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Entretien avec A. Dan
interview accordée aux SdI en mars 2012


Bonjour et merci de vous prêter au jeu de l'interview...

Question préliminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement?

… tant qu'on ne me demande rien d'intime par la suite … smiley

Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)?
De longues études en biologie (animaux sauvages, forêt, nature, etc. …) mais vite rattrapé par le fantasme du dessin, j'ai actuellement presque 42 piges, suis toujours aussi têtu (une vraie bourrique) et beau comme un âne (du Poitou, mon préféré) , et suis passé pro sans filet en 2002 comme illustrateur pour des commandes de … nature, animaux sauvages, foret, etc. … avec le vœux de faire de la BD le plus vite possible. Carte Bleue? KézaKo? … Sinon des passions: outre ce que j'ai déjà cité, le fantastique, le féerique, l'imaginaire (un film comme Big Fish me transporte au-delà de toutes les frontières possibles, un truc comme Lost in Translation aussi), le cinoche, les amis … et la politique (argle).

Que penses-tu du niveau de la campagne actuelle?
Quelle campagne? … je n'ai entendu parlé que de superflu, au ras des faits-divers, du crachoir à injures ou du gonflage de biceps. Sans déconner je suis nostalgique des mecs comme Marchais, De Gaulle ou autres matadors de l'époque. Le truc qui me sidère le plus c'est la médiatisation du discours (les journalistes) et leur contenu (les politiques): mis à notre niveau, celui d’alzheimer à un degré pathologique jamais enregistré. De Gaulle disait "des veaux", je préfère dire "des poissons rouges". Pathologique et pathétique.

©Bamboo/A.DanC’est violent mais tristement vrai…
Enfant, quel lecteur étais-tu? La BD occupait-elle déjà une place de choix?

Oh que oui! Je n'avais pas grand chose comme cadeaux à Noël ou aux différentes fêtes mais toujours une BD. Mes 1ers sous furent pour m'en offrir une (Partie de Chasse de Bilal) … Je dévorais les BDs étalées par milliers chez des oncles - dessinateurs à leurs heures et collectionneurs des Humanos et de Métal-Hurlant.

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse?
Comme beaucoup de dessineux je crois, rien que de très classique.

En février 2008 paraissait Le cratère de Rongo, premier tome de Jo-Bo. Comment es-tu passé de l'autre côté de la barrière  ?
Les rencontres, la chance: mes parents me voyaient ingénieurs aérospatiale (je suis originaire de Toulouse: on y finit chanteur, rugbyman ou ingénieur chez Airbus), moi dessinateur de BD. Mes brillantes études m'ont amené direct chez Mr ANPE, mais mes connaissances dans le milieu scientifique (ONF, INRA, etc.) m'ont passé commandes pour des illustrations dans leur domaine (petites fleurs, zozios, paysages …). J'ai saisi cette chance pour me déclarer comme dessinateur pro. Une fois la barrière franchie, c'est pas mal de taf au quotidien parce que le niveau est assez différent: on en prend plein la gueule, mais comme je suis plus têtu qu'une tique smiley … je crois qu'on gomme ses défauts par le taf, donc ...
L'illustration rentrait les sous pendant que j'essayais de remplir des fanzines, des illus' dans certains mags (dont Lanfeust Mag') et on s'est lancé avec Benjamin Leduc dans un truc plus long (Jo-Bo) mais qui a fait un flop monumental … à mon avis mérité mais il fallait qu'on fasse nos armes et montrer qu'on pouvait aller au bout d'un projet. Notre éditeur de l'époque coupa court à l'expérience mais d'autres éditeurs nous ont remarqué. Et particulièrement Laurent Galandon …

