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Entretien avec Thierry Murat
Interview accordée aux SdI en mars 2013


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Merci à vous pour l’invitation …

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Ça dépend… On vouvoie surtout les vieux, non ? Mais les jeunes me tutoient encore… Alors allons-y avec le « tu » si tu veux…

Merci bien ! Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés aux Îles Caïmans …) ?
Je viens d’avoir 47 ans. Pas tout à fait vieux, tu vois, mais plus tout jeune non plus. Je suis né en 1966 en Dordogne, j’ai passé toute mon enfance et mon adolescence à Bergerac, une petite ville où il faisait bon vivre à la fin des années 70, début 80. Après le bac, je suis parti faire des études d’arts appliqués à Poitiers. Ensuite je suis redescendu sur Bordeaux pour travailler en agences de pub pendant une bonne dizaine d’années et début 2000 j’ai tout plaqué pour « faire l’auteur ». En cette fin de 20èmesiècle, j’étais fasciné par le renouveau de la littérature jeunesse généré par les éditions du Rouergue, notamment… C’est donc, tout naturellement que je me suis dirigé vers cet éditeur pour publier mon premier bouquin. Un album jeunesse donc. Puis deux, puis une série d’illustrations pour un petit roman. En 2002, j’avais l’impression d’avoir enfin mis un pied dans le merveilleux monde de l’édition. J’avais 36 ans. Et c’est aussi à cette époque que je suis devenu papa pour la première fois. Aujourd’hui, je vis dans les Landes avec ma compagne et nos 3 enfants.

Les larmes de l'assassin (extrait de la page 121) - © Thierry Murat - éditions Futuropolis - 2011Enfant, quel lecteur étais-tu ? Quels étaient tes auteurs de chevet ?
Je suis fils d’instituteurs (père et mère). Mais paradoxalement, il y avait peu de livres à la maison. L’accumulation des biens culturels n’était pas encore à la mode… En revanche, comme je trainais souvent dans la classe de mon père avant et après les cours, je me plongeais dans les étagères poussiéreuses de la bibliothèque de l’école. Mais je n’étais pas un gros lecteur. Il me fallait surtout des images…Les documentaires historiques illustrés, les « Tout l’Univers », par exemple… Je n’avais pas vraiment de livres de chevet avant l’âge de 12 ans. Un seul livre de ma petite enfance me revient en mémoire. C’est un livre de Tomi Ungerer, je crois… Mais lequel ? Peut-être « Jean de Lune » ou « Orlando »… Je ne sais plus. Vers 13 ans, c’était « l’écume des jours » de Boris Vian, ça je m’en souviens !

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Faire des livres, au sens large, oui, c’était un rêve de gosse. Et faire de la bd, plutôt un rêve d’ado…
Je n’ai jamais été vraiment fan des classiques, Lucky Luke, Astérix, Boule et Bill et compagnie…En revanche, Tintin, oui ! Mais c’est une autre histoire… Trop longue à raconter, comme le sont les histoires d’amour. Bref, à 14 ans, je découvre« DELIRIUS » de Druillet et « ARZACH » de Moebius. À 15 ans je m’achète une plume et de l’encre de chine et je me mets à dessiner comme un forcené avec des petites hachures partout ! Le fameux « modelé » à la sauce Moebius… Il fallait fumer pas mal de moquette pour arriver à noircir patiemment une feuille A4, à coups de petits traits de plume… Oui, c’était vraiment une époque passionnante, où la bd devenait enfin adulte, comme nous, les ados de l’époque : « Puberté, Rock et BD ! ». C’était très jubilatoire de voir arriver les tout premiers romans graphiques de la collection ( A SUIVRE ), Les premiers Muñoz & Sampayo, et puis bien sûr le magnifique « Silence » de Comès ! A 17 ans, c’était évident pour moi. Je ferais de la bd un jour ! Mais je ne me doutais pas que la route serait si longue et surtout que je m’endormirais en chemin, pendant 10 ans dans une agence de pub. Ce n’est pas si facile de réaliser ses rêves… Heureusement, sinon ça n’aurait aucun sens.

