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Entretien avec Alexandre Clérisse
accordé aux SdI en mars 2010


Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview !

Question liminaire : êtes vous farouchement opposé au tutoiement ? (Sinon, je eux me faire violence !)

non, ça va on peut se tutoyer.

Tout d'abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview... Peux-tu nous en dire un peu plus sur vous? ( Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse).
Je suis originaire du Lot où je me suis empêtré dans le dessin assez tôt. Puis, des amis m'ont entraîné dans la musique et on a embrayé sur nos premiers fanzines. Après le bac, j'ai déambulé gentiment vers une fac d'histoire de l’art, mais un BTS de communication visuelle s'est mit entre mes jambes et je me suis entravé dans un travail rébarbatif dans un trou paumé. Mais tandis que je me relevais, j'ai entrevu la porte de l’ÉSI d’Angoulême où je me suis jeté pour faire de la bande dessinée... Et là, paf! j'ai sauté à pieds joins dans le site coconino-world, rebondit sur la maison des auteurs et fait un roulez boulet aux les éditions Dargaud ! j'y ai glissé « Jazz Club », mon premier album et juste après ( 2 ans... ), j'ai fait une rechute avec Trompe la mort. Mais bon, ce que je dit pas c'est qu'entre temps je me suis éclaté dans plusieurs magazines jeunesse, j'ai explosé dans Ginkgo de Café Creed, l'Arbre vengeur et Jazzman et je me suis fait des bosses comme graphiste sur divers projets ( FIBD, Rock en seine... )

Peux tu en quelques mots nous parler de coconino-world, pour les internautes ne connaissant pas le site?
Coconino-world est un site créé par des auteurs issus de l'ESI d'Angoulême il y a un dizaine d'années. Les auteurs qui l'ont animé sont Thierry Smolderen, Josepe, Patrice Cablat, Laurent Bourlaud, Jean-Emmanuel Vermot-Desroches. C'est un portail web qui publiait des auteurs contemporains et des auteurs classiques chaque semaine. Mais on pouvait aussi y trouver des articles théoriques, des animations, des jeux. Ce site connu internationalement ainsi que des éditeurs permettait une grande visibilité régulièrement. Je suis d'ailleurs en atelier actuellement avec deux des anciens collaborateurs du site.

carte pour Les rencontre d'automne, à Laval-de-Cére (46), novembre 2008.  ©Alexandre ClérisseQuel lecteur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes dessinateurs favoris?
Je crois que la réponse à la première question donne un indice sur mes lectures enfantines... Mes livres de chevets étaient: Gaston, Spirou, Astérix, Tomi Ungerer, j'avais un Reiser aussi, j'avais vu du Sempé aussi, ça m'a marqué... un peu comme tout le monde quoi. Mais j'aimais bien lire des romans aussi et des trucs du mythologie.

Devenir illustrateur, étais-ce un rêve de gosse ?
Oui, carrément ! C'est un avantage, parce qu'on commence à dessiner très tôt, mais c'est aussi un inconvénient car lorsqu'on veut vraiment en faire son métier, il faut réussir à lâcher un peu son rêve et ses fantasmes et prendre du recul par rapport à son dessin. Et puis, on garde des « tics » de dessin et c'est dur de s'en émanciper pour trouver son propre style. Il faut arriver à faire une différence entre aimer faire du dessin et ce que l'on peut apporter aux autres avec son dessin. Aujourd'hui je me pose toujours la question à chaque image que je produis.

Quels furent tes premiers pas dans le métier ?
Dès que j'ai commencé à faire des stages dans les agences de publicité de chez moi, on m'a confié des petites illustrations à faire, des guides sur la faune et flore locale, des personnages pour des devantures de magasins... J'ai eu l'occasion de réaliser des strips et des illustrations pour un journal local, initié par un ancien éditeur de BD, fondateur de Rackam, qui m'a beaucoup apprit et ouvert l'esprit. C'est après les Beaux-Arts que j'ai eut des commandes plus sérieuses; on a élaboré le plan du FIBD avec des camarades, j'ai fait mes premiers strips de « jazz club » sur le site coconino-world et puis David Prudhomme, que j'admire beaucoup, m'a confié la mise en couleur de la farce de maître Pathelin. Petit à petit on se rend pas trop compte mais tout s'enchaîne...

Illustration pour un tirage limité lors d'une exposition du site Coconino-World, 2006  ©Alexandre Clérisse
Quelles sont pour toi les grandes joies et la grande difficulté du métier ?
Mes grandes joies, c'est lorsque je lis « le droit du sol » et que Charles Masson cite « jazz club » dans ses pages, ou que des lycéens, lors d'interventions, me parlent de choses auxquelles je n'avais pas pensé dans mon livre, ou encore que mes dessinateurs préférés m'encouragent. En fait, c'est quand le livre permet de communiquer directement avec les gens, de les toucher et me permet de faire de belles rencontres.
Les moments les plus durs sont tous les doutes qui nous assènent durant l'écriture. On se pose beaucoup de questions, on doit faire des choix, on veut donner le meilleur de soit mais on est jamais sûr que les lecteurs apprécieront. Il faut passer le cap, oser montrer ses premières planches et attendre le retour des gens... mais au final, ça peut valoir le coup !


