Bonjour et tout d'abord, un grand merci de vous prêter au petit jeu de l'interview!
Question liminaire: êtes-vous farouchement opposé au tutoiement?
On peut se tutoyer sans problème, d'où je viens de Montréal au Canada, après quelques phrases échangées entre deux personnes, il est d'usage d'en arriver au tutoiement...
Peux-tu te présenter en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
Je m'appelle Thierry Labrosse et suis auteur de bande dessinée. Je suis né à Montréal où j'y vis depuis toujours. J'ai 50 ans et suis autodidacte. J'ai appris mon métier en travaillant, car dessiner est d'abord pour moi une passion. Cela dit, je n'ai pas de compte en Suisse du moins, pas pour le moment...
Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient tes auteurs de chevet?
Je ne lisais pas beaucoup de BDs mais feuilletais abondamment tout ce qui me tombait sous la main. Pendant des heures j'examinais les pages et dessins des grands dessinateurs réalistes de l'époque. Voici en vrac des noms de grands qui m'ont influencé au cours des quarante dernières années : Russ Manning, Sy Barry, Hermann, Jim Holdaway, Giraud-Moebius, Paul Cuvelier, Manara, Serpieri, Dave Stevens, Frank Frazetta. Et là, je vous épargne tous les grands illustrateurs qui m'ont tout autant influencé par la suite...
Qu'est-ce qui t'a donné envie de devenir auteur de BD? Quelles sont les rencontres les plus marquantes de ta carrière?
Depuis ma plus tendre enfance j'ai rêvé de faire ce métier. À quatre ans on m'a offert les albums de Tintin, que j'ai inlassablement regardé et ce, bien avant de savoir lire. Je n'ai jamais eu de doutes sur ce que je voulais faire dans la vie.
Je n'ai malheureusement pas fais beaucoup de rencontres marquantes au cours de ma carrière, principalement parce que j'habite au Canada et ce faisant, je suis loin des auteurs et de l'industrie de la BD en général.
Par contre, depuis quelques années, je partage un atelier, ici à Montréal, avec Régis Loisel qui, je dois le dire, a beaucoup influencé mon travail actuel.
Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur? Et de scénariste?
Le plaisir est d'abord d'exercer jours après jours ce métier que j'aime. Bien sûr il y a des difficultés, mais par défi, j'aime venir à bout de chaque problème, trouver des solutions, faire confiance à mon instinct et finalement me dépasser. J'ai été surpris de voir comment écrire (Ab irato est mon premier scénario) était d'abord une disponibilité à l'intuition encadré par une rigueur acharnée. Quand je termine un truc, je suis souvent dans la déception et dans le doute mais par contre, quand je le retrouve des mois après, il m'arrive de me dire : "Franchement, il est pas mal celui-là !!!". Depuis que je suis auteur complet, j'avoue être fier de Ab irato, c'est comme si j'avais développé tout mon savoir-faire pour un jour, lui donner vie... J'ai la nette impression d'être là où je dois être, à faire ce que je dois faire. C'est une très bonne sensation...
Ab Irato est la première série dont vous signez scénario, dessins et couleurs... Comment est né ce projet de récit post apocalyptique?
Ce projet, il me semble, m'habite depuis toujours. Jeune adulte j'ai été marqué par des films tel que Blade Runner ou encore, The Road Warrior avec Mad Max. J'aime ces histoires d'anticipation, plausibles et quasi-probables qui se situent à une époque pas trop loin de la nôtre. Avec Ab irato j'ai cherché à créer une histoire originale et personnelle à partir des archétypes classiques liés à ce genre. Je pense y être arrivé...
Souvent, les BDs d'anticipation dénoncent les dérives de la société qui les a fait naître. Qu'as-tu particulièrement voulu mettre en avant avec Ab Irato?
Mon souci est d'abord de créer un monde plausible dans lequel mes personnages auront à se dépasser et vivre leur destin. L'homme est au centre du débat, le contexte est accessoire. Loin de moi le besoin de faire la morale, mais il est clair que le monde que je dépeins est directement lié à la route sur laquelle nous sommes tous embarqués... J'ajouterais, j'espère sincèrement me tromper...
On l'espère aussi!
Comment as-tu abordé les décors de ton histoire qui esquisse un futur des plus inquiétants…
Je suis parti du principe que la société de consommation de masse avait depuis longtemps disparue et que seul l'élite jouissait des marchandises à la fine pointe. Les décors de la ville représentent des décennies de négligence, jumelé à une montée des eaux dans certains quartiers, ainsi qu'un cruel manque de ressource pour les habitants qui y vivent.
