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Entretien avec Jérémie Caplanne
Interview accordée aux SdI en octobre 2010


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Peux-tu tu présenter en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

Bonjour, je m'appelle Jérémie. Je suis né en 1976 après un long été de sécheresse. J'ai œuvré dans un premier temps dans la filière sportive - enseignement, fitness, piscines - mais je travaille désormais dans la filière culturelle au sein d'une média-ludothèque. Je suis le père de deux enfants. Je ne pense pas être un geek, ma passion se situe très précieusement dans le processus de création et de développement de nouveaux jeux. J'aime faire découvrir l'univers des jeux de société modernes aux joueurs qui s'ignorent.

Enfant, quel joueur étais-tu? N’as-tu jamais cessé de jouer ou un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans le jeu de société « moderne » ?
Oui, j'ai toujours aimé le Jeu sous toutes ses formes. Je crois qu'aimer les jeux relève d'un certain état d'esprit général. Avec un peu de recul, je pense avoir eu l'immense chance de bénéficier d'une enfance très libre. Nous étions un groupe d'enfants lâchés sur une immense aire de jeux, des jeux parfois dangereux pour être honnête quand j'y repense avec mon statut de père de famille. Je passais beaucoup de temps dehors à vivre des aventures palpitantes. Notre jeu préféré s’appelait « la p'tite guerre », à la manière de la Guerre des boutons pour te donner une image.

De joueur passionné à acteur du monde du jeu, comment as-tu sauté le pas ?
Ce que j'aime dans le jeu, ce n'est pas la collectionite, ni l'univers de certains jeux, mais la capacité de ce média à installer entre les joueurs cette ambiance si particulière que l'on connaît bien : ça me fascine. Comme j'aime contrôler les choses, je me suis assez rapidement attelé à créer moi-même cette expérience ludique. C'est ainsi que je suis devenu auteur de jeux. Et comme j'ai cherché à faire partager mes expériences au plus grand nombre, j'ai fait des démarches vers les éditeurs, en partageant mes travaux sur la protozone de TricTrac, en me rendant sur des festivals, en participant à des concours de créateurs, en collaborant au jury des Trophées FLIP... J'ai fait de nombreuses rencontres, souvent très agréables.

Le prototype du jeu © CaplanneEditer ton premier jeu a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Non. Notre premier jeu « OK Corral » a été élaboré en compagnie de Pascal Jumel et nous avons été contactés assez rapidement par Arnaud Urbon (ILOPELI) par le biais du forum de TricTrac en 2011. Nous avions mis toutes les chances de notre côté en faisant tourner le jeu sur des festivals et en créant un site web pour le jeu. En plus, Pascal est un animateur de table hors-pair.
Ensuite 2 jeux ont suivi: Tweegles en compagnie de Pascal Jumel chez Cocktail Games (2012), puis Baba Yaga chez Purple Brain (2013).

Comment est née l’aventure des Taxis de la Marne qui vient de sortir sur les étals ?
J'ai entendu l'appel à projet de Matthieu d'Epenoux le gérant des éditions Cocktail Games. Il cherchait un jeu coopératif familial, facile d'accès sur le thème de la Grande Guerre. Autant dire que le challenge ne m'a pas paru facile à relever au départ. J'ai d'abord contacté Lionel Borg (Colorpop, Metal Adventure...), un autre auteur avec qui je partage beaucoup d'idées, et nous sommes partis sur une idée de jeu de tuiles dans lequel un facteur avait pour tâche de livrer du courrier aux poilus dans les tranchées. Un soir, lors d'un moment de réflexion sur mes protojeux j'ai réalisé que j’avais développé auparavant une mécanique de jeu qui pouvait s'articuler parfaitement avec l'épisode des taxis de la Marne. J'ai retravaillé le jeu dans ce sens avant de le proposer à Matthieu.

Crayonné de l'illustration de couverture des Taxis de la Marne © Vincent DutraitPeux-tu en quelques mots nous parler de la façon dont tu as élaboré les mécanismes des Taxis de la Marne et la façon dont ils ont évolué pour s’adapter à la thématique…
Mes premiers fichiers datent de 2012. Je voulais faire un jeu coopératif en 55 cartes sur le thème des Pompiers. Tout a donc commencé avec un jeu de 54 cartes classiques pour les premiers essais, d'où la présence des 4 couleurs du jeu ainsi que les 8 emplacements périphériques (on peut positionner 8 cartes autour d'une carte). J'ai sûrement été inspiré par Ghost Stories (2008) et Pandémie (2008) car je fais toujours des recherches préalables sur les jeux existants, cela fait partie de mon processus de développement. Je me rappelle aussi que j'avais intégré des mécanismes qui reprenaient les principaux modes de propagation du feu : rayonnement, convection et conduction.

