Haut de page.

Entretien avec Stéphane Heurteau
interview accordée aux SdI en janvier 2013


Tout d’abord merci de vous prêter à ce petit jeu de l’interview…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposés au tutoiement ?

Non, bien au contraire. Allons-y pour le tutoiement

Merci bien! Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)
Je suis né en 1967, à Nantes. Depuis toujours, je suis passionné par le dessin, les histoires, la bande dessinée et globalement, tout à trait, de près ou de loin à l'imaginaire romancé. En 1982, je suis entré dans une imprimerie comme dessinateur-maquettiste, j'y ai fait mon apprentissage et y suis resté 5 ans, avant d'intégrer une agence de pub comme graphiste-illustrateur. À la même époque, j'ai commencé à écumer les festivals de bd et à publier dans divers magazines spécialisés bd. En 2000, suite à un licenciement, je suis devenu auteur indépendant et les premiers ouvrages ont commencé à paraitre, tout d'abord en littérature jeunesse (Dame Gwen), puis, rapidement en bd (Itinérêve d'un gentilhomme d'infortune). C'est aussi l'époque où j'ai commencé à pas mal voyager, d'abord pour réaliser des carnets de voyage, puis, pour le pur plaisir.
Parmi mes autres passions, il y a la Bretagne, que j'arpente régulièrement, de Cancale au Croisic, le cinéma (je vais au ciné environ une fois par semaine depuis plus de 30 ans) et la musique, qui m'inspire beaucoup et que j'utilise régulièrement comme fil conducteur de mes divers ouvrages.

quatrième de couverture de Polart © Stéphane HeurteauDes musiques en particulier ou te laisses-tu guider par ton inspiration?
Musicalement, je suis très éclectique, mais pas au point d'écouter la variété française des 70's qu'on entend dans tous les bals de mariage (je ne cite pas de noms) ou des débilités issues de télé réalité. Non, plaisanterie mise à part, mon éventail musical est très large, et va, globalement, de Piaf et Bécaud à Métallica et Nightwish. J'écoute beaucoup Manset, Dead can dance, Nightwish, Bashung, Led Zep, Clapton, Hendrix, Massive Attack, Nancy Sinatra et Lee Hazelwood , et Metallica en symphonique. C'est notamment ça qui sert de base à Polart, un ouvrage réalisé en partenariat avec le salon du polar de Cognac, et qui est un ouvrage destiné aux salons et festivals de polar.

Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse ? Enfant, quel lecteur étais-tu ?
C'est un vrai rêve de gamin, et je l'ai assouvi. Enfant, je lisais Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe, le journal de Mickey et les revues Lug, que mon père m'offrait en sortant de la messe. Par la suite, j'ai découvert l'école Métal Hurlant, Pratt, Bilal, Loisel, Tardi etc etc... et j'ai continué d'apprendre, d'observer...

© Stéphane HeurteauDessinateur, scénariste, coloriste… Tu portes toutes les casquettes… Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés de ces différents métiers du neuvième art ?
La principale joie de ce métier est de faire ce dont on rêve, de créer, de ne jamais faire la même chose que la veille ou que le lendemain... C'est une des raisons qui m'a toujours poussé à travailler dans divers domaines (la bd comme scénariste, dessinateur ou coloriste, le livre jeunesse, le livre illustré, l'illustration, le carnet de voyage, le graphisme, avec souvent des approches très différentes graphiquement).

Le plus difficile, c'est de ne jamais savoir de quoi sera fait le lendemain et de devoir se battre pour obtenir ses droits, un paiement décent ou juste ce qui est prévu contractuellement.

Lorsque tu crées une histoire, sais-tu d’emblée si tu vas la mettre en image ou laisser ce soin à quelqu’un d’autre ?
Comme je suis dessinateur, lorsque je crée une histoire, c'est avant tout pour la dessiner moi-même. Mais parfois, les circonstances font que le manque de temps ou le doublon de projets oblige à laisser le dessin de côté. Mais j'insiste toujours pour garder la couleur.

En 2011 paraissait Hyde, un album remarquablement inventif à la lisière du mythe et de la réalité. D’où t’es venu l’idée de cette intrigue à clef dont tu signais scénario, dessins et couleurs ?
Hyde est né en 1994, lorsque je me suis amusé à résumer les grands classiques de la littérature romantico-gothique de la fin du 19eme siècle.

