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Entretien avec Sylvain Runberg
Interview accordée aux SdI en juillet 2013


Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
J'aurais plutôt tendance à être farouchement opposé au vouvoiement. Ca sent le sapin.

Je suis assez d'accord smiley Merci bien !… Peux-tu en quelques mots nous parler de toi (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse, nom et prix des derniers tableaux vendus…)?
De nationalité française, je partage depuis quelques années mon temps entre la France et la Suède (où le vouvoiement n'existe plus depuis des décennies et c'est très agréable). J'ai grandi en Provence, dans le Vaucluse, et pas mal voyagé dans toute l'Europe. Pour les études, j'ai un parcours en Arts Plastiques pour le lycée et en Histoire politique contemporaine pour l'université. Niveau professionnel, j'ai travaillé quelques années dans une librairie spécialisée BD à Aix-en-provence (La Bulle Noire, aujourd'hui malheureusement disparue), puis j'ai rejoint les Humanoïdes Associés pour travailler dans l'édition.
Et je suis ensuite devenu scénariste par accident (on y reviendra) en 2004. Depuis, c'est ma profession, et ma passion, c'est une chance, et j'ai maintenant publié 36 albums, le dernier étant justement le premier tome de « François sans Nom » aux éditons Quadrants, co-scénarisé par mon camarade Sylvain Ricard, illustré par Marco Bianchini et mis en couleur par Maz. J'ai aussi la chance d'être maintenant traduit en 13 langues, ce qui est toujours plaisant. Pour le reste, je ne collectionne que les T-shirts de groupes de rock indépendants qui font du bruit et c'est mon comptable qui s'occupe du reste, je te laisse lui demander les renseignements financiers qui t'intéressent.

Encrage, page 22 du tome 1 de François sans nom © Marco BianchiniEnfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes livres de chevet?
Je lisais de tout. Des romans, Jules Verne, beaucoup, des ouvrages historiques, des Bandes Dessinées, franco-belges ou comics, les univers Marvel et DC notamment. « 20 000 lieues sous les mers », « Les Tuniques Bleues », « Batman », « Astérix », « Tintin », « X-Men », il y en a tellement que ne peux tous les citer en fait.

Devenir auteur de BD était-il un rêve de gosse ?
Non. Je n'ai jamais eu de plan de carrière. A 15 ans, je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire à 20 ans, à 20 ans aucune idée de ce que j'allais faire à 25 ans, à 25 ans aucune idée de ce que j'allais faire à 30 ans et ainsi de suite. Devenir journaliste est probablement ce qui m'a le plus traversé l'esprit en étant jeune adulte, d'où les études d'histoire politique, et je suis d'ailleurs toujours l'actualité de très près.

En 2004 paraissait Astrid, ton premier album ? Passé de l'autre côté de la barrière a-t-il relevé du parcours du combattant?
Pas vraiment, j'ai eu cette chance, même si c'est arrivé par accident. Au premier sens du terme. Même si l'idée de m'essayer au scénario m'avait parfois traversé l'esprit par le passé, je n'avais jamais franchi le pas. Mais fin 2001, une blessure m'a immobilisé pendant plusieurs mois. Cette inactivité m'a amené à trouver quelque chose à faire de mes journées sans avoir à utiliser mes jambes, et j'ai commencé à réfléchir à des scénarios et à écrire des histoires courtes. Et c'est en 2003 qu'a été publié mon premier scénario, dans la revue Métal Hurlant qui ressortait à cette période.

Cela dit, je ne songeais pas à en faire mon activité principale. Mais en 2004, je me suis mis à proposer des projets de récits plus longs, et il se trouve qu'en quelques mois, ils ont tous été pris : « Orbital », « Hammerfall » et « Les Colocataires » chez Dupuis et « Astrid « chez Soleil. J'ai donc décidé de démissionner de mon poste pour tenter de me consacrer uniquement à l'écriture, et c'est ce que je fais depuis 8 années maintenant.

