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Entretien avec Olivier Legrand
interview accordée aux SdI en Février 2014


Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à notre interview !

Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi? (parcours, études, âges et qualité, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse…)

Je n’ai pas de compte numéroté, mais j’ai une double-vie : je suis professeur de Français dans un lycée de Caen et je suis aussi scénariste de BD et concepteur de JDR. La bande dessinée et le jeu de rôle font partie de mes plus vieilles passions, et je suis évidemment ravi de pouvoir concilier les deux, avec le jeu de rôle des Quatre de Baker Street – mon premier jdr « officiel / professionnel » ; les autres jeux de rôle que j’ai écrits jusqu’ici sont des jdr amateurs et gratuits, disponibles sur Internet : Imperium, La Terre des Héros, Mazes & Minotaurs, Solomon Kane et quelques autres… Côté BD, je travaille toujours en tandem avec un autre scénariste, mon comparse Jean-Blaise Djian ; pour l’instant, nous avons trois séries en cours : Les Quatre de Baker Street (avec David Etien, chez Vents d’Ouest), Les Derniers Argonautes (avec Nicolas Ryser, chez Glénat) et Le Service (avec Alain Paillou, aux éditions Emmanuel Proust). Trois univers totalement différents : l’aventure urbaine victorienne, la fantasy mythologique et le polar politique ultra-noir. En 2014, nous sortirons aussi le premier tome d’une nouvelle série de fantasy élisabéthaine mêlant magie, complots, et sentiments.

Bienvenue à Londres! © David EtienEnfant, quel joueur et quel lecteur étais-tu?
En tant que lecteur, j’avais déjà une prédilection pour la littérature « de genre ». A 10-11 ans, après avoir vu le dessin animé de Ralph Bakshi, j’ai dévoré Le Seigneur des Anneaux, qui m’a fait découvrir à la fois l’heroic fantasy et le plaisir de s’immerger dans un roman-fleuve… A cet âge-là, je lisais aussi des nouvelles de Sherlock Holmes, les romans d’H.G. Wells – un peu plus tard, il y a eu Lovecraft Howard etc. J’ai eu la chance de grandir dans une maison remplie de livres (y compris un énorme placard à BD), au sein d’une famille de grands lecteurs - dont un grand frère avec qui j’ai passé des heures à parler de la Terre du Milieu, du Mythe de Cthulhu ou, plus tard, du monde de Glorantha et un père qui avait lu de la SF dans sa jeunesse et dont « La Guerre du Feu » de Rosny Ainé était - et est toujours - LE roman préféré (il a aujourd’hui 75 ans et a récemment découvert avec enthousiasme la série « Game of Thrones »…) En ce qui concerne le jeu de rôle, j’ai fait mes premières parties de Donjons & Dragons avec mon grand frère comme meneur de jeu… et les autres joueurs étaient nos parents – une configuration assez atypique, surtout à l’époque - je n’ai donc pas eu à subir les suspicions et inquiétudes parentales qu’ont connues la plupart des rôlistes ayant fait leurs premières armes dans les années 80. J’ai eu beaucoup de chance…

Comment es-tu tombé dans la marmite du JdR ?
Tombé dans la marmite, oui, c’est vraiment le mot… Ca s’est fait par l’intermédiaire de mon grand-frère : nous étions déjà « tombés » dans Le Seigneur des Anneaux et nous avons ensuite découvert ce qu’était exactement le jeu de rôle grâce au n°4 de la mythique revue « Jeux & Stratégie » – un numéro qui, je crois, a été une révélation pour beaucoup de rôlistes de ma génération. Après les premiers donjons, nous sommes rapidement passés à d’autres jeux, notamment les jeux Chaosium, dont Call of Cthulhu, Stormbringer et Runequest. A cette époque, il n’y avait aucun JdR en français, et ce hobby m’a donc obligé à développer mon anglais (ce que je n’ai jamais regretté par la suite).