À l'époque, je voulais travailler sur Jack l'éventreur et Sherlock Holmes. Les années ont passé, j'ai plusieurs fois récris le synopsis, jusqu'à envisager un ouvrage ou le point de départ serait que Jack l'éventreur et Stevenson seraient une seule et même personne. C'est Hervé Richez de chez Bamboo qui m'a suggéré l'idée d'un amnésique. À partir de là, tout s'est enchainé : j'ai écrit plusieurs synopsis, entremêlés, puis j'ai cherché un lien à toutes ces histoires. Enfin, j'ai retravaillé le tout afin d'obtenir un ensemble qui me paraisse cohérent. Le dessin est venu par la suite, avec la couleur. Dans la réalité, ce projet s'étale sur une quinzaine d'années, de 1994 à 2011, sortie de l'album. Mais j'ai fait bien pire avec Sant-Fieg ou l'histoire court sur 17 ans et a mis 20 ans avant d'exister !

© Stéphane HeurteauDe bonnes fées (Régis Loisel et Jean-Charles Kraehn, excusez du peu) se sont dit-on penchées sur le berceau de Fanch Karadec…
En fait, tout a démarré à Quai des bulles en 2006. Loisel, qui connait ma passion pour la Bretagne et les histoires à tendance "rurales" me propose de travailler sur un projet qu'ils avaient en commun, avec Kraehn, quelques années auparavant. J'avais un cahier des charges assez précis, incluant l'intrigue de départ, le vol de la statue de Saint-Yves à Tréguier, et le fait que l'enquêteur devait être un retraité, veuf, qu'il ait une copine, un fils, des potes marins, un ami rebouteux, qu'il traine au fest-noz, au pub, dans les crêperies. Bref, tous les clichés bretons. L'important étant de s'attacher au personnage et son entourage. Ça déplait à certains (le coté bretonnant et ce faux-rythme), mais ça en séduit d'autres. Mais c'était une des directives du projet tel qu'il m'a été présenté par Loisel.

J'écris une première mouture du synopsis, que j'envoie à Loisel. J'imagine un retraité de l'éducation nationale, un type né en 1948. C'est un spécialiste des mots croisés. Il est veuf, il vit à Paimpol, mais est originaire du Guilvinec. Il a une copine qui tient un bistrot, sa sœur est bibliothécaire et il est très pote avec le capitaine de police du coin et pour finir, son fils est journaliste dans une rédaction locale, à Nantes.

C'était important, tout ça, parce que, le héros n'étant pas flic, il fallait malgré tout qu'il ait accès à des informations assez facilement.

Je retravaille le tout, le temps passe, je continue mes autres albums chez Casterman, puis, un jour, à Quimperlé, je me retrouve à dédicacer à côté de Kraehn. Je lui parle du projet, il est forcément intéressé et on s'y recolle. Malheureusement, quelques mois plus tard, Jean-charles doit jeter l'éponge, trop occupé par ses diverses séries en cours.

Là, on est en avril 2008. Quelque temps plus tard, je collabore avec Djian sur un album bd pour enfants (les Petits Philous, dessiné par Corbet). L'éditeur, Vagabondages, est spécialisé dans le régional. Sur conseil de Djian, je propose le projet à cet éditeur qui l'accepte mais ne peut attendre 2 ans que je termine Hyde.
Du coup, Corbet se retrouve au dessin sur ce projet, puis, il est formé pour ça par Loisel, et l'album, qui à l'origine s'appelait René Nicolaz (du nom d'un pote, organisateur du festival bd des sables d’Olonne, et qui est né au Guilvinec), sort en 2010, sous le nom Fanch Karadec, avec un K !
J'y tenais beaucoup, à ce K, pour ne pas qu'on s'imagine qu'il y avait un lien avec Jean-Michel ou Loic Caradec.

Du coup, Corbet a trouvé une vraie gueule à Karadec, un truc un peu dans l'esprit de Magasin général (le coté crayonné et la couleur accentue cette comparaison qui était souvent faite à l'époque de la sortie du tome 1).

Perso, le personnage que je préfère, c'est Serjio, son pote marin (qui est directement inspiré de Serge Perrotin).
Un autre personnage important dans cette série, c'est Malwenn, le flic. Un lien très fort existe Karadec et lui. C'est ce qu'on découvre dans le flash bac en fin de tome 2. J'ai lu quelque part que ce flash-back était là pour faire du remplissage et arriver à 62 pages. Eh bien, pas du tout. En fait, à l'origine, le tome 2 démarrait par cette séquence, qui est importante car elle permet de comprendre pourquoi Malwenn passe sur tous les caprices de Karadec.
Quant au fils de Karadec, le faire évoluer dans une rédaction de journal était un bon moyen d'obtenir facilement des renseignements. Corbet en a fait un coureur invétéré, ce qui m'amuse beaucoup !