En 2007 paraissait Jazz Club, ton premier album de bande dessinée… Comment est né l’idée de raconter cette histoire légère et rafraîchissante?
C'était à la base un exercice d'école, à l'Esi d'Angoulême, initié par Thierry Smolderen. Il fallait produire deux pages par semaines en improvisation et en feuilleton, comme l'avait fait Moebius dans « le garage hermétique ». Pour moi improvisation correspondait au Jazz et je suis donc partit sur ça. Je voulais depuis un moment raconter quelque chose dans le monde la musique. Du coup, avec l'impro je n'ai pas vu mon histoire se construire, ça a avancé petit à petit, j'y ai ensuite inséré des choses plus personnelles.

C'est justement la question que je m'étais posé en lisant Jazz Club... Savoir si tu avais composé l'histoire au fil de ton inspiration... L'improvisation, en jazz comme ailleurs, répondant à des règles (thèmes, tonalités, gammes...). en avais tu défini quelques unes avant de te lancer dans l'histoire?
Non, je ne m'étais pas fixé de règle juste celle de terminer mon histoire, c'est par la suite que je suis aperçu que certaines règles se mettaient peu à peu en place, comme la gamme colorée, le ton un peu absurde, le thème de l'amour perdu et de l'inspiration... ça se rapproche beaucoup avec la musique.


Deux ans plus tard paraissait Trompe la Mort, une jolie fable sur l'histoire d'un vieux bonhomme désireux de retrouver le clairon qui l'avait accompagné durant la seconde guerre mondiale, le tout servant de prétexte à une intéressante réflexion sur l'Histoire... Comment est née cet album et les personnages qui y évoluent?
C'est l'histoire que mon grand-père me racontait quand j'étais gamin. Qu'il avait enterré son instrument pendant une bataille. Je me suis toujours imaginé cet instrument quelque part. J'ai essayé il y a dix ans de raconter cette histoire mais je ne trouvais pas le ton. Plus tard, je me suis dis que ça pouvait me permettre de parler du thème de la guerre, qui est souvent beaucoup abordé (surtout 14-18) mais toujours sous le même angle. Moi je voulais le prendre par un autre bout et lui donner une dimension plus contemporaine. La petite fille est arrivé comme ça, pour contre balancer avec le vieux bougon.

On perçoit dans son thème, sa dérision, son titre et quelques citations l'ombre de Georges Brassens, chanteur qui aurait pu faire une jolie chanson de cette histoire touchante et poétique... Le chanteur sétois était-il dès le début présent en filigrane dans l'album?
Depuis longtemps j'écoute Brassens, peut-être même quand mon grand-père me racontait son histoire.
Sa vision de la guerre et du patriotisme, collait bien avec mon propos.
Chez Brassens, il y un côté très BD, c'est pas pour rien qu'il a été adapté moult fois. C'est chanson raconte souvent des histoires avec une ribambelle de personnages caricaturaux. J'ai essayé d'écrire l'histoire dans cet esprit.

Comment as-tu organisé ton travail? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de votre travail ?
En général, à partir du synopsis, je détaille chaque séquences de pages avec les dialogues. Ensuite je réalise mon story board en A5 en double page jusqu'à la fin, (c'est très long !) puis si, l'éditeur est partant je commence à réaliser les pages, directement sur l'ordinateur en suivant plus ou moins mon story board.

Quelle étape préfères-tu dans la réalisation d'un album?
Dans la méthode de travail que j'ai utilisé pour trompe la mort, chaque étape m'a plu mais j'ai trouvé ça laborieux et lorsqu'on fait du story board on a envie de faire des planches et inversement. L'idéal serait d'avancer à son rythme au fur et à mesure mais c'est plus délicat ensuite de tenir son histoire...

Planche de Trompe la Mort
©Dargaud/Alexandre Clérisse ©Dargaud/Alexandre Clérisse ©Dargaud/Alexandre Clérisse ©Dargaud/Alexandre Clérisse 

Dans quel environnement sonore travailles-tu généralement? Silence monacal? Musique endiablée? Radio?
Je travaille en atelier avec 3 autres personnes dans la pièce, donc on fait souvent tourner la musique ( tous styles) mais le matin on écoute plutôt la radio. Parfois le silence ça a du bon aussi.

©Alexandre ClérisseAs-tu d'autres projets dans tes cartons?
Actuellement je travaille sur des commandes, histoire de réfléchir un peu mieux à des projets que j'ai commencé. Un que j'essaie d'écrire qui se passe au moyen-age et deux autres avec des scénaristes.


Quels sont tes derniers coups de cœur, tous médias confondus? (BD, romans, ciné, musique...)
J'ai lu récemment l'intégrale des seigneurs de l'instrumentalité de Cordwainer Smith qui est géniale. J'ai enfin vu Gran Torino de Clint Eastwood. J'écoute un groupe que j'ai rencontré dans un bar, Taranta - babu qui est très chouette, j'ai lu aussi la réédition de Raoul Taburin de sempé, un chef-d'oeuvre.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…


Un personnage de cinéma : Pierre Richard
Une créature mythologique : anuman
Un personnage de BD : gaston lagaffe
Un personnage biblique : Eve
Un personnage de roman : John James Todd
Un personnage de théâtre : Sganarelle
Une œuvre humaine : la Tour de Pise
Un jeu de société : les dés
Une recette culinaire : le choux farci
Une boisson : le cidre

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!

Image réalisée pour le Festival Bulles en Ville de Fès au Maroc, 2008  ©Alexandre Clérisse
Le Korrigan