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Entretien avec Olivier Peru
interview accordée aux SdI en juillet 2011


Bonjour et tout d'abord merci de te prêter au petit jeu de l'interview...
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)

J'ai aujourd'hui 33 ans, une dizaine d'années de carrière dans les métiers du livre. J'ai travaillé pour des périodiques, écrit et dessiné des albums et publié mes deux premiers romans l'année dernière. Je travaille aussi pour le petit et le grand écran où je touche un peu à tout. Et pour ce qui est de la Suisse, j'attends toujours mon premier million d'euros avant d'aller me domicilier là-bas. Quant à mes passions, elles sont très simples et d'une façon ou d'une autre, elle sont liées à l'imaginaire. La lecture, l'écriture, le cinéma, le jeu vidéo (bien que je ne joue que très peu, par manque de temps) et le mouvement : voyager, visiter, voir d'autres cieux, ne pas rester en place, faire plein de choses à la fois.
Mon péché mignon : j'adore le cinéma de genre, les séries B, les films d'horreur des années 80 que plus personne aujourd'hui ne veut regarder.

Enfant, quel lecteur étais-tu? La BD occupait-elle déjà une place de choix? Quels étaient alors tes auteurs de chevet?
J'ai appris à lire avec les X-men. Je dirais même que je les lisais avant de savoir véritablement lire. J'avais ma collection de comics dès la maternelle (je ne m'en souviens pas mais il paraît que je faisais des crises si on ne m'achetait pas de BD) et me promenant de case en case, je me racontais mes propres histoires et j'inventais la suite au fur et à mesure. C'est là qu'est venu mon goût pour la lecture, l'écriture et les histoires fantastiques. La BD américaine a donc bercé mon enfance puis mon premier choc littéraire a été le roman Les Dents de la Mer que j'ai lu à l'âge de dix ans. Je ne comprenais pas tout mais le bouquin me transportait littéralement ailleurs. Ensuite, en grandissant, j'ai visité les univers d'autres auteurs tels que King, Moorcock, Tolkien, Stoker, Masterton ou Koontz. Je l'avoue, je suis complètement passé à côté du Club des Cinq ou des Oui-Oui. Mes lectures étaient plus sombres.

Script de la planche 5 du tome 2 de Nosferatu ©Soleil /  Stephano Martino / Olivier Peru
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse? Qu'est-ce qui t'as donné envie d'en faire ton métier?
Complètement. Je n'ai même jamais envisagé une autre carrière. Quand j'étais gamin, je savais que plus tard, je ferais des livres et rien d'autre, que je travaillerais dans les métiers du rêve. Impossible de dire d'où est venue l'envie, je crois qu'elle a toujours été en moi Enfant, je passais mon temps à lire, écrire et dessiner, je rêvais tout le temps. Raconter des histoires est donc devenue la chose la plus naturelle pour moi.

La Fantasy occupe une place prépondérante dans tes créations... Qu'est-ce qui t'attire dans ce genre littéraire?
L'idée de créer des mondes insensés, de réinventer les lois de la physique, d'imaginer des créatures et des lieux invraisemblables. La fantasy offre un espace de liberté totale à la création. Bien sûr, il faut respecter ses codes, ou les détourner au besoin, mais souvent elle permet de travailler sur des univers sans véritables limites. En second lieu, j'ajouterai que j'aime les grands espaces, la nature, les épées, ceux qui savent les manier et leurs valeurs. Je me retrouve donc très facilement dans la fantasy.

story-board de la planche 5 du tome 2 de Nosferatu ©Soleil /  Stephano Martino / Olivier PeruEn 2003 paraissait L'éveil, premier tome de Shaman que tu signais avec ton frère... Comment est née cette aventure?
Shaman est né de notre amour commun des mondes fantastiques. Enfants, nous passions notre temps à créer nos univers et à jouer dedans. En grandissant, le jeu est devenu notre métier. Nous écrivions ensemble, je dessinais et Stéphane mettait nos pages en couleurs. Tout comme moi, il rêvait de BD et nous avons réalisé ce rêve avec Shaman. Nous étions très jeunes (pas plus de 45 ans à nous deux), nous bossions tous les deux dans la ligne pocket des magazines Semic et en parallèle, nous développions cette série qui a finit par voir le jour chez Nucléa 2 avant de se terminer chez Soleil suite à la faillite de notre premier éditeur.