Si tu devais expliquer le JdR à ma grand-mère en quelques mots, que lui dirais-tu ?
De demander à son petit-fils ? Plus sérieusement, je dirais que c’est un peu comme un roman ou un film, sauf que chaque joueur interprète le rôle d’un personnage et que le meneur de jeu fait en quelque sorte office d’arbitre et de conteur – une forme de fiction partagée et interactive. Ceci dit, la meilleure façon de comprendre ce qu’est le jeu de rôle, c’est d’y jouer…

Les Quatre de Baker Street, le Jeu de RôleQuels sont ton meilleur et ton pire souvenir de rôliste ?
Ca fait plus de 30 ans que je joue – j’ai donc une myriade de « meilleurs souvenirs » de jeu et il me serait impossible d’en isoler un ou même trois. Récemment, j’ai terminé une campagne d’Ambre (le fameux « jeu de rôle sans dé ») que j’ai menée pendant dix ans, avec une fréquence de jeu très régulière, et l’intégralité de cette campagne est un de mes plus grands souvenirs de jeu – ça a vraiment été une expérience rôlistique unique, partagée avec des joueurs hors pair… et pleine de moments de jeu inoubliables, chargés d’émotion, de créativité et d’imagination. Quant au « pire souvenir », je préfère répondre « joker » ; je dirais juste que je n’ai très peu de mauvais souvenirs de jeu, mais qu’il n’y a sans doute pas grand-chose de pire qu’une partie de jdr où on s’ennuie comme un rat mort…

De joueur, tu es devenu créateur de jeux de rôles… Qu’est ce qui t’a donné envie d’écrire tes propres règles et de créer tes propres univers ?
Je ne me vois pas comme un créateur d’univers. La plupart de mes JDR amateurs sont tous directement inspirés d’univers fictionnels préexistants, comme la Terre du Milieu (La Terre des Héros), le monde de Solomon Kane ou l’univers du cycle de Dune (Imperium) – et ceux qui ne le sont pas (Polar, Mazes & Minotaurs, Uchronia 1890 etc.) cherchent à adapter un genre particulier de fiction – et c’est d’abord cela qui m’intéresse, en tant que concepteur de jeu et en tant que MJ : comment rendre en jeu l’ambiance et la réalité de telle œuvre de fiction, de tel genre ou de tel univers. Comme MJ, j’ai d’ailleurs aussi une prédilection pour les jeux inspirés d’univers préexistants, comme par exemple Ambre ou Dr Who ou pour des jeux que l’on peut directement rapprocher d’une œuvre ou d’un genre bien défini. Le jdr des Quatre de Baker Street est un peu un cas particulier, puisqu’il adapte une série de BD dont je suis coscénariste – mais là encore, il s’agit d’un univers préexistant, le Londres de Sherlock Holmes. Pour en revenir à la question, ce qui me pousse à écrire un jdr, c’est généralement le désir de pouvoir mener ce jeu, de pouvoir faire jouer dans un univers qui m’attire avec un système de jeu qui me convient. Pour Imperium et La Terre des Héros, par exemple, c’est ce qui s’est passé : j’ai réfléchi à la campagne que j’allais finalement faire jouer tout en développant les règles du jeu…

Comment as-tu rencontré Djian avec qui tu scénarise, entre autre, la série des Quatre de Backer Street si superbement mis en scène par David Etien ?
Ma rencontre avec Jean-Blaise Djian a été assez miraculeuse. Il se trouve que JB a travaillé, pendant quelque temps, dans la réserve du CDI du lycée où j’enseigne. Un jour, comme il savait que j’étais prof de français, il est venu me parler d’un projet de roman qu’il avait ; on a commencé à discuter de bouquins et là, il m’apprend qu’il est « accessoirement » scénariste de BD publié. Je lui dis alors : « J’aurais adoré être scénariste de BD… », en m’attendant à ce qu’il me réponde quelque chose comme : « Ah bon ? Enfin bon, vous êtes prof, chacun son métier… » et ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Il m’a dit : « Ah bon ? Vous savez, si vous avez des idées, on pourrait discuter et essayer de monter un projet ensemble… ». Et c’est ce qui s’est passé. On a commencé à bosser ensemble sur un projet de BD de fantasy qui ne s’est finalement pas concrétisé, mais cela nous a permis d’apprendre à nous connaître et, très vite, on est reparti sur un polar politique situé dans les années 30, qui est devenu notre premier album, « Parabellum », avec Alain Paillou au dessin.

Excellent polar par ailleurs !