Elle ne pleure pas elle chante (couverture) - © Thierry Murat & Corbeyran - éditions Delcourt (collection mirage) - 2004 Tu fais tes premiers pas en BD en 2004 avec Eric Corbeyran, excusez du peu, pour l’intimiste Elle ne pleure pas elle chante. Comment s’est faite cette rencontre et comment est né ce projet ?
Je connais Eric (Corbeyran) depuis longtemps… Nous nous étions croisés à Poitiers, dans les années 80. J’étais étudiant aux Arts Appliqués et lui, était travailleur social. En fait, il faisait son « service national civil » en tant qu’objecteur de conscience (ceux qui refusaient de faire leur service militaire pour raisons idéologiques sérieuses). Il n’avait encore rien publié. Nous avions 20 ans… Il écrivait déjà quelques petits scénarios pour des fanzines. Il dessinait aussi ! Ça ressemblait un peu à du Frank Margerin en beaucoup moins bien… (Rires !). Nous nous sommes retrouvés par hasard, quelques temps plus tard dans les années 90 à Bordeaux, à l’époque où je travaillais dans la pub et lui commençait à publier sa première série chez Vents d’Ouest. Et c’est en 2003, alors qu’il était déjà bien installé dans le métier (« Le chant des Stryges » commençait tout juste à cartonner), qu’il m’a proposé de faire de la bd… Et chez Delcourt, en prime ! C’était pour moi complètement surréaliste… Je venais tout juste de lâcher la pub et de publier mes 2 petits bouquins jeunesse aux éditions du Rouergue. J’avais complètement oublié mes rêves d’ado et de bd. Eric les a fait ressurgir immédiatement. Il m’a juste dit : « Tu attends quoi ? D’avoir 50 ans pour te réveiller un matin et t’apercevoir que tu es passé à côté de tes rêves ? ». Un grand merci à lui !
Eric avait sous le coude ce projet d’adapter en bd, le roman d’Amélie Sarn, « Elle ne pleure pas elle chante ». Amélie était une amie à lui. Il avait déjà écrit plus de la moitié du scénario et il cherchait quelqu’un pour dessiner cette adaptation. Le projet plaisait déjà beaucoup à Guy Delcourt, il ne restait plus qu’à trouver le « bon » dessinateur. Je me suis donc lancé tête baissée et j’ai fait 5 pages d’essai… J’ai eu de la chance de pouvoir trouver tout de suite au fond de moi l’énergie pour faire ces quelques pages qui ont séduit Guy Delcourt au premier coup d’œil. On a signé le contrat dans la foulée. Du jour au lendemain, je devenais auteur de bd ! « Drôle » de manière de commencer dans la bande dessinée avec un premier récit comme celui-ci… L’inceste, c’est vraiment la pire des saloperies que peut engendrer l’humanité ! Ce fût très étrange de passer plus d’un an à bosser sur cette histoire. J’étais tout jeune papa… Je me suis protégé comme j’ai pu. J’ai essayé de garder de la distance par rapport à ce texte d’une violence extrême. C’est peut-être pour cela que les lecteurs ont ressentit une sorte de mise à distance dans la narration visuelle, qui finalement aide à la lecture, La rend plus « acceptable ». Je crois que je ne referais jamais un bouquin comme celui-ci… Même s’il fait parti des livres dont je suis le plus fier…

Ysoline (extrait de la page 29) - © Thierry Murat & Rascal - éditions Delcourt (collection Jeunesse) - 2006 En 2008 tu publies chez Delcourt Jeunesse, Ysoline avec Rascal. Comment l’as-tu rencontré ?
Comme je te le disais plus haut, j’étais (et suis toujours) un gros lecteur de littérature jeunesse, surtout pendant la période 1990 – 2000. Et j’aime le travail de Rascal depuis longtemps. J’étais même complètement fan de son écriture, je dois bien l’avouer. Mais je ne le connaissais pas personnellement avant ce passage à Arcachon lors d’un salon du livre en 2006… Dans la salle du restau où mangeaient les auteurs invités, est entré un type avec une crinière blanche et des grosses valises sous les yeux… Il s’est assis en face de moi par hasard. Il m’a demandé mon nom et il m’a dit : « Ha, c’est toi qui a dessiné Elle ne pleure pas elle chante, beau bouquin… ». Et là je n’ai même pas eu le temps de passer par la case « groupie de service » du genre : « J’aime beaucoup ce vous faites Monsieur Rascal… ». Non, on a tout de suite enchaîné sur les bases saines d’une vraie amitié. On a parlé d’illustration, de peinture, de bande dessinée, des « Peanuts », de « Mafalda » et de « Calvin et Hobbes » notamment. Et je sais que c’est à ce moment-là, qu’il a eu l’idée de m’écrire « Ysoline ». Ysoline, c’est le prénom de cette petite fille rousse, rêveuse et désinvolte, qui devait être le personnage de notre série jeunesse chez Delcourt, et puis la loi des chiffres de ventes a fait que nous en sommes restés au tome 1. C’est déjà pas mal, mais c’est dommage. On s’est juré qu’on ne nous y reprendrait plus ! Le marché de la bd jeunesse aujourd’hui, c’est un miroir aux alouettes… Le marché de la littérature jeunesse est en bonne santé, mais pas celui de la bd jeunesse.

