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Entretien avec Jérémy
entretien accordé aux SdI en juin 2009


Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview !

Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
Concernant mes études artistiques, j’ai passé 5 ans à l’académie des Beaux-arts de Tournai, puis un an et demie dans la même école, mais en section supérieure spécialisées en bd. Etudes que j’ai abandonnées pour me lancer comme coloriste sur Murena 5. C’était en 2005, si je me souviens bien, et c’est là que je suis rentré dans le milieu professionnel de la bd. En novembre 2007, Jean Dufaux me donne les premières pages du scénario de Barracuda.
J’ai 25 ans et Barracuda, mon premier album en tant que dessinateur/coloriste sortira fin octobre.

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet?
Comme beaucoup de gens, j’ai commencé à lire de la bd avec Tintin, je crois. J’ai eu un prêt pour une durée indéterminée de toute la collection à ma grand-mère. Aussi, j’allais louer des bd toutes les semaines à la bibliothèque du village (benoît brisefer, papyrus, spirou, bob et bobette, astérix…). Ma passion grandissait au fur et à mesure de mes lectures.
Suite à l’influence de ce qu’on voyait partout dans les cours d’école ou à la télé, j’ai eu une longue période manga, jusqu’à mes 17-18 ans. Tout mon argent de poche passait dedans (j’en avais plus de 300), ainsi que dans les comics, mais plus rarement comparé aux mangas.
De cette période manga, je ne garde finalement que peu de souvenirs mémorables de mes lectures. Ca me touchait à l’époque, mais ça a fini par me lasser. Si je ne devais citer qu’un de ces bons souvenirs à l’heure actuelle, ce serait Gunnm (uniquement les 9 premiers).
Je suis retombé sous le charme de la bd européenne grâce à Delaby. Il faut bien l’avouer, je n’étais pas du tout au courant de ce qui se faisait dans ce milieu. Je l’ai connu vers 17 ans, c’est donc à cette période que j’ai découvert tous les grands auteurs qui m’ont permis de forger le style de dessin et de narration que j’ai aujourd’hui (particulièrement Rosinski, Marini, Guarnido, et Delaby). Je me suis rattrapé en lisant pas mal de grands classiques de la bd, et je continue à m’intéresser aux auteurs contemporains en allant une fois ou deux par mois chez mon libraire spécialisé. Dans cette période de surproduction, c’est une vraie chasse au trésor que de trouver les perles rares.
Tant que l’histoire est bonne et que le dessin m’attire un minimum, je sais encore facilement être émerveillé dans ma lecture.

Black Dog ©Dargaud / JérémyEn tant que lecteur, quels sont tes derniers coups de cœur BD?
Si j’en achète pas mal, celles que je retiens sont finalement des noms assez connus : Walking Dead (particulièrement pour son scenario), Ken Games, Long John Silver, Siegfried…

Si je peux me permettre une petite parenthèse ; en créant Barracuda, Jean et moi avons tenu compte de Long John Silver. Nous sommes tous deux très admiratifs du travail de Dorison et Lauffray, et par respect, nous nous devions de prendre une autre optique de l’univers de pirates. Si leur histoire est sombre et se déroulant en partie sur mer, la notre a pour parti-pris d’utiliser les couleurs chaudes des caraïbes et de justement ne pas suivre l’histoire sur le navire.

J’ai eu un coup de Cœur aussi pour L’île sans sourire.
Dans les séries de Jean, en dehors de Murena et de Complainte, j’aime beaucoup le Bois des Vierges et Croisade.
Enfin, j’achète les yeux fermés les suites de Blacksad, Thorgal, Le Scorpion, ou les bd de Gibrat.

Le fait que tu sois dessinateur interfère-t-il avec ta façon de lire un album?
Oui et non… Quand l’histoire parvient à m’embarquer, je sais faire abstraction des défauts techniques que l’œil de dessinateur repère.
Par contre, l’inverse est plus embêtant ; il m’arrive de me laisser tenter par un beau visuel, un beau dessin dans une bd, mais que le scénario ne soit pas à la hauteur. Au final, ce que l’on retient d’une bd, c’est son histoire. Si en plus le dessin parvient à servir au mieux celle-ci, alors on peut parler d’une réussite.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ?
Petit, je voulais être flic, cow-boy, pirate ou Superman. Quand je me suis rendu compte qu’on pouvait faire tout ça avec la bd, j’ai vite su ce que je voulais faire de ma vie. J’ai sincèrement toujours gardé cette volonté au fond de moi, jamais je n’ai songé à prendre un autre chemin.

Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier de coloriste et de celui de dessinateur?
Dans mon cas, ce qui est moins évident est le fait de passer souvent d’un métier à un autre. Si ça ne concernait que Barracuda, ce ne serait pas une difficulté, mais là, je passe de l’antiquité au monde des pirates, ou du moyen-âge aux pirates. Je n’ai pas encore cette chance de pouvoir me concentrer pleinement sur un projet. Mais ça viendra un jour, dans quelques années, et dans l’hypothèse qu’il y ait un public intéressé à ce que je crée.
Après, d’un point de vue plus technique, la difficulté de la couleur est le fait que je me serve d’une technique traditionnelle. L’aquarelle est une plus grande prise de risque que la mise en couleur par ordi, car on n’a pas le droit à l’erreur. Une tache et on recommence. Heureusement, ça ne m’est pas souvent arrivé.
Comme j’essaie perpétuellement d’améliorer ma technique, de tenter de créer de nouvelles ambiances, de travailler différemment ma lumière, le résultat est toujours variable. Certes, avec le recul tout n’est pas toujours réussi, mais au moins, je tente le coup. Par contre, je ne regarde quasi jamais mes précédentes couleurs. Quand je dois le faire, c’est uniquement pour me souvenir d’une couleur pour un personnage ou un décor. Une fois l’album sorti, j’ai une meilleure vue d’ensemble sur les planches, je peux donc regarder ce qui a moins bien fonctionné pour ne pas répéter ces erreurs.
C’est une technique qui apporte aussi son lot de joies. Il est agréable de voir une planche se terminer, la technique traditionnelle offre un sentiment que je n’ai pas en effectuant la couleur par ordi, quelque chose de chaleureux… Je ne changerai de technique pour rien au monde, mais je la ferai évoluer.
Enfin, au niveau du dessin, Barracuda est ma vraie première bd. Il y a donc tous les défauts et qualités que ça implique. Heureusement, Jean est toujours là pour me pousser à aller plus loin dans mes idées de cadrages et de mise en scène. Il arrive parfois que Delaby voie mes planches, et lui me donne une critique plus technique du dessin. Rien qu’avec ces 2 avis - qui ne sont pas des moindres, vous en conviendrez - j’ai déjà de quoi travailler mon dessin !
Au final, dans la couleur comme dans le dessin, il y a une constante recherche et remise en question, offrant ainsi à ce métier tout son intérêt !

Emilio / Emilia ©Dargaud / JérémyEn 2006, vous signez les couleurs de la Déesse Noire, cinquième tome de l’impressionnant Murena, scénarisé par le grand Jean Dufaux et mis en image par Philippe Delaby… Comment est née cette formidable aventure qui marque tes premiers pas dans le neuvième art ?
J’ai donc rencontré Delaby à 17 ans +-, lors d’un repas avec mes parents. Ma mère est une collègue de la femme à Delaby. Durant la soirée, j’ai pu lui montrer ce que je faisais et j’ai exprimé mon souhait de me lancer dans la bd. Comme il avait besoin d’un assistant, il m’a proposé de venir bosser chez lui.
Quelques mois (années ?) plus tard, je venais d’entrer en seconde année d’études supérieures à l’atelier bd. Bien que l’ambiance au sein de l’atelier fût assez amusante, pas mal de choses ne me convenaient pas dans leur système didactique.
J’étais partagé entre deux façons de percevoir la bd, la façon atelier scolaire et la façon atelier Delaby.
Je me sentais (et c’est toujours le cas) plus proche de la façon de travailler de Delaby.
La semaine, j’étais à l’école, et je passais quelques jours de congés chez Delaby. Je privilégiais même le travail pour Delaby (en tant que son assistant) à celui de l’école, si bien que j’avais accumulé un retard tel dans les travaux scolaires qu’il me mènerait tout droit à l’échec de mon année.
Delaby, de son côté, cherchait un coloriste pour reprendre Murena. Suite à son travail remarquable sur Complainte des landes perdues (Moriganes, travaillé en couleurs directes), il voulait avoir un rendu plus proche de ce qu’il avait fait dans cet album.
Comme je m’étais pas mal entraîné à la mise en couleur, il m’a proposé de faire les couleurs sur quelques albums. On n’a jamais un meilleur résultat qu’en faisant le travail soi-même, mais d’après Delaby, ma façon de mettre en couleur était assez proche de ce qu’il cherchait.
C’était l’occasion pour moi de rentrer dans le milieu de la bd, l’aventure a commencé à ce moment !