Comment est née cette idée de mettre en scène ces gosses des rues qui interviennent dans plusieurs enquêtes d’Holmes ?

L’idée initiale vient de David Etien, avec qui Jean-Blaise avait déjà réalisé « Chito Grant », une série western. David lui avait dit qu’il aimerait bien travailler sur une série avec des enfants, dans le Londres victorien… et comme JB savait que j’étais très féru de cette période, il m’a demandé ce que cette idée m’inspirait. J’ai aussitôt pensé aux francs-tireurs de Baker Street, les gamins des rues qui aident parfois Sherlock Holmes dans ses enquêtes… et nous sommes partis là-dessus. Dès le début, nous avons décidé de créer nos propres personnages, à l’intérieur du « concept » des francs-tireurs inventé par Conan Doyle : Billy l’apprenti-détective, Charlie la fille-déguisée-en-garçon et Black Tom l’Irlandais tête brûlée… avec, bien sûr, un compagnon à quatre pattes (qui ne pouvait être qu’un chat, nos gamins étant, eux aussi, à leur manière, des « chats de gouttière »).

Les Quatre de Baker Street, extrait du Jeu de RôleJe suppose que l’envie de créer un jeu de rôle dans l’univers des Quatre de Baker Street émane de toi… Comment t’est venue ce désir et comment les éditions Vents d’Ouest ont-elles reçue cette idée ?
Oui, l’idée est venue de moi ; j’avais déjà écrit « Gnomes JDR », un jdra gratuit destiné aux très jeunes joueurs (et à leurs parents) et je me disais depuis déjà pas mal de temps que « Les Quatre… », avec son côté ‘aventures & enquêtes’ et son univers très identifiable (le Londres de Sherlock Holmes) ferait un excellent support pour un jeu d’initiation / de découverte un peu plus étoffé (et plutôt destiné à un public allant, disons, de 9 à 99 ans). Initialement, ce jeu de rôle devait être inclus dans le hors-série « Le Monde des Quatre de Baker Street » mais il est vite devenu évident qu’il prendrait trop de place et que « Le Monde des Quatre… » méritait vraiment d’être présenté comme un ouvrage à part entière, destiné à tous les amateurs de la série ; il nous a donc paru plus judicieux de séparer les deux ouvrages (qui se trouvent désormais réunis en un coffret, avec le tome 1 de la série). Une fois le projet clairement défini, l’éditeur s’est montré vraiment enthousiaste. Avec « Le Monde des Quatre… », c’est une autre façon d’explorer l’univers de la série…

D’autres scénario que celui proposé dans le livret du jeu de rôle sont-ils en préparation? Si oui, seront-il disponible au format papier ou seront-ils téléchargeable sur le net?
Il est encore un peu tôt pour en parler, mais l’idée d’un suivi sur le net semble vraiment la bonne approche.

