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Entretien avec Arnaud Le Gouëfflec
interview accordée au SdI en mars 2011


Question liminaire : êtes vous farouchement opposé au tutoiement ? (Sinon, je peux me faire violence !)
Non, vous pouvez me tutoyer.

smiley Merci! Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité,passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
Je 'appelle Arnaud Le Gouëfflec, j'ai 36 ans, j'écris des chansons, des romans et des scénarios de bande-dessinée depuis environ 15 ans, et j'ai publié un certain nombre de disques, livres et autres. J'ai également participé activement à la création du Festival Invisible, rendez-vous brestois des musiciens inclassables. Le reste est rigoureusement top secret smiley

Enfant, quel lecteur étais-tu? Les BD occupaient-elles déjà une place de choix? Quels sont à ce jour tes auteurs de chevet ? (tout support confondus)
Enfant, j'ai lu et relu tout le fonds BD de la bibliothèque municipale de Saint Hilaire Du Harcouët, de Achille Talon à Buck Danny, en passant par Tif et Tondu, Pif et Hercule, et même Mortadel et Filémon. Après, j'ai arrêté de lire de la BD et je suis passé par la SF, le polar et la littérature générale. Je me suis remis à lire de la BD après avoir eu un choc en découvrant Chiquenaude, de Lewis Trondheim, qui reste mon auteur de chevet. Ensuite, j'ai découvert les publications de l'Association, et puis c'était parti. Récemment, j'ai adoré Bottomless Belly Button, de Dash Shaw, ou Ussex County, de Jeff Lemire et je suis un fan hardcore de Harvey Pekar. J'ai aussi pris une très grosse baffe avec l'Ascension du Haut Mal de David B, ou à peu près tout ce que j'ai lu de Crumb.
J'aime Céline, Victor Hugo, Jim Thompson, Leo Perutz, le JM Coetzee de Michael K sa vie son temps, le Michel Tournier du Roi des Aulnes, Steinbeck, Simenon et tout un tas d'autres auteurs.

croquis © Olivier BalezDevenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Oui, je me voyais scénariste de BD. Mais c'est finalement par la chanson que j'ai trouvé le plus court moyen de raconter les histoires, et je ne suis venu au scénario que sur le tard.

Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
La difficulté survient quand on ne trouve pas d'écho, auprès des éditeurs par exemple,et qu'un projet tombe à l'eau. La joie, c'est de concrétiser un projet, de collaborer avec quelqu'un de créatif, et si le livre rencontre son public, alors la joie devient complète.
En 2007 paraissait Vilebrequin, votre premier album... Comment es-tu devenu auteur de BD?
Je connaissais Obion, le dessinateur, et on se voyait régulièrement. Il avait lu mon premier roman, et ça lui avait plu. Il m'a parlé de l'opportunité de travailler ensemble, et ça s'est enchaîné très vite.

croquis © Olivier BalezComment as-tu rencontré Olivier Balez avec qui tu as signé Topless et qui signe le dessin de votre dernier album, le chanteur sans nom...
Je l'ai rencontré à Paris, lors la soirée de lancement de la collection de Vilebrequin. Il avait dessiné un album intitulé Angle mort, avec Pascale Fonteneau au scénario. Comme on était les deux plus vieux, on a sympathisé, et puis quand il est parti vivre au Chili, on a gardé contact via internet.


Comment as-tu rencontré le Chanteur sans nom et qu'est ce qui vous a donné envie de raconter sa vie trépidante et pathétique?
C'est une compilation de chansons de Vincent Scotto, empruntée par curiosité dans une discothèque de prêt, qui m'a fait découvrir Le Chanteur sans nom. C'était un des interprètes et dans les notes de pochette, il était précisé qu'il chantait masqué et qu'il est depuis tombé dans l'oubli. Comme j'aime les personnages masqués, j'ai posté une note sur lui sur un blog que je tenais à l'époque, Terribabuleska Spazoïde, plutôt spécialisé dans le rock bizarre et l'incredibly strange music: “Il n'y a pas que Kiss qui se produisait masqué. Ami de Piaf, le "Chanteur sans nom" portait un loup noir quand il se produisait sur scène. Sa carrière fut courte (1936-1945), et il est malheureusement tombé dans l'oubli.” Ca aurait dû en rester là. Et puis j'ai reçu un commentaire, d'une vieille dame de 80 ans, posté deux mois après: «  Je suis très émue d'avoir retrouvé sur votre site le nom, la photo du "Chanteur sans nom" que j'ai bien connu à partir de 1936, nous habitions Montmartre et il était très ami avec un de mes oncles, et venait souvent à la maison, nous avions connu aussi Edith Piaf à la même époque, avec lui! Je connais la fin de sa vie qui n'a pas été très heureuse... Quels souvenirs... J'ai longtemps cherché quelques informations sur lui... Merci, Claudine Herbomel.” Et puis, un an après, un autre commentaire, d'une autre dame, est tombé: « Je suis très émue de voir la photo de Roland Avellis. Moi, j'ai fait sa rencontre six ans avant sa mort, dans les cabarets, nous avons vécu une belle histoire.” Voilà, je me suis dit que ce type masqué, sans nom, tombé dans l'oubli, résonnait encore, et que son souvenir refusait de mourir. J'ai trouvé ça très beau et très émouvant, et il faut le dire, assez jubilatoire: une victoire contre l'oubli et la mort. Il y avait forcément une histoire à raconter.