Si les coloristes participent grandement à la réalisation d’une BD, il est rare de voir leur nom figurer sur la couverture… Quelles sont selon toi les raison de cette relégation dans les pages intérieures ?
C’est un travail qui a souvent été - et l’est encore - mésestimé. C’est pourtant une étape qui peut être aussi importante en temps que celle du dessinateur quand elle est réalisée comme elle le doit et aussi délicate et risquée que celle du scénariste.
A trop reléguer cette étape au second rang, on en oublierait qu’une mauvaise mise en couleur détruit tout simplement un album.
C’est le cas pour un bon nombre de bd qui sortent à l’heure actuelle. Mais c’est une faute que l’on pourrait en partie accorder aux éditeurs, qui, selon le prix offert à la planche, ne donnent pas non plus envie de s’attarder longtemps sur la mise en couleur d’une planche. Il devient alors normal pour un coloriste d’effectuer quantitativement un nombre de planches par mois, afin de pouvoir en vivre, que de travailler plus longuement sur une planche et risque de toucher un infime salaire à la fin du mois.
Il est dommage que cette mentalité soit considérée comme ‘normale’ depuis toujours dans le milieu.
Quant au nom du coloriste relégué dans les pages inférieures, ce que je viens de pointer du doigt explique cela.
Le dessin met en valeur le scénario, la couleur met en valeur et prolonge le dessin. C’est - ou ça devrait l’être - un investissement et une prise de risque égale à celle des dessinateurs et scénaristes.

Pour se faire une idée plus précise, serait-il possible de connaître la part revenant au scénariste, au dessinateur et au coloriste sur la vente d'un album?
Dans la plupart des cas, c’est bien simple, elle est, entre le dessinateur et le scénariste, équitable (ou au moins, arrangée à l’amiable). Avec le coloriste, elle est nulle.
Il arrive parfois que des coloristes dérogent à cette règle, sans pour autant aller jusqu’à couper la poire en 3, démontrant tout de même une amorce dans le changement des mentalités.

croquis du capitaine Black Dog ©Dargaud / JérémyCombien de temps passes-tu sur une planche de Murena ou de la Complaintes des Landes Perdues? Serait-il possible, pour une planche donnée, de voir les différentes étapes de la colorisation?
En moyenne, 3 jours par planche. C’est du grand format, il y a beaucoup de détails, de subtilité dans la création des teintes et des ambiances.

