Bonjour Gihef et merci de te (re)prêter au petit jeu de l’interview…
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse? Qu’est ce qui t’as donné envie d’en faire ton métier ?
Comme la plupart d’entre nous, la découverte de fabuleux albums et de séries mythiques quand j’étais gamin. J’étais un fervent lecteur des Tuniques Bleues, Gil Jourdan, Spirou & Fantasio, Sammy,… Puis des choses plus adultes, comme Durango, tout Gotlib, Comanche, XIII,…
Pour le reste, je ne crois pas – ou très peu – à la « magic touch ». Il se trouve qu’à 5 ans, je dessinais comme tous les gamins de mon âge. Mais contrairement à la plupart d’entre eux, je n’ai jamais arrêté. Ce qui permet de progresser sans même s’en rendre compte. A un moment, on se dit : « ah mais ouais, c’est cool… et si je faisais ça pour gagner ma vie ? »
(et c’est là que les parents devraient plus fermement intervenir, mais c’est un autre débat)
Une question que l’on peut se poser en voyant ton parcours d’auteur alternant scénarisation et dessin : pourquoi ne dessines-tu pas les séries que tu scénarises?
Parce que j’aime collaborer avec d’autres gens. Notre métier est déjà tellement solitaire, ça favorise également l’émulation et le recul que je n’ai pas toujours par rapport à mon propre travail, que ce soit au dessin ou au scénario. J’ai aussi la chance de travailler avec des gens que j’apprécie énormément au niveau humain, ce sont souvent des amis à la base (comme Damien Vanders, Alcante ou Eric Lenaerts pour ne citer qu’eux). C’est vraiment très agréable de travailler dans de telles conditions. En tout cas, ça aide à relativiser les mauvais côtés…
Quels sont selon les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’auteur de BD?
Les grandes joies ne tiennent finalement plus à grand-chose, mais bon… Disons que la chance de faire un métier qui m’a toujours passionné penche pas mal dans la balance. Il y a aussi les chouettes collaborations (je ne travaille pratiquement qu’avec des gens que je connais et apprécie), le plaisir de découvrir son album terminé… Les grandes difficultés sont plus nombreuses. Signer un projet déjà, c’est moins évident qu’auparavant. Parfois, on a également à faire à des interlocuteurs qui ne sont pas toujours très « pro ». C’est assez rare, mais j’en ai connu. C’est d’autant plus rageant que j’estime être un auteur digne de confiance et assez régulier dans mon travail. Je n’ai jamais planté personne et essaie toujours de penser au bien être de mes collaborateurs. Mais dans certaines sphères du métier, ce type de considération est souvent mis à mal.
Comment as-tu rencontré Renaud avec qui tu as signé le sanglant Crotales. Comment est né l’idée de ce spin-off de Jessica Blandy ?
Eh bien, la première fois que j’ai rencontré Renaud, c’était à l’âge de 5 ou 6 ans. Ma mère le connaissait et m’a un jour emmené chez lui. A l’époque, il faisait « Brelan Dames » et je me souviens d’une planche vue dans son atelier qui m’avait considérablement marqué. Déjà à cet âge, je cultivais l’envie dans un coin de ma tête de faire de la BD, et cet instant a été magique. On s’est recroisé 30 ans plus tard dans les locaux des éditions Dupuis et je lui ai raconté l’anecdote. Il se souvenait de moi et une franche complicité est née. A l’époque, il travaillait sur « La Route Jessica » avec Jean Dufaux et désirait reprendre les personnages des tueurs (Soldier Sun & Agrippa) une dernière fois avant d’abandonner pour de bon l’univers de Jessica Blandy. Jean ne désirant plus continuer la série, a laissé Renaud libre de choisir un scénariste pour prendre la relève. Entretemps, j’avais réalisé mon tout premier album en qualité de scénariste (Mr Hollywood) et il l’avait lu. Il m’a appelé en me disant n’avoir pas été particulièrement touché par ce genre de récit, mais qu’il appréciait néanmoins le dynamisme de mes dialogues et la façon dont je faisais vivre les personnages. Il m’a demandé de le « séduire » en me donnant quelques éléments qu’il désirait retrouver dans un nouveau cycle de « La Route… ». J’ai cogité quelques temps, et lui ai soumis un premier jet qu’il a apprécié.
D’Encre et de Sang, récit se déroulant à Bruxelles sous l’occupation, est paru il y a quelques jours. Comment est née l’idée de cette nouvelle série ? Peux-tu en quelques mots nous faire le pitch de la série ?
Comme la collaboration sur Crotales s’est très bien passée, nous avons décidé de remettre le couvert, mais dans une voie radicalement différente. Sur Crotales, j’ai dû m’adapter à l’univers bâti par Jean et Renaud durant une vingtaine d’années. Ca a été quelques fois souligné, et je ne m’en cache pas, oui j’ai fait du « sous-Dufaux ». Mais sur D’Encre et de Sang, nous avons créé un authentique terrain de jeu commun. Je pense que Renaud a repensé son dessin et sa mise en scène et s’est débarrassé de certains « tics » qu’il a pu accumuler tout le long de sa carrière avec Jean.