Avec le recul, quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un dessinateur désireux de devenir dessinateur de BD?
Se trouver une gonzesse qui a déjà un boulot ;) ou rester un peu dans la piaule de ses parents… Non, franchement je n'ai pas de recette miracle: je crois que dans tout boulot il faut s'y mettre d'arrache pied (je ne dis pas que c'est ce que j'ai fait), et surtout constituer un réseau … mais c'est aussi ce qu'on pourrait dire de n'importe quel métier où l'on est à son compte.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
Une seule réponse qui ira avec les deux réflexions: vivre de ce que j'aime faire, c'est à la fois une grande joie mais aussi une grande difficulté. Sinon le côté "star system" est assez curieux: j'aime bien rencontrer les gens, les autres, mais je me sais aussi très casanier; de même je me méfie beaucoup du côté "paillettes" en festival par exemple mais je ne peux que concéder que dessiner, et de voir dessiner quelqu'un c'est aussi magique pour beaucoup de gens et de lecteurs qui viennent en festivals.

Tu signes ensuite le diptyque Tahya El-Djazaïr scénarisé par Laurent Galandon. Comment vous êtes-vous rencontré?
… et bien justement, il remarqua quelques illustrations faites pour des mags' postées sur des forums et aimait bien mon dessin. Il m'a donc contacté par Internet. Honnêtement moi qui suis plutôt "fantastique" et "héroic fantasy" dans mes goûts et mes illus', dessiner la Guerre d'Algérie avec Laurent je m'y suis refusé par 1er réflexe. Mais je ne suis plus un gamin et j'aime aussi les belles histoires et les trucs engagés et quand j'ai lu le scénar' de Laurent je me suis dit qu'il fallait que je tente le coup. Même si ça changerait certainement mes habitudes que de faire chevaucher un soldat français sur un jeep plutôt qu'un guerrier en armure sur un dragon … Avec le temps on est devenus amis, on partage beaucoup de choses et notre relation de travail est très fluide, ce qui ne gâche rien.


Venons-en à Pour un peu de bonheur dont le premier tome, Félix, vient de paraître dans la collection Grand angle chez Bamboo. Qu'est ce qui vous a séduit dans ce projet?
Laurent est un mec tordu, moi itou donc on pouvait que faire affaire smiley. Non, sérieusement: l'écriture de Laurent … comme toujours. Ce que j'aime chez lui c'est l'épaisseur des personnages, des histoires léchées, des seconds rôles intéressants, et puis franchement mettre en scène une histoire où il se passe très peu de chose, miser sur les regards (en plus pour un gars dont on ne voit presque pas le visage puisque gueule-cassée), les ambiances, … et faire enfin la couleur, c'était un bon challenge pour moi, j'y ai pris de plus en plus de plaisir.

Storyboard©Bamboo/A.DanComment s’est organisé ton travail autour de l’album? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail?
Laurent a une façon a lui d'écrire les scénar': il livre un synopsis écrit très détaillé, puis un découpage par planche et par case. Mais comme il le dit lui même c'est une proposition. Je peux la modifier par endroit, fusionner des cases, ou inversement, en mettre plus pour des respirations, etc. … J'aime assez cette étape de mise en scène et en image qui m'est propre. C'est l'étape qui m'épuise et me réjouit le plus. Comme Bamboo souhaite visualiser l'album entier sous forme de story-board, je fais donc les 46 brouillons de planches avant de commencer la première. J'encre de plus en plus au pinceau, je pense que j'y suis plus à l'aise, notamment via cet album.

Quelle étape t’a procuré le plus de plaisir dans l’élaboration de cet album?
J'en ai déjà parlé je crois: la mise en scène, l'encrage et surtout la couleur.