Le jeu de rôle des Quatre de Baker Street semble avoir reçu un très bon accueil dans la communauté rôlistique, l’articulation BD (qui permet aux joueurs de s’immerger dans l’univers de façon savoureuse) / JdR et le fait d’y incarner des gosses des rues en fait un outil d’initiation idéal pour les plus jeunes… Plus d’un parent doit songer à initier leurs progénitures avec ce jeu! Peux tu en quelques mots nous présenter la mécanique de jeu que tu as concocté pour les Quatre de Baker Street ? Quelles furent la (ou les) ligne(s) directrice(s) qui ont présidé à la création des règles?
Dès le départ, je souhaitais un moteur de jeu ultrasimple, n’utilisant que des dés à six faces et qui réduise au minimum le nombre de jets de dés à effectuer, surtout pour le meneur de jeu.
En ce qui concerne la création de personnages, il n’y a pas de distinguo entre « caractéristiques » et « compétences » : les personnages-joueurs sont définis par dix aptitudes généralistes appelées « domaines » et dont la liste a été soigneusement pensée pour « coller » à l’univers de la série, mais aussi au type de personnages incarnés par les joueurs (des gamins des rues apprentis-détectives) : des domaines comme l’Observation, la Discrétion ou l’Investigation, ou encore l’Acrobatie, la Cambriole et même la Bagarre, mais pas (par exemple) de score de « Force », ce critère pourtant quasi-incontournable en jeu de rôle n’ayant pas vraiment de pertinence ici – contrairement à la Rapidité, qui joue souvent un rôle décisif dans les situations que la BD met en scène. Pour aboutir à ce listing d’aptitudes, j’ai procédé comme je le fais d’habitude pour adapter un roman ou une autre œuvre préexistante en JDR : j’ai relu et analysé toutes les scènes où l’on voit les héros utiliser leurs capacités, afin de pouvoir traduire ensuite tout cela en termes de jeu.
A cela s’ajoute une réserve de Points d’Aventure, renouvelable à chaque début de scénario, qui permet au joueur de faire bénéficier son personnage de gros coups de bol, de rattraper in extremis un test manqué etc. ; dans la BD, on voit très souvent nos héros « retomber sur leurs pieds » après avoir cafouillé ou éviter de justesse une situation de grand danger, et il était essentiel de faire de cette possibilité un des aspects essentiels du système de jeu. Il fallait aussi intégrer au système des aspects emblématiques de la série, comme par exemple la possibilité d’avoir un animal-mascotte dans le groupe (et l’implication dudit animal dans les scènes d’action).
Les Quatre de Baker Street, crayonné de la planche 25 © David EtienLe moteur de jeu est très simple (ce qui est, je pense, une nécessité pour un jeu de type « découverte ») : pour réussir une action importante, on lance un dé (D6) et l’action est réussie si le résultat est inférieur ou égal à la valeur testée. Il n’y a pas d’ajustements de difficulté variable : si une action est jugée comme facile ou sans véritable importance dramatique par le meneur de jeu, elle ne nécessite aucun jet de dés ; à partir du moment où les capacités des personnages sont mises à l’épreuve, c’est qu’il y a une vraie difficulté, ou un vrai danger, une prise de risque… Ce système permet une lecture directe du résultat : d’un coup d’œil, on sait si c’est réussi ou raté, sans qu’il y ait le moindre calcul à faire. Et si un joueur novice a un peu de mal à se faire à l’idée qu’il faut faire « le moins possible » sur le dé, il suffit de lui présenter les choses ainsi : « si tu as 3, tu réussis sur 1/2/3, si tu as 4, tu réussis sur 1/2/3/4 et ainsi de suite »…
A partir de cette base très simple, je voulais aussi transformer en simple « applications » du système de jeu des éléments qui font souvent l’objet de règles spécifiques dans les jeux de rôle. Ainsi, dans ce jeu, les armes n’ont pas de caractéristiques aussi détaillées que dans la plupart des JDR (en grande partie parce que nos héros n’en utilisent presque jamais), mais leurs effets sont bel et bien pris en compte en termes de jeu ; de même, les blessures et autres dommages ne sont pas comptabilisées de façon spécifique (par le biais, par exemple, d’un total de points de vie) mais leurs effets sont, là encore, pris en compte par le système de jeu – avec, comme toujours, le souci de « simuler la série » comme critère principal ; ainsi, si un franc-tireur se prend une balle ou un coup de couteau, il a toutes les chances de perdre la vie… mais ses points d’Aventure lui donnent aussi toutes les chances de pouvoir éviter une telle attaque. Dans un univers comme celui des Quatre de Baker Street, les attaques sont faites pour être esquivées ou évitées de justesse, et pas pour être « encaissées » jusqu’à ce qu’on ait atteint une limite de résistance.
Enfin, dès le début, j’avais décidé que les PNJ ne seraient pas « logés à la même enseigne » que les personnages-joueurs, en ce qui concerne leur définition en termes de jeu. Dans ce jeu, les ennemis et les alliés non-joués obéissent à des règles différentes (mais très simples), qui leur permettent d’avoir une vraie importance sur le cours de l’action, mais en gardant toujours le « focus » du système de jeu sur les personnages-joueurs… Et là encore, il fallait « simuler la série », et donc avoir des règles qui permettent à des gamins (certes très débrouillards) de mettre hors d’état de nuire des adversaires beaucoup plus dangereux qu’eux, ce qu’un système plus générique ne permettrait pas de faire : dans la série comme dans ce jeu, quand les héros parviennent à se débarrasser d’un ennemi, ce n’est certainement pas parce qu’ils auront été « plus forts » ou « meilleurs combattants » que lui, mais parce qu’ils auront su utiliser leurs armes à eux - la rapidité, l’adresse, mais aussi l’astuce et, dans pas mal de cas, la chance représentée en jeu par les points d’Aventure.

