Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Pour les comptes suisses, les numéros ne vous serviraient à rien, je les ai tous vidés pour placer mon argent dans des pays moins coopératifs (avec les services fiscaux) et plus accueillants (envers les contribuables). C’est bien connu, les écrivains et les auteurs de BD sont deux métiers parmi les plus rémunérateurs, quelque part entre trader et greffier de tribunal de commerce. Il faut bien loger ces millions quelque part... Personnellement, j’ai un petit faible pour les avions de collection et les chalets montagnards tout en bois, qui permettent une défiscalisation efficace et, d’autre part, sont beaux à regarder. Hum.
Blague à part, je suis un écrivain à l’âge inavouable dont le parcours professionnel se déploie, depuis deux décennies, dans deux directions divergentes : la littérature (une vingtaine de livres publiés traduits en neuf langues, surtout des romans mais aussi des Bds, des essais, un livret d’opéra…) et le multimédia (contributions autrefois régulières, désormais ponctuelles à des cédéroms, jeux vidéos, bornes interactives, etc.). Mes études étaient déjà hybrides, moitié lettres (un mémoire sur Rabelais), moitié technologies (un diplôme d’images de synthèse informatiques). A part ça, j’anime un atelier d’écriture à Sciences-Po, je donne des conférences en France et ailleurs, donc je voyage beaucoup, et je marche encore plus — j’ai entrepris en 2010 un tour du monde à pied, par étapes, commencé dans les environs d’Albi et qui aborde aujourd’hui la Hongrie (voir ici : http://geopedisfr.canalblog.com/ ). Une journaliste inspirée m’a qualifié de « flâneur magique », ça me ressemble assez.
Enfant, quel lecteur étiez-vous ? Quels étaient alors vos auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui ?
J’étais un très bon élève et, avant tout, un lecteur passionné. Je lisais beaucoup de Bds (les séances de lecture à la bibliothèque lyonnaise de la Part-Dieu, des après-midis durant, m’ont laissé un souvenir impérissable), surtout Fred (la série Philémon), Franquin, Gotlib, Tillieux (Gil Jourdan) et tous les succès de l’époque. Plus tard, j’ai découvert les romans que j’ai dévorés avec un égal appétit. A l’origine de mon parcours de lecteur, il y a un acte fondateur : en classe de seconde, pour nous préparer au bac de français, un professeur nous avait distribué une liste de quarante romans classiques qui constituaient des lectures « conseillées. » Je n’avais pas bien saisi la consigne, et j’ai cru qu’il s’agissait de lectures « obligées. » Alors, j’ai consacré deux mois d’été à tout lire. Lire huit heures par jour, jusqu’à m’en faire des maux de tête. C’est un souvenir merveilleux. Je ne crois pas, depuis, avoir vécu une expérience d’une telle intensité. Nombre d’auteurs jalonnent ma vie de lecteur : Marcel Aymé, Jules Verne (à qui j’ai consacré une petite biographie), Pierre Loti (idem), Colette, Gabriel Marcia-Marquez, Henri Michaux, Paul Claudel, Boris Vian… Se sont ajoutés depuis Jean Echenoz, Maylis de Kerangal et pas mal d’auteurs russes. Côté BD, je voue une passion ancienne au duo Schuiten / Peeters et à la série des Cités Obscures, mais aussi aux albums de Nicolas de Crécy, François Ayroles, Daniel Clowes, Charles Burns, Blutch, entre autres.
Devenir auteur, était-ce un rêve de gosse ?