Zone industrielle en bordure de voie ferrée (recherche préparatoire pour Au vent mauvais) - © Thierry Murat - 2012 Au vent mauvais vient tout juste de paraître aux éditions Futuropolis. Comment est né ce road-movie mettant en scène un ancien détenu?
Après cet épisode un peu foireux avec « Ysoline tome 1 » on est allé avec Rascal, chez Delcourt et on a tout cassé ! Guy Delcourt a porté plainte pour coups et blessures et on s’est retrouvés en taule. Et à notre sortie de prison… Non, je plaisante, bien sûr ! (Rires !)
Après l’épisode « Ysoline » on s’est tout de suite dit qu’on ferait mieux de faire de la bd adulte, du roman graphique… L’idée a pris du temps pour germer. Entre temps, Rascal a continué son chemin d’auteur à succès en littérature jeunesse chez son éditeur de toujours, « Pastel - l’École des Loisirs » et moi je suis arrivé chez Futuropolis avec un beau projet : « Les larmes de l’assassin » qui est sorti en février 2011… C’est à ce moment-là, que l’on a commencé à réfléchir sérieusement à ce road-movie, puisqu’on savait plus ou moins que Futuro serait la bonne maison pour accueillir ce bouquin.
L’envie d’un road-movie était là depuis longtemps. Restait juste à savoir comment et pourquoi… Le « pourquoi » on l’a su assez vite. Les récits de Rascal sont toujours liés au sentiment de liberté retrouvée, de voyage, d’errance, de vagabondage. Mon livre préféré de lui c’est « Le voyage d’Oregon » chez Pastel, illustré par Louis Joos. Un beau récit jeunesse dans la pure tradition du road-movie américain. Un chef d’œuvre !
La question du « comment » a été plus longue à résoudre. Avec « Au vent mauvais », c’est la première fois que Rascal écrit directement pour les adultes. Je dis « directement » parce qu’il ne fait jamais de concession lorsqu’il écrit pour la jeunesse, il écrit pour tout le monde. Un texte de Rascal, c’est toujours du Rascal, point barre. Rascal ne fait pas des livres « pour enfants » comme on ferait de la pâtée « pour chat » ou comme on serait coiffeur « pour dame ». Je sais qu’il aime bien dire qu’il fait « des livres d’enfance ». Ce n’est pas tout à fait la même chose…
Mais bon… Là, en ce qui concerne « Au vent mauvais », il s’agit clairement d’un roman graphique adulte. Un vrai de vrai. Avec des poils ! Bref, Rascal a su, je ne sais comment, m’écrire ce texte presque d’une seule traite, avec toutes ses obsessions à lui, de voyage, de liberté et aussi les miennes, les silences narratifs, la solitude, l’omniprésence des marques, des enseignes, de la signalétique urbaine, et bien d’autres choses encore…
Le choix de mettre en scène un ancien détenu n’est qu’un prétexte. Ce n’est pas un livre là-dessus… Ce n’est pas un livre à thème, comme on en voit beaucoup aujourd’hui. Un livre sur les femmes battues, par-ci, un autre sur la guerre en Palestine, par-là… Le journalisme ce n’est pas vraiment notre truc. Nous ne sommes pas des auteurs très « utiles » en ce qui concerne les grands débats de société… On est juste des littéraires, amoureux de l’image et de la poésie du regard. C’est ça qui nous rapproche le plus tous les deux, je pense. Notre personnage principal sort de taule, effectivement, mais c’est très anecdotique, finalement. Il s’agissait juste de le mettre dans la peau d’un homme neuf. Complètement usé, mais neuf. Prêt à repartir pour un tour de manège gratos ! Il aurait pu sortir d’une dépression, d’une rupture amoureuse, ou d’un séjour à l’hôpital en soins palliatifs, le récit aurait été presque le même…

