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Entretien avec Roberto Ricci
interview accordée aux SdI en mars 2013


Bonjour et tout d’abord merci de te prêter au petit jeu de l’interview !
Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)?

Pour les deux derniers...pas la peine de demander!! Tu es en train de faire une interview à un dessinateur et la bonne question doit être : « As-tu besoin que je te donne mon numéro de compte Suisse? » smiley
A part ça, j'ai 36 ans (et oui je commence à vieillir), j'ai fait le lycée artistique mais je rêvais d’être musicien et je suis tombé sur le travail de dessinateur après avoir dû abandonner mon parcours musical à cause de problèmes aux tendons...bof bof, pas sympa cette partie smiley.
Apres la musique j'ai juste fait une année dans une école de BD à Rome mais voyant que c’était trop onéreux pour mes proches, ( et ici on retourne sur ton compte en Suisse....j’aurais dû te connaitre avant, j'aurais pu finir les cours smiley ), j'ai préféré continuer tout seul.
Je suis donc presque autodidacte… Mais je suis convaincu que tout le monde peut devenir dessinateur s’il s’en donne le temps et s’y applique. Il faut surtout de la patience et de la passion pour ne s'arrêter aux premiers échecs ! Avec une bonne école c'est sûr, c’est sans doute plus rapide....mais il faut être sûr que l'école soit vraiment bien, sans quoi c’est mieux de dépenser les sous pour des livres , tutoriels, matériel etc etc..... smiley
J'ai aussi une grande passion pour les jeux-vidéo (mais je n'ai jamais le temps pour y jouer smiley ) ...Avec un ami, on a également créé une petite société pour en développer mais pour le moment moi j'ai dû arrêter (toujours par manque de temps smiley ).
La musique restera quand même toujours ma plus grande passion! Zappa en premier smiley

Recherche sur Zach © Roberto RicciEnfant, quel lecteur étais-tu? La BD occupait-elle déjà une place de choix? Quels étaient tes auteurs de prédilection?
La situation de la BD en Italie n'est pas des meilleurs, surtout maintenant. Mais quand j'étais petit, j'ai eu la chance que Metal Hurlant soit imprimé en italien et qu’il existait plusieurs magazines proposant des BDs du monde entier. C'est là que j'ai pu connaitre des auteurs comme Moebius, Bernet, Wrightson, Corben , Font , Breccia etc etc...et beaucoup d’autres auteurs qui m'ont bien fait rêver et surtout qui étaient bien plus variés que ceux des fumetti Bonelli ou de Mickey que je n'ai jamais trop aimé. Quel dommage que ces magazine aient depuis disparu!
Après, sont arrivés les mangas et j’avoue les apprécier. Il y a divers auteurs vraiment passionnants dont il faut absolument suivre le travail. En ce moment, Urasawa me paraît incontournable.



Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse ?
Non, pas du tout, je voulais devenir musicien comme je l’ai dit avant....mais la vie des fois prend des chemins bien particuliers smiley
J’ai toujours aimé dessiner, c'est sûr. Mais je ne me voyais pas travailler dans ce domaine smiley

Brainstorming autour du personnage de Springy © Roberto Ricci Ton premier album, Le ciboire oublié, premier tome de la tétralogie des Âmes d’Hélios, sort chez Delcourt en 2003… Comment es-tu passé de l’autre côté de la barrière pour devenir illustrateur de BD?
Mes tous premiers travaux ont été des livres à colorier pour enfant pour une maison d'éditions italienne. Ensuite j'ai travaillé sur le magazine USA Heavy Metal où j'écrivais et je dessinais des petites histoires. J'ai collaboré avec eux pour un petit moment.
Pendant cette période, un ami à moi (que je remercie !) avait trouvé sur un forum un topic d’un scénariste de BD (Philippe Saimbert ) qui cherchait un dessinateur. C’est comme ça que j’ai effectué mon premier travail sur une série français, Les Ames d'Hêlios. Quand j'ai commencé à travailler, Internet n'était pas vraiment un truc facile comme maintenant. C’était tout juste le début et moi je ne comprenais pas encore bien son fonctionnement smiley ... C’est vraiment grâce à cet ami, plus versé que moi dans ce domaine, que j’ai signé cet album !
Apres ça, tout est devenu plus facile. Il y a eu (et il y a encore des fois) des moments difficiles mais une fois que tu as fait une première série, tout est plus facile pour enchainer avec d’autres.