Parmi tes nombreux travaux d'illustrations, on en trouve dans le milieu du JdR. Es-tu toi-même rôliste?
Pas du tout. J'ai beaucoup de tendresse pour le milieu du JdR mais je ne suis jamais devenu joueur par manque de temps. J'adore les livres de règles que je trouve souvent magnifiques et pétris de bonne idées.

story-board de la planche 5 du tome 2 de Nosferatu ©Soleil /  Stephano Martino / Olivier PeruQuelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier d'auteur de BD
La BD est un métier de rêveur, un métier passionnant et léger qui n'en est pas moins exigeant. Réussir un bel album demande du talent, mais aussi beaucoup de discipline et de recul par rapport à son propre travail. Il faut sans cesse guetter les imperfections pour polir l'histoire, les dialogues, le dessin et la couleur. Il faut parfois aussi travailler vite et sous pression (café et nuits blanches sont les meilleurs amis de bien de dessinateurs de BD). Et bien sûr, il faut accepter de toujours s'exposer à l'avis du public. Tout cela relève presque de la discipline olympique.
Mais faire de la BD, c'est aussi vivre hors du monde, se sentir libre, voyager, rencontrer des lecteurs, d'autres auteurs français et étrangers, c'est se balader entre le gamin en nous qui passait son temps à lire et l'adulte qui maintenant conçoit des livres. Pour ma part, bien que je travaille quasiment sept jours sur sept, j'ai toujours l'impression de pouvoir disposer de mes journées et je prends des vacances quand je veux. Je gère mon temps sans patron, je n'ai que des collaborateurs (qui sont ou deviennent des amis), et je crois que c'est ça, le plus agréable : l'impression de toujours être dans une cour de recréation et d'imaginer des histoires à raconter aux copains.


Le premier tome de Nosferatu est disponible depuis quelques temps sur les étals... Pour cet album, tu endosses une fois encore ta casquette de scénariste... Le désir de raconter tes propres histoires t'a-t-il toujours titillé ? As-tu en projet de signer seul un album ?
Je suis aujourd'hui plus porté vers l'écriture que le dessin pour plusieurs raisons. La principale étant le décès de mon frère il y a trois ans. Ma vie a alors pris un virage et je me suis retrouvé incapable de dessiner. L'envie de faire des pages de BD n'était plus là. C'était notre truc à tous les deux. Aujourd'hui, je dessine encore un peu mais tout seul. Je crois que je préfère raconter des histoires aux autres. Donc, pour répondre, je ne sais pas si un jour je serai capable de signer un album tout seul...
Et puis en écrivant davantage ces trois dernières années, je me suis rendu compte que le dessin avait jusque là canalisé et occupé mes envies créatrices. Je crois qu'écrire m'est encore plus spontané que dessiner et puis cela me permet de travailler sur des tas de projets en même temps.

Peux-tu en quelques mots nous faire le pitch de la série ?
Nosferatu se réveille en Inde après un sommeil de plus d'un demi siècle alors que ses congénères le pensaient mort. La plupart le craignent car ils l'ont trahi. S'engage alors un double récit, au temps présent et dans le passé, pour comprendre comment la plus vieille créature sur terre en est arrivée là. Une histoire d'amour et d'immortalité...

Encrage de la planche 5 du tome 2 de Nosferatu ©Soleil /  Stephano Martino / Olivier PeruNosferatu est-il destiné à être une série au long cours nous entraînant à travers le temps pour découvrir la vie du premier vampire ?
Notre idée première était de réaliser un diptyque qui se suffise à lui-même mais il semble que la série connaisse un franc succès et comme Stefano et moi avons pas mal d'idées pour un second cycle, il n'est pas exclu qu'on se penche dessus un jour prochain. Auquel cas, oui, la série emmènera notre Nosferatu dans diverses époques. Les âges les plus sombres du moyen-âge seraient un terrain de jeu extraordinaire pour un personnage comme lui.

Comment est née cette histoire? Quel a été son point de départ? Une fascination pour les buveurs de sang?
J'ai toujours été facsiné par les vampires. Le dracula de Christopher Lee me terrifiait quand jétais enfant et celui des comics Marvel vivait des aventures terribles. Puis le roman de Bram Stoker, le film de Coppola qui en est tiré et les romans d'Anne Rice ont finit d'inscrire le vampire dans mon imaginaire.
Aussi quand Soleil m'a présenté Stefano Martino et nous a suggéré de travailler ensemble sur une idée aux dents longues, nous n'avons pas attendu longtemps pour nous mettre au travail. En quelques jours, j'écrivais les premières pages, Stefano les dessinait et le projet était né.