Découpage © Olivier BalezL'album propose au lecteur de suivre l'enquête d'un détective en herbe, tombé par hasard sur une boîte contenant les effets du Chanteur sans nom... Par quel bout avez-vous commencé vos propres recherche? L'enquêteur sans nom qui ne pipe mot a-t-il suivi les mêmes pistes que vous?
Non, mais c'est lié. Je n'ai pas trouvé les effets du Chanteur sans nom dans une boîte, j'ai surtout enquêté, rencontré des gens, dont la propre fille du Chanteur, Françoise, qui m'a énormément aidé, ou Matthieu Moulin, un collectionneur érudit, qui travaille d'ailleurs dans le secteur de la réédition du patrimoine audio. C'est lui qui m'a appris l'existence d'un Chanteur X, d'une chanteuse inconnue... Des clones du Chanteur sans nom.
En revanche, j'ai travaillé plus jeune dans une maison de retraite, où je devais ranger des boîtes de ce type, remplies de petits objets qui avaient appartenu à des personnes décédées, et que personne n'avait réclamé. Quand on trie des petits objets comme ça, on trie des morceaux de mémoire, c'est très émouvant. Je m'en suis souvenu pour Le Chanteur sans nom.

Découpage © Olivier BalezComment est née l'idée du fantôme de Roland Avellis qui suit notre enquêteur comme son ombre et qui confère au récit une saveur toute particulière?
J'ai toujours aimé les fantômes. Et puis j'ai un faible pour les histoires de tables tournantes et les trucs spirites. Au fil du temps, le Chanteur sans nom a fini par me devenir assez familier pour que je l'imagine sous cette forme-là. Ca tient de la métaphore, mais pas seulement.

D'où vient l'idée des vignettes au style évoquant les éphémérides des anciens calendrier qui souligne l'aspect joyeux drille du bonhomme?
Avec Olivier, on avait envisagé de jouer avec différents parti-pris graphiques, pour changer de registre et passer du réalisme au guignol, du burlesque au tragique. Olivier a eu l'idée de croquer les « blagues » du Chanteur sous forme de vignettes type « almanach Vermot ».

Découpage © Olivier BalezQu'est ce qui t'a le plus touché dans ce que vous avez découvert sur le Chanteur sans nom?
L'aspect humain, les témoignages. C'est bouleversant, de plonger dans la vie des gens...

Du scénario à la planche finalisée, comment s'est organisé ton travail avec Olivier Balez? Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser les différentes étapes de sa réalisation?
Une fois qu'on est tombés d'accord sur les principes de base, je rédige le scénario, avec une proposition de découpage par planche. Et Olivier redécoupe volontiers quand c'est nécessaire, pour les besoins de la narration. Il rédige un story complet, jusqu'au bout, et ça nous permet d'y voir clair et d'appréhender la BD, sous forme de BD et non seulement de scénario, dans sa globalité. Ensuite, il dessine, scanne, et « traite » graphiquement ses planches.

Dessin d'une case © Olivier Balez« Le chanteur masqué », album sorti en 2004, est un étrange premier écho du Chanteur sans nom... La musique semble occuper une grande place dans votre vie... Où peut-on écouter vos œuvres?
J'ai publié récemment sur le label Last Exit Records deux albums, A Dreuze et disque vert, enregistrés avec l'Orchestre préhistorique, qui sont distribués via Anticraft, et qui sont sans doute les plus aboutis. On peut se procurer tous mes autres disques sur le site de l'Eglise de la petite folie.
Mais c'est assez touffu, vous êtes prévenus!

Quels sont vos derniers coups de coeur, tous médias confondus?
Bob Dylan, et toujours Eugene Chadbourne, qui apparaît dans le chanteur sans nom sous les traits d'un disquaire, avec qui j'ai eu l'occasion de jouer en tant que musicien, et que je considère comme un véritable maître jedi :)

le chanteur sans nom © Olivier BalezQuels sont vos projets présents et à venir?
Un projet avec Olivier Balez, encore une histoire de chanteur, mais radicalement différente, et un projet avec Obion, le dessinateur de Vilebrequin, qui s'appelle Soucoupes. Je travaille aussi avec un dessinateur nommé Alexis Vitrebert, sur un projet provisoirement intitulé Martillo. Et j'écris des chansons: l'album d'ooTi, par exemple, une chanteuse à part, réalisé avec le musicien John Trap, qui sortira sous peu sur le label YY, vous pouvez télécharger un extrait ici
L'album comptera notamment deux duos avec Dominique A. J'ai aussi un roman sur le feu. Toujours beaucoup de projets, mais c'est comme ça que je fonctionne.

fragments © Olivier BalezY a-t-il une question que je n'ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Non, pas mieux

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...

Si tu étais...

un personnage de BD : Gaston Lagaffe, pour pouvoir dormir dans une grotte creusée dans un tas de livre
un personnage biblique : Jonas, pour être avalé par une baleine
un personnage de roman : Fantômas, pour le masque

fragments © Olivier Balezun personnage de théâtre : un savant fou du Grand-Guignol
un instrument de musique : Une guitare, électrique
une œuvre d'art: une curiosité de la Compagnie de l'Art Brut
un jeu de société : Puissance 4, c'est un jeu de société?
une ville : Brest
une recette culinaire : une soupe chinoise, avec plein de choses dedans
une boisson: un whisky, tourbé, vieux, vieux
une pâtisserie: non
une ville: Pour vivre heureux vivons cachés

Un dernier mot pour la postérité?
Vive le Québec mou!

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!!!
Merci à vous!

Photo de Arnaud Le Gouëfflec
Le Korrigan