Holmes et les Quatre de Baker Street © David EtienLors de l’écriture, quels sont les points communs et les différences entre un scénario de BD et un scénario de jeu de rôle ?
Même s’il existe de nombreux points communs inhérents à toutes les formes de fiction scénarisées, ce sont vraiment deux écritures très différentes. Pour schématiser les choses, un scénario de JDR repose sur « ce qui pourrait se passer », alors qu’un scénario de BD repose sur « ce qui se passe ». Chaque approche a ses propres difficultés, ses propres contraintes et ses propres avantages. Pour le scénario d’introduction inclus dans les règles des Quatre de Baker Street, L’Affaire Wiggins, j’ai travaillé avec mon comparse Jean-Blaise sur les ressorts de l’intrigue - et c’était vraiment intéressant, car il n’avait qu’une idée très floue de ce qu’un scénario de JDR peut être, alors qu’il est un scénariste de BD chevronné : ça a justement été une très bonne occasion de voir en quoi les deux écritures différaient et, quand nous réfléchissions ensemble aux ressorts de l’intrigue, Jean-Blaise me posait des questions comme : « Oui mais, si les méchants font ça, qu’est-ce qui va se passer pour les héros ? » et je lui répondais : « Justement, c’est en jeu que ça se règlera ! ». A la fin, il avait vraiment bien intégré cette logique particulière et a fait des suggestions très pertinentes sur les issues possibles du scénario, la façon dont l’intrigue pourrait ensuite rebondir ou se prolonger dans un épisode ultérieur. Au final, je dirais que ces séances de brainstorming étaient une très bonne illustration des similitudes mais aussi des différences entre « écriture BD » et « écriture JDR ».

Les aventures de vos héros se déroulent dans les bas-fonds de Londres, à la fin du XIXème siècle. Cet univers n’est-il pas un peu glauque pour un jeu de rôle destiné à de jeunes joueurs ?
Tout dépend de ce que l’on entend par « jeunes joueurs » ; s’il s’agit de très jeunes joueurs (7-9 ans), mieux vaut en effet s’orienter vers un jeu plus adapté (comme Gnomes, par exemple). Le jeu de rôle des Quatre… s’adresse plutôt à des joueurs d’une douzaine d’années (ou plus, bien sûr !) ; tout comme la BD qui l’a inspiré, ce jeu met en scène les enquêtes, les exploits et les mésaventures de gamins des rues qui doivent survivre dans un monde rempli de dangers de toutes sortes… exactement comme Gavroche dans Les Misérables ou comme le Oliver Twist de Dickens. Partant de là, le côté sombre ou « glauque » de l’univers, les thèmes des aventures, l’ambiance de jeu, tout cela a évidemment vocation à être modulé par le meneur de jeu en fonction de la maturité, de la sensibilité et des attentes des joueurs, comme pour n’importe quel jeu de rôle.

Crayonné de l’ex-libris réalisé pour la librairie BD Fugue Café © David EtienComment se déroule l’écriture à quatre mains d’un album des Quatre de Baker Street?
L’écriture s’effectue en plusieurs étapes. Nous commençons par discuter ensemble du concept général, du type d’intrigue – Jean-Blaise et moi, mais aussi David, qui peut tout à fait nous donner des ingrédients spécifiques (comme par exemple pour le tome 3, pour lequel il nous avait demandé d’intégrer une scène d’action se passant sur un lac gelé). Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur ses grandes directions, je m’occupe de ce qu’on pourrait appeler la « matière première » : les personnages, la trame générale et une première mouture des dialogues, qui, sous cette forme initiale, ressemblent un peu à des dialogues de théâtre (avec didascalies etc.).
Une fois ce premier script terminé, nous le reprenons, Jean-Blaise et moi, pour nous assurer que la mécanique tourne bien, qu’il n’y a pas de « zone d’ombre » qui laisserait trop le lecteur dans le flou, ou encore que les différentes scènes d’action sont distribuées de façon à peu près équilibrées au niveau de la pagination etc. Jean-Blaise procède ensuite à l’étape dite du découpage, qui consiste à transformer le « script » en un document de travail précis destiné au dessinateur, David – avec cadrages, angles de vue, enchaînements, décors etc. Bref, un vrai travail de metteur en scène ! Une fois le découpage fini, nous rediscutons ensemble d’éventuels petits ajustements et, quand nous sommes satisfaits du résultat, nous le présentons à David – et là encore, s’il y a des choses à reprendre, à ajuster etc., nous en rediscutons ensemble. Ce processus de validation par étapes permet d’avoir toujours un autre regard sur ce qui est produit, et de bénéficier de « l’œil », de l’avis et des idées de chacun. Au final, c’est un vrai travail d’équipe, et je n’imagine vraiment pas travailler autrement sur une BD.

