Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Non
Merci bien… Peux-tu, en quelques mots, nous parler de toi? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans…)
Je suis né en 1974, en région parisienne. Dès le lycée, j’ai intégré une école d’arts appliqués, puis j’ai poursuivi par des études supérieures en communication visuelle — je suis plutôt graphiste de formation. Parallèlement à mes dernières années, j’ai travaillé en tant que petite main dans le dessin animé puis, une fois mes diplômes en poche, j’ai œuvré en indépendant partout où je pouvais manier crayon et souris : animation, édition, publicité, presse, jeu vidéo… J’ai aussi enseigné l’illustration pendant plus de 10 ans à l’école Corvisart de 2003 à 2014.
Peu à peu, la bande dessinée a pris le pas sur mes autres activités et aujourd’hui, elle a même pris toute la place ou presque sous forme de séries régulières dans la presse jeunesse (« Raph’ et Potétoz » dans Okapi et « L’école de P.A.N. » avec Maëlle Fierpied dans Moi, je lis) et quelques projets plus personnels que je parviens à glisser entre ces rubriques.
A côté de mon « métier », je suis toujours un lecteur de BD curieux et éclectique. Autre occupation notable qui pourrait intéresser vos lecteurs : ancien rôliste — rôliste un jour, rôliste toujours… je prépare la relève
— je suis assez friand de jeux de société, voire même un peu fondu ! J’avoue avoir aussi un certain intérêt pour tout ce qui touche aux zombies, que ce soit en jeu, littérature (si, si, il y en a !), BD et évidemment cinéma ou série… Personne n’est parfait !
Mon numéro de Carte bleue est le 4972… Heu… Non, rien.
Enfant, que lecteur étais-tu ? La BD occupait-elle déjà une place de choix ? Quels étaient alors tes auteurs de chevet ?
Nous avions, à la maison, à une grande collection de BD classiques franco-belge : Boule & Bill, Spirou, Tintin, Gaston Lagaffe, Les schtroumphs, Lucky Luke, Astérix mais aussi du Reiser, Wolinski, Cabu, Schultz… Je passais mon temps le nez dedans, évidemment, tantôt même à en reproduire les images. Dès l’âge de 8 ou 9 ans, j’ai été abonné au journal de Spirou que j’attendais fébrilement chaque semaine. Franquin restera toujours pour moi une référence. Plus tard, alors jeune étudiant en arts appliqués, j’ai redécouvert certains auteurs, notamment Loisel dont le « Peter Pan » m’avait alors bien scotché.
Devenir dessinateur de BD, étais-ce un rêve de gosse ? Comment as-tu sauté le pas ?
Alors, rien de très original là-dedans, en effet. Depuis tout môme, je dessine, entouré que j’étais d’albums en tout genre et, du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours clamé haut-et-fort que je deviendrais dessinateur de bande dessinée, conforté dans ce choix par mon entourage. Et ça a fini par arriver. Professionnellement, je n’ai pas commencé par la BD même si cela est toujours resté dans un coin de ma tête. J’ai attendu quelques années avant de pondre un projet un peu trop gros pour moi — « Jacques », une histoire comiquo-policère en 3 tomes dans un style trondheimien très prononcé. J’ai fini par montrer ces planches et accumulé quelques conseils de pros dessus : un peu découragé par un Lewis Trondheim lapidaire, motivé par un Jean-Christophe Chauzy enthousiaste, conforté par un très humble Larcenet et éclairé par un Charles Berberian bienveillant… Le projet n’a pas vu le jour et ne le verra sans doute jamais mais je l’ai alors envoyé à tous les éditeurs et c’est sans doute ce qui m’a permis d’être repéré (d’abord Spirou puis Vents d’Ouest) et d’avoir fait mes armes avec son lot de maladresses propres aux premières fois.
Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Ces dernières années, on entend beaucoup parler de la précarité des auteurs et des difficultés à pouvoir sereinement pratiquer tout en en vivant correctement. Véhiculant à tort ou à raison l’image d’une profession-passion, il s’agit avant tout d’un métier fastidieux, souvent solitaire, assez gourmand en temps et en énergie. J’ai personnellement la chance de vivre de mon « art », surtout grâce à la presse et à la régularité de mes publications : maintenant, si je ne devais vivre que des albums et de l’édition, cela serait difficile…
Même si parfois j’aimerais avoir plus de temps pour approfondir sans me soucier du rythme de « livraison », je me plais encore à laisser glisser mon crayon sur la feuille sans me poser de question, construisant une image, une histoire, à force de traits répétés. Je ne me vois d’ailleurs pas du tout comme un artiste mais plus tôt comme un artisan, qui façonne son ouvrage pièce après pièce. Et lorsque l’album devient concret, qu’on peut en tourner les pages et en apprécier « physiquement » le contenu, j’avoue aussi ressentir comme un léger picotement… Ajoutez à cela quelques retours enthousiastes de lecteurs conquis, je ne bouderais pas mon plaisir, ah ça non !
Comment as-tu rencontré Olivier Bleys avec qui tu as signé l’étrange et envoûtant Chambres Noires?
J’ai rencontré Olivier au début de ma carrière d’indépendant : il travaillait alors comme éditeur pour une société de multimédia — Index +, pionnière du CDROM interactif à l’époque. J’y avais présenté mon projet de fin d’étude — un livre mêlant lecture sur papier et sur écran — et j’ai pu par la suite travailler à ses côtés sur de nombreux projets. Nous avons très rapidement tissé des liens amicaux qui ont perdurés bien après nos collaborations professionnelles. Longtemps, nous avons tourné autour d’un projet personnel commun sans y parvenir, lui alors très estampillé auteur historique « sérieux » et moi me considérant comme un auteur jeunesse plutôt « rigolo ». Notre premier projet à 4 mains à voir le jour était « Archéo-bug », une série assez délirante dont 12 planches ont été publiées dans Science & Vie découverte. Puis Olivier a écrit « Le fantôme de la Tour Eiffel » (Gallimard) que j’ai juste A-DO-RÉ ! : l’adaptation de ce roman en BD était pour moi une évidence. Nous avons commencé à travailler sur le projet et rapidement, nous heurtant à des problèmes de droits, nous avons préféré imaginer une histoire originale ayant pour points de départs similaires la fin du 19è et le spiritisme : « Chambres Noires » était lancé.
Quels genre de problèmes de droits si la question n’est pas indiscrète? (ndlr : excellent livre que ce fantôme de la Tour Eiffel!)…
Les droits appartenant à Gallimard, un éditeur BD intéressé par le projet d’adaptation aurait dû négocier avec la maison mère, ce qui en aurait sans doute refroidi plus d’un, créant un intermédiaire supplémentaire. En imaginant une histoire originale, nous évitions ce travers.
Comment est né ce nouveau projet portant sur Toulouse-Lautrec et la composition des panneaux pour la baraque foraine de la Goulue ?
C’est à la base une demande de notre éditeur chez Vents d’Ouest, Maximilien Chailleux. Il travaillait alors sur un projet de collection Glénat autour de la peinture : le principe était déjà évoqué — raconter l’histoire de la création d’une œuvre phare —, une liste existait. Toulouse-Lautrec n’en faisait pas partie, nous l’avons proposé naturellement , avec une époque et un ton dans la lignée de « Chambres Noires », cela coulait de source. Les panneaux de la Goulue, œuvre imposante que j’avais déjà croqué au cours de mes études — j’apprécie particulièrement l’œuvre du petit bonhomme —, avec sa galerie de personnages hauts en couleurs, nous a paru un bon choix comme point de départ à une folle histoire.
Qu’est-ce qui t’intéressait dans l’œuvre de Toulouse-Lautrec ?