Ensuite, pour voir les différentes étapes, je n’ai malheureusement pas de scans intermédiaires exposant les différentes étapes d’une mise en couleur. Mais je peux expliquer ma méthode.
Je dois tout d’abord protéger mes planches, en mettant du papier-collant et du masking (fluide à masquer) autour des cases et à l’intérieur des bulles. Ma planche est ainsi à l’abri des bavures dans les zones qui doivent rester blanches. Je mouille une première légèrement fois ma planche pour que le papier soit prêt à recevoir la couleur. Une première application d’eau sur le papier permet à la couleur une meilleure réception dans ses fibres. Durant le séchage, je prépare les teintes dans mes palettes.
Vient ensuite le principal : l’application des teintes. Après avoir trouvé LA bonne teinte pour un élément donné, je commence par mes arrière-plans (souvent les ciels), puis les seconds (éléments de décors), ensuite les vêtements, et en dernier, la (ou les) couleur(s) de peau.
Le temps passé sur une planche est déterminé par le nombre de teintes à créer. En effet, il ne faut pas croire que c’est l’application de la couleur en elle-même qui prend le plus de temps. Il faut aussi compter le temps pour trouver une teinte. Mes couleurs ne sont pas sorties du tube d’aquarelle, mais sont le résultat d’un mélange de teintes permettant justement cette subtilité dans les gammes de couleur.
Ce cas est valable pour les scènes en plein jour, en plein air. Il y a aussi des scènes d’ambiances (nocturnes, éclairage de feu…). Ici, tout est travaillé en une seule teinte, choisie en fonction de la couleur prédominante. Après, je rajoute les couleurs à chaque éléments, en n’oubliant pas de ‘casser’ chaque teinte en rajoutant la couleur d’ambiance dans mon mélange. C’est donc un travail double, car il y a la couleur d’ambiance à travailler, et une autre couleur à ajouter au-dessus.
Bien que, pour une fois, j’ai changé de technique. Enfin, vous le verrez dans le prochain Murena. Il fallait un traitement des couleurs plus particulier pour l’incendie de Rome. Dans ces ambiances de feu, j’ai voulu travailler chaque couleur séparément (mais restant toutes dans la même gamme), sans mettre de teinte prédominante en-dessous. C’est la première fois que je travaille de cette manière, et je sais que Delaby apprécie particulièrement ce traitement des couleurs. Il m’a même poussé à accentuer les contrastes, à assombrir ce qui est à l’ombre des flammes, pour un résultat plus graphique que ce qu’on a l’habitude de faire. Ne vous attendez pas non plus à des changements majeur, l’ensemble reste toujours cohérent avec les précédents, mais c’est une partie qui m’aura donné beaucoup de fil à retordre et de sueur.
J’imagine déjà la galère que ce sera pour parvenir à ce rendu lors de l’impression de l’album ! Si ça devient plus sombre, ce sera illisible, si ça devient plus clair, ça manquera de contraste. On veillera au grain pour que le résultat soit le plus proche des originaux !

Maria del Scuebo ©Dargaud / JérémySans doute as-tu beaucoup appris dans le sillage d'un dessinateur tel que Delaby... Vous colorisez ainsi les tomes 5,6 et 7 de Murena ainsi que le tome 2 des Chevaliers du Pardon, second cycle de la complainte des Landes Perdues, deux séries scénarisées par Jean Dufaux. Et voilà que votre prochain album sera une série scénarisée par cet auteur aussi prolifique que talentueux... Comment est née cette nouvelle coopération?
Le travail de Jean m’a toujours fasciné, par sa qualité d’écriture et de découpage. Mais plus que son talent, c’est sa générosité, sa bonté naturelle et son rapport particulier qu’il entretient avec ses amis dessinateurs, qui m’ont charmé. J’avais l’occasion de le rencontrer de temps en temps, avec Delaby. Jean Dufaux fait partie de ces gens dont on ne ressort pas indifférent de leur rencontre.
Je voulais me lancer dans la bd, j’avais écrit un projet à présenter (de la SF, donc très différent de ce sur quoi je suis aujourd’hui !), mais avant, je voulais quand même tenter le coup avec Jean.
Je n’avais rien à perdre, car au pire, je repartais avec un avis constructif sur mon travail.
J’avais pris un paquet de planches lors d’une dédicace où il était présent. C’était une histoire qui se déroulait dans un univers moyenâgeux/fantastique. Autant le dire, ça ne l’intéressait pas trop, à cause de mon style de dessin qui se rapprochait trop de celui de Delaby. Il était évident pour nous de ne pas prendre cette voie… Dans ma farde de dessin traînait une planche de bd qui se déroulait dans un univers de Pirates. Une histoire en une planche, refusée pour le concours de bd d’Angoulême.
Jean m’a demandé si l’univers me plaisait, je lui ai répondu par l’affirmative. Il est resté muet quelque seconde puis il est parti. Je ne savais pas quoi en penser.
La dédicace se passe et on se rejoint pour aller souper ensemble. Jean m’annonce alors qu’il a un projet pour moi, une histoire qui me plairait, avec des adolescents dans un monde de pirates, une bataille sur mer, une île de pirates, des confrontations, des destins croisés… Et quelques mois plus tard, il me donnait les premières pages du scénario de Barracuda. Il avait raison, puisque cette histoire me convient à merveille !