Pas du tout. Je ne sais même pas si ça existe, des gosses rêvant de devenir écrivains ! En tout cas, j’en rencontre très peu lorsque j’interviens dans les collèges. De ce point de vue, j’étais un garçon très conforme. Je voulais devenir pilote d’avion (l’aviation continue de beaucoup m’inspirer), à la rigueur spationaute ou super-héros. Mes lectures du dimanche, c’étaient des magazines de micro-informatique (pionnière, à l’époque) ou d’aviation militaire (je sais encore dessiner un Mirage 2000 à main levée). Plus tard, adolescent, j’ai épousé successivement toutes les ambitions artistiques. Les carrières de dessinateur de BD (j’avais remporté plusieurs concours de dessin autour de mes douze ans), de star électro-funk, de cinéaste m’ont successivement tenté. Celles plus sages d’architecte ou de chef d’orchestre m’appelaient aussi. La musique reste une vocation contrariée. Je joue du piano, je compose un peu. Et, tous les cinq ans environ, j’achète du matériel en rêvant de faire de la musique, au lieu d’écrire des livres. Puis je revends ce même matériel, quelques mois plus tard, en constatant que je n’arrive à rien de bon.
Vous avez écrit de nombreux romans, essais, récits de voyages et bandes-dessinées… Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’écrivain ?
Dans mon cas, les joies sont rares. Recevoir son livre imprimé en fait partie ; mais l’euphorie dure quinze minutes. Siroter des bières sur des salons du livre avec des collègues auteurs ou dessinateurs en est une autre ; mais c’est trois fois par an. J’aime donner des conférences, recevoir des prix, m’attabler avec des éditeurs, sentir pousser en moi les bonnes idées qui, d’un coup, me donnent la clef d’un roman en panne depuis des semaines — ce sont les petits plaisirs furtifs du métier.
Pour le reste, écrire reste une activité solitaire, lente, besogneuse, ingrate, mal payée. Solitaire, surtout. Mon rêve serait d’intégrer un atelier d’artistes, de pouvoir partager ma table de travail avec des consœurs ou des confrères qui déjeuneraient avec moi le midi. Mais c’est incompatible, hélas, avec les exigences redoutables de la création littéraire (silence, concentration, solitude). Alors, je prends mes repas en solo en écoutant France Culture. Franchement, ça n’a rien d’exaltant. Il est possible qu’un jour, je change tout à fait d’horizon, parte à l’étranger sous un nom d’emprunt pour commencer une nouvelle vie d’éleveurs de lamas.
En juillet dernier, vous avez été décoré chevalier des Arts et des Lettres par Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication… Dans quel état d’esprit étiez-vous alors ?
Cette décoration a été attribuée à des gens que j’estime, à quelques artistes que j’admire, mais aussi à des individus dont le travail est à mes yeux sans grande valeur. Elle demeure importante pour moi car, dans une société où tout le monde écrit, et où beaucoup publient (lecteur pendant trois ans chez Gallimard, j’ai pu prendre toute la mesure du phénomène), les distinctions sont des repères. Il n’y a pas de certificat de talent, ni de brevet d’aptitude à la création littéraire, mais certaines récompenses font office de jalons. Je l’écris sans fausse humilité, j’ai l’impression d’avoir bien bossé et d’avoir mérité l’adoubement ministériel. Reste qu’il se trouve autour de moi quantité d’artistes, à commencer par mes deux compères dessinateurs, qui pourraient sans rougir accrocher aussi cette médaille à leur revers. Ça viendra !
Vous inaugurez les Grands Peintres, la nouvelle collection des éditions Glénat, avec deux albums, l’un consacré à Toulouse-Lautrec et l’autre à Francisco de Goya… Quel était le cahier des charges de cette ambitieuse et jubilatoire collection ?
