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Entretien avec Jacques Terpant
accordé aux SdI en Octobre 2010


Bonjour et tout d'abord un grand merci de nous accorder à nouveau un entretien!
Le Pont de Sépharée clôt la trilogie des Sept cavaliers adapté du roman de Jean Raspail. La série est remarquable pour l’atmosphère si particulière qui la baigne et qui n’est pas sans évoquer celle des albums d’Hugo Pratt. Est-ce facile d’abandonner ces personnages et cet univers qui vous ont accompagné pendant près de quatre années ?
Oui c’est facile. Pour moi, le processus de création est le suivant : je suis sur la planche, il y a un plaisir à faire, à être dans l’espérance de ce que l’on fait. Le résultat est toujours décevant (ce que l’on a dans la tête ne sera jamais sur le papier !) donc on passe au suivant. Ce qui est miraculeux dans ce phénomène, c’est que la déception du résultat n’altère jamais le fait de poursuivre. Les livres faits sont derrière moi, ils ne sont plus regardés.

Vous ne relisez donc jamais vos albums une fois ceux-ci publiés?
Non jamais. Un livre fait est toujours une déception. C’est pareil pour un dessin. Je ne vois que ce que je n’ai pas réussi à faire. C’est l’essence même je crois du processus créatif : il n’y a pas de plaisir à avoir fait. Il y a un certain plaisir à faire ,mais le résultat est toujours une déception. Dix ans après quand on a oublié l’espérance que l’on avait en le faisant c’est parfois regardable.

Après le tome 1, Robert Laffont qui avait pourtant amorcé un catalogue plus que prometteur, abandonne la BD… L’avenir des Sept Cavaliers a-t-il été un temps incertain ?
Non, j’avais d’autres repreneurs potentiels. La difficulté était qu’il s’agissait d’ une vente de catalogue, nous ne pouvions pas partir chacun de notre côté, avec notre série, mais subir l’événement. Tout s’est joué au festival de Saint Malo, où nous sommes plusieurs auteurs à avoir vu Guy Delcourt, en compagnie de notre Éditeur chez Laffont Marya Smirnoff . Il a repris l’ensemble avec Brio .

Départ © Delcourt / Jacques Terpant Si vous deviez en quelques mots présenter l'oeuvre de Raspail pour donner à nos lecteur l'envie de s'y plonger... que diriez-vous?
Il y a plusieurs entrées chez cet auteur. Il faut savoir que J Raspail avant d’écrire a couru le monde et fût le témoin de la fin de certains peuples qui vivaient leur derniers instants. De cette période de sa vie il y a un grand livre « qui se souvient des hommes » une fiction qui met en scène les indiens Alakaluffs, les indiens à canots de la Terre de Feu .Jean Raspail a élevé à ce peuple disparu un monument littéraire. Je pense que c’est une bonne façon de commencer son œuvre. Disons que c’est un écrivain pour les gens du rêve, pour ceux qui aiment rêver leur propre vie, comme Antoine de Tounens, petit avoué de périgueux devenu roi de Patagonie et que Jean Raspail a statufié lui aussi dans un livre.

Adapter un œuvre littéraire en Bd est souvent difficile et bon nombre d’auteurs s’y sont cassé les dents. Vous avez réussi avec brio à adapter Sept Cavaliers, en conservant la force évocatrice de l’œuvre originale, son élégance, sa poésie et sa dimension littéraire… Jean Raspail a-t-il était facile à convaincre? Avez-vu eu carte blanche pour cette adaptation ?
C’est mon éditeur Marya Smirnoff qui a présenté le projet à Jean Raspail,l’idée d’être adapté en BD, ne l’emballait pas, les expériences d’adaptation de ses œuvres à la télé ou au cinéma l’ont souvent déçu ,mais les trois ou quatre planches faites pour lui l’ont convaincu… Il a dit « c’est mon monde ! » allez-y. Aujourd’hui il signe et revendique ces 3 livres comme les siens, comme un prolongement de son œuvre, ce qui me fait très plaisir.