Recherche pour le personnage de Félix ©Bamboo/A.DanComment élabores-tu généralement l’apparence de tes personnages? L’apparence de Félix Castelan s’est-elle imposée rapidement ou est-il passé par de nombreuses étapes avant de trouver sa version définitive?
Je ne suis pas un laborieux à ce stade là. En général plutôt que de coucher les choses sur le papier c'est plutôt dans ma tête que le "casting" se fait, en compilant des lectures, des survols de livres photos, de films ou d'autres BDs. Quand j'ai une ou deux idées arrêtées je crayonne: je crois que pour Félix et Esther, je les avais au bout de deux ou trois crayonnés. Le curé de l'histoire c'est imposé dessuite; quant au flic et au maire ce fut de même mais Laurent m'a alors suggéré d'inverser les croquis et j'ai donc collé les recherches destinées au flic pour le maire et vise-versa.

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène?
Honnêtement aucun n'est ressorti du lot. On va dire tous.

Photo de cimetière©A.DanLe travail sur les décors et les costumes de cette histoire fortement ancré dans l’Histoire a-t-il nécessité de longues recherches historiques? Quelles furent tes principales sources iconographiques?
Beaucoup de recherches sur le net pour les photos, quelques films (comme la Chambre des Officiers par ex.), les albums de Tardi évidement, et bien d'autres. Pour les décors, je suis revenu dans un patelin des Pyrénées que j'aimais étant gosse, le reportage photo s'imposait. J'ai adapté certains trucs en fonction des devantures de boutiques par exemple, trouvés au hasard du net.

Comment s’est déroulé le travail avec le Service de Santé des Armées?
Très simplement. Bamboo avait déjà ses entrées à l'occasion de la fabrique de l'album l'Ambulance 13. Et pour ma part je trouvais judicieux d'aller voir surtout les locaux pour une scène au Val de Grâce et quelques confirmations quant à des questions d'ordres psychologiques ou familiales des rescapés de la grande guerre. Evidement il me fallait aussi avoir des infos sur les bandages, les gueules … Ils m'ont cordialement reçu et surtout on sortit pour moi une masse impressionnante de clichés, d'archives qu'ils avaient même pris de le soin de photocopier à mon attention. Je suis donc reparti de là avec une pleine valise de photocopies. Très pro.
Autre chose: le musée national du train à Mulhouse, accueil très sympa et très pro. C'est un détail mais à cette époque, le réseau sncf n'existait pas. Chaque compagnie régionale se disputait un territoire et était équipé de machines comme de wagons spécifiques. Je ne voulais pas me planter et trouver la bonne micheline et les bons wagons de l'époque pour la scène d'entrée dans l'album où Félix arrive en train dans son pays d'origine. Reportage photo là aussi.

Recherche pour le personnage d'Ester©Bamboo/A.DanDans quelle ambiance sonore travailles-tu habituellement? Silence monacal  ? radio? musique de circonstance?
Sans jeu de mots: j'ai besoin d'être dans ma bulle donc musique dans le casque sur les oreilles, musique au pif. Par contre mon temps de concentration est court. Je bosse une heure, je pause 10mn-15mn et je reprends. Et autant je peux rester de l'aube au coucher sur ce rythme et plusieurs jours voire semaines d'affilé, autant quand je ne fais rien, je le fait longtemps … ;)

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
L'étrange destin de Benjamin Button.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Mon jardin secret le restera ;)

Rough de couverture©Bamboo/A.DanPour finir et afin de mieux cerner ta complexe personnalité, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

un personnage de BD : Arzack
un personnage biblique : Moïse
un personnage de roman: Jean Baptiste Grenouille (le Parfum)
un personnage de cinéma : Sam Lowry (Brazil)
un instrument de musique : la guimbarde
une chanson  : Ô Toulouse
un accessoire de dessinateur  : un pinceau (ça c'est bateau)
un jeu de société : des cartes
une ville : Montréal
une recette culinaire : la paëlla
une boisson : une bière (va pour une bonne pinte de Guinness)
une pâtisserie : beurk
un proverbe  : "ne jamais remettre à demain ce qu'on peut faire à une seule" (proverbe maison)

Un dernier mot pour la postérité?
«  casse'-toi pauv'con!  » (pourvu qu'on y arrive … le 6 mai)

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
'service!
Le Korrigan