins de quatre nouvelles série dont tu signais le scénario… Trouves-tu encore le temps de dormir ?
Quatre, ce n’est pas impressionnant. On peut manger, dormir, faire tout un tas de choses à côté.
Fin 2010, j’aurai sept ou huit tomes de plus en librairie. Là, le temps commence à manquer.


Nous sommes à quelques jours de la sortie chez Soleil du premier tome de Sherlock Holmes et les vampires de Londres dont Laci signe les dessins et qui inaugurera la nouvelle collection 1800. Comment est née cette aventure et d’où t’es venue l’idée étrange mais savoureuse de mêler le cartésien Holmes à une histoire de vampires ?
L’intiative du projet revient à Jean-Luc Istin. Il a créé cette collection et m’a tout simplement proposé d’écrire une histoire associant Holmes et vampires. Le véritable défi, c’était surtout d’être à la hauteur du détective et d’exploiter pleinement son sens de la déduction, sa vivacité d’esprit, sa maîtrise de la chimie, etc. C’est très amusant de développer un personnage infiniment plus brillant que soi. smiley

Crayonné de la page 22 ©LaciSais-tu pourquoi Jean-Luc Istin tenait à cette association à la fois surprenante et jubilatoire ?
À l’origine, Jean-Luc voulait créer une autre collection où des personnages notoires s’opposeraient. Il a vite réalisé que ceux auxquels il pensait avaient un point en commun : le XIXe siècle. D’où 1800.
Je crois que dans sa tête, il y avait quelque chose de fun à réunir Sherlock Holmes et les vampires. Sa vision de départ était peut-être plus whedonesque…. Mais quand on tricote un projet sur mesure pour un dessinateur, cela oriente l’écriture. Je suis parti dans une direction plus sérieuse.

Comment s'empare-t-on d'un personnage aussi emblématique que celui Sherlock Holmes ? Ecrire cette histoire a-t-il nécessité de s'abreuver aux sources du mythe et de se plonger dans la lecture des nombreuses histoires concoctée par Sir Arthur Conan Doyle et ses successeurs ?
Oui. Je n’étais pas assez instruit du personnage pour l’aborder. J’ai donc lu les nouvelles fondatrices. J’ai aussi regardé une flopée d’épisodes de la série avec Jeremy Brett. C’était intéressant à double titre. D’abord, parce que Brett proposait une interprétation inspirée de Sherlock Holmes. Et parce que la série reprenait les nouvelles… avec les variations propres à toute adaptation. Une bonne manière d’apprendre à respecter le mythe sans se laisser étouffer par des références trop strictes.

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?Peux-tu en quelques mots nous donner le pitch de la série ?
L’histoire débute au printemps 1891. Holmes a survécu à son ultime confrontation avec le Professeur Moriarty. Il s’est établi à Paris et se prépare à changer de vie quand une bande de vampires lui tombe dessus. Ils ne viennent pas à lui par hasard…

Le mythe du vampire est un mythe riche, impulsé par Stoker en littérature, et grandement renouvelé par Anne Rice et remis récemment à la mode par la série Twilight... A quelle source vampirique t'es tu abreuvé ?
J’ai pioché dans le pot commun. smiley
Je n’associe pas vraiment Selymes et les vampires à l’une des expressions citées. Anne Rice, je m’en suis lassé. Twilight, ça me fait plus sourire qu’autre chose. Quitte à choisir une orientation ado, je m’y retrouvais davantage dans Buffy.
À la limite, c’est de Stoker que je m’approche le plus… mais je n’en connais que les adaptations.

D'une façon générale, comment abordes-tu tes personnages? Comment donnes-tu vie à ces êtres de papier ? Rédiges-tu pour chacun d'eux une fiche détaillée?
Tout d’abord, je pose une structure, avec des personnages assez sommaires. Puis je me laisse porter par l’histoire. En gros, je la «vis» de l’intérieur. On en revient à la pratique rôlistique. Les personnages se définissent d’eux-mêmes dans le processus. Sur la durée.
En général, quand la structure du récit est bien posée, j’ai une perception claire de chacun des protagonistes principaux. Mais je ne fige jamais les choses avec une fiche. Si je vois des manques dans la définition d’un personnage, je me replonge dans le contexte de la série.

Quel personnage as-tu particulièrement aimé mettre en scène?
Il y en a plusieurs... Nathan Palliger et le Céleste Noir en tête. J’aime m’amuser avec des figures archétypales, les modeler.

Comment avez-vous organisé votre travail avec Vladimir Krstic ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de votre travail ? Serait-il possible, pour une planche donnée, de voir les différentes étapes de sa réalisation?
Notre collaboration est on ne peut plus classique. J’écris un synopsis, suivi d’un découpage. Laci me fournit un story/crayonné. On effectue quelques réglages au besoin puis il fixe la planche. Il arrive que la page évolue entre la phase d’écriture et la traduction graphique.


MAKING-OF
découpage Montage texte  Encrage  Mise en couleur


Graphiquement, la série semble particulièrement réussie, de même que la couverture particulièrement intrigante, signée Jean-Sébastien Rossbach... Quel effet cela te fait-il de voir ton scénario traduire en image ?
Dans ce cas précis, c’est une grande satisfaction. J’étais resté sur une déception avec Laci. Celle de ne pouvoir poursuivre le Céleste Noir. Pour de multiples raisons… Comme j’aime écrire pour lui, que je lui trouve un talent immense, il me tardait de voir ce tome sortir. Et j’en suis très content.
De manière plus globale, je suis un fondu du livre. De l’objet. Donc, il y a toujours une émotion, même petite, quand je découvre un résultat imprimé.

As-tu d’autres projets dans tes cartons ?
Tu connais un scénariste qui n’en a pas ? smiley
Oui, bien sûr. Une petite dizaine, à vue de nez. Certains que je concrétiserai seul, d’autres à quatre mains. Cela touchera un peu à tous les genres… Mais je fais les choses à ma vitesse. Je ne veux pas me disperser au risque de ne plus suivre les dessinateurs déjà engagés avec moi.

Quels sont tes derniers coups de cœur ? (tous médias confondus)
Musique : Grizzly Bear et la bande originale de Twilight 2 (mention spéciale à Thom Yorke pour Hearing Damage). Le dernier album d’Eiffel également.
BD : le tome 2 de Neanderthal, d’Emmanuel Roudier. Juste impressionnant.
Roman : j’ai (enfin) commencé Terreur de Dan Simmons…
Cinéma : rien de marquant depuis Démineurs…

Y-a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre par pur esprit de contradiction ?
À question muette, réponse muette. smiley

Crayonné de la page 32 ©Laci
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


Un personnage de cinéma : Jason Bourne (Sandrine ne déteste pas Matt Damon…)
Une créature mythologique : un griffon (je ne sais pas pourquoi…)
Un personnage de Jeu de rôle : un guerrier-magicien niveau 112 pour tout défon… je me recentre… role-playing, role-playing !
Un personnage de BD : Spiderman s’il change de costume
Un personnage biblique : le vieux qui passe son temps à créer de trucs pour faire chier son monde derrière… bon job… on parle de lui sans arrêt, mais on ne le voit jamais
Un personnage de roman : le colonel Kassad
Un personnage de théâtre : Argan
Une œuvre humaine : une cascade de dominos… essentiel…
Un jeu de société : la Guerre des Moutons
Une recette culinaire : des cannellonis
Une boisson : la pina colada

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!

Couverture ©Soleil / Jean-Sébastien Rossbach

Le Korrigan