Mise en couleur page 22 du tome 1 de François sans nom © Marco BianchiniLe premier opus de François sans nom vient de paraître… Comment est née cette aventure co-scénarisée par Sylvain Ricard et mis en image de façon très convaincante par Marco Bianchini? Qu'est-ce qui t'attirait dans la vie tumultueuse de François Villon et comment votre route a-t-elle croisée celle du poëte iconoclaste et turbulent?
Sylvain Ricard et moi avions envie de travailler ensemble depuis longtemps, et c'est Sylvain qui a amené l'idée de traiter de ce qu'aurait pu être la vie de François Villon après sa disparition. Je vais en profiter pour resituer le contexte. François Villon a eu une vie tumultueuse, un poète qui a côtoyé brigands et hors la loi, soupçonné d'avoir fait partie des « Coquillards », une bande criminelle qui semait la mort et la terreur, qui a aussi fréquenté la cours royale, et toutes sortes de milieux interlopes, qui a connu la prison et la violence, et qui est finalement condamné à l'exil de Paris en 1462, moment où on perd alors complètement sa trace. Personne ne sait ce qu'il est devenu.
Notre personnage, François Sans Nom, est donc un baroudeur qui pourrait être François Villon, qui cacherait ainsi son identité pour des raisons de sécurité, mais rien n'est sûr le concernant. Et c'est le parcours de ce mystérieux personnage, dans cette société encore marquée par la Guerre de cent Ans, que nous nous proposons de raconter.
Corinne Bertrand, l'éditrice de Quadrants a été emballée par le projet et par la suite nous avons rencontré Marco Bianchini à Angoulême, qui a accepté de travailler sur le projet. Marco publie en Italie depuis 1976 et est aussi le directeur artistique de l'école de Bande Dessinée de Florence, aussi talentueux que sympathique, puis c'est Maz qui s'est greffé sur la mise en couleur. Et c'est ainsi que tout a démarré.

Recherche, personnage principal de François sans nom© Marco BianchiniQuelles furent tes principales sources sur l'époque en général et sur François de Montcorbier en particulier?
Au départ, on est parti du « Je, François Villon » de Jean Teulé, pour essayer de comprendre qui était François Villon et dans quels environnements il évoluait. Pour le reste, il s’agit de documentations historiques sur ce qu’était la France et l’Europe de cette deuxième moitié de XVe siècle.
Ce n'est pas la première fois que tu travailles à quatre mains sur un scénario… Concrètement, comment s'est organisé ton travail avec Sylvain Ricard ?
Comme avec les autres collaborations à quatre mains en fait. On échange des idées, on mets en place une structure de scénario, et puis en général on écrit une séquence chacun, que l’autre relis, avec notes et propositions de changements éventuels, jusqu’à l’écriture complète du tome. Du tennis de table scénaristique en quelque sorte.

En combien de tome est prévue cette série? Le secret qui plane sur l'identité de François-sans-nom et qui sert de fil rouge à la série sera-t-il brisé au fil des tomes ?
Chaque tome constitue un récit indépendant, c’est le principe de la série, tout en suivant l’évolution des personnages principaux au fil de leurs aventures. Mais on espère en faire au moins trois tomes, une sorte de premier cycle, et si l’envie et les lecteurs sont là, on pourrait tout à fait envisager un deuxième cycle. La matière et les idées existent en tous cas ! Et pour la brisure du fil rouge, et bien je n’en dirai rien !

Encrage page 34 du tome 1 de François sans nom © Marco BianchiniTu as récemment entamé l'adaptation de Millenium, œuvre inachevée du suédois Stieg Larsson, best-seller décliné en série télé et en long métrage… Quelle furent les grandes difficultés de cette adaptation (particulièrement réussie)?
A vrai dire, ayant moi même proposé cette adaptation à Dupuis il y a quatre ans de cela, l’éditeur étant revenu vers moi deux années plus tard après avoir acquis les droits, ça a demandé beaucoup de travail évidemment, mais il n’y a pas eu de difficultés particulières dans le sens ou je savais dés le départ ce que je voulais faire. Je pense que l’univers de Millenium est assez riche pour pouvoir en donner des visions très diverses et pour captiver le lectorat. Je voulais traiter cette adaptation comme une œuvre originale, c’est-à-dire que les gens qui ne connaissent pas Millenium puissent prendre du plaisir à le lire, et aussi que les lecteurs du livre, et les gens qui ont vu les films puissent quand même découvrir une vision inédite. La trilogie s’y prête bien, elle est très riche, en évènements, en personnages, il y a tellement d’aspects qui ont été évoqués par Stieg Larsson, mais dont certains n’ont pas été poussés plus en avant, tout simplement parce qu’il est mort trop tôt. Il y avait aussi beaucoup d’angles possibles que moi, en tant que lecteur, j’aurais voulu voir développés, et qu’en tant que scénariste j’ai creusé. Et enfin, il y a beaucoup de scènes et de situations inédites, tout en restant respectueux des romans d’origine.