Encrage d'un planche du tome 2 de Nosferatu ©Soleil /  Stephano Martino / Olivier PeruQu'est-ce qui pour toi sortait les romans d'Anne Rice des autres romans mettant en scène les vampires ?
Je ne suis pas certain d'avoir lu assez de littérature vampirique pour vous livrer une analyse pointue mais selon moi, les plus grandes qualités des romans d'Anne Rice résident dans ses personnages. Malgré leur monstruosité, une part d'eux reste humaine. Ils sont attachants, fascinants et capables de sentiments très forts. Ils ne sont pas de simples vampires animés par le goût du sang.

Du synopsis à la planche finalisée, comment s'est organisé votre travail avec Stefano Martino et Digikore Studios? Le fait que tu sois toi-même dessinateur modifie-t-il ton regard sur leur travail?
Je fournis un script case par case, dialogué et assez détaillé à Stefano, lui me propose des story-boards sur lesquels on retravaille parfois puis il se lance sur les pages. Ceci dit, j'avoue que je n'ai pas grand chose à faire tellement Stefano est bon. La BD est un don naturel chez lui. Quant au fait d'être également dessinateur, je finis par l'oublier. Je n'interviens « graphiquement » qu'en cas de pépin ou de doute et j'essaie de ne pas trop m'immiscer dans le travail de Stefano. Et puis, plus nous avançons ensemble, plus nous nous rendons compte que nous partageons des visions très similaires de ce que doit être notre série.

Couverture du tome 2 d'Assassins ©Soleil /   <br />
Christi Pacurariu / Olivier PeruQuelle étape préfères-tu dans l'élaboration d'un album?
J'affectionne tout particulièrement la rencontre avec les dessinateurs et les premières pages que je dois développer pour et avec eux. C'est un exercice d'écriture périlleux et difficile, car je dois les transporter dans notre univers et les faire rêver. C'est un véritable challenge car bien qu'ils travaillent sur l'histoire, ils en sont aussi les premiers lecteurs. Il me faut les surprendre et leur insuffler l'envie de tout donner, leur communiquer ma passion pour le récit.

Comment est née l'apparence de Nosferatu qui évoque lors de sa renaissance la créature de Friedrich Wilhelm Murnau? D'une façon générale, comment s'élabore l'apparence de tes personnages? Laisses-tu les dessinateurs libre d'esquisser l'apparence des personnages où as-tu déjà une idée précise de ce à quoi ressemble tes personnages.
En général, je décris les personnages en quelques mots, en utilisant des traits de caractère, et je laisse les dessinateurs se les approprier. Quant à Nosferatu, Stefano et moi voulions transformer l'habituelle image que les gens ont de lui. Au début de la série, il ressemble à la pauvre créature du film de Murnau puis au fil des pages, il renaît et s'affirme. Cela se traduit graphiquement par un personnage de plus en plus imposant. Notre envie avec ce diptyque était d'emmener Nosferatu au XXIe siècle, nous devions donc laisser derrière nous le film qui l'a rendu célèbre dans les années 20.

Assassin, planche 1 du tome 2 d'Assassins ©Soleil /   <br />
Christi Pacurariu / Olivier PeruEn plus de la BD, tu exerces ton art à travers de nombreux médias (romans, couvertures, storyboards et design)... Qu'est-ce qui te pousse à explorer tant d'horizons différents?
L'envie de me renouveler et d'essayer de nouvelles choses. J'adore les nouvelles expériences, je déteste l'ennui, il faut toujours que je fasse au moins deux choses en même temps pour ne pas avoir l'impression de perdre de temps et j'ai la chance de pouvoir me concentrer sur plusieurs projets simultanés, alors j'en profite.

Abordes-t-on un roman comme on aborde un nouvel album? Lorsque tu crées une nouvelle histoire, sais-tu dès le début à quel média tu la destines?
Quand une histoire prend forme dans ma tête, je ne sais pas toujours comment elle sera plus tard racontée. Mûrir une histoire est un processus long, qui prend des mois, parfois des années. En revanche, quand je m'attèle à l'écriture, quand je sais précisément ce que je désire raconter, je choisis le support qui me paraît le plus approprié. Mais parfois les projets ne se font pas et les histoires et leurs personnages continuent à vivre dans ma tête. Il m'est ainsi arrivé plusieurs fois de vendre des idées ou des histoires à des maisons de production audiovisuelle et de ne pas les voir se concrétiser pour des contraintes techniques ou budgétaires. Je me dis donc qu'un jour, en roman, au théâtre, en bd ou en dessin-animé, ces projets prendront vie. Et pas forcément tel que je l'envisageais en premier lieu.

