Comment avez-vous attrapé le virus de la BD?
J'ai commencé très jeune à lire des magazines de BD, comme Vaillant, Spirou, Tintin, Mickey... J'y ai découvert un deuxième monde. Il y avait celui dans lequel je vivais : médiocre et sinistre...et puis ces petits bouquins magiques : des portes sur de vrais univers, des oasis d'imagination et de couleurs, dans la grisaille de l'époque. On pouvait déguster des cocktails concoctés par Delporte, Greg, ou Goscinny...Qui dit mieux ? En fait, je lisais tout ce qui me tombait sous la main, et j'étais rarement déçu. La télé de l'époque, le cinéma, ou la littérature, n'avaient rien à offrir de comparable, loin de là(sauf des revues comme Play-Boy ou Lui, qui m'ont donné le goût de la biologie). Un détail important pour l'imaginaire collectif de l'époque : la BD n'avait pas à attendre les effets spéciaux, et c'est elle qui a visuellement développé la SF.
Votre parcours semble pour le moins atypique, comment êtes-vous devenu scénariste de BD?
J'ai essayé pendant quelques temps d'envoyer des scénarios à des magazines, mais ça n'a jamais rien donné. J'avais complètement abandonné l'idée de faire un jour de la bd, et puis j'ai voulu faire un dernier essai. J'ai demandé à Delpierre, de Fluide, de me présenter un dessinateur. Il a bien voulu. Miracle. Encore merci, Monsieur Delpierre.
La page du théâtre est-elle définitivement tournée ?
Pour le théâtre, il y a de fortes chances. A moins qu’on ne me propose quelque chose de sympa. On ne sait jamais. Sinon, il faut prospecter, et c’est du temps plein.
Un petit mot sur le mouvement des intermittents ?
Les intermittents du spectacle risquent de se retrouver aussi mal lotis que les auteurs de BD. On ne leur souhaite vraiment pas.
Ceux que j’ai fréquentés dans la troupe de Bouvard essayaient de s’en sortir tant bien que mal en resquillant dans les trains, en marchandant avec les hôteliers ou en logeant chez des amis, en magouillant au resto, etc…. Cette situation n’a que trop duré, il ne faudrait pas qu’ils se croient en vacances. Je propose aussi qu’on cesse de les enterrer dans nos cimetières.
Quels sont vos auteurs fétiches?
J'aime toujours Tillieux, Goscinny, Uderzo. Il y a peu, j'ai relu Le Voyageur du Mésozoïque de Franquin. Ca m'a vraiment étonné. Je l'avais lu de nombreuses fois, mais je ne me souvenais plus à quel point c'était subtil. Mais j'ai beaucoup aimé aussi les albums qu'il a faits avec Greg, dans un autre registre.
Puisque l’humour et la dérision semble être votre tasse de thé, quels sont vos humoristes fétiches?
Olivier de Kersauson est le seul qui me fasse vraiment rire.
J’aime bien aussi Dupontel, Chevalier et Laspalès, Daniel Prévost, Alex Métayer…
Dupontel s’est lancé dans le cinéma avec des films décalés (Bernie, Le Créateur))… Les sirènes du huitième art ne vous attirent-elle pas ?
Ben, si…Je voulais faire le rôle de Martini dans Vol au dessus d’un nid de coucous. Mais ils ont pris quelqu’un d’autre (Le film a bien marché quand même. Je ne comprends pas.)
Mais je ne veux pas faire comme Albert ; moi je préférerais tourner des films bien calés plutôt, ça va mieux à regarder, sinon la bande saute.
Comment est né Baker Street et comment avez-vous rencontré Nicolas Barral?
Héhé, c'est la suite d’une question précédente... Donc, Delpierre me présente un jeune voyou nommé Nicolas Barral...
Petit flash back : je crois avoir eu l'envie de faire Baker Street en bd (j'avais déjà fait des sketches sur le sujet) en 87. J'ai donc proposé ça à quelques personnes, qui m'ont évidemment ri au nez, en m'expliquant à quel point j'étais un gros nul.
Dix ans plus tard, j'ai donc Nicolas au téléphone pour la première fois. A force de me faire refuser Baker Street, j'avais pris la décision de ne pas lui proposer, pour éviter de passer de nouveau pour le blaireau de service. Et puis en discutant, j'ai craqué : je lui ai proposé tout de suite ! (j'suis un peu têtu). Il m'a répondu qu'il avait l'intention de traiter le sujet depuis un moment, et que j'arrivais à point nommé. Bon.
Qu’est ce qui vous a attiré dans le personnage de Sherlock Holmes et comment est née l’idée d’une version déjantée du héros de Conan Doyle?
Ce personnage nous force à explorer des situations étonnantes. De plus, elles doivent être intellectuellement stimulantes, sinon elles n’ont pas leur place dans le contexte.