© Stéphane HeurteauComment est cette troisième enquête de Fanch Karadec qui vient de paraître?
L'éditeur souhaitait un ouvrage dont l'action se déroule à Brest et si possible, en lien avec la guerre 39/45. Comme ça nous fait des personnages qui sont, soit morts, soit âgés d'au moins 90 ans, il ne me restait guère que la solution d'un bébé disparu pendant les bombardements de la ville. Je connais une fille, Gaelle Réguer, qui a passé son enfance à Kerlouan et dont les parents vivent toujours là-bas. J'ai fait un anagramme de son nom (Léa le Greguer) et j'ai imaginé une histoire autour de la disparition de ce bébé, en axant pas mal l'histoire sur le drame de Sadi-Carnot.

La disparue de Kerlouan propose une intrigue écartelée entre deux époques, une enquête à rebours qui va exhumer le douloureux passé du Brest occupé… Quelles furent tes principales sources documentaires pour élaborer cette histoire ?
Ma principale source, c'est la Bretagne. Ça fait 20 ans que je la sillonne et je lis énormément sur l'histoire de cette région. De plus, j'ai réalisé pas mal de carnets sur le coin. Je suis d'ailleurs en train de terminer un ouvrage sur le Finistère et bientôt va sortir un ouvrage sur les îles bretonnes.
Du coup, ça aide pour s'imprégner des lieux. Pour la partie historique, je me suis renseigné sur ce qui s'est passé durant la guerre, et je suis tombé sur des articles parlant du drame de Sadi-Carnot. À partir de là, il est plus facile de créer une histoire.

Il fallait aussi évoquer le Brest en reconstruction, juste après la guerre. Mais Jérôme Félix venait de sortir un album sur ce thème, chez Bamboo. J'ai vu avec Laurence Convers, chez Bamboo, qui m'a filé un exemplaire de l'album, de manière à ce que je n'aborde pas les mêmes thèmes que Jérôme.

La vraie difficulté, dans cet album, c'est qu'il fallait traiter de sujets douloureux, tout en restant assez léger, mais surtout, qu'on se trouvait confronté à des gens très âgés, d'autres décédés. Ça n'aide pas à accentuer le rythme. Mais en même temps, c'est ça, Karadec, on est plus proche de Maigret que de l'inspecteur Harry !

Pour ce qui concerne la partie disparition et histoires de famille, un jour que je me baladais dans les Abers, il y avait un reportage à la radio ou des gens témoignaient de ce qu'ils avaient vécu au sein de leur famille, quand ils avaient appris que ceux qu'ils pensaient être leurs parents ne l'étaient finalement pas. C'était toujours un très gros choc pour eux! Et à plus forte raison, lorsque le père est un officier allemand! Encore pire ! Comme mon histoire se situait à Brest et dans le pays des Abers, j'y ai vu comme un signe ! C'est d'ailleurs aussi l'un des thèmes de Sant-Fieg, et c'est un pur hasard... mais le hasard existe-t-il vraiment?

© Stéphane HeurteauComment s’est organisé votre travail à Sébastien Corbet et toi sur cet album ? Etant toi-même dessinateur, à partir de quelle « matière » travaille-t-il? Serait-il possible, pour une planche donnée de visualiser les différentes étapes de votre travail en commun ?
Globalement, je lui fournis un scénario détaillé, découpé case par case. Dans le même temps, j'explique à l'éditeur les divers endroits à visiter pour pouvoir réaliser les décors. Comme ils habitent dans le même coin (en Normandie), ils partent ensembles 2 ou 3 jours, faire du repérage. Forcément, sur une telle durée, tu ne peux pas tout repérer. Du coup, comme j'ai plusieurs centaines de dossiers photographiques chez moi (sur l'ensemble de la Bretagne historique), les élément manquants, comme par exemple, une rue précise du Guilvinec, je peux les envoyer. Ça créé une complémentarité.
À l'origine, je réalisai un story-board, ce qui est plus pratique pour lire le scénario. Mais comme Corbet en réalisait un aussi, ça faisait un peu doublon.
Alors, sur le tome 3, il s'est fait un crayonné poussé, qui sert de story-board. Après acceptation, il a attaqué les planches.
Puis, je les reçois, je les imprime sur papier Canson, puis, je fais ma couleur avec des écolines. Je scanne le tout, je viens rajouter le noir (trait) ainsi que quelques effets dans photoshop, avant de faire la mise en page. C'est une technique qui commence à être bien rodée, mais exige une impression nickel, parceque sinon, c'est la sale surprise. On a eu beaucoup de mal à se caler sur le premier tome, soit ça sortait trop palot, soit c'était bouché.
On a utilisé exactement le même processus créatif sur la Chenue, et c'est sorti comme il faut ! Sur le troisième Karadec, on est au point au niveau impression, me semble-t-il. Nous verrons ce qu'il en est sur le prochain tirage du Karadec tome 1.