Le voyage d'Oregon - © Louis Joos & Rascal - Pastel / l'École des Loisirs - 1996 Honte à moi! Je n’avais pas fait le lien entre Rascal et le Voyage d’Orgon… Je savais qu’il avait bossé dans la littérature jeunesse mais le Voyage d’Orégon, mazette ! C’est un chef d’œuvre cet album !
Oui, pour moi ce livre jeunesse est un symbole, une icône, un totem… Il est sorti en 1996. C’est ce que l’on appelle un classique. Tu te souviens sûrement de la couverture ! Magnifique image de Louis Joos. Belle et forte, tellement elle est simple et évidente : Au beau milieu d’un immense champ de blé, un ours (un vrai, pas un nounours…) marche debout sur ses pattes arrières. Il porte sur ses épaules un vieux clown, un nain… C’est un livre qui est dans toutes les bibliothèques d’écoles.
Je suis tellement fier de faire aujourd’hui de la bd avec « le mec qui a écrit le Voyage d’Oregon » !
C’est la classe totale…

Découpage textuel pour Au vent mauvais - © Thierry Murat & Rascal - 2012Comment avez-vous travaillé avec Rascal sur cet album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles ont été les différentes étapes de votre travail en commun ?
Au tout début, Rascal m’a proposé une phrase. Une seule… La première : « Je suis sorti comme j’étais entré, mêmes fringues pourries sur le dos et sac Tati à la main, juste plus léger, côté des illusions… ». Il m’a demandé si on pouvait partir là-dessus. J’ai dit oui, sans hésiter ! Il m’a ensuite raconté rapidement au téléphone le pitch de l’histoire. Aucune trace écrite, juste à l’oral. C’est terriblement attirant une histoire lorsqu’elle n’est pas encore formalisée précisément. Tout est possible… J’ai donc attendu patiemment qu’il se mette à écrire. Ça a été très rapide. Deux ou trois mois plus tard, il m’a envoyé un texte écrit à la première personne. Comme un petit roman. Une forme courte, une sorte de nouvelle, comme savent le faire les américains, une narration concise et extrêmement efficace. Donc, pas de scénario comme on l’entend habituellement. Pas de découpage visuel, non plus.
Voilà, à partir de là, c’est moi qui prend les choses en main. Découpage, mise en scène, choix des images… Je gribouille rapidement au stylo bille une série de doubles pages dans un carnet Moleskine et c’est à ce moment que je m’approprie le texte, j’enlève, je rajoute des choses en fonction de ma mise en scène. Je réécris partiellement. Tout en conservant l’essentiel, l’esprit, et surtout le ton si particulier de mon copain Rascal que je connais bien… Ensuite, je finalise ces pages en noir et blanc. Je préfère lui montrer cela… Mes crobards ne sont vraiment que des gribouillis et on peut, sur un brouillon, ne pas comprendre précisément mes intentions et du coup, faire fausse route dans un faux débat… Donc à l’étape des planches finalisées noir et blanc, et pas avant, c’est là que Rascal se réapproprie son texte et vient remodeler une phrase par-ci, un mot par-là pour que ça sonne comme du Rascal ! En règle générale, il ne revient pas sur mes choix de couper tel ou tel passage ou de rajouter tel ou tel autre. Il sait parfaitement que ce sont les besoins de la mise en scène qui impliquent de faire ces choix et il me fait confiance… En revanche, sur la forme littéraire, Rascal repasse systématiquement derrière moi pour que la musique des mots soit vraiment la sienne. Une fois que nous sommes tombés d’accord sur toutes les corrections de texte, je peux enfin passer à la mise couleur. Nous avons travaillé ainsi, en aller-retour, par lots de 10 ou 20 pages à chaque fois.