L’idée de situer notre intrigue durant l’occupation allemande vient de Renaud. Au départ, il désirait situer l’action à Paris, mais j’étais moyennement emballé par l’idée, il y a tellement de choses qui ont déjà été faites (à croire que les allemands n’ont envahi que la capitale française…)
J’ai donc suggéré Bruxelles et au fil de mes recherches, j’ai songé à reprendre un des moments forts de l’occupation bruxelloise : la réquisition du journal Le Soir (qui existe toujours) et la collaboration généreusement répandue dans la capitale belge à l’époque et personnifiée par Léon Degrelle et le mouvement Rexiste. C’est également un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la collaboration. Je n’ai jamais compris comment on pouvait trahir ses semblables de la sorte, quelle que soit la raison. Les soldats allemands, eux, ne faisaient qu’obéir aux ordres. Les collabos choisissaient de faire le mal de leur plein gré. Je trouve ça considérablement plus grave au final.
Notre intrigue, quant à elle, est fictive. Nous emboîtons le pas d’une journaliste autrichienne, espionne pour le compte de l’O5 (résistance autrichienne), qui débarque à Bruxelles pour retrouver la trace de Léon Degrelle, dont la tête a été mise à prix par la résistance bruxelloise.
Parallèlement à ça, nous découvrons qu’un tueur en série sévit dans la ville et ne tue que des jeunes femmes juives. Son identité sera très vite dévoilée (pour ceux qui ne l’auraient pas déjà découvert dans le premier tome), mais le cœur même et le dénouement de l’intrigue reposera sur la raison qui pousse cette individu à agir.
Pourquoi deux auteurs aussi renommés que toi et Renaud ont-ils décidé de choisir une plateforme participative pour éditer cet album ?
Tout simplement, parce qu’aucun autre éditeur n’a été séduit par le projet.
Je suis halluciné que deux auteurs avec votre bibliographie peine à trouver un éditeur…
Les projets ne se signent pas à la gueule des leurs auteurs, et c’est tant mieux. Je pense aussi que le fait que l’intrigue se déroule à Bruxelles a freiné plus d’un éditeur français.
En combien de tomes est prévu l’intrigue D’Encre et de Sang ?
Deux tomes. Le second est actuellement en financement. Dès que nous aurons atteint 75%, le projet est assuré de sortir. Actuellement, nous sommes à un peu moins de 30% récoltés en un peu plus d’un mois. Nous avons donc bon espoir de nous y atteler d’ici la fin de l’année.
Comment s’est organisé le travail avec Renaud ? Du découpage à la planche finalisée, quelles sont les différentes de l’élaboration d’une planche?
Ma foi, c’est assez classique : je lui soumets un découpage pour chaque planche, il élabore un storyboard (que je ne vois pas nécessairement), puis il m’envoie les planches au crayon et enfin finalisées (encrage+couleur).
En tant qu’auteur complet (scénario et dessin), quelle étape préfères-tu dans l’élaboration d’un album ?
Sans aucune hésitation, le découpage et les dialogues. C’est à cet instant que l’histoire prend réellement vie et j’éprouve beaucoup de plaisir à faire parler mes personnages.
Quelles furent tes principales sources documentaires pour élaborer l’intrigue de cette série? Quel(s) livre(s) conseillerais-tu à un lecteur désireux d’en apprendre plus sur cette période?
Essentiellement de la doc glanée sur le net et l’un ou l’autre documentaire. Mais le fait d’avoir réalisé un récit dans ce contexte historique ne fait pas de moi un spécialiste en la matière, loin de là.
Du coup, je ne sais trop que répondre à la seconde question.
Il y a un documentaire que j’avais trouvé très intéressant au sujet du mouvement Rexiste et de son créateur, Léon Degrelle, qui est au centre de l’intrigue. Mais je serais bien incapable de vous donner les références, ça fait un bout de temps que je l’ai vu.
Le Soir, l’occupation… On pense nécessairement au faux numéro du journal publié le 9 novembre 1943 … Cet incroyable fait de résistance aura-t-il sa place dans ton récit?
Pas réellement. Je l’évoque dans un dialogue d’Hodeige (le rédacteur en chef du Soir Volé de l’époque) lors du premier tome, mais ça tient davantage du clin d’œil.
Notre récit s’inscrit plutôt dans le genre « thriller » que réellement historique.
L’Histoire constitue ici le contexte dans lequel nos personnages (certains réels, d’autres fictifs) vont évoluer.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Je dévore énormément de série télévisées, c’est donc plutôt là que se trouvent mes derniers réels coups de cœur. En vrac, je dirais :
Ray Donovan,
The Good Wife,
Orange is the New Black,
Suits,
Fargo et
The Americans pour les séries dramatiques. Ensuite, il y a les sitcoms – ou assimilées – plus « humoristiques » telles que
Silicon Valley,
Workaholics,
Veep (et plein d’autres que je ne citerai pas par manque de place). Ou encore, des séries animées comme
Archer et
Bob’s Burgers.
J’écoute aussi énormément de musique, tous genres confondus (rock, metal, soul, hip-hop, pop,…)
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Y a-t’il une question que tu as oubliée et à laquelle tu aimerais que je réponde ?...
pour l’heure non… mais ça pourrait me revenir…
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Marv de Sin City
un personnage mythologique: Dean Martin, dieu de l’anti-cuité
un personnage de roman: James Bond
une chanson: Born to be Wild
un instrument de musique: le Sitar
un jeu de société: le Scrabble
une découverte scientifique: l’œuf
une recette culinaire: la fondue savoyarde
une pâtisserie: le moka
une ville: San Francisco
une qualité: la sincérité
un défaut: la colère
un monument: le Grand Canyon
une boisson: le Coca-Cola (zéro)
un proverbe : « le chat ne tombe jamais loin de l’arbre » (ou quelque chose du style)
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!