Julia sur son scooter © Roberto Ricci En 2011, tu publies Les règles du jeu chez Futuro, sur un scénario de Luc Brunschwig. Comment vous êtes-vous rencontrés et comment est né le projet de travailler de concert sur Urban? Avais-tu pu lire l’album dessiné par Jean-Christophe Raufflet et qui n’eut jamais de suite? Luc en parle volontiers comme d’un album maudit… Tu n’es pas superstitieux au moins ?
Avec Luc on s'était déjà croisé avant… je lui avais proposé un projet avec mon amie quand il était éditeur chez Futuropolis. Malheureusement il n'avait pas aimé mais on a malgré tout gardé le contact.
Je l'ai recontacté après les problèmes que j'ai eu chez Laffont et la fermeture de la partie BD. Mais lui il ne travaillait déjà plus comme éditeur mais seulement comme scénariste.
Je cherchais une bd One-shot, en attendant de voir comment évoluait la situation avec les éditions Robert Laffont. Il m'a proposé URBAN!!!! smiley ...Comme one-shot on fait mieux!!! smiley
J’ai tout de suite dit « NON » car je ne voulais pas me lancer dans une autre série SF après Helios ! Mais, surtout, je ne voulais pas m'engager dans une autre longue série, car j'avais déjà Moksha qui était dans un moment de transition. De toute façon Luc m'a demandé de lire le synopsis du projet, juste pour voir ma réaction...et ça je n’aurai pas dû le faire, car j’en suis tombé amoureux tout de suite !!! smiley
Apres la signature du contrat chez Futuropolis, le catalogue Laffont ( dont Moksha faisait partie) a été acheté par Delcourt. Au début, donc, je devais travailler sur ces deux séries en parallèle mais pour divers problèmes je n'ai pas pu le faire. Je me suis donc consacré exclusivement à notre « bébé Urban ». Je dois dire que ça a été une sage décision, car Urban est la BD la plus complexe que j'ai réalisée jusqu'à maintenant et elle m’a demandé beaucoup d'énergie. Avec deux séries en parallèle je serais mort smiley (Moksha aussi demandait beaucoup d’efforts, surtout que j'écrivais l'histoire avec mon ami Marco D'Amico)
Je n'ai pas voulu lire la version de Raufflet avant d'avoir terminé le premier tome. J'avais peur d'être influencé. Quand je l'ai lu heureusement j'ai pu voir qu’on avait pris des directions différentes, techniquement et au niveau de la sensibilité aussi, ce qui m’a beaucoup rassuré. J'ai eu très peur pendant la réalisation du livre de tomber dans des « copies » non voulues. J'aime beaucoup le travail de Raufflet, c'est dommage que le projet ait eu tous ces problèmes et qu’ils aient dû l'arrêter. Moi je l'aurai volontiers lu smiley ...Cependant, je pense que le remake de Luc pour notre version est beaucoup mieux. Plus mature, plus complexe aussi…
Heureusement que je ne suis pas superstitieux, car après Raufflet il y a eu divers dessinateurs qui se sont penché sur ce remake et des fois Luc m'as raconté des histoires bien bizarres. Il semble que la "malédiction" ait été brisée smiley On est sûr que cette fois on arrivera jusqu'à la fin smiley

la Petite Indienne © Roberto Ricci Comment en tant qu’auteur aborde-t-on, un tel univers d’anticipation?
Avec beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup d’esquisses , de journées « noires » (car avant d’arriver la bonne idée nécessite beaucoup de papier jetés à la poubelle :- ) ), des heures passées au téléphone ou surtout sur la chat de facebook avec Luc… et avec un peu de chance aussi smiley
La ville à la base c'est Chicago. L'hôtel où est hébergé Zach par exemple est le Board of Trade. L’intérieur est presque comme dans la réalité. Pour faire ça j'ai eu la chance d'avoir un ami sur Chicago qui m'a fait connaitre une personne qui travaillait dans l’établissement. J'ai pu demander, avec un formulaire, diverses photos du bâtiment… Car s’il est facile de trouver des images extérieurs de ce bâtiment, c’est bien plus difficile d’en trouver de l’intérieur.
Sinon il y a des cadrages qui viennent directement de certaines photos que j'ai de la ville...mais que je me suis amusé à modifier smiley
Sur le troisième tome, j'espère pouvoir avoir une séquence sur le fleuve Michigan. C'est une partie de la ville que j'aime beaucoup.
Puis il y a les robots mais surtout les costumes. Je m'amuse beaucoup à les dessiner ! Je travaille dans un atelier avec d’autres dessinateurs. Toutes les fois qu’ il y a une scène de foule, on fait une espèce de de loterie pour les costumes où tous donnent des idées. C'est bien rigolo smiley
Au début Luc n'avait pas spécifié quel type de costumes il voulait...moi en réfléchissant j'ai préféré mettre des costumes contemporains à notre époque, car je trouvais ça amusant d’une part, mais aussi et surtout pour faire comprendre graphiquement que l’histoire se déroule dans notre futur et pas dans un monde complètement inventé...même chose pour le choix de la ville.