Etant à la fois scénariste et dessinateur, as-tu déjà une idée graphique de ce que seront les planches au moment de l'écriture?
Oui, les scènes se jouent dans ma tête au moment de l'écriture et même, dans certains cas, bien avant. Par contre, au moment de la mise en page, je dois les ajuster au langage du cadrage et aux différentes contraintes que pose la scène car mon soucis est d'abord de rendre l'ensemble limpide aux yeux du lecteur. Donc entre la scène imaginée et celle dessinée, il peut y avoir pas mal de surprise, même pour moi...
Tu sembles avoir expérimenté une nouvelle approche graphique avec cette série. Peux-tu nous parler de la façon dont tu as travaillé, du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de ton travail?
J'ai toujours plus ou moins fonctionné de la même manière. Une fois la scène écrite, je note ce que je dois dessiner dans chaque case sous forme de liste. Ensuite, je fais une petite esquisse grande comme une boîte d'allumette de la page dans son ensemble. C'est à cette taille que je fais mes choix de prise de vue, d'angles de caméra, de rythme et de cadrage. Un fois ce schéma miniature établi, je passe à la taille finale de la planche sur papier A3. Là, de manière très jeté, je dessine mes cases de façon instinctive en me fiant à cette petite esquisse. Nous sommes dans le dessin pur où l'anatomie des corps est posée sur des structures de perspectives. En cour de route, d'autres choix seront fait. Une fois que je suis satisfait de l'ensemble, sur une seconde feuille je reprends la planche au propre sur table lumineuse. Celle-ci deviendra l'original de l'album. Contrairement à la série Moréa que je dessinais alors, je ne fais pas d'encrage dans Ab irato, je laisse le dessin à la mine et le scanne ainsi. Après, dans Photoshop, j'ajoute la couleur et les bulles lettrées qui sont faite indépendamment sur papier à l'aide de feutres.
Lorsque tu t'attèles au dessin, dans quelle ambiance sonore travailles-tu? Silence religieux? Musique de circonstance?
Je dessine toujours avec de la musique, vous allez rire de moi mais j'écoute religieusement les Doors depuis plus de 30 ans !!! D'ailleurs, pour les moments où j'ai besoin d'être totalement concentré j'écoute les mêmes pièces qui sont devenues au fil du temps, une sorte de mantra avec lequel j'arrive à dessiner presque n'importe quoi. Ces même pièces, que je ne peux toujours pas chanter par cœur, tellement je suis en transe pendant l'acte de dessiner... J'écoute bien sûr autre chose mais si on fait le bilan, les Doors ont été présent à 80% du temps.
Par contre quand j'écris, j'ai besoin de silence ou de musique d'ambiance...
Quelle étape de l'élaboration d'un album te procure le plus de plaisir?
L'imaginer, après, c'est du boulot... non je rigole. J'aime, en général, chacune des étapes liées au dessin. La plus ardue, pour moi, est sans doute celle de la finition du dessin, car elle me semble toujours interminable. L'écriture est un domaine nouveau pour moi. J'aime ce volet, mais pas assez pour écrire pour d'autres.
Comment abordes-tu généralement l'apparence de tes personnages? Riel et Nève ont-il d'emblée eu cette physionomie?
Non, entre la première esquisse et la version finale ces deux personnages ont changé, surtout Nève. Dans la première version de l'histoire elle avait de longs cheveux teint blanc et travaillait dans un bar de danseuses. À l'écriture de la version finale du scénario elle est devenue celle qu'on connaît aujourd'hui. Un bel exemple que l'histoire suit sa propre logique et qu'en tant que dessinateur, il faut lui faire confiance...
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur? (musique, ciné, BD,romans, jeux…)
Resident Evil 5, c'est un jeux vidéo de 2009 dans lequel on se croirait en pleine bande dessinée, je ne sais plus combien de fois j'y ai joué. Les personnages principaux sont extraordinaires et celui de Sheva est un des plus beau personnage féminin fort que j'ai croisé, tous médias confondus.
Y a-t-il une question que je n'ai pas posée mais à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Oui, j'aime la vie.
Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD : Le Fantôme
un personnage biblique : Noé
un personnage de roman : James Bond
une chanson : When The Music's Over
un jeu de société : Pile ou face
une recette culinaire : Mezzé
une boisson : Eau
une pâtisserie : Le croissant aux amandes
un proverbe : Tout vient à qui sait attendre
une ville : Métropolis
une date historique : le 29 février
Un dernier mot pour la postérité?
Mon meilleur matos est à venir...