Tout d'abord un grand merci de te prêter au petit jeu de l'interview... Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse).
Bonjour et merci pour l’invitation sur SDI (ça me fait penser au très vieux jeu Strategic defense Initiative tiens…).
J’ai la bonne trentaine, je suis enseignant en histoire du cinéma et en analyse filmique chez ArtFx (école d’effets spéciaux sur Montpellier) et scénariste BD pour Soleil sur plusieurs séries et projets à venir. J’ai sabordé une thèse de sociologie criminelle portant sur les tueurs en série pour écrire en BD, et auparavant j’écrivais pour le Journal de Mickey et aussi pour Asmodée dans le cadre d’aides de jeu sur la gamme COPS (je fus un gros rôliste pendant x années sur pas mal de jeux, hardcore wargamer et autres… je me suis un peu assagi).
Si tu devais en quelques mots expliquer le jdr à ma grand mère, que lui dirais-tu?
Un jeu de société permettant à un groupe d’incarner des héros collaborant pour mener à terme une « aventure ». Ces participants jouent ensemble face à un « maitre de jeu » qui connait les tenants et aboutissants d’une histoire qui se déroule de façon assez théâtrale… Tous les JdR n’ont pas les mêmes types d’histoires à raconter (comme au cinéma) : on y trouve de la Sf, du médiéval, du western, du thriller etc…
Quels sont ton pire et ton meilleur souvenir en matière de jeu de rôle?
Hahahaha…
Des grosses parties de « In Nomine Satanis » qui nous faisaient mourir de rire (j’y pense souvent encore). Pour les moins bons souvenirs : du gros travail de background pour des parties complètement foirées de l’ « Appel » ou de « Maléfices » dés la première heure… et des malédictions en série sur du « Warhammer » qui ont fait que plusieurs campagnes n’ont jamais pu être jouées…
Ton expérience de joueur puis d’auteur de jeux de rôles t’aide-t-elle à charpenter tes histoires ou est-ce au final une autre manière d’explorer l’art de la narration?
Rien à voir, j’ai même dû désapprendre certains réflexes et me replonger dans la lecture de scénarios de cinéma et l’analyse de films pour le découpage. La seule chose qui a pu aider c’est mon expérience de maitre de jeu pour synthétiser des séquences et les lier entre elles. Ensuite l’imagination est une affaire de sensibilité, pas forcément d’apprentissage…
Euh... question intéressée : tu as des filières pour trouver les suppléments de COPS? (j'en ai raté pas mal en fait et désormais ils sont introuvables, ou a vil prix, snif...)
J’ai mon propre stock, mais chut…
Quel lecteur étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes auteurs favoris?
Enfant, je dévorais les BD, y compris celles qui ne correspondaient pas à ce créneau d’âge comme Le Vagabond des Limbes. J’adorais Valérian ainsi qu’Adèle Blanc-Sec. La SF, le fantastique, le roman à énigme et l’horreur furent naturellement mes lectures d’ado comme avec King, Lovecraft, Howard, Lewis, Van Vogt, Simak, Clarke, Conan Doyle, Verne, Simenon…
J’étais fasciné par le mythe de Lovecraft, mais c’était surtout King sur « Différentes Saisons » qui m’a marqué. Les écrits historiques étaient aussi une sorte de refuge assez récurrent pour moi.
Et quels sont-ils aujourd'hui?
Je reviens régulièrement sur mes lectures passées, surtout avec King ou bien encore Leiber, mais je me suis mis après ma phase ado à du Truman Capote, du Bloch, du Ellroy aussi et du Glen Cook…
Des choses forcément plus difficiles comme avec du Perez-Reverte, ou bien encore des écrits de Umberto Eco…
Forcément beaucoup de Bandes dessinées aussi, avec des gros coups de cœurs sur du Blacksad, du Alan Moore en général, du Darwyn Cooke, du Pierre Christin, du René Goscinny, du Mark Millar… Tous les ans, je me relis rituellement « Watchmen » hehehe…
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Clairement non…
Je voulais travailler dans le domaine du jeu ou de l’histoire, je ne savais pas vraiment quelle voie choisir. J’ai eu l’opportunité de travailler comme pigiste en jeu de rôle sur du COPS qui n’est qu’un avatar moderne de Berlin XVIII auquel je jouais ado et j’ai eu à ce moment là une sorte de révélation… Pourquoi ne faire que lire si on pouvait aussi écrire… ?