Apres il y a eu le choix de la technique à utiliser pour réaliser la BD... et là aussi c'est un autre cauchemar smiley… J'étais seulement sûr d'une chose : je voulais une colorisation à l'ordi car je le sentais bien avec tous les écrans qu’il y avait à faire. J'ai eu besoin d’expérimenter divers effets digitaux pendant l'histoire et je suis bien content d'avoir fait ce choix!

crayonné de Zach et la petite indienne © Roberto Ricci Tu sembles avoir pris un réel plaisir à truffer tes planches de clins d’œil et à mettre en scène une foule de personnages au second plan. Une sorte de jeu semble même s’être instauré avec tes lecteurs par forum interposé autour de ces clins d’œil… Comment t’es venu cette idée savoureuse ?
J'aime bien l'idée de pouvoir faire plaisir au maximum de nos lecteurs. Au début j'ai commencé avec quelques amis à moi pour m'amuser… après tout ça est né comme une extension naturelle sans trop y réfléchir smiley
Il y a une autre surprise peut-être que j'aimerai développer avec Futuropolis...mais ça reste encore à voir smiley

Mise en couleur de Zach et de la petite indienne © Roberto Ricci Comment s’organise ton travail avec Luc ? De son découpage à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de ton travail? Y a-t-il beaucoup d’échange entre vous pendant la phase de réalisation de l’album?
Le gros du travail entre nous porte sur les storyboards. Quand je reçois son scenario il y a des moments de grosses discussions par chat pour comprendre au mieux ce que Luc veut faire ressentir dans son histoire. Je préfère le faire par chat et non par téléphone pour pouvoir me référer aux notes plus tard… en parlant je risquerai d’oublier quelque chose. Parfois, je fais-moi aussi des propositions, en fonction de mes idées et de mes opinions.
Après je commence à faire mon découpage et Luc me laisse une totale liberté. Il propose une description de chaque case, et moi, après, j'ajoute et je modifie selon ma vision tout en cherchant au maximum à respecter la sienne. Je lui soumets toujours mes storyboards avant des passer aux crayonnés. S’engage alors une seconde discussion au cours de laquelle on va peaufiner la page. Sur le découpage dessiné tu peux d’emblée te rendre compte si la page fonctionne vraiment. Des fois certains problèmes n’apparaissent pas sur le scenario. Il y a donc des ajustements à faire pour rendre la page plus lisible. Nous ajoutons des bulles, faisons des coupures, des changements de montages etc etc...Le storyboard c'est vraiment l'âme du livre.

Après ça il y a tous les autres étapes. Mais là il faut juste embellir la page déjà découpée.
C'est la partie la plus long et la moins amusante pour moi. Mais il faut passer par là smiley. Je rêve de pouvoir éditer des BDs avec un dessin proche de mes storyboards. C'est vraiment ce qui m'intéresse le plus dans la BD.
Ensuite a lieu une dernière discussion sur la mise en couleur... mais là c'est surtout entre moi et Giovanna Niro (ma coloriste). J’avais colorisé le premier tome tout seul car je voulais trouver ma palette. Maintenant je suis bien content de travailler avec Giovanna. Sur le deuxième tome on a travaillé à quatre mains et Giovanna a ajouté sa touche sur tout le travail en respectant beaucoup ce que j'avais fait sur le premier tome.

Overtime © Roberto Ricci Comment as-tu travaillé l’apparence des personnages? Le personnage de Zachary Buzz a-t-il toujours eu cet aspect ou est-il passé par différents stades avant d’avoir cette apparence ?
Zachary est vraiment sorti tout seul. C'est la première fois de ma vie de dessinateur qu’il se passe une chose pareille. Luc m'a donné sa description et je l'ai vu bien clair dans ma tête. Un croquis a été suffisant. Après, petit à petit, il a encore mieux pris forme dans la BD. J'adore dessiner ce gros bébé smiley
Pour les autres personnages au contraire, cela a été plus dur. J'ai dû faire beaucoup de croquis avant d’y arriver. Pendant cette phase j'envoyais tous les jours croquis sur croquis à Luc.