Dans le processus créatif d’un album, quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Tout me procure du plaisir. Mais c'est la création d'une histoire et son adaptation graphique qui m'éclatent le plus. J'aime aussi faire de la mise en couleur, qu'elle soit manuelle ou informatique. Qu'elle soit travail de création, comme sur Lautremer, ou travail de commande, comme sur Jo le paysan.
Pour finir, j'aime tout particulièrement l'étape du story-board...

© Stéphane HeurteauSur quels autres projets travailles-tu actuellement ? Une nouvelle enquête se profile-t-elle déjà pour Fanch Karadec ?
Ben, déjà, je viens de terminer plusieurs albums coup sur coup (Karadec, les Sant-Fieg, la couleur de la Chenue, Polart), maintenant, je dois lancer de nouveaux projets, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain. Je viens de faire un essai pour un livre illustré de féérie chez Coop Breizh, mais ce n'est pas de la BD. En Bd, j'ai en projet une série d'albums, intitulé Jack Quervellat, dit "Le brestois", un truc un peu à la Karadec, mais en beaucoup plus sombre...
J'ai un autre projet, mais je préfère ne rien dévoiler pour le moment... mais ce serait un roman graphique.
Sinon, reste le Karadec 4, j'y réfléchis. Ça devrait se passer dans le Morbihan. J'ai commencé à travailler le synopsis, mais je peux difficilement en dire plus, car il semblerait que Seb Corbet soit sur un autre projet.
Alors, je ne sais pas quand ça pourra exister, mais ça ne m'empêchera d'avancer sur le synopsis et le scénario. J'ai déjà une idée du titre et du déroulement de certaines séquences. Le début serait très rock'n roll, si on en reste à ce que j'ai prévu.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Côté films : Man on Wire et Skyfall et Argo ! En musique, le dernier Dead can Dance, Neil Young aux vieilles charrues... et pour les livres, le dernier Gibrat et Dome (le roman, pas la série).

© Stéphane HeurteauY a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Oui, on n'a pas parlé de Sant-Fieg ! C'est un ouvrage qui compte beaucoup pour moi...

Justement… Comment est née l’idée de cette histoire d’exilé Kabyle venu s’installer sur la presqu’île de Crozon?
Alors, c'est vraiment très long et tortueux. Ce projet a connu une première version, intitulée Bidon, écrite en 1993, et qui racontait d'un jeune homme un peu simplet dans la campagne, entre Nantes et Rennes. L'action se passait dans les années 90 et a connu plusieurs versions, dont une avec Gaudin (en 1997), qui reprenait mon scénario, et une autre avec Djian, en 2007.

Ces projets n'aboutissaient pas, ça tournait en rond, jusqu'à ce que, en 2010, je me retrouve en rupture de projets. J'ai repensé à Bidon et ai décidé de m'y coller à nouveau, mais avec une approche totalement nouvelle, en créant un roman graphique et en essayant de tout faire à l'énergie, comme lors d'une séance de dédicaces.