Comment es-tu passé de l'autre côté de la barrière?
Avec beaucoup de difficulté…
Lorsque j’ai commencé à travailler pour Disney Hachette au Journal de Mickey (pour des strips réguliers avec Philippe Fenech), je me suis dit c’est une première étape. Le reste du chemin me semblait assez ardu en fait. Mais comme Mickey était une lecture de gosse pour moi j’avais déjà bouclé la boucle. L’autre grosse lecture de magazines pour moi lorsque j’étais ado c’était les publications de Lug/Artima avec du Conan, du Strange, du Spidey etc… et mon premier contrat d’édition fut signé chez Tournon/Semic (anciennement Lug) pour le polar « Welcome to Paradise ». Encore une fois je me disais ok, c’est le destin hehehe
Mais nombre de dossiers ont été envoyés aux éditeurs avec pas mal de réponses négatives pour une grosse période, ça peut décourager…
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
C’est un vrai métier, on a tendance à l’oublier. Il a ses règles, ses us et coutumes et on doit faire ses preuves. Je pense avoir gagné mes galons en commençant chez Soleil avec des one-shots, pour qu’on puisse enfin me donner ma chance sur mes propres séries à développer en 2 tomes et plus. Jean-Luc Istin, responsable éditorial chez Soleil, m’a fait confiance, et tous les jours j’essaye de lui donner raison sur de nouvelles idées, la construction de tomes en cours dans ses collections etc… je ne suis pas marié à l’éditeur Soleil, mais je m’y sens bien et c’est capital pour un auteur…
La difficulté majeure c’est d’être original et productif, d’être régulier et de pouvoir plaire à un éditeur sur un sujet. Je travaille à côté comme formateur c’est génial mais ça reste forcément contraignant et donc le temps imparti à l’écriture s’en trouve diminué… Et puis j’ai une famille aussi, et c’est plus qu’important de savoir gérer tout ça…
Le côté positif, et bien c’est de travailler des univers en collaboration avec des dessinateurs, cover artists et coloristes qui partagent un moment de création. C’est juste riche et formateur, tous les jours…
Pour moi, la BD c’est faire des films comme je l’entends en équipe restreinte et sans le poids d’un studio de production. D’un autre côté, à force de découper mes histoires de façon cinématographique je passerai, un jour ou l’autre, derrière la caméra… Why not ?
Le premier tome de Mister Hyde contre Frankenstein vient de paraître... Peux-tu en quelques mots nous présenter ta vision de cette nouvelle et prometteuse collection?
« 1800 » est une nouvelle collection de Soleil gérée par Jean-Luc Istin et qui a débuté sa production en janvier 2010 avec la sortie du tome 1 de « Sherlock Holmes et les Vampires de Londres »…
Une collection basée sur un 19eme siècle fantasmé à travers plusieurs projets très différents les uns des autres, mais dont le trait commun est de jouer avec les univers littéraires et historiques de cette grande époque d’exploration culturelle et technique…
Sur l’ensemble des projets qui sortiront cette année et début 2011, je m’occupe de la scénarisaton de trois séries : « Mister Hyde contre Frankenstein », l’adaptation du roman de Henry Rider Haggard « Allan Quartermain et les Mines du Roi Salomon », et puis une version personnelle d’ « Alamo », cette tragédie de la guerre d’indépendance du Texas.
1800 proposera donc aussi des adaptations BD d'œuvres littéraires?
Oui tout à fait, sera aussi bientôt disponible une autre adaptation de Haggard avec « Elle », et encore d’autres projets en cours…
Pourquoi avoir choisi les personnages de Mister Hyde et de Frankenstein? Qu'est-ce qui t'a donné envie de prolonger les romans de Robert Louis Stevenson et de Mary Shelley?
Jean-Luc Istin m’a demandé de choisir des personnages clefs de l’époque romantique/gothique pour lui faire un pitch de crossover (c’était mon premier projet 1800 avant les deux autres idées)… Pour moi, c’était inévitable de traiter en parallèle l’histoire de deux savants ayant chacun joué à Dieu dans la création… Les livres de Stevenson et de Shelley m’ont alors paru évidents à assimiler et retraiter à ma sauce. C’est un travail d’hommage, pas d’adaptation. Mon diptyque n’est qu’une modeste contribution très respectueuse aux ouvrages, avec évidemment un traitement qui rappellera à certains l’approche des studios cinématographiques de la Universal et de la Hammer…
Précisons qu’en fait le double tome (le 2eme sort en aout) est surtout ma version d’un prolongement du livre de Shelley, et pourquoi pas un prologue à celui de Stevenson…
Comment t'es tu emparé de ces deux monuments de la littérature fantastique? Comment as-tu organisé ton travail et quelles furent les grandes difficultés de celui-ci?