Quelles sont les grandes joies et grandes difficultés du métier de scénariste?
Le fait de ne jamais vraiment savoir de quoi sera fait le lendemain. C’est toujours passionnant et parfois difficile.

Mise en couleur, page 34 du tome 1 de François sans nom © Marco BianchiniQuels autres projets sont d'ores et déjà sur le grill ?
Alors, il y a d’abord les prochaines sorties de 2013, à savoir fin août chez Dupuis le premier Spin Off d’Orbital, « Premières Rencontres », quatre récits complets illustrés par Marcial Toledano, Nicolas Bannister, Homs et Miki Montllo sur une thématique unique, avec un cahier encyclopédique comprenant des textes que j’ai écris sur l’univers et illustrés par Serge Pellé. Egalement fin août le troisième tome de « Konungar » chez Glénat, avec Juhzen au dessin et enfin en novembre le deuxième tome de « Millénium » avec Homs, aussi chez Dupuis.

Pour 2014, il y aura toujours chez Dupuis le T6 d’ « Orbital » avec Serge Pellé en Février, les tomes 3 et 4 de « Millenium » illustrés par Man en Avril et Novembre. Chez Dargaud, il y aura le tome 1 d’une nouvelle série de science-fiction, « Jolly Roger », avec Miki Monttlo, à paraître au printemps, ainsi que l’adaptation d’un roman, un thriller, dont je ne peux pas encore révéler le titre, mais dont l’auteure est de renommée mondiale. Chez Glénat, le tome 1 d’une nouvelle série fantastique qui se passe au japon médiéval, « L’Ombre des Shinobis » avec XZF au dessin, et le T2 de « Reconquêtes », au Lombard, avec François Miville-Deschênes, et évidemment le T2 de « François Sans Nom », toujours avec Sylvain Ricard et Marco Bianchini chez Quadrants.

En 2015 paraîtront trois one shot, un thriller/polar chez Delcourt avec Tirso Cons au dessin, un album chez Bamboo avec Olivier Martin, appelé « Cases Blanches », qui se passe de nos jours, dans le milieu de la BD, une sorte de thriller psychologique, et enfin au Lombard un récit d’anticipation, « Drones », avec Louis au dessin. Suivront aussi le T7 d »Orbital », le T3 de « Reconquêtes », les tomes 5 et 6 de « Millénium » illustrés par Homs et les autres suites de séries engagées, « L’Ombre des Shinobis », « Jolly Roger ». Et il y a encore d’autres projets en préparation dont il est encore trop tôt pour les évoquer !

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Comme je suis pas mal de séries TV, ça va donner « Shameless », « The Take », « Modern Family », « Breaking Bad », « Borgen », « The Killing » (version danoise évidemment), en BD « Scalped » de Aaron et Guéra chez Vertigo/Urban comics et « Un Printemps à Tchernobyl » d’Emmanuel Lepage chez Futuropolis, en roman « Le Dernier Lapon » d’Olivier Truc aux éditions Métailié et en musique il y aura The National « Trouble Will find Me », First Aid Kit « Blue », The Black Keys « El Camino », M83 « Hurry Up We’re Dreaming », Kvelertak « Meir », Airbourne « Black Dog Barking », Sigur Ros «Kveikur », Sleigh Bells «Reign of Terror », The Decemberists « Long Live King » et My Morning Jacket « Circuital ».

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
La Bande Dessinée a-t-elle sa place sur les chaînes de télévision française ? : oui, la Bande Dessinée - avec ses millions de lectrices et lecteurs réguliers - devrait avoir sa place à la télévision. Comme la culture en général.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


Sylvain Runbergun personnage de BD: Bouche dorée (« Corto Maltese »/Hugo Pratt)
un personnage mythologique: Dionysos
un personnage de roman: Bora Horza Gobuchul (« Une Forme de Guerre »/Iain M. Banks)
une chanson: « Rock’N Roll » (Motörhead)
un instrument de musique: ma voix
un jeu de société: Le Mahjong
une recette culinaire: un Tajine
une pâtisserie: un kanelbulle
une ville: Stockholm
une qualité: passionné
un défaut: impatient
un monument: un sanctuaire Shinto à Kamakura
une boisson: une Vodka tonic
un proverbe: les proverbes et moi, ça fait deux

Un dernier mot pour la postérité?
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