Tu as signé de nombreuses couvertures de romans et de bandes dessinées... La couverture étant l'un des premières accroches du lecteur potentiel, comment aborde-t-on cet exercice périlleux en tant qu'illustrateur?
En mêlant habilement l'instinct et la réflexion. La couverture est un exercice très particulier, un simple détail peut détruire une image ou la rendre magique. Avant d'aborder un thème déjà traité par d'autres illustrateurs, il convient de jeter un œil à leur boulot pour s'en inspirer et paradoxalement s'en éloigner. Puis il faut se lancer, faire des roughs, voir ce qui prend vie sous le crayon, repérer les compositions fortes qui vont captiver le regard. Une fois cette étape essentielle passée, la réalisation fait la différence. Il faut penser en lumières, en couleurs, en lignes de force, donner vie à une histoire et faire une promesse au lecteur, lui dire qu'il va passer un agréable moment avec le livre qu'il tient dans les mains. Séduire sans mentir. C'est une partie de l'art de couverture.

Couverture de la Guerre des Orcs T1 ©Soleil /   <br />
Daxiong / Olivier PeruDans quel environnement sonore travailles-tu généralement? Silence monacale ou musique de circonstance?
Les deux. Quand je travaille sur un roman, j'aime bien profiter du silence, pour me plonger presque religieusement dans mes textes ou me relire parfois à haute voix (c'est un excellent exercice pour se corriger). Autrement, j'aime bien associer des musiques à l'écriture. Souvent j'essaie de trouver quel type d'atmosphère peut correspondre aux univers que je développe et je me sers des mélodies comme de tremplin. Une fois que j'ai les bonnes notes qui me tombent dans l'oreille, je suis transporté et mon imagination décolle. Pour ce faire, j'écoute beaucoup de B.O.F. et de la musique classique.

Quels sont tes derniers coups de coeur (tous médias confondus?)
Les jeux Xbox « Left for dead », la série télé « Les Tudors » et bien que je ne l'ai pas encore lu, je craque déjà pour le dernier roman de Scott Westerfeld magnifiquement illustré. Le bouquin s'appelle « Leviathan ».

En tant qu'auteur, comment perçois-tu les séances de dédicace?
Comme un moment sympa durant lequel on rencontre les lecteurs et les libraires qui nous lisent. C'est souvent l'occasion de discuter de nos créations, de découvrir des points de vue et des gens surprenants et c'est toujours très fatiguant. En revanche, je n'attache pas une grande importance au côté commercial de la chose. Je sais bien que certains chasseurs de dédicaces gâchent un peu la fête mais je préfère ne pas me prendre la tête avec ce problème qui finira par se régler tôt ou tard.

Aperçu de colorisation pour la Guerre des Orcs T1 ©Soleil /   <br />
Daxiong / Olivier PeruQuels sont tes projets présents et à venir?
Mener jusqu'au bout les séries que j'ai commencées cette année, Zombies, Nosferatu, Assassin et In Nomine puis travailler sur les prochaines bd que je suis en train de signer chez Soleil (une histoire de fée, une autre de momie et une petite dernière sur la mythologie nordique que je revisite avec Pierre-Denis Goux). J'ai aussi dans les tuyaux un nouveau gros roman d'aventure dans un univers fantasy (proche de celui que j'ai développé dans Druide) et je dois terminer un roman jeunesse que j'ai commencé l'année passée (une histoire de fantômes). Je continue à développer des idées pour la télé et j'aimerais trouver le temps de me plonger dans l'écriture d'un polar très réaliste. Tout ça, c'est la partie concrète de mon quotidien en ce moment smiley Et à l'avenir, j'aimerais explorer l'univers du jeu, faire un film et m'installer un peu partout sur terre pour des périodes de plusieurs mois.

Y a-t-il une question que je n'ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
« A quoi rêverais-je de me consacrer durant toute une année ? »
A l'écriture d'un roman d'aventure de 3000 pages...

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire...
Si tu étais :

un personnage de BD : Cyclope des X-men (mais celui de la grande époque Byrne/Claremont)
un personnage biblique : Dieu, j'ai le droit ?
un personnage de roman : Ulysse
un personnage d'heroïc-fantasy: Conan
un personnage de théâtre : Lorenzo de la pièce Lorenzaccio (Musset)
une chanson : New Noise du groupe Refused
un accessoire de dessinateur : le crayon
un jeu de société : Un jeu de mon invention (j'y travaille)
une recette culinaire : Une salade dans laquelle toutes sortes d'ingrédients sont mélangés
une ville : Montréal
une boisson : l'eau
une pâtisserie : un mille-feuilles
un proverbe : No pain no gain

Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé!
Merci à vous smiley
Le Korrigan