Serait-il possible de voir cette fameuse planche refusée à Angoulême?
Je voudrais bien, mais je l’ai perdue ! La planche a disparue peu de temps après l’avoir montrée à Jean. Pour tout dire, j’ai voulu aller en faire une photocopie, et j’ai oublié la planche dans la photocopieuse – ainsi que les photocopies, pour ne rien arranger. J’avais bien un scan, mais je l’ai perdu en changeant de pc. Youpie.

Raffy ©Dargaud / JérémyPeux-tu en quelques mots nous présenter cette nouvelle série à paraître chez Dargaud en octobre 2010?
L’histoire relate le destin de 3 adolescents, réunis par un abordage sur mer, et que l’on verra ensuite évoluer sur une île de pirates. Le Barracuda est le nom du navire qui les réunira.
Il y a aussi une légende de trésor et de malédiction, mais ce n’est pas cette histoire que nous suivront, puisque ce sera sur celle des personnages sur l’île que nous nous attardons :
Raffy, fils du capitaine du Barracuda, connaîtra la défaite lors d’un duel, Maria, fille de nobles espagnols disposant d’une grande force de caractère, qui sera vendue en esclave et enfin Emilio, jeune garçon qui survivra grâce à une particularité étonnante, celle d’avoir des traits féminins.
On suivra leurs traces sur l’île mal-nommée ; Puerto Blanco.
Bien qu’on y retrouve des ingrédients typiques du genre, telles les batailles et beuveries de pirates, on s’écarte des classiques chasses au trésor et autres thèmes fantastiques pour raconter une histoire humaine, parfois intimiste.

Le fait de travailler sur une série « en costumes » a-t-il nécessité de longues recherches documentaires?
En effet, mais comme vous pourrez le remarquer, Jean et moi n’avons pas fixé de date à l’histoire. Dès le début, nous avions cette volonté de créer notre univers de pirates à partir de nos influences, et de ne pas l’ancrer dans une période historique connue. Dès lors, les connaisseurs en la matière y décèleront, certes, des erreurs, mais là n’est pas l’important, car c’est un univers qui se tient en lui-même.
Dans tous les cas, je me suis constitué (et je continue de le faire) une belle documentation de livres et de dvd sur les pirates. Au final, je ne réalise pas beaucoup de croquis de costumes ou de décors, je préfère accorder plus de temps à la recherche de documentation et me lancer directement sur les planches.

Y-a-t-il un ouvrage en particulier dont tu recommanderais la lecture pour les amateurs de flibuste désirant en savoir plus?
Il y en a beaucoup sur le marché du livre. Et à l’heure actuelle, il est très facile de se les procurer, via internet. Si tu veux quelques noms, il y en a 2 assez excellent d’Olivier et Patrick Poivre d’Arvor (Pirates & Corsaires, et Chasseurs de trésors). Dans l’illustration pure, Disney a édité un magnifique ouvrage rassemblant les études, croquis, illustrations… des 3 pirates des Caraïbes (The Art of Pirates of the Caribbean). Pour le reste, il y a de tout et de n’importe quoi qui est édité, souvent les mêmes éléments qui sont repris dans nombre de bouquins.