Pour l’adapter, je voulais traduire en BD son univers. Je me suis donc appuyé sur le texte, sur ses dialogues. Bien sur il faut faire des choix , des coupes ou développer davantage certaines parties. La séquence de fin de l’album par exemple tient deux fois plus de place dans mon livre proportionnellement que dans le sien. Pourtant, je raconte la même chose.

Je crois aussi que pour faire d’un roman une BD, il faut que ce soit SON livre qu’on l’habite … Dans les échecs dont vous parlez, il y a beaucoup de commandes et l’auteur est trop extérieur au récit. Le cinéma se nourrit de littérature depuis longtemps (souvent on l’oublie même quand le film sort) alors qu’en BD, ce n’était pas le cas… On le fait aujourd’hui, mais souvent trop vite.

Je voulais aussi d’une BD qui se lise, j’ai privilégié le texte et cette voix-off qui accompagne le récit, ce qui accentue le coté « conté » de l’aventure. Je me méfie de la tendance qui fut celle de notre génération de raconter beaucoup par le dessin. Cela peut faire des albums vite lus, qui laisse sur leur faim. N’oublions pas que c’est le texte qui arrête l’œil et pose la lecture. La scène d’action uniquement dessinée est comprise en une fraction de seconde.

Projet de couverture © Jacques Terpant Quel fut l’accueil réservé à cette série atypique, littéraire et poétique par les amateurs du neuvième art? Et quel retour avez-vous eu sur cette fin inattendue et pour le moins déroutante ?
Pour ce qui est de l’accueil ,il a été très bon! La critique littéraire s’est intéressée à nous, ce qui est assez rare avec la BD. Je pense que les lecteurs de Raspail sont venus voir et s’y sont retrouvés, Les lecteurs de BD classiques aussi. Pour le tome 3 c’est très frais je n’ai pas beaucoup d’écho encore. La fin surprend sûrement, même si j’avais mis quelques clé et dès le tome 1

Dans le tome 3, sur l’une des tombes du cimetière 3, on devine un nom assez semblable au votre… Petit clin d’œil à l’un de vos ancêtres ?
C’est ma tombe… Il n’y a pas que la reine mère en Angleterre qui a le droit de répéter ses obsèques ! J’en ai les moyens aussi ! Le nom est le mien et la forme TRAPAN que j’ai mise est la prononciation en langue occitane de Terpant. J’utilise souvent des éléments de mon univers dans mes albums. La maison qui est debout à Saint Gall avec le jardin envahi est la mienne. Dans le tome 2 Saint-Pédraton c’est l’église Saint Martin d’Hostun en face de mon atelier, etc…

Quel personnage avez-vous pris le plus de plaisir à mettre en scène dans les Sept Cavaliers?
Je ne me suis pas particulièrement attaché à un personnage. J’ai vraiment traité le groupe. Certes, l’évêque me ressemble. C’est un clin d’œil, comme le cadet Vénier a l’apparence de mon fils… Mon père apparaît dans le tome 3 : c’est le vieux Monsieur avec un fusil qui s’avance… Comme je vous le disais pour réussir une adaptation ,il faut y mettre beaucoup de soi…Il faut en faire son monde.

Quelle étape de la réalisation d'un album de bande dessinée vous apporte le plus de plaisir?
La détente pour moi c’est la couleur. C’est le moment le plus serein du travail

Et quelle l’étape la plus laborieuse?
Contrairement à beaucoup d’auteur,pour moi c’est le découpage.

Planche du Tome 3 des Sept Cavalier © Delcourt / Jacques TerpantComment organisez-vous votre travail? Travaillez-vous dans l’ordre chronologique ou par séquence, au grès de vos envies du moment ?
Je travaille dans l’ordre chronologique ,sauf pour la fin de sept cavaliers. Là j’ai dessiné les 13 pages de la séquence de fin, ensuite sachant où j’allais,j’ai avancé vers cette fin.