Malgré sa petite taille (!), HTL reste pour moi un très grand dessinateur avant d’être un peintre : son trait reste nerveux et spontané, comme s’il avait peint la plupart de ses toiles directement sur place. D’ailleurs, il croquait beaucoup sur le motif. Et puis il y a l’ambiance, la fête, les femmes… De quoi faire une bonne histoire, en somme !
La réalisation de l’album a-t-elle nécessité de nombreuses recherches documentaires? Quelles furent vos principales sources?
Visite incontournable au musée d’Orsay, visionnage d’un documentaire sur les fameux panneaux, recoupages d’informations sur le web… Pour le scénario, même si la trame policière n’a évidemment rien d’historique — simplement un ton feuilletonesque, propre à l’époque —, le fond et la forme restent ancrés dans un certain respect des faits : Olivier a brossé une histoire certes fantasque mais basée tout de même sur des anecdotes et des personnages bien réels. D’un point de vue iconographique, j’avais bien sur toute l’œuvre de l’artiste à portée, je me suis aussi appuyé sur une documentation foisonnante — photographies, décoration, stylisme, mobilier, lieux emblématiques… — facilement accessible sur la toile. Il est vrai aussi que, même si les histoires se déroulent avec 20 ans d’écarts, j’avais accumulé déjà pas mal de ressources fin XIXème avec « Chambres Noires ».
Pour l’apparence des personnages, tu t’es bien évidemment inspiré de ces fameux panneaux qui d’après votre histoire synthétise les principaux suspects de ces disparitions inexpliquées mais aussi tiré d’autres peintures de Lautrec (je pense à Oscar Wilde notamment)… Quel effet cela fait-il à un artiste de (re)donner vie à des personnages immortalisés par cet immense artiste?
Oscar Wilde est bien présent dans les panneaux ! (Il est de dos sur le panneau de droite). La plupart des autres personnages de ces 2 œuvres ont été peints par Lautrec à de nombreuses reprises : son cousin Gabriel, son ami Maurice Guibert, le critique Félix Fénéon, la danseuse Jeanne Avril, la Goulue, évidemment… Pour les autres, nous avons pioché dans la galerie : on peut ainsi y reconnaître Idriss, l’ambassadeur, l’émir, le pianiste, le régisseur…
Avec cet album, c’était trop tentant, je ne me suis pas gêné pour m’inspirer directement de certaines toiles du maître : en regardant ça et là, un œil aiguisé pourra retrouver une composition, un personnage, une atmosphère, une posture…
Du synopsis à la planche finalisée, quelle furent les différentes étapes de ton travail avec Olivier Bleys?
Une fois l’histoire dégrossie dans son ensemble — un synopsis imaginé par Olivier sur lequel nous avons échangé —, Olivier travaille sur un document qui ressemble plus à un script de film ou à une pièce de théâtre, scène après scène, dialogues ciselés au millimètre. Pas ou peu d’indication de découpage ou de mise en scène.
Une fois ce « scénario » écrit, je le découpe en planche à la louche pour doser le rythme général (et ne pas avoir de mauvaises surprises au final) puis m’attelle au découpage en case, page après page : dans un petit carnet, je jette un premier chemin de fer, déroulé grossièrement tracé.
L’étape de découpage proprement dite est réalisée sur ordinateur, à la palette graphique, ce qui me permet de placer les textes, de jouer sur les cadrages et surtout… d’éviter le gâchis de papier ! Ensuite, je fais un tirage de la planche à l’échelle puis la travaille de manière traditionnelle : table lumineuse et crayon de plomb. Une fois satisfait, je scanne la planche car la mise en couleur est effectuée numériquement : Drac, coloriste sur Lautrec, prend alors les rennes et, après de multiples allers-retours, la planche est terminée.