Comment s'organise ton travaille avec Jean Dufaux? Quelles sont les différentes étapes de ton travail? A partir de quelle matière travailles-tu?
Lors de nos rencontres, souvent derrière une bonne table, Jean me donne le scénario par plus ou moins dizaine de pages. Je ne connais l’histoire que dans de vagues lignes. J’essaie toujours de lui faire cracher le morceau quant à la suite du scénario, mais il reste muet à ce sujet. Et ça me plaît ainsi ! C’est comme une série télé, où je reçois un épisode à la fin duquel je meurs d’envie de connaître la suite. Ca booste énormément la motivation au travail, vu qu’on se demande toujours ce qui se passera ensuite. Jean me donne donc le descriptif de la planche, accompagné d’une proposition de découpage sur un papier millimétré. Libre à moi d’accepter ou nom ce découpage (qui consiste en un simple tracé à la latte des tailles que les cases prennent sur la planche), mais je m’y suis toujours tenu, tant je suis en accord avec son sens pour le découpage.
Après avoir brièvement griffonné au crayon quelques traits sur ce découpage, je réalise les planches au propre (46x33 cm). Classique crayonné, que je peux montrer à Jean. Si c’est bon, j’encre, s’il y a des choses à revoir, je corrige. Après avoir une dizaine de planches encrées, je les envoie à l’éditeur, qui m’en envoie une copie sur un format légèrement plus petit et sur un papier adapté à la couleur. Je garde ainsi ma planche noir et blanc séparée de ma planche couleur. De toute façon, je n’ai pas encore trouvé un matériel aussi bon que celui que j’ai actuellement pour l’encrage qui serait résistant à l’eau.


Making-of
scénario planche 2.A ©Dargaud / Jean Dufauxscénario planche 2.B ©Dargaud / Jean Dufauxdécoupage planche 2 ©Dargaud / Jérémy / Jean Dufauxplanche 2 noir & blanc©Dargaud / Jérémy / Jean Dufauxplanche 2 couleur©Dargaud / Jérémy / Jean Dufaux


Quelle étape préfères-tu dans l'élaboration d'un album?
Probablement le dessin. Là où tout prend forme, où la liberté est totale, où on met en scène l’histoire. L’encrage n’est pas l’étape la plus amusante (encore que, quand il s’agit de traiter certaines matières à l’encre…), mais elle est indispensable selon moi.
La couleur est le passage le plus gratifiant dans la création de la planche. Le plus risqué aussi, du fait que ce soit une technique traditionnelle. Je sais que mon dessin fonctionnerait beaucoup moins bien sans ma mise en couleur, car comme je l’ai dit ; je continue à dessiner avec la couleur et une scène ne prend son sens qu’avec les couleurs qui créent son ambiance.

Un dessinateur est aussi un directeur de casting... Comment élabores-tu l'apparence de tes personnages?
Casting est le mot juste, car quand on a une multitude de personnages à créer, il faut qu’ils aient chacun leurs particularités physiques pour que le lecteur puisse immédiatement les identifier. Je m’inspire donc de personnages plus ou moins connus pour comprendre leurs particularités faciales et les reprendre dans mon dessin. Bon, inévitablement, certains traits peuvent revenir automatiquement, mais j’essaie de m’en méfier. Et je pense que le fait de continuellement observer les traits physiologiques de personnes existantes contribue à éviter ces automatismes naturels. Aussi, je ne reprends que quelques traits, jamais l’entièreté du modèle. En règle générale, le style de dessin caractérisant un dessinateur est le résultat de l’observation du monde qui l’entoure.
J’y mets beaucoup d’importance, car les personnages sont le cœur de l’histoire. Et pour Barracuda, hormis un personnage, tous les principaux sont présentés dans le premier album.
Je m’inspire en général d’acteurs de cinéma, mais aussi de personnes que je connais, ou même de mes influences dans le jeu vidéo. Ce sont toutes nos influences qui permettent de se créer son propre univers.

Couverture du tome 1 ©Dargaud / JérémyOn peut déjà voir sur ton blog la maquette de la couverture du premier tome de Barracuda... Comment est née cette couverture, et comment s'est-elle construite? Est-ce la première version qui a d'emblée été retenue ou plusieurs idées étaient-elles en concurrence?
Tout d'abord, avec Jean, nous voulions un concept à reprendre pour les couvertures qui suivront. Au plus simple, au mieux. Dans notre cas: un personnage et un élément rouge.
Qu'importe le cadrage, on choisira à chaque fois un personnage, auquel un élément de couleur rouge sera ajouté. Le rouge étant la couleur qui ressort plus que les autres dans l'album.
Pour le fond, je trouvais intéressant qu'il soit en accord avec l'ambiance qui entoure le personnage.