Il s’agit d’évoquer les circonstances publiques et intimes de la création d’un tableau, choisi, comme son auteur, parce qu’il est populaire et parle à tout le monde — mais aussi, bien sûr, parce que le dessinateur et moi-même lui portons un intérêt particulier. Toutefois, ce n’est pas un travail de reconstitution historique. Le scénariste a carte blanche pour développer une fiction autour de l’œuvre retenue, une histoire qui empruntera aux faits et aux personnages réels, mais s’en écartera s’il le souhaite. Le cahier des charges est donc assez souple, ce qui, reconnaissons-le, prête à la confusion et au malentendu. Un certain nombre de lecteurs, non prévenus, ont été déconcertés par la liberté de ton des deux albums que je scénarise, surtout le Toulouse-Lautrec. Certains s’attendaient à une évocation plus précise de l’œuvre abordée, d’autres à une biographie sérieuse, conforme à ce qu’on sait de l’artiste et de son travail. Une troisième catégorie de lecteurs, heureusement la plus nombreuse, a saisi le parti de grande liberté, sinon de fantaisie, qui sous-tend le projet.
Pourquoi avoir choisi les panneaux pour la baraque foraine de la Goulue de Lautrec et l’inquiétant Saturne dévorant un de ses fils de Goya ?
La question s’adresse aussi, et peut-être davantage, aux dessinateurs. En toute franchise, j’ai un peu oublié les circonstances dans lesquelles nous avons choisi les peintres et leurs tableaux, car le scénario a été livré longtemps avant que les dessinateurs commencent leur travail, et ma mémoire a perdu certains détails. Pour Lautrec, comme Yomgui Dumont l’a révélé dans son propre entretien, il s’agissait d’un hommage renouvelé à ce Paris fin-de-siècle dont le goût nous réunit, à cette Belle Epoque qui est peut-être, de toutes celles qui se sont succédé avant la nôtre, la seule où j’aurais voulu vivre (à quelques détails près, la façon par exemple dont opéraient les dentistes d’alors…). J’ai découvert depuis que ma famille paternelle, implantée dans le Sud-Ouest, cousinait vaguement avec celle de Lautrec, mais ça n’a aucun rapport. Les panneaux pour la baraque foraine de la Goulue offraient une connexion avec un autre monde, celui du cirque, de la fête foraine, dont le pittoresque nous parle aussi à tous les deux. D’ailleurs, mon dernier roman chez Gallimard (Haut-Vol, 2014) met en scène un acrobate volant de cette époque. Quant à Goya, la motivation est davantage esthétique. C’est un peintre que Benjamin Bozonnet apprécie, et auquel je voue depuis toujours une grande admiration. Ses gravures en particulier (la série des Caprices) m’hypnotisent, et leurs légendes m’ont toujours paru d’une incroyable modernité, comme d’ailleurs certains vers de Shakespeare ; chacun connaît par exemple : le sommeil de la raison engendre des monstres. Goya est mort à Bordeaux, où j’ai élu résidence. C’est à peu près tout.
Qu’est-ce qui vous attire dans cette Belle Epoque de Lautrec?
Il s’agit d’abord d’une convergence artistique. Que ce soit en peinture, en musique, en littérature ou dans les arts décoratifs, mes goûts dans tous les domaines épousent la création d’avant-guerre. La Belle Epoque porte bien son nom. Il régnait à Paris, dans ces années-là, une insouciance, une gaieté, une folie, une extravagance, une inspiration surtout que le matérialisme brutal des deux conflits mondiaux vont réduire presque à néant, quelques décennies plus tard. Je pense que notre civilisation a connu alors l’un de ses apogées. Pour le dire plus simplement, écouter un récital Debussy en sirotant un vermouth, les vrilles de la Vigne de Colette glissé dans la poche de son veston, ce devait être bon… C’était aussi une époque où Paris devait être vivable, et même charmant(e). Ce que la capitale, dont je me suis échappé, à mes yeux n’est plus.
Allez-vous signer d’autres titres dans cette collection?
J’aimerais beaucoup. En fait, si j’avais pu, j’aurais signé la collection toute entière ! J’étais dernièrement au Mexique, où une journaliste mal informée m’a posé la question : elle pensait que j’avais entrepris, seul, de rendre aux grands peintres cet hommage monumental. Ah, ah ! Et pourquoi pas ? Mais il dépend de l’éditeur de me confier, ou non, d’autres scénarios à écrire. Le choix lui appartient.