© Stéphane HeurteauJ'ai d'abord décidé de situer mon histoire dans les années 60, mais aussi, non plus entre Nantes et Rennes, mais en presqu'île de Crozon, pour m'éclater graphiquement !
Puis, j'ai décidé de diviser cette histoire en chapitres, comme dans un roman graphique. Je souhaitais que chaque chapitre démarre le jour d'un évènement tragique qui se situe dans le monde, ou en Bretagne. Pour les années 60, l'assassinat de Kennedy s'est imposé d'emblée. Là, je m'aperçois qu'en 63, on est juste 1 an après la guerre d'Algérie. Je décide donc de raconter, non plus l'histoire du niais du village, mais celle de Rachid, un Kabyle qui viendrait s'installer en presqu'île de Crozon pour comprendre ce qui est arrivé à son père, un résistant mort pendant la guerre 39/45.
Il rencontre Maelle, une jeune fille dont le frangin aurait été tué 3 ans plus tôt, pendant le conflit, en Algérie, et en tombe amoureux.
Mon travail avance, et je m'aperçois que 1964/65, c'est juste un an avant la création du FLB, qui est directement inspiré du FLN. Alors, je fais en sorte que Rachid s'installe chez un Jil Turnal, un anarchiste autonomiste, qui va créer le FLB en s'inspirant directement de l'expérience du jeune algérien.
Cet anarachiste est pote avec Glenmor et Xavier Grall, qui apparaissent dans l'ouvrage, mais ne sont pas directement nommés... je ne voulais d'ennuis avec les familles.
De même, je connais un village à Crozon, qui s'appelle Saint-Fiacre. Ce village a la particularité d'avoir 1 traduction bilingue (SANT-FIEG), à son entrée, et une autre (SANT-FIAKR), à sa sortie. Je trouvais ça amusant.
Par contre, le bilinguisme arrive en Bretagne en 1985, alors, j'ai cherché comment faire, malgré tout, pour qu'on lise Sant-Fieg, qui déjà, dans ma tête devait être le titre du dyptique... c'est comme ça qu'est venue l'idée de l'anarchiste qui repeint les panneaux en peinture rouge sang, pour emmerder le maire de la commune, qu'il déteste !

De l'union tragique entre Rachid et Maelle va naitre un gamin, Armel, qui ne connaitra pas ses parents biologiques et vit à Paris. Le jour de l'assassinat de Lennon, en 1980, ce gamin hérite d'une petite maison sur la presqu'île de Crozon, d'une grand-mère qu'il n'a pas connu. Intrigué, il mène l'enquête pour comprendre ce qui est arrivé à ses parents...

Le nom Armel n'est pas venu directement, au départ, le gamin s'appelait Karim. Mais Djian m'avait fait remarquer que ça sonnait un peu trop comme Rachid. De plus, vu la famille de Maelle, un prénom arabe était peu crédible. J'ai alors cherché un prénom qui soit à la fois arabe et breton. Et Armel, sa sonne phonétiquement comme Ahmed !
En plus, moi, quand j'étais môme, les seules Armelle que je connaissais, c'était des filles !
Ça servait grandement mon histoire, car ainsi, le mome souffre de 2 préjugés, il a une tête d'arabe et porte un prénom de fille !
Du coup, il s'est toujours questionné pour comprendre ses différences.
C'est son enquête qui va lui apporter les réponses à ses questionnements !

Fanch Karadec l'enquêteur Breton, rough de la planche 6 du tome 3© Stéphane HeurteauA travers cette histoire intimiste, tu abordes des thèmes plus vastes tels que la ruralité ou la guerre d’Algérie dont les blessures ne sont toujours pas vraiment cicatrisées malgré le temps… Comment as-tu construit ce récit à « tiroir » s’étalant sur plusieurs années?
La ruralité était très importante. En effet, en 1963/64, lorsque tu veux voir l'assassinat de Kennedy à la télé, tu vas au bistrot, seul lieu ou tu peux trouver un poste. De même, dans des coins reculés, certaines personnes roulent encore en charrette. 17 ans plus tard, au moment de l'assassinat de Lennon, tout le monde à la télé et roule en voiture !
En 15 ans, le monde a énormément changé, et c'était ça mon postulat de départ. La fiction amoureuse et tout ce qui concerne le côté politico-historique est venu se greffer la-dessus par la suite !

Pour le côté Algérie, c'est un peu différent. Je voulais parler de gens qui sont un peu fermés d'esprit, parce qu'ils ne sortent jamais du lieu où ils vivent. J'en ai connu, des gens comme ça. On est proche de Jean de Florette ou l'été meurtrier. Un drame se passe dans un petit village. Tout le monde sait, mais personne ne dit rien. Et puis, 20 ans plus tard, les circonstances font que ça leur pète à la gueule et ils ne comprennent pas ce qui leur arrive.
Forcément, en situant mon récit un an après l'Algérie, j'en arrive à parler de racisme, de rancoeurs... de même, à l'époque, les femmes n'avaient pas encore acquis les droits obtenus par le MLF, et tu était majeur à 21 ans... Maelle n'a que 19 ans au début de mon récit, ce qui explique les réactions de son père, qui la surprotège, parce qu'il a peur pour elle. Il a déjà perdu un fils en Algérie, il ne veut pas qu'il arrive du mal à sa fille...
Alors, il s'y prend mal !

