J'ai rencontré Jean Giraud avec la Mine de l'Allemand Perdue que mes parents m'avaient offert. Le diptyque que l'album formait avec le Spectre aux balles d'or m'avait fait découvrir une aventure magistrale, avec des personnages moins lisses que les bd que je lisais alors, de Tintin à Astérix en passant par Gaston Lagaffe ou les Aventures de Spirou et Fantasio. Nous avions avec Blueberry un héros, mais un héros crade, retord, rebelle à l'autorité, superbement mis en scène par Jean Giraud. C'est à cette époque que j'ai commencé à entrer de plein pied dans la BD, découvrant des albums « adultes », de Corto Maltese à Adèle Blanc-Sec en passant par la Ballade au bout du Monde la Quête de l'Oiseau du Temps...

Parmi ces lectures, je découvrais l'Incal, série incontournable de science-fiction et son univers si envoûtant et son dessin captivant. J'ignorais à l'époque que Moebius et Giraud, malgré leurs styles si différents, ne faisait qu'une seule et même personne! Comme l'anneau de Möbius n'a au final qu'une face et qu'un seul côté, se cachaient derrière un talent aux multiples facettes un seul et même artiste... Je me souviens particulièrement de cette exquise histoire courte qui tentait de répondre à la question philosophique « l'homme est-il bon ? » de la plus délicieuse des façons...

Un autre souvenir qui remonte comme une bulle, c'est le salon Imagina où Moebius présentait des extraits de ce qui devait devenir Starwatcher, le premier film long métrage entièrement réalisé en 3D avec un ordinateur. Je ne sais pourquoi le film ne se fit jamais mais le film d'animation fit, à juste titre, sensation. Pour moi, ce fut une claque magistrale...

Autre souvenir... un repas pris avec le tandem Giraud/Moebus dans un excellent restaurant strasbourgeois auquel j'avais été convié en tant que fan avec divers journalistes par le responsable du rayon BD de la FNAC locale. Intimidé à l'extrême de rencontrer celui que je considérai comme un monstre sacré de la BD (limite dieu vivant), j'ai découvert une personne qui pouvait vous entretenir de sujets divers et variés avec une connaissance fine du sujet. Il avait parlé de Blueberry qu'il souhait faire mourir durant la première guerre mondiale, du projet de Starwatcher hélas mort dans l’œuf, de psychotropes et de sexe (Eyes Wide Shut, le dernier de Stanley Kubrick venait de sortir sur les écrans et fut décortiqué et, disons le, vertement critiqué par Moebius) et d'une foule d'autres choses. J'ai eu l'impression de côtoyer un génie animé d'une douce folie... Un moment magique...

Mais Moebius/Giraud, c'est aussi Jim Cutlass, le Surfeur d'Argent (eh oui!), Arzach (un autre de ses chef-d'oeuvre!), le Garage hermétique... Il a travaillé pour le cinéma (Alien , Les Maîtres du temps, Tron , Willow, le Cinquième Elément...) et son œuvre graphique a influencé une tripotée d'auteurs de tous horizons, du mangas au comics... Comme si cela ne suffisait pas, il fut l'un des co-fondateur des Humanos et de Metal Hurlant, excusez du peu...

C'est donc un auteur protéiforme qui vient de nous quitter, un incroyable faiseur d'univers et un formidable conteur... Salut l'artiste!