Découpage visuel pour Au vent mauvais - © Thierry Murat - 2012 Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Evidemment et sans hésiter : le découpage visuel et la narration… C’est ce que préfère, raconter des histoires… C’est là que ça passe. Tout le « jus » du bouquin est dans cette première phase de travail, dans ces gribouillis. En plus c’est une étape rapide, immédiate. Et c’est très excitant, j’ai l’impression de raconter presque à la même vitesse que le rythme de lecture du futur lecteur… La finalisation des pages, c’est un autre type de plaisir. C’est le plaisir du dessin… Soigner les cadrages, chercher à simplifier l’image au maximum pour ne véhiculer que ce qu’il y a à raconter, et rien d’autre… En tout cas, rien qui puisse perdre le lecteur. J’essaye de faire systématiquement une image frontale à chaque case. Pour faire une métaphore musicale, je privilégie plutôt le riff incisif au solo interminable de guitare… C’est beaucoup de boulot de tri, de schématiser ainsi une narration visuelle. Mais c’est passionnant.

Comment as-tu opéré tes choix graphique pour ce road-movie ?
Quelle(s) technique(s) as-tu utilisé ?

Je n’ai pas fait de choix esthétique particulier pour ce livre. J’ai travaillé comme je travaille aujourd’hui, depuis mon précédent bouquin que j’ai publié en solo chez Futuropolis en 2011, une libre adaptation d’un roman d’Anne-Laure Bondoux, « Les larmes de l’assassin ». Avec ce bouquin, j’avais enfin trouvé mon écriture graphique, une facture et une gamme de couleur assez personnelle… J’ai abordé « Au vent mauvais » avec la même technique et les mêmes outils. Je dessine à l’encre de chine (pointe tubulaire et pinceau) sur du papier blanc. Ensuite je fais ma mise en couleur à part, sur des papiers de couleur un peu accidentés, bruts, des cartons bruns ou des cartons gris… L’ordi me sert uniquement à assembler mon dessin noir et blanc avec cette matière colorée. J’essaye de rester sur un monochrome pour chaque case.

Chaque planche distille une ambiance forte qui immerge le lecteur dans l’histoire et le fait embarquer avec Abel Mérian à bord de la Volvo 780. Dans quelle ambiance sonore as-tu travaillé pour cet album ? Silence monacal ? Radio ? Musique(s) de circonstance(s) ?
Ces temps-ci, je travaille plutôt en silence… J’adore la musique mais pour bosser, c’est particulier… Disons que cela dépend de mon humeur et surtout de la phase de travail en question. Sur la réflexion du découpage, l’écriture, bref, la fameuse étape des gribouillis, il me faut le silence monacal. J’ai besoin d’entendre clairement la musique du texte que je suis en train de mettre en scène, la musique des mots, pour pouvoir faire naitre les images. En revanche, pour finaliser les pages, lorsqu’il ne s’agit « plus que » de dessiner, une fois que toutes les questions de narration étaient résolues, j’avais pris l’habitude de me mettre un bon disque. Par exemple, sur les conseils de mon ami Marc Daniau (illustrateur jeunesse), le dernier album très « on the road » du vieux Neil Young et de son Crazy Horse, « Psychedelic Pills ».