Je suis donc parti là-dessus. J'ai alors proposé que ce soit le Capitaine Blackdog, ce que Jean a approuvé. Il me fallait trouver le cadrage qui lui conviendrait au mieux. Comme il a un visage marqué dans les traits, avec la cicatrice, j'ai pu me permettre de l'illustrer en gros plan. Il a un côté répugnant en adéquation avec l'univers dans lequel Barracuda se déroule.
Pour renforcer l'ambiance sombre autour de ce personnage, je l'ai fait sortir de l'ombre. Un fond traité littéralement à la main, avec mes doigts. En effet, pour ne pas avoir une matière trop lise, j'ai mis ma main dans l'assiette de couleur et je l'ai appliqué ainsi.
J'ai réalisé un croquis en couleur vite fait pour montrer à Jean ce que je voulais et il m'a donné l'accord pour me lancer au propre. Cette illustration est donc la première idée.
L'éditeur et Jean sont contents du résultat, ainsi que Philippe Delaby, qui l'a vue terminée chez moi.

Pourquoi avoir changé de nom de plume (ou de pinceau) en signant cet album?
‘Petiqueux’, on ne peut pas dire que ce soit le plus beau nom qui soit…
Je voulais en même temps trouver une manière de me détacher de mon travail de coloriste, mais je ne voulais pas prendre un pseudo. Je sais que la plupart de ceux qui en ont pris un finissent par le regretter quelques années plus tard. J’étais donc assez partagé.
Jean m’a alors suggéré de prendre comme pseudo mon prénom, Jérémy. Tout simplement.

Quels sont tes derniers coups de cœur hors du monde de la BD(ciné, musique, roman)?
Au cinéma, je vais voir de tout. Dernièrement j’ai été voir Robin des Bois et je l’ai trouvé excellent. Il offre une relecture très intéressante de cette histoire vue et revue, et j’ai adhéré à ce parti pris de Ridley Scott. Toujours au ciné, Kick Ass a été une révélation pour moi. Je n’ai pas lu les comics, mais je connaissais un peu l’histoire. Le film est très original et amusant. Pour avoir ensuite acheté la version bd (du moins ce qui est actuellement sorti en Europe), j’ai pu remarquer combien l’adaptation était fidèle. Pas partout, mais l’esprit est là.
Je passe aussi pas mal de soirées à regarder des séries télé en dvd. Dernièrement, c’était Dr.House et Dexter. J’attends impatiemment la suite et fin de Lost…
En musique, j’écoute aussi de tout. Je vous cite mes derniers achats pour vous donner une idée : Melody Gardot, Mika, Mat Kearney, Scarlett Johansson, l’ost de Robin des bois, Bruce Springsteen… La musique m’accompagne toujours au travail, j’aime donc varier les genres…
En roman, j’ai voulu lire un peu de sf et essayer avec un maître du genre, Philip K. Dick, avec Le guérisseur de cathédrales. Je n’en suis pas ressorti rassasié, mais j’en ai retenu quelques scènes assez intéressantes.
Enfin, je n’ai pas eu la chance d’avoir eu beaucoup de cours de philo, alors que ça m’intéresse beaucoup. J’ai terminé L’innocence du Devenir (la vie de Nietzsche) de Michel Onfray, et là j’ai entamé le Traité d’athéologie, du même auteur. Son regard sur la réalité et l’histoire des religions monothéistes est passionnant.

Y a-t-il une question que je n'ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Celle-là.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...

Si tu étais...

un personnage de BD : Titeuf !
un personnage biblique : Ponce Pilate.
un personnage de roman : Jésus, de ‘La Bible’. Il maîtrisait la Force.
un personnage de théâtre : Shylock (le marchand de Venise). Je demande une livre de chair par entretien.
une œuvre humaine : Une salle de cinéma.
un instrument de musique : Euh… Une trompette ? Avec une sourdine.
un jeu de société : Le Poker, mais je bluffe rarement.
une recette culinaire : Les spaghettis bolo de ma belle.
une boisson : Un bon bordeaux, ouaip.

Un dernier mot pour la postérité?
Comme dirait Coluche : Cul qui gratte le soir, doigts qui puent le matin.

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!


Le Korrigan