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Entretien avec Agnès Maupré
accordé aux SdI en novembre 2010


Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview !
Question liminaire : êtes vous farouchement opposé au tutoiement ?

Pour le tutoiement, bien sûr!

Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité,passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
Alors, moi, je suis Marseillaise. Même si ça fait un moment que j'ai quitté ma ville pour études. Quand j'étais gamine, je voulais être écrivain mais petit à petit, en devenant ado, je me suis dégonflée. Je m'ennuyais à mort au lycée et le seul truc qui m'intéressait, c'était mes cours de théâtre. Le groupe était vraiment chouette. Et quand j'avais 16 ans, on m'a fait découvrir des bds dont je suis tombée amoureuse: Ghost world de Clowes, Mort Cinder de Breccia et le petit monde du Golem, de Joann Sfar. Ces livres là m'ont donné envie de faire de la bande dessinée et à partir du moment où j'ai commencé, je n'ai plus eu envie d'arrêter. J'ai fait un peu d'architecture à Marseille, puis je suis passée à l'école de l'image à Angoulème et pour finir, j'ai atterri aux Beaux-Arts de Paris. J'ai adoré cette école, même si je n'y ai jamais été à l'aise. J'y ai eu des amis et des professeurs merveilleux. 


moi je reste © Acte Sud / Agnès Maupré Enfant, quel lectrice étais-tu ? Quels étaient alors tes albums de chevet?
J'aimais beaucoup lire. Ma mère ne m'avait pas trop laissé le choix, elle m'a appris à lire avant que je rentre à l'école. Petite, mes bouquins fétiches, c'était les Contes du chat perché de Marcel Aymé, le Fantome de Canterville de Wilde et les Malheurs de Sophie. En bd, je piochais dans la bibliothèque de mes parents. J'avais un faible pour les Gaston Lagaffe et les Reiser que je lisais en cachette sous mon lit. Reiser reste mon dessinateur préféré pour son énergie et son amour de l'humain.

Quel album de Reiser conseillerais-tu à un lecteur désireux de découvrir son œuvre?
Gros degueulasse. Je suis tombée amoureuse de lui et la page de fin du suicide à la boite de cassoulet reste pour moi la meilleure planche de bd. J'ai beaucoup pleuré.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ?
Mon rêve de gosse c'était d'être romancière, mais j'adore l'équilibre du dessin et des mots en bande dessinée. Et puis j'ai toujours un peu dessiné aussi...

De lectrice à illustratrice, comment as-tu franchit le pas?
En le décidant. En comprenant que c'était possible. En terminale, j'ai vu la plupart de mes copains de classe s'inscrire à des prépas de math ou de physique pour devenir ingénieurs et le dessin s'est présenté comme le sauveur. Je n'y avais pas pensé avant. C'est le hasard heureux des rencontres. Après, devenir illustratrice pour de vrai, c'est dessiner beaucoup, aimer les histoires et puis, quand on est prêt, aller montrer son travail à des éditeurs jusqu'à ce qu'il y en ait un qui vous donne votre chance...

Fées © Agnès Maupré En 2008 paraissait le Petit traité de morphologie inspiré des cours de Jean-François Debord... Comment est né ce projet quelque peu surprenant?
J'ai adoré les cours de Debord aux Beaux-Arts. Ma première année coïncidait avec sa dernière année de cours. Un coup de chance! Ces cours de morphologie étaient exactement ce que je venais chercher: un enseignement du dessin qui ne soit pas technique, mais poétique, vivant, un peu mystique. Ca parlait du vivant, du corps en mouvement, c'était plein d'anecdotes... Je suis restée amie avec Debord par la suite. Je posais pour lui et on discutait en buvant du thé. Un jour il m'a demandé si j'avais une idée de ce qu'on pouvait faire des films qui avaient été faits de son cours. Ca représentait 80 heures de vidéo! Je lui ai dit qu'il devrait en faire un livre. Il m'a répondu qu'en 25 ans d'enseignement il ne l'avait pas fait et qu'il ne le ferait pas à la retraite. Alors j'ai eu envie de le faire moi et il m'a laissé le faire. C'était un gros boulot pour moi d'endosser un rôle de professeur mais je suis contente d'avoir fait ce livre.