Deux cases inédites pour l'adaptation en bande dessinée du Vieil homme et la mer d'Hemingway (à paraitre chez Futuropolis en 2014) - © Thierry Murat - 2012 Sur quel projet travailles-tu actuellement ?
Attention c’est un scoop ! Depuis plus de 6 mois, nous sommes (avec les éditions Futuropolis) sur un gros coup... Un gros poisson ! J'ai manifesté un jour, l'envie d'adapter « Le vieil homme et la mer » en bande dessinée. Une libre adaptation, une relecture personnelle et donc subjective, réécriture, etc... Bref, une vraie adaptation. Pas une version « classique illustré ». Un truc d'auteur, quoi... Futuro était partant en me prévenant quand même que ce n’était pas gagné, que c'était vraiment un challenge incroyable d'essayer d'obtenir les droits d'un monument pareil, surtout pour de la bd. J'ai donc fait une note d'intention allant dans ce sens (libre adaptation, réécriture, respect de l'œuvre, hommage, etc...) et 5 planches (pas les 5 premières. Plutôt vers le milieu du récit...) histoire d'appâter le poisson. Le dossier est parti chez les ayants droits de la famille Hemingway en juin 2012.
Donc, voilà… depuis 1 mois, c’est officiel, la famille Hemingway a enfin signé !
Je n'en reviens encore pas ! Maintenant, il faut faire le livre... 120 pages sur la mer. 3 jours, 3 nuits, une barque, un vieux cubain qui radote et un poisson opiniâtre...
Je viens juste de signer le contrat avec Futuro et le livre devrait sortir en mars 2014.
Ça aussi c’est un rêve de gosse ! Je ne sais plus qui a dit que réussir sa vie, c’est réaliser un a un tous ses rêves de gosse. Ce n’est pas Jacques Séguéla, c’est sûr ! Tu peux vérifier…

Au vent mauvais (planche 2) - © Thierry Murat & Rascal - éditions Futuropolis - 2013 Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Un « vieux » film de 2005, de Maurice Barthélemy « Papa » avec Alain Chabat dans le rôle titre.
L’adaptation de « Ernest et Célestine » en dessin animé, écrite par Daniel Pennac.
« Blast » de Larcenet, évidemment...
« Dans les forêts de Sibérie » le bouquin de Sylvain Tesson, chez Gallimard.
Le dernier Neil Young et le Crazy Horse « Psychedelic Pills » dont je t’ai déjà parlé…
L’esthétique musicale et littéraire du groupe « Moriarty ».
Les affiches, les dessins, les bouquins d’Isidro Ferrer un graphiste-auteur-illustrateur espagnol.


Quelques mots sur la triste disparition de Comès, parti trop tôt rejoindre Moebius, Guillon et Chaillet ?
C'est assez troublant cette nouvelle...
Parce que plus j'y pense (et j'y pense souvent) plus je crois me souvenir que c'est après avoir lu « Silence » en 1980, dans la collection (A SUIVRE), que je me suis vraiment dit que je ferai ce métier un jour, quoi qu'il arrive…
Et le 7 mars 2013, date de la sortie officielle de mon dernier bouquin « Au vent mauvais » en librairie, j’apprends la mort de Didier Comès…
J’ai davantage de tendresse pour « Silence » que pour l’œuvre générale de Comès… « Silence » c’est tout un symbole pour moi, c’est LA BD marquante de mon adolescence. On se faisait passer le bouquin dans la cour du lycée. Y’avait vraiment une « Silence-mania » dans mon bahut… C’était fou. Tout le monde en parlait, même ceux qui ne lisaient pas habituellement… C’est vraiment un très grand récit. Tiens ! J’ai envie de citer la fin de la belle préface d’Henri Gougaud : « Si vous croyez à la gadoue, à la nuit épaisse, il faut croire aussi au jour limpide, car ils vont ensemble. Il faut croire en Silence ».
C’est triste de voir partir peu à peu cette génération d’auteurs si tôt. Ils sont nés presque tous dans les années 40, comme mon père (bien vivant, lui !)… Je me dis que la vie est terriblement courte, non de dieu.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non, je ne crois pas. Le principe même d’une interview, c’est de se laisser faire, de répondre aux questions. Et pas d’en inventer… Ce serait de la triche !

Recherche pour le personnage d'Abel (Au vent mauvais)  - © Thierry Murat - 2012 Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


un personnage de BD : Corto Maltese !
un personnage biblique : Job
un personnage de roman: Monsieur Palomar (d’Italo Calvino)
une chanson: Hey Bulldog ! (The Beatles)
un instrument de musique: le yukulele
un jeu de société: Cluedo
une recette culinaire: la blanquette de veau
une pâtisserie: Orientale…
une ville: Athènes
une qualité: la curiosité
un défaut: la désobéissance
un monument: la statue de Peter Pan à Kensington Gardens (Londres)
une boisson: Pessac-Léognan 2005
un proverbe: Plus on en met, plus il en manque…

Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé!

Au vent mauvais (planche 47) - © Thierry Murat & Rascal - éditions Futuropolis - 2013
Le Korrigan