Je me suis simplement dit qu’il fallait effectuer un travail respectueux qui puisse faire le lien entre les deux œuvres. Que le lecteur aie lu ou pas les romans originaux, il pourra trouver sa propre place. Tant mieux si ma contribution donne envie de (re)lire Stevenson et Shelley…
Ton expérience rôlistique influe-t-elle ta façon d'aborder les personnages que tu mets en scène dans tes albums ?
Inconsciemment…
Mais la caractérisation de personnages telle qu’on l’a connaît dans le monde du JdR est tout de même différente. En BD ou en cinéma on pense à exposer les personnages visuellement, alors que souvent en jeu il s’agit d’une suite de caractéristiques et d’une certaine pratique du roleplay.
Comment est née l'idée du personnage de Faustine Clerval, si tant soit est que tu puisses répondre sans déflorer l'intrigue?
Comme pour la fiction « Mary Reilly », l’idée d’une gouvernante permettait d’avoir un autre point de vue dans ce monde masculin et scientifique. Mais j’ai voulu pousser les choses en donnant à ce personnage une certaine ambigüité et un passé lié au roman même de Frankenstein…
Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de réalisation de l'album? Comment as-tu travaillé avec Antonio Marinetti?
D’abord l’idée de départ et comment elle peut s’articuler sur deux tomes vu que l’impératif était de faire un diptyque. Penser à une situation forte d’exposition des deux et un cliffhanger au milieu. Ensuite travailler un synopsis développé qui puisse être séquencé rapidement avec le nombre correspondant de planches par séquence. Après il s’agit de découper page par page et image par image pour montrer la voie au dessinateur sur les angles, le montage et la lisibilité de l’histoire.
En simultané, on travaille par internet avec le dessinateur (cela complique la tache s’il est étranger, mais merci les messageries instantanées) pour l’approche graphique des personnages. Cela m’a donné le temps de finir le découpage et les dialogues pour faire traduire le scénario pour accompagner Antonio sur la construction de planches qui commence un crayonné global, me l’envoie, attend les modifications éventuelles et finit l’encrage pour scanner la planche afin de la faire parvenir ultérieurement à la coloriste, Virginie Blancher (qui a fait un travail remarquable, soit dit en passant).
Quelle étape préfères-tu dans l'élaboration d'un scénario?
Le développement de l’idée, le concept et la mise en place de la situation de départ. Ce qui ne veut pas dire que je ne prends pas plaisir au découpage planche par planche, image par image. C’est juste un autre plaisir, qui lui est beaucoup plus technique…
Quels sont tes derniers coups de cœur ? (tous médias confondus)
« Sherlock Holmes » de Guy Ritchie, « Coraline » de Selick, les « 3 Royaumes » de John Woo, forcément « Watchmen » de Snyder… (bon, c’est pas trop récent non plus, mais je les place quand même).
En BD, « We are the Night » de Ozanam chez Ankama…
En musique, quelques vieux trucs redécouverts chez Juliette ou encore Carmen Maria Vega…
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre par pur esprit de contradiction ?
Pourquoi n’as-tu pas mené à terme ta thèse de sociologie ?
He bien, parce que la BD c’est plus fun… (Même si cela reste un métier difficile, loin de certains fantasmes adolescents ou post adolescents).
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
Un personnage de cinéma : Inigo Montoya, dans l’adaptation filmique que Rob Reiner a fait des ouvrages de Goldman/Morgenstern
Une créature mythologique : Cerbère
Un personnage de Jeu de rôle : N’importe quel gros méchant théâtral de Castle Falkenstein
Un personnage de BD : Raspoutine dans Corto Maltese
Un personnage biblique : Job
Un personnage de roman : Luca Corso du « Club Dumas »
Un personnage de théâtre : Aucun, ou alors quelqu’un venant du théâtre contemporain de Yasmina Reza ou Jean-Michel Ribes.
Une œuvre humaine : Le cinématographe
Un jeu de société : Talisman
Une recette culinaire : le gloubiboulga de Casimir
Une boisson : le café, forcément…
Un dernier mot pour la postérité?
Yatta !