Comment naissent les idées ? Euh, je n’en ai pas la moindre idée…
En fait, ça se fait spontanément. Le vrai travail c’est de trouver un décideur qui en veuille bien.
Avez-vous reçu des réactions hostiles à votre adaptation décapante du mythe? Vous attendiez-vous à vous voir décerner le prix le prix Groom 2002 par la société SSHF (Société Sherlock Holmes de France)?
Non, j’ai toujours pensé que si on aimait l’original, on ne pouvait qu’être attendri en retrouvant les personnages. C’est ce que ça nous fait, à Nico et à moi. On est toujours étonnés (et contents) de l’engouement suscité par le personnage, même dans sa version « décapante ».
Paradoxalement, nous sommes peut-être finalement plus près de l’original que ce qu’on peut trouver dans des versions sérieuses. Quand Conan Doyle décrit le caractère et le comportement de Holmes, cela donne une fois illustré, quelque chose de fondamentalement drôle. Je suis sûr qu’il devait ricaner dans sa barbiche en écrivant certaines scènes.
N’oublions pas non plus, que Conan Doyle en a eu vite marre de Holmes, et qu’il s’en est débarrassé. Moi je prends souvent des notes sur Baker Street, tout en sachant qu’on n’aura malheureusement jamais le temps de faire tous ces albums (on pourrait enfermer Nicolas dans une cave, et le forcer à travailler, nuit et jour. C’est une piste de réflexion, je lance le sujet. N’hésitez pas à m’envoyer vos suggestions.) Cela veut dire que mon attachement à Sherlock Holmes, a résisté à l’épreuve de la reprise du sujet. C’est plutôt bon signe.
Avec votre complicité, il devrait être aisé d’organiser un enlèvement… Reste à trouver un lieu de stockage de dessinateur doué… Hum… Il faudra que vous nous donniez les références de son matos de travail, afin qu’il puisse se mettre de suite au travail et ce afin de ne pas perdre de temps…
Non, écoutez, la plaisanterie va trop loin. Je ne veux pas cautionner ce genre de choses. Vous risquez de le brutaliser.
………..
Bon d’accord, mais alors vous me promettez de faire attention à sa main droite.
On a souvent l'habitude de montrer le travail des dessinateurs, du crayonné en passant par l'encrage et la mise en couleur. Je trouve dommage que celui du scénariste reste dans l'ombre, aussi vous serait-il possible de nous présenter le découpage d'une planche du dernier Baker Street?
Il n'y a pas grand chose de particulier à propos de ma façon de scénariser Baker Street. Une fois que Nicolas a reçu les pages, il y a un deuxième travail au niveau des crayonnés, où l'on cisèle la mise en scène jusqu'à ce qu'on en soit content.
Mais serait-il possible de voir l’un de ces découpage, pour une planche donnée ?
_Vous pouvez en montrer un ?
_ Oui !
_ Il peut le montrer ! Applaudissez Mesdames et Messieurs !
(page 5, avec un décalage de 2 cases)
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Comment naissent les intrigues de Baker Street ?
Les intrigues sont un pur exercice de logique. Donc, on prend de quoi écrire, et on commence l’épreuve. Sauf qu’il n’y a pas de temps limite pour rendre sa copie. Cela dit, la documentation offre de nombreuses pistes.
L’élaboration des scénarios nécessitent-elle un gros travail de recherche documentaires et picturales ?
Suivant les séries, ça peut aller loin dans la folie. Le summum concerne peut-être les 2 Baker Street qui se passent en Inde. Je suis allé jusqu’à me commander un double CD pour avoir les ambiances sonores naturelles du Sri Lanka (jungles du Sri Lanka, par Roché et Walker, présenté par Bougrain Dubourg, Frémeaux & associés).(C’est comme pour les Space Mounties, au début j’indiquais dans le scénario,le cri des animaux, pour évoquer les ambiances sonores. Je me suis calmé un peu, quand même.)
Sinon, j’ai enregistré des émissions sur les lions de Gir, les éléphants, les parcs nationaux, les monuments, les épices, la province du Kerala, les trains, etc…
Des livres sur l’histoire, les tribus…Heureusement, j’ai un ami passionné d’ethnologie, qui habite pas loin, et qui possède une bibliothèque monstrueuse.
Et puis il y a aussi la documentation pour toutes les scènes et péripéties qui n’ont pas été utilisées au final.
Mais c’est une partie du travail qui est toujours stimulante. Et puis on pense au malheureux dessinateur qui va devoir se taper un boulot monstrueux, et ça donne du cœur à l’ouvrage.
Quels bouquins conseilleriez-vous à des personnes désireuses d’en apprendre un peu plus sur le siècle de Sherlock Holmes ?
Bonne question, futé Korrigan. Pèlerinage à Londres, de Jerrold et Doré. Et Oscar Wilde’s London (je ne sais pas s’il y a une édition française).
Quel est votre dernier coup de cœur BD ?
J’ai bien aimé Némésis, le n°4 de la série La Croix de Cazenac.