Quel personnage prends-tu le plus de plaisir à mettre en scène ?
Je les aime tous un peu.... Zach est sûrement parmi mes préférés. Mais pour chaque personnage il y a quelque chose que j'aime bien, qui me donne plaisir en le dessinant. J’adore les possibilités que me donne le visage de Springy, ses expressions toujours drôles et sa façon de déclamer. Chez Ishrat j'aime bien ses fess....emmmmmh, cough cough!....la douceur dans ses yeux.

Springy et Alice © Roberto Ricci Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur de BD?
J'aimerais dire qu’il n’y a plus des points positifs que négatifs dans ce travail....mais malheureusement, en ce qui me concerne, je ne peux pas affirmer cela.
J’ai enseigné la BD pendant plusieurs années dans une école de Rome. Une des premières choses que je disais aux élèves était : « il y a deux types de dessinateurs. Les riches et les pauvres… Si vous faites partis de la première catégorie vous pouvez prendre vraiment du plaisir en faisant ce travail, car vous ne devrez pas vivre de ça. La deuxième catégorie n’aura pas une vie facile, continuez si vous aimez vraiment la BD, sinon c’est peut-être mieux de laisser tomber tout de suite »
C'est difficile de vivre de notre métier. Lorsqu’on vise un minimum de qualité il faut y passer du temps… et plus on passe de temps sur un travail moins on gagne d’argent. Donc on doit toujours faire des boulots en parallèle qui peuvent t'aider un peu mais qui cassent ton rythme de travail. Les avances sur droit d'un livre ne te permettent pas de vivre et c’est difficile en ce moment de toucher quelque chose au prorata des ventes. Comme beaucoup d’amis dessinateurs, je suis presque toujours en train de travailler. Il arrive même des fois où je n'ai pas de WE libres pendant des semaines et des semaines car il y a toujours du travail à faire pour respecter les délais! Pas de possibilité de tomber malade, sinon tu perds encore plus de temps smiley
Beaucoup de monde pense que dessiner c'est un joli divertissement. Je ne trouve pas qu’il y ait un grand respect de notre statut professionnel. Je fais un travail que j'adore...mas je t’assure que je paye cher ce choix…
Puis il y a la joie de lire des critiques positives sur ton travail après tous ces efforts, de pouvoir voir ton livre imprimé (surtout quand tu as la chance d'avoir Futuropolis comme maison d'édition!), de faire de ta passion ton travail. Mais il y a des périodes où tu te poses sérieusement la question de continuer ou pas… Je ne le cache pas. Il y a des moments vraiment très durs.
Ce qui est passionnant également c’est de partager mon expérience avec mes amis dessinateurs. Je rêve d’un atelier avec 300 dessinateurs qui travaillent tous ensemble smiley

Springy et son célèbre costume de lapin © Roberto Ricci Quels sont, tous médias confondus, tes derniers coups de cœur ?
J’adore et je continue à aimer tous les nouveaux romans de Cormac McCharty.
Côté BDs , « Daytripper », le dernier « Blast » (le deuxième ne m’avait pas trop convaincu mais le tome 3 m’a bien plu), Urasawa.
Côté illustrations, j’adore les aquarelles de Kei Acedera.
Pour ce qui est de la musique, Patton avec les tomahawk « Oddfellows »
Côté film…pas grand-chose dernièrement.
Côté série télé, je n’avais pas encore eu le temps de voir The Wire….je le découvre seulement maintenant. Magnifique !

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
…mais non, c’est bien comme ça ! J’ai mal au doigts pour avoir trop écrit smiley ..et puis je risque de devenir ennuyant si je continue encore smiley

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…
Alice, quelque peu dénudée © Roberto Ricci

un personnage de BD : Arzach
un personnage biblique : Pour biblique en français tu entends un personnage de la bible ou quelqu’un de mythique ? Dans le cas de la bible je ne connais pas trop smiley sinon Moebius
un personnage de roman : Bandini de Fante
une chanson : Red des King Crimson
un instrument de musique : La guitare
un jeu de société : Bang !
une recette culinaire : Les lasagnes
une pâtisserie : Le « cannolo siciliano »
une ville : un bled tranquille qui ne dérange personne smiley
une qualité : La tête dure
un défaut : la tête dure
un monument : une statue de Rodin n’importe laquelle
une boisson : La bière
un proverbe : Chi fa da se fa per tre (en français je ne sais pas si le proverbe existe. Ca peut se traduire par « qui fait tout seul fait pour trois ».


Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé !
comme au cinéma © Roberto Ricci
Le Korrigan