 Fanch Karadec l'enquêteur Breton, crayonné de la planche 6 du tome 3 © Stéphane HeurteauPour la construction, j'ai directement écrit mon récit de manière linéaire, en situant à chaque fois le début de chaque séquence le jour d'un évènement marquant. puis, j'ai divisé le tout en 2 parties principales: le milieu des années 60 et la relation entre Rachid et Maelle pour le tome 1, et le début des années 80 avec l'enquête d'Armel pour le tome 2.
Ensuite, j'ai fait en sorte que les séquences ne soient pas forcément dans l'ordre chronologique, tout en restant le plus lisible possible.

Le tome 1 commence par les évènements de Plogoff, le tome 2, par l'Amoco Cadiz. Ces 2 évènements permettent de mettre en scène Jil Turnal, l'anarchiste autonomiste, et Joseph Mériadec, le maire de Crozon, d'entrée de jeu !
La suite du récit permet de mieux comprendre l'importance de ces 2 personnages !

Comme pour Hyde, plusieurs histoires ont été écrites. Il fallait alors trouver un lien entre toutes ces histoires et entre ces personnages. Et ce lien, c'est Armel et son enquête !

 Fanch Karadec l'enquêteur Breton, couleur de la planche 6 du tome 3© Stéphane HeurteauEnsuite, vu la durée du récit dans le temps, on peut apercevoir Jaruzelski et Walesa, Jim Morrison, Jean-michel Caradec, les élections de 81, la mort de Bob Marley, celle de Bobby Sands etc etc...
Je profite même de la scéne finale du tome 2 pour faire un petit clin d'oeil à Fanch Karadec.

Pour finir, chaque tome devait commencer par un texte de Xavier Grall, faisant le parallèle entre l'Algérie et la Bretagne, et je tenais à ce que chaque tome ait une préface. Un kabyle (Idir), pour le tome 1, un breton (Gilles Servat), pour le tome 2.

 Fanch Karadec l'enquêteur Breton, version finale de la planche 6 © Stéphane HeurteauEnsuite restait le dessin. Je m'y suis attelé en février 2012. J'ai entièrement dessiné, mis en couleur et scanné le tome 1, qui à l'origine faisait 80 pages, puis, j'ai démarché les éditeurs. Coop Breizh s'est montré intéressé, malgré le fait qu'ils ne font pas de bande-dessinée en temps normal.
Vu le contexte et le sujet, ça leur a parlé tout de suite !

Un an plus tard, le tome 1 sortait, suivi, 6 mois plus tard, par le tome 2.


Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

© Stéphane Heurteau un personnage de BD: Corto Maltèse
un personnage mythologique: Samson
un personnage de roman: Sherlock Holmes
une chanson: La nuit je mens
un instrument de musique: une guitare électrique
un jeu de société: les échecs (clin d'oeil à une question précédente...)
une découverte scientifique : la distillation du whisky
une recette culinaire: les crèpes
une pâtisserie: les crèpes
une ville: Nantes
une qualité : impatient
un défaut: impatient
un monument: mini body !
une boisson: devine...
un proverbe : un tien vaut mieux que 2 tu l'auras (version Kubrick)

Un dernier mot pour la postérité ?
« Le monde se divise en 2 catégories, ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent...
Toi, tu creuses ! »

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Mille mercis à vous, c'était vraiment très agréable !

 Crayonné pour Douceur des Îles Bretonnes © Stéphane Heurteau

Fanch Karadec a obtenu le prix polar de la meilleure série à Cognac en 2010.
Hyde a obtenu le prix BDZILES CARIBULLES en Guadeloupe en 2012
Sant-Fieg a obtenu le prix polar du meilleur one-shot ou dyptique à Cognac en 2013.
Fanch Karadec et Sant-Fieg sont tous les 2 en lice pour le prix du meilleur album Breton, à Quimper, en février 2014.
Les votes se font sur le lien suivant: http://www.pennarbd.com


Le Korrigan