Scène après scène, j’envoie chaque étape à Olivier qui généralement n’a le droit que de dire « bravo » (ou je lui casse les genoux). S’il lui arrive de faire des remarques, je les prends évidemment en considération mais il est rare que j’ai quoique ce soit à modifier. Inversement, à la réalisation des pages, il peut m’arriver d’avoir besoin de couper un dialogue ou au contraire, de ressentir un manque ou le besoin d’une adaptation de texte : Olivier en est immédiatement informé et valide ou propose une alternative. Lui étant à Bordeaux, nous travaillons par mail ou par téléphone.
Quelle étape te procure le plus de plaisir?
L’étape de l’encrage — au crayon, donc— où je laisse ma mine de plomb danser sur le papier à grain, guidé par mon premier tracé est incontestablement celle qui me réjouit le plus : je ne me pose aucune question, et le dessin apparaît, comme par magie !
Depuis que tu en dessines, es-tu toujours friand de bande-dessinée?
J’aimerais en lire plus mais j’avoue avoir du mal à suivre le rythme des sorties. J’ai quelques séries que je suis avec fidélité (Walking dead) et plusieurs auteurs dont je guette les ouvrages : Christophe Blain, Manu Larcenet, Guillaume Bouzard, Blutch… Et, de temps en temps, une petite découverte qui me fait de l’œil sur la table de mon libraire préféré.
Tous médias confondus, quels sont tes dernies coups de cœur ?
En BD, le dernier truc qui m’a marqué, c’est « Docteur Radar » de Bézian et Simsolo, chez Glénat. Jouissif et magnifique.
Au cinéma, j’avoue avoir frissonné en regardant « La dame en noir », un petit film assez récent (2012) avec Daniel Radcliffe, une production Hammer pure jus. Une vraie bonne histoire de fantôme, classique, peut-être un peu kitsch mais j’ai marché à fond .
En série, forcément, je suis « Walking dead » avec délectation. Et je suis dans la mini-série « Utopia », pas mal du tout.
Pour rester dans le thème zombies, côté ludique, j’ai plongé dans « Dead of Winter » (Filosofia) même si « Zombicide » (Guillotine games) reste un must-have. J’attends aussi avec impatience « Conan » de Fred Henry (Monolith) qui a été mon premier kickstarter et qui a su faire vibrer le vieux rôliste qui réside encore en moi !
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Mes projets en cours ou à venir, peut-être ?
À paraître, bientôt : un roman illustré chez Actes Sud Junior (« Lucile & le Balafré » d’Annabelle Fati et Juliette Vallery) ; le tome 6 de Raph’ et Potétoz en juillet prochain ; la compil’ de « L’école de P.A. N. » en BD chez BD kids en septembre suivi d’un roman de la même série chez Milan Pocket en Octobre.
Du côté des projets, je vais bientôt remettre sur les rails un roman graphique écrit par Tanguy Ferrand : « Prohibizion », une histoire de gangster sur fond… d’apocalypse zombie ! Et puis, pour joindre l’utile à l’agréable, sur ma toplist des choses que j’aimerais faire, illustrer un jeu de société me tenterait bien… Dès que j’ai le temps, je m’y colle !
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Le portrait chinois est toujours délicat entre ce qui nous ressemble vraiment et ce qu’on aimerait être : en voici donc un savant mélange
Si tu étais…
un personnage de BD: Calvin
un personnage mythologique: Orphée
un personnage de roman: Hercule Poirot
une chanson: « Hey ! Oh ! Let’s go ! » des Ramones
un instrument de musique: Une guitare bien saturée
un jeu de société: un jeu de rôle maison
une découverte scientifique: Le fil à couper le beurre
une recette culinaire: Un bon hamburger
une pâtisserie: Une tarte au citron
une ville: Brooklyn-Sur-Seine ! Euh… Non, Vitry-Sur-Seine, plutôt
une qualité: Imaginatif
un défaut: Dispersé
un monument: Houlà… Notre Dame des 7 douleurs, à Corbara en Corse. Perso mais pas mieux
une boisson: Une bière blonde bien fraîche (avec des cahouètes)
un proverbe: Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.
Un dernier mot pour la postérité ?
La BD, c’est bon, mangez-en !
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!