Sinon, la question suivante était bien quelque chose du genre :
Avez-vous d’autres projets BD en préparation ?
Surtout de la SF, et aussi une série contemporaine, dans le style réaliste. Ah, au fait, si vous connaissez des dessinateurs techniquement costauds, et acceptant toutes les humiliations, vous pouvez leur donner mon adresse e-mail.
Il y a peu, le mystère de la chambre jaune, avec pour héros Roultabille, le Sherlock Holmes Français, a été adapté au cinéma… Qu’avez-vous pensé du film, si vous l’avez vu ?
Sorry, je ne vais pratiquement jamais au cinéma.
Quel est votre dernier coup de cœur cinéma ?
Idem. J’ai dû voir un film en 4-5 ans(dans une salle, car je regarde quand même la télé). Minority Report, c’était très bien ; d’autant plus que je n’aime pas trop les scénarios utilisés par Spielberg, exception faite des Dents de la Mer, et de 1941.
Malheureusement, je suis très rarement emballé par les scénarios de films. Par contre, j’aime bien les acteurs.
J’ai revu 2001, il y a quelque temps, et j’ai beaucoup mieux apprécié que la première fois. Etonnant, car en général, c’est l’inverse. La dernière scène est extraordinaire.
Quel personnage prenez-vous le plus de plaisir à mettre en scène dans Baker Street?
J’ai bien du mal à …(qu’est-ce-que c’est que cette couleur ? On ne voit rien !)(voilà, c’est changé) choisir entre Holmes et Watson, car ils peuvent être très surprenants tous les deux.
En effet, j’allais me décider pour l’imprévisible Holmes, mais quand on voit Watson dans l’Ombre du M, début de la page 34…ah, le salaud.
Du coup, je ne sais plus.
J’aime bien utiliser Lestrade dans l’absurde, aussi. Ca peut aller très loin.
En tant qu’auteur comment percevez-vous les séances de dédicaces ?
Quand on peut discuter avec les lecteurs, pendant que le pauvre* dessinateur transpire sur la dédicace, c’est très bien. On fait ce métier uniquement pour l’argent, mais quand on rencontre des gens enthousiastes, ça fait quand même quelque chose. J’aime bien quand ils discutent entre eux à propos d’une situation vue dans un album : ils mettent en scène un personnage, et on dirait qu’il s’agit de quelqu’un de réel. C’est toujours étonnant et agréable d’avoir quelque chose en commun avec autrui, et d’autant plus si c’est vous qui avez construit ce point précis.
* non, il ne faut pas les plaindre.
Que pensez-vous de la spéculation galopante qui se développe actuellement dans le milieu de la BD ?
Ah bon ? Y’a une spéculation ?
En tout cas, les auteurs qui bossent depuis au moins une dizaine d’années disent que le prix des planches(payé par les éditeurs) baisse constamment…
Par Spéculation, je voulais surtout parler de ce marché parallèle qui semblait se mettre en place (notamment sur le net) et où l’on voit fleurir les offres de vente de dédicaces, d’EO ou autres produits… Comment ressentez-vous cela en tant qu’auteur ?
N’étant pas concerné, j’avoue ne rien ressentir.
Où en sont les prochaines aventures du plus talentueux detective de Londres… hum… d’Angleterre… enfin du monde quoi !!!
Ben, et le suspense, alors ? Juste un minimum d’information : ça se passe surtout à Londres, cette fois-ci.
Y-a-t-il une question que je ne vous ai pas encore posée et à laquelle vous aimeriez néanmoins répondre ?
Ah, je vois, c’est moi qui fais tout le boulot.
Euh…Ah, la colle…Euh…
Question : Est-ce bien vous qui jouez le rôle de Predator quand il est dans les arbres ?
Réponse : Non. C’est Jean-Claude.
Comme le veut la tradition du site, et afin de mieux cerner votre complexe personnalité, un petit portrait chinois à la sauce chrysopéenne : (en s’efforçant, si faire ce peut, d’en expliquer sommairement les raisons
Ma personnalité n’est point complexe, cher Korrigan. Je suis au contraire simple, voire même ennuyeux.
Je me suis toujours demandé comment on pouvait répondre à cette espèce de test de Rorschach avec des mots. J’avoue que ça ne m’inspire pas ; mais celui-ci a l’air assez concret puisqu’il s’agit de personnages. On va essayer…
Si tu étais une créature mythologique : Zeus, comme ça je pourrais dire flûte à l’EDF.
Si tu étais un personnage historique : Darwin, pour l’aventure, la vraie.
Si tu étais un personnage biblique : Han Solo.
Si tu étais une homme politique : j’vois pas
Si tu étais un personnage de roman : Bertram Wooster. Pour l’insouciance.
Si tu étais un personnage de théâtre : j’vois pas
Si tu étais une œuvre humaine : j’vois pas.
Un Grand merci pour le temps que vous nous avez gentiment accordé…