Bonjour et merci de te prêter au petit jeu de l’interview… Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (Parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse)
Je m’appelle Johann LEROUX, dit ULLCER. Je suis dessinateur de BD, autodidacte, j’ai 33 ans, j’habite à Tours.
J’ai fais des études de sciences, en géologie notamment, jusqu’à la maîtrise, et en 2000 j’ai arrêté pour me lancer dans la BD.
Je m’intéresse beaucoup au cinéma, aux séries TV, aux jeux vidéo, à la BD bien sûr, même si paradoxalement, j’en lis moins depuis que j’en fais. En fait je m’intéresse à tout ce qui est narratif, j’aime qu’on me raconte des histoires, et j’aime en raconter.
Mes qualités ? Je suis grand, beau , fort, intelligent, talentueux, courageux, et surtout modeste.
Quel lecteur de BD étais-tu enfant ? Quels étaient alors tes dessinateurs favoris?
J’ai eu plusieurs périodes de lecture, même s’il n’y avait jamais de frontières bien définies. Au tout début, j’ai bien entendu mis un pied dans la BD avec les classiques franco-belges, à savoir Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, etc… Et j’adorais ! Je me bidonnais comme jamais devant Gaston.
Puis, grâce à mon cousin, j’ai découvert les comics, avec les Strange, Spidey, et autres Nova. J’ai dévoré du Spiderman par John Romita Senior, du X-Men par Claremont et Byrne. Il y avait une dynamique incroyable dans tout ça, une intensité que je ne retrouvais pas dans la BD française.
A l’adolescence, avec l’arrivée de dessins animés comme Les Chevaliers du Zodiaque à la TV, j’ai commencé à me pencher sur les versions papier de ces héros. A l’époque on ne trouvait pas de mangas en français, à part Akira que j’avais déjà entamé, et qui m’avait mis une claque comme aucune autre BD. J’ai commencé à en acheter sur Paris. Du Saint Seiya donc, puis du Dragon Ball, et quelques autres séries. Puis les traductions ont déferlé, et j’ai pu me délecter de City Hunter, Vidéo Girl, Gunnm, et autres bijoux. Ça m’a beaucoup influencé.
Devenir dessinateur de BD, était-ce un rêve de gosse?
Oui, même si j’ai mis du temps à le réaliser. Ca et l’océanographie, c’était mes deux grandes envies. Mais bizarrement, l’océanographie me semblait plus accessible. La BD, ça ne ressemblait pas à un vrai boulot, plutôt à un hobby.
En 2005 paraissait La nuit du masque, ton premier album... Comment es-tu devenu dessinateur de BD?
Comme la plupart des dessinateurs de BD, j’ai toujours dessiné. Mais je faisais ça pour le fun, sans visée précise. Peu après mon entrée en fac, j’ai participé au concours amateur du festival de Chinon, et j’ai remporté le premier prix. Cela m’a permis de rencontrer les gars du fanzine Zero5 gr, et ce fut en quelque sorte le point de départ des choses « sérieuses ». C’est là que j’ai appris à faire de la BD, en faisant des pages régulièrement, en regardant les autres. C’est là aussi que j’ai commencé à me faire un réseau, en rencontrant des auteurs pros quand nous allions en festival pour vendre notre fanzine. Je me rendais compte peu à peu que la BD me plaisait de plus en plus, et mes études de moins en moins !
Quand, à la fin de ma maîtrise, des auteurs de Tours m’ont proposé d’intégrer l’atelier qu’ils allaient ouvrir, j’ai accepté et je me suis lancé professionnellement. Les débuts ont été délicats (heureusement mes parents ne m’avaient pas déshérité !), mais l’atelier m’a permis d’avoir des boulots d’illustrations, de BD dans la presse, etc…
Avec Adrien K. Seltzer, nous avons monté un dossier pour le projet des « Enquêtes des détectives Harley & Davidson, La Nuit du Masque ». Soleil et Vents d’Ouest étaient intéressés. Nous avons choisi de signer avec Soleil. Mauvaise pioche, ils ont annulé l’album à 10 pages de la fin. Entretemps, notre interlocuteur chez Vents d’Ouest avait changé, et n’était pas intéressé par le projet. Nous avions donc un projet quasi fini sur les bras, et plus d’éditeur. C’est Emmanuel Proust qui nous a accueillis.
Question indiscrète : D'où vient ton nom de plume?
Lors d’un festival, j’ai fais un ulcère à l’estomac, à cause d’un médicament trop fort. Mes potes de fanzine n’ont pas arrêté de me chambrer en me disant de signer sous ce nom là après ça ! J’ai refusé, refusé, refusé… et un jour j’ai craqué ! Je suis faible…
Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur?
Ce qui est génial dans ce métier est qu’on s’ennuie très rarement. Ce n’est pas du tout monotone. Chaque page apporte son challenge, sa nouveauté. Chaque projet est intéressant, pour peu qu’on essai d’y trouver son compte, même sur certains boulots de commande.