Dans quel environnement sonore travaillez-vous ? Silence religieux, musiques diverses et variées ou choisie en fonction des scènes à dessiner?
Cela dépend rarement dans le silence... de la musique, la Radio souvent,et dans ce cas là, je préfère la radio qui parle…

J’ai lu que vous vous apprêtiez à adapter Les Royaumes de Borée, tiré du roman éponyme de Jean Raspail. Une volonté de poursuivre la saga des Pikkendorff ? Comment votre choix s’est il porté sur ce roman ?
Le colonel Major Silve de Pikkendorff est un des nombreux personnages de cette famille mythique qui traverse l’œuvre de Jean Raspail. Un de ses livres HURRAH ZARA, est même consacré à une forme d’histoire plus ou moins chronologique de cette famille. Dans l Royaume de Borée, qui se structure en 4 périodes qui vont du 17ème siècle à aujourd’hui, le héros de chaque ouvrage est un membre de cette famille. J’ai aussi choisi ce roman, car il aborde un des thèmes forts de Raspail: l’homme des matins du monde, la société des premiers temps de l’humanité confrontée à la civilisation. On rejoint ce que je disais plus haut sur son œuvre.

PublicitéOù en est le projet de réaliser un livre illustré autour de la généalogie imaginaire de la famille Pikkendorff?
J’aimerai conclure ce cycle des Pikkendorff avec ce livre,d’autant plus que ce texte de Raspail est inédit et qu’il a annoncé qu’il ne ferait plus de roman, ce sera donc son dernier livre.

Qu’est ce qui peut pousser un auteur à poser sa plume ?
Je ne vais pas parler Pour Jean Raspail ,mais le concernant il m’a dit qu’il ne voulait pas faire le roman de trop ,l’impression sans doute de ne pas pouvoir faire mieux que ce que l’ont a fait .Moebius (Jean Giraud ) a une phrase très juste qui concerne les dessinateurs, ,il dit : un dessinateur tend toujours vers le mieux et un jour, avec l’âge ce mieux devient un moins, c’est irréversible.C’est très juste.

Pour quand est prévu le premier tome de la tétralogie des Royaumes de Borée?
Pour moi il peut-être là pour la rentrée prochaine sans problème. J’en ai 15 pages à coté de moi… Mais ce n’est pas de mon ressort, je suis d’accord avec Beigbeder, les auteurs font leur livres aux éditeurs de les vendre.

Pouvez-vous en quelques lignes nous parler de l'histoire de ce roman?
Le thème, c’est la rencontre entre l’homme des matins du monde, l’homme de la nature et la civilisation, la nôtre. À chaque période aux avant-postes, à la lisière du monde civilisé et du monde sauvage dont on ne connaît rien, il y aura un témoin, c’est un Pikkendorff. Nous sommes un peu comme dans sept cavaliers dans une principauté qui n’existe pas le Royaume de Valduzia. Mais là parfaitement située, limite Finlande, la Carélie, de l’autre côté , la Russie. En face un territoire inexploré que les géographes du XVIIe siècle ont nommé Borée.
Un jour arrive à Ragen dernier poste avant la Borée, un nouveau commandant, Oktavius de Pikkendorff, le vide en face de lui va le fasciner. Je structure l’histoire en 4 albums sur 4 périodes, on commence en 1658, le dernier tome se termine dans les années 1990.

Les Royaumes de Borée © Delcourt / Jacques Terpant Dans les Sept Cavaliers, la première phrase du livre, qui en résume étrangement l’atmosphère, accompagne le lecteur tout au long des trois tomes. En est-il une des Royaumes de Borée qui vous aurait particulièrement marqué?
Non il n’y a pas cela dans Royaume de Borée, mais il y a une voix off aussi ,car il y a un narrateur à cette histoire…et je conserve le coté "écrit " qui existe dans sept cavaliers.

Quels sont vos derniers coups de cœur (tous médias confondus)?
Je viens de redécouvrir le travail noir et blanc de Jeff Catherine Jones,dont une intégrale se prépare aux Étas-unis,très beau ! en BD le Spirou de Emile Bravo m'a beaucoup plu (ce n'est pas récent récent)
En littérature ,je lis surtout des essais sur l'histoire et de la doc, (pour un scénario que je prépare) je signale la biographie de Louis XIII de JC Petitfils qui révolutionne la vision très fausse que l'on avait de ce roi.

Y a-t-il une question que je n'ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre?
Non ,non ,ne comptez pas sur moi pour faire votre travail...

Le mot de la fin?
« Je suis d'abord mes propres pas ! » (devise des Pikkendorff )
Le Korrigan