Quels sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
Les joies... Passer sa vie à dessiner, c'est tout de même pas mal. J'adore les moments de recherche, griffonner des morceaux dépareillés, voir naître les personnages au bout de la plume... Dumas fils raconte qu'un jour il a trouvé son père pleurant à sa table de travail. Quand son fils lui a demandé pourquoi, il a répondu que c'était parce qu'il avait tué Porthos. En ce qui me concerne, sur Milady, j'ai fini par aimer même les personnages que je détestais au début: l'égoïste Anne d'Autriche, l'irrascible Athos. A force de passer du temps avec eux, je suis devenue sentimentale.
Les difficultés... Voir le fruit d'un travail solitaire et souterrain exposé au grand jour. J'ai un ami dessinateur qui me traumatise en parlant de livres utiles. Je ne sais pas comment on fait pour avoir l'impression de faire un livre utile... Mais dans l'ensemble, dans ce métier, je crois que je trouve tout difficile et tout joyeux...


Le premier tome de Milady de Winter d'Agnès est paru chez Ankama... Comment as-tu rencontré ce personnage et qu'est ce qui t'as donné envie de réécrire l'histoire de Dumas ne confiant le premier rôle à ce personnage sulfureux?
J'ai lu les trois mousquetaires en me forçant un peu. Je pensais que les histoires d'honneur et d'amitié virile allaient me gonfler mais j'ai adoré de bout en bout. Et la cruauté des aventures de Milady particulièrement. En fermant le livre j'ai fait une petite série de dessins autour d'elle que je voulais réaliser en gravure. Puis les dessins sont devenus carnets puis bds... Dans le roman, Milady est une apparition, ce n'est pas une femme, c'est un démon, une panthère, une lionne. Quand elle arrive dans le récit, c'est terrible et romanesque. Je crois que j'ai eu envie de voir quelle pouvait être la vie d'une femme comme ça, ses rapports avec le cardinal, son enfant, ses époux. Et puis ce qui m'a touché, c'est sa solitude. Les mousquetaires n'ont besoin de personne: il sont tous les quatre. Milady est terriblement seule...

Milady enfant © Ankama / Agnès Maupré Le fait que tu sois une femme est-il pour quelque chose dans ton intérêt pour le personnage de Milady?
J'aimerais bien dire que non, parce que dès qu'une fille fait une bd, on parle des filles dans la bd et ça fait un peu ghetto (ghetto mignon, en plus!). Mais j'imagine que ça a quand même un peu à voir... Si la vie de Milady est si dure c'est parce qu'elle est une femme, qu'elle n'est pas supposée se mêler d'intrigues et de guerre. Les mousquetaires sont aussi sans scrupules qu'elle dans leurs actions. Mais comme ils sont hommes, chez eux, c'est juste de la vaillance. Pour elle c'est de la folie et de la cruauté. Alors, peut être effectivement qu'en tant que femme ça me touche particulièrement, parce que je vis à une époque et dans un pays où être une femme n'est pas une malédiction.

Tu dis que Milady a pris vie sous forme de dessin avant d'intégrer des carnets pour devenir une bande dessinée... Est-ce à dire que tu as commencé par l'imaginer en situation, sous forme de petites scènes avant de les intégrer à la trame imaginée par Dumas?
Oui, la trame de Dumas, c'est les passages déjà écrits, avec peu de marge de liberté, du coup. L'affaire des ferrets, par exemple. Je crois que dans mes carnets, je n'en parle même pas. Je m'amuse plutôt avec des discussions intimes entre les personnages qui n'existent pas dans le roman: Constance et la Reine, Milady et Richelieu, d'Artagnan et Athos. Les carnets sont l'occasion de rêver et souvent j'y mets des trucs qui ne se retrouveront pas dans le livre, ou diverses interprétations d'une même scène.

Comment donne-t-on une apparence à des personnages aussi emblématiques que Richelieu, Rochefort, les trois Mousquetaires ou Milady? Ont-ils vite trouvé leurs traits actuels?
Petit à petit... Richelieu, il y a de beaux portraits de lui et j'aime beaucoup son visage. Pour Milady, c'était assez naturel. Je voulais qu'elle ait un visage enfantin, un regard assez fixe et un sérieux de panthère. Il y a aussi des personnages qui existent dans la vraie vie, que je l'aie fait exprès ou pas. Et puis ils ont trouvé leurs gueules définitives au fil des scènes dans les carnets, quand j'ai appris à les connaître. Et pour Anne d'Autriche, j'ai triché. Elle ne ressemble pas du tout à la vraie.