Et puis c’est un luxe d’être son propre patron. Personne ne vient vous dire à quelle heure vous lever, combien d’heures vous devez travailler.
Et puis donner vie à des personnages, raconter des histoires, c’est toujours motivant. Travailler à plusieurs aussi, c’est stimulant. J’ai eu la chance de bosser avec des scénaristes avec qui ça s’est toujours bien passé (Adrien K. Seltzer, Jean-David Morvan, Mark Smith, Régis Hautière). J’aime cet échange. J’aurais du mal à bosser tout seul je crois.
Les difficultés sont le plus souvent d’ordre matériel, à savoir la précarité du boulot. Les rentrés d’argent peuvent être aléatoires, surtout quand on débute. Ça se stabilise quand on commence à se faire un réseau, ou qu’on signe un album, mais à chaque nouveau tome, on se demande quand même si on va rebondir ou pas. Comme on n’a pas de boss derrière notre dos, ça demande aussi une certaine auto discipline, sinon rien n’avance. Mais tout ça passe plutôt bien quand on se lève pour faire un truc qu’on aime vraiment. C’est un vrai luxe. Mais un luxe qu’il faut gagner.
Le premier tome de Vents contraires, scénarisé par Régis Hautière vient de paraître... comment est née cette aventure?
Il y a un an et demi environ, Grégoire Seguin, directeur de collection chez Delcourt, m’a contacté pour faire des essais sur un projet autour de la conquête spatiale, projet initié par Guy Delcourt lui-même. Régis Hautière était déjà embauché comme scénariste sur cette histoire. J’ai fais quelques planches qui ont bien plu à Régis et Grégoire… mais pas à Guy, qui voyait un autre style sur ce projet. Déception dans un premier temps… Puis Régis m’a parlé du projet « Vents Contraires », déjà signé chez Delcourt, mais qui n’avait plus de dessinateur. J’ai lu le script, ça m’a plu, j’ai fais des pages d’essai, et Grégoire, en charge du projet, à présenté le tout à Delcourt. Et cette fois s’est passé !
Qu'est ce qui t'as attiré dans ce polar et qu'est ce qui t'arrive dans les polar en général? ( Harley & Davidson, scénarisé par Adrien K. Seltzer explorait déjà le genre)
Pour être franc, je n’ai pas l’impression d’avoir une attirance particulière pour le polar. Je vois avant tout si l’histoire et les personnages me plaisent. Je pourrais aussi bien faire de la SF, du fantastique, de l’historique, du moment que j’accroche au récit. Mais c’est vrai que je me retrouve volontiers sur du thriller, ou du polar, bien qu’Harley & Davidson tenait plus de la comédie policière. Le ton global y était plus léger que dans « Vents Contraires », même s’il y avait aussi des moments de forte tension. Après, un des avantages du contemporain, c’est que la documentation est plus facilement trouvable ! Inconsciemment, ma flemme guide peut-être mes choix !!!
Peux-tu en quelques mots nous faire le pitch de l'album?
Tout débute avec le meurtre, maquillé en suicide, d’un vieux scientifique en Angleterre, par un tueur méthodique. Puis nous suivons la vie d’Yvon, ancien militaire, devenu photographe animalier, qui est en pleine séparation. En parallèle, le tueur continue de dessouder du scientifique aux quatre coins du monde. Tout basculera pour Yvon une nuit où il rencontrera une jeune femme traquée, dans les bois. Bien sûr, le tueur est impliqué…
La structure narrative originale de l'album, avec une voie-off située dans le présent qui se superpose avec le récit de l'histoire, est particulièrement savoureuse. Comment t'attaques-tu à une nouvelle histoire? Dessines-tu les planches de façons chronologiques ou t'attaques-tu à une scène en fonction de tes envie du moment?
Je dessine généralement les choses dans la chronologie de lecture, d’autant qu’ici, malgré cette voix off située dans le présent, la structure visuelle du récit reste quand même assez classique. Il n’y a donc pas vraiment lieu de grouper la réalisation de certaines séquences en fonction des « époques » racontées. Il y a peu de risques de foirer un raccord.
Et puis dessiner dans la chronologie du récit permet aussi de changer des choses au dernier moment si on veut. Si on dessine la fin avant le début, on se contraint à refaire les pages si on change d’avis entre-temps !
Comment travailles-tu l'apparence de tes personnages? Quelles sont tes sources d'inspiration? Serait-il possible, pour un personnage donné, de voir les différentes esquisses que tu en as faites?
En général je pars de l’idée première du scénariste, s’il a quelque chose de précis en tête. On discute de son caractère, de ses habitudes, de comment il vit. Ça va m’aider pour déterminer comment il se coiffe, comment il s’habille. Sur « Vents Contraires », au début, j’avais dessiné Yvon plutôt strict, bien rasé, coupe propre, courte. Puis Régis m’a parlé de son mode de vie, nomade, dans son camion. Je me suis donc orienté vers quelque chose de plus « relâché » !