Quel(s) projet(s) avez-vous sur le grill?
Une BD jeunesse, sans doute pour la fin d’année. Un roman à paraître à janvier, dont l’action contemporaine se déroule en Chine. La création en novembre 2016 d’un opéra dont j’ai créé le livret. Voilà pour les projets annoncés. J’aimerais aussi écrire sur le tour du monde à pied, par étapes, déjà mentionné. Enfin, je projette un roman sur le Mexique où je prévois d’effectuer de nouveaux séjours, et peut-être une résidence artistique en compagnie du peintre Benjamin Bozonnet qui a dessiné l’album Goya.
Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
Je découvre l’écriture de la romancière Maylis de Kerangal, une jolie fille pleine de talent. Sa prose à la fois tenue et très libre, savante et décomplexée, la situe à mes yeux parmi les très grandes de sa génération. Au demeurant, je ne suis pas le seul à m’en apercevoir (ni non plus qu’elle est jolie). En musique, ma spécialité est d’apprendre l’existence d’artistes révélés depuis trente ans ; c’est le cas ce mois-ci avec Tricky, ex-collaborateur de Bjork et de Massive Attack, dont le morceau « Is that your life » est devenu ma sonnerie de téléphone (en voilà, un gossip!). En BD, El borbah de Charles Burns m’a laissé un grand souvenir, que n’égalent pas toujours les autres albums du même auteur chez Cornelius. Converti de fraîche date aux séries, je cultive avec Better call Saul ma nostalgie des personnages de Breaking Bad, qui n’aurait jamais dû s’achever. Cela fait des semaines que je ne suis pas allé au cinéma, j’attends de retrouver une copine. Car les séances en matinée et en célibataire, bof…
Y-a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre ?
Mon rhésus sanguin ? Ça n’a d’intérêt pour personne, comme cette autre info : j’entends offrir mon corps à la science, et ne me sépare jamais d’une carte officielle de donneur d’organes, glissée dans mon portefeuille.
Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si vous étiez…
un personnage de BD: Franz Bauer, habitant de la ville de Xhystos, envoyé en mission dans la très lointaine cité de Samaris. C’est le protagoniste de l’album « Les murailles de Samaris » de B.Peeters / F.Schuiten, le premier de la série « Les Cités obscures » que je révère.
un personnage mythologique: Icare.
un personnage de roman: Simon Terrefort, dans mon roman Pastel (Gallimard, 2000). La quête qui l’anime, celle d’un bleu idéal, reflète mes propres obsessions.
une chanson: Karma Police, de Radiohead.
un instrument de musique: Le banjo, surtout joué à contre-emploi par Sufjan Stevens.
un jeu de société: 1000 bornes, parce que c’est tellement bon d’avoir les quatre bottes à la fois (as du volant, camion-citerne, increvable, prioritaire).
une découverte scientifique : La sphéricité de la Terre, par Pythagore, vers 480 avant JC. Vingt-quatre siècles avant les satellites… Beau boulot !
une recette culinaire: Le gratin dauphinois, d’autant meilleur que rarement réussi.
une pâtisserie: L’éclair au chocolat. J’ai des mœurs simples.
une ville: Luang-Prabang (Laos), petit paradis méconnu.
une qualité : L’ingénuité.
un défaut: Ma propension à la mélancolie.
un monument: Une pyramide maya, revêtue de belles écritures.
une boisson: La vodka, qui ne gèle jamais même au congélateur.
un proverbe : « J’aime peu les proverbes en général, parce que ce sont des selles à tous chevaux; il n’en est pas un qui n’ait son contraire » (Musset)
Un dernier mot pour la postérité ?
« L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! » (Mallarmé)
« là-bas... là-bas... les merveilleux nuages » (Baudelaire)
N’ayant rien à dire à la postérité, je bricole des citations inspirantes.
Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé!
Merci à vous de m’offrir la parole !