Milady à terre © Ankama / Agnès Maupré Dumas s'est arcbouté à l'histoire pour donner naissance à son roman. Mettre en image l'époque des trois mousquetaires a-t-il nécessité des travaux de recherches, sur les costumes ou l'architecture de l'époque?
Oui! Mille mercis à internet! Il y a des sites un peu fous, sur les cols à travers les âges, où les cannes au XVIIeme... Je me suis bien amusée. Et j'aime bien l'esthétique de cette époque. C'est élégant, mais lourd et sombre, que ce soit les meubles ou les vêtements... Après, c'est pareil, j'ai aussi triché quand j'avais envie.

Du synopsis au découpage en passant par la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail sur l'album? Serait-il possible, pour une planche donnée, de les visualiser?
Je crois qu'il y a quatre étapes: carnets, découpage degueu de l'ensemble du bouquin pour avoir une idée de la globalité, crayonnés à la taille, encrage sur table lumineuse.


Making-of
Carnets (stade 1) © Ankama / Agnès Mauprérough (stade 2) © Ankama / Agnès Mauprécrayonnés (stade 3) © Ankama / Agnès Maupré


Quelle étape préfères-tu dans la réalisation d'un album?
Les Carnets. Mais chaque étape a son plaisir. Le seul truc terrible, c'est le bouclage. Quand on est en retard, on n'a plus le temps de prendre plaisir à dessiner.

Sur combien de tomes va se dérouler l'histoire de cette sombre héroïne?
Deux tomes. Dans le premier, elle essaie comme elle peut d'avoir une vie. Le second sera plus sombre. J'espère pouvoir le finir un an après le premier.

Athos et Milady © Ankama / Agnès Maupré Dans quel environnement sonore travailles-tu? Silence monastique? Musique de circonstance?
J'ai un peu honte... Quand j'écris ou qu'il faut réfléchir très fort, musique et quand j'encre, séries télé... Il faut que ce soit en français et pas trop compliqué, pour ne pas avoir à trop regarder l'écran. Sur Milady, j'ai dû regarder une bonne douzaine de séries...

As-tu d'autres projets que le second tome de Milady sur le grill?
Plus en stand by que sur le grill... Il y a une histoire de gamine rousse et de poisson rouge qui au départ devait être écrite par Julien Neel et finalement non, alors je la ferai peut-être toute seule. Une histoire de pirates qui s'appellerait "Suzie sexy ce soir" écrite ( dans le futur) par Alexis Argyroglo. Et puis il y a des gens avec qui j'aimerais travailler, notamment une de mes éditrices d'Ankama, Karen Guillorel, qui a été une belle rencontre.

Quels sont tes derniers coups de cœur, tous médias confondus (ciné, bouquins, BD, musique...)?
Cette année, ce sont surtout deux film: grizzly man de Werner Herzog et le film de voyage de Karen Guillorel: 600km du couchant au levant.

Y a-t-il une question que je n'ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Pas spécialement, mais je veux bien faire encore une fois l'éloge de l'équipe des éditions Ankama, parce qu'ils ont vraiment tous été sympas, patients, enthousiastes et efficaces du début à la fin. Des conditions de travail idéales!

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...

Si tu étais...


un personnage de BD : Lebrac dans Gaston Lagaffe? Pour le côté dessinateur stressé.
un personnage biblique : Marie Madeleine, je pleure facilement et puis je me laisse pousser les cheveux ces temps-ci.
un personnage de roman : Je veux bien être Denise du bonheur des dames.
un personnage de théâtre : Je dois mon prénom à Agnès de l'école des femmes, alors pourquoi pas...
une œuvre humaine : là, je sèche...
un instrument de musique : des castagnettes
un jeu de société : qui est-ce? (je ne sais pas si ça existe encore)
une recette culinaire : un plat de nouilles
une boisson : lait fraise?

Un dernier mot pour la postérité?
Oulah, je ne pense pas encore trop à la postérité...

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!
De rien!

Couverture de moi je reste © Acte Sud / Agnès Maupré
Le Korrigan