Quelle étape préfères-tu dans l'élaboration d'un album?
Le story-board est probablement l’étape qui me plaît le plus. C’est là où je commence vraiment à raconter l’histoire, à déterminer la mise en scène. J’adore ça. Les autres étapes, bien que très plaisantes aussi, sont plus laborieuses, d’autant que je ne suis ni un grand technicien, ni un dessinateur virtuose.
Serait-il possible, pour une planche donnée, de voir les différentes étapes de sa réalisation, du découpage du scénariste à la colorisation, histoire de mieux comprendre ta façon de travailler? D'ailleurs, comment s'est organisé le travail avec Régis Hautière?
Comme Régis avait à la base écrit ce scénario pour un autre dessinateur, il avait donné des indications de mise en scène assez précises. Mais il m’a laissé une totale liberté pour remanier ça à ma sauce. Généralement, on discutait de chaque scène avant que j’attaque le story-board, afin qu’il n’y ai pas de quiproquo sur les intentions. La mise en scène, le story-board, est sans doute la partie que je préfère. C’est là où tout se met en place, où l’histoire prend forme visuellement pour la première fois, donc j’aime bien ne pas être trop dirigé. Une fois que le story-board est fait, je l’envoie à Régis et Grégoire Seguin, qui me le valident ou bien me proposent des modifications si quelque chose ne fonctionne pas bien. Une fois qu’on est OK, je passe à l’étape de crayonné et de l’encrage, que je fais aussi valider. Enfin, je fais la couleur… Il y a donc un aller-retour continuel entre Régis, Grégoire et moi.
Dans quelle ambiance sonore travaillez-vous lorsque vous vous attelez à la planche à dessin ? Silence religieux ? Musique de circonstance ?
En fait, je travaille dans un atelier (l’Atelier POP) avec 7 autres dessinateurs, donc c’est difficile d’avoir une musique de circonstance ! On écoute de la musique, mais c’est un peu hasardeux. La règle, c’est que si un morceau exaspère quelqu’un et que ça l’empêche de travailler, on change ! Il y a aussi des discussions qui partent un peu dans tous les sens, mais quand tout le monde est concentré sur son boulot, c’est plutôt calme et studieux .
Dans quel état d'esprit es-tu au moment de la sortie d'un nouvel album?
C’est un mélange d’excitation, d’appréhension… et de résignation. Quand on en est à ce stade, on ne peut plus rien retoucher, la messe est dite et le livre doit faire sa vie sans vous. Vous n’avez plus qu’à espérer qu’il trouvera son public et qu’il sera apprécié.
Pour le moment nous avons de très bons retours critiques, donc ça fait plaisir et ça motive.
Le second tome est sans doute déjà en chantier... Pour quand est-il prévu?
Je viens de finir les 2 premières pages, donc il ne faut probablement pas l’attendre avant un an environ.
En tant que dessinateur, comment perçois-tu les séances de dédicaces?
C’est à la fois revigorant, et épuisant. Revigorant car on rencontre enfin les lecteurs du livre, on peut discuter de leurs impressions, de ce qu’ils ont aimé ou moins aimé, ça permet de voir si nos intentions sont bien passées, ou si on s’est planté, et pourquoi. Du coup on peut aborder la suite avec de nouvelles données et améliorer sa narration. Et puis la plupart du temps, c’est l’occasion de rencontrer des gens sympas, passionnés, sans parler des auteurs qu’on côtoie à ce moment là. Il y a souvent de belles rencontres amicales et/ou professionnelles qui se font en dédicaces.
Mais c’est aussi épuisant car il faut souvent tenir une conversation tout en essayent de faire un dessin pas trop moche dans un délais assez court. Ça demande pas mal de concentration et d’énergie, surtout pour moi qui suis un laborieux !
Tu as créé un blog et participes activement à certains forums parlant de ta BD sur le net... une nouvelle façon de rencontrer les lecteurs?
Dans un premier temps, ça permet surtout de faire un peu de promo et de voir quelle est l’attente du bouquin. Ensuite, ça permet effectivement de discuter avec les lecteurs, voire d’obtenir de nouveaux contacts pro. J’ai été contacté par des scénaristes grâce à ces forums. Le net est un outil formidable pour ça.
As-tu d'autres projets dans les cartons?
Rien de précis pour le moment. Déjà, j’attends de voir l’accueil de « Vents Contraires », et de savoir si Delcourt veut que nous continuions la série. Mais j’ai des envies… Un truc moins réaliste, plus « aventure », un peu déjanté, à la Dragon Ball, ça me plairait bien.
Y a-t-il une question que je n'ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Oui, j’aime les sushis.
Un dernier mot pour la postérité?
Ornythorinque. Je trouve ça bien comme mot, pour finir !
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!