Les Quatre de Baker Street, crayonné de la planche 14 © David Etien Le travail sur le background, tant sur le plan graphique que scénaristique, apporte beaucoup de crédibilité aux intrigues développées dans chaque album. Quelles furent vos principales sources documentaires pour tisser vos histoires et donner vie aux ruelles sombres du Londres victorien ?
J’adore la culture britannique, et l’époque victorienne fait partie de mes périodes historiques de prédilection ; j’avais donc déjà une bonne petite bibliothèque sur le sujet avant la naissance de la série… et, depuis, je continue à accumuler une grande quantité de documentation, factuelle comme iconographique. De son côté, David s’est aussi constitué une solide banque de données visuelles… Le web permet évidemment de dénicher de très nombreuses photographies d’époque, mais cela ne suffit pas, car les milieux et les quartiers que nous évoquons dans la série (les bas-fonds) étaient assez rarement photographiés à l’époque, et pas vraiment de façon « spontanée », « sur le vif », pour des raisons techniques mais aussi pour des raisons sociales… on ne peut donc pas compter sur les seules « cartes postales anciennes » ! On trouve aussi, par exemple, d’extraordinaires photos d’identité judiciaire d’époque, qui montrent une autre face de l’Angleterre victorienne… Je lis aussi beaucoup d’ouvrages de référence en anglais - des témoignages d’époque sur les bas-fonds, le monde de la pègre et l’univers policier, mais aussi des ouvrages historiques plus récents. J’ai aussi la chance d’être marié à une véritable experte de l’époque victorienne et de son esthétique ; grâce à Sylvie (qui, incidemment, est aussi une rôliste de longue date), j’ai appris tout un tas de trucs fascinants sur les intérieurs victoriens, la géographie londonienne ou encore les énormes différences dans la mode féminine entre les années 1880 et 1890… et je ne manque pas de la consulter chaque fois que j’ai un léger doute sur la « victorianité » de tel ou tel objet ou détail. Elle m’est aussi d’une aide très précieuse dès qu’il s’agit de mener des recherches sur tel ou tel point particulier. Encore une fois, j’ai beaucoup de chance…
Les Quatre de Baker Street, crayonné de la planche 19 © David EtienLa crédibilité historique est effectivement un élément qui nous tient à cœur – et aussi, je pense, une des raisons de l’attachement des lecteurs à la série. Il faut quand même savoir qu’il y a des différences entre le Londres de Sherlock Holmes et le vrai Londres de cette époque : Arthur Conan Doyle écrivait des récits policiers et non des études sociologiques. Le Londres de Sherlock Holmes est donc à la fois historique et « mythique », il représente en quelque sorte la quintessence, LE lieu emblématique de l’époque victorienne telle qu’elle s’envisageait à travers sa fiction… Les « détectives conseils » comme Sherlock ou les « cerveaux criminels » comme Moriarty n’ont jamais existé dans la réalité – et, dans ses enquêtes, Holmes croise finalement assez peu d’individus ressemblant aux criminels ordinaires de cette époque : tout y est un peu « larger than life » et c’est très bien comme ça ! Dans la série, nous montrons plus souvent (et plus longuement) les bas-fonds que dans les enquêtes de Sherlock, car c’est le monde dont sont issus (et dans lequel se meuvent) les francs-tireurs de Baker Street ; c’est donc le même univers, mais avec un « changement de focus », une dose de Dickens, en quelque sorte… mais aussi, forcément, un certain recul sur cette époque.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…


Le Korrigan



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