Quand j'ai retravaillé mon projet avant de le soumettre à l'éditeur, j'ai remodelé 4 éléments essentiels du jeu:
1 le plateau de jeu en 4 parties, car je devais m'adapter au format carré des cartes. J'ai aussi fait une rapide recherche historique pour retrouver les noms des rues débouchant sur la place des invalides en 1914.
2l'accessibilité des règles. J'ai par exemple choisit de proposer une installation du matériel identique quelque soit le nombre de joueur. J'ai aussi décidé de ne pas donner un rôle particulier à chaque joueur comme on le retrouve assez régulièrement dans les jeux coopératifs mais plutôt d'intégrer des cartes bonus directement dans le paquet carte soldats. Ainsi l'explication des règles est plus rapide et le hasard se charge de donner momentanément un rôle plus important à tel ou tel joueur.
3 la mécanique d'embouteillage qui est le moteur du jeu et l'élément indispensable qui créé la tension jusqu'à la fin de la partie, associé avec le principe des jetons taxis qui symbolisent l'encombrement des rues. L'idée du mouvement « en rond-point » est arrivée assez logiquement.
4le scoring de type « évaluation des résultats». Ce mécanisme que j'ai découvert pour la première fois dans Hanabi m'a permis de raccrocher à la contrainte « familiale » du cahier des charges. Ainsi, les joueurs ne pouvaient plus perdre mais seulement gagner avec plus ou moins de réussite. En plus, cette méthode invite les joueurs à recommencer une partie pour tenter de s'améliorer, en plus de « fixer » la durée du jeu.

Les Taxis de la Marne, prototype finalisé © CaplannePetite question gallinacéenne (histoire d’œuf et de poule) : généralement, lorsque tu te lance dans l’élaboration d’un jeu, l’attaques-tu généralement par la thématique ou par les mécanismes?
Alors c'est amusant car j'ai longtemps cru être inspiré en premier lieu par la thématique lors de la naissance de mes projets mais mon expérience d'aujourd'hui me montre clairement que je suis un mécanicien. Je me demande même si les auteurs ne se leurrent pas eux-mêmes en pensant partir d'une thématique. Cela dit, jusqu'à maintenant, les éditeurs ont toujours poursuivis et complétés les thèmes de mes/nos prototypes. Car il ne faut pas oublier qu'un jeu est un ensemble dans lequel tout doit s'articuler harmonieusement. Après, je pense que chaque joueur selon sa sensibilité va trouver le thème très « immersif » ou trop « plaqué ». Le goût et les couleurs...
Je crois qu'avant tout, je cherche à installer une certaine ambiance entre les joueurs, tout le reste découle de cette envie de mettre en œuvre cette expérience inter-joueurs.

Comment s’est organisé le travail avec le Musée de la Grande Guerre?
C'est la Team Cocktail qui s'est chargé de prendre contact avec le Musée. Il semble que l'enthousiasme était partagé, donc l'idée d'une coédition a rapidement été acceptée. Le musée a évidemment validé les éléments historiques du jeu (le nom des rues, le dos des cartes avec les trajets des taxis, les illustrations de Vincent Dutrait) et a participé à l'élaboration d'un fascicule très bien fait sur les rapports entre la réalité historique et le jeu. Ils se sont aussi beaucoup investis dans la promotion en participant à la TTTV ainsi qu'en organisant des événements pour présenter le jeu à leur public. Les visiteurs peuvent acheter les Taxis de la Marne dans la boutique du Musée de la Grande Guerre.

Crayonnés pour les Taxis de la Marne © Vincent DutraitComment s’est organisé le travail avec le talentueux Vincent Dutrait?
C'est aussi la Team Cocktail qui s'est chargé de prendre contact avec Vincent. Puis il y a eu une série d'allers-retours par mails qui ont commencés par le fameux brief illustrateur , un document qui décrit très précisément ce que l’éditeur attend de l'illustrateur. Vincent a d'abord envoyé un montage de la couverture puis quelques esquisses qui ont rapidement été validées. Il y a eu quelques petites retouches concernant l'expression des visages sur la couverture (on peut voir différents types d'émotions), la proportion du fusil, des éléments du paquetage des soldats et de la structure du taxis pour être historiquement conforme. Vincent est tellement pro que j'ai eu l'impression que cela s'était fait très vite. Du talent et du travail. Personnellement, je trouve la couverture très réussie au niveau de la mise en scène et de la lumière.

Deux poilus au Musée de la Grande Guerre (le directeur de Musée et Mr Phal)As-tu d’autres jeux sur le grill?
Pleins. Trop. C'est à la fois très stimulant mais aussi particulièrement frustrant de ne pas pouvoir tout faire immédiatement. L'avantage c'est que je peux rebondir d'un projet à l'autre sans me lasser.
A côté de cela, j'aime beaucoup travailler en binôme, j'apprends beaucoup des autres et j'espère pouvoir leur apporter quelques trucs aussi. Nous avons 2 projets signés en compagnie de Lionel Borg qui devraient sortir en 2016. Deux jeux familiaux avec des animaux, dont un est une nouvelle commande...

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
La série Mr Robot et le coffret de BD « Voyage vers l'Ouest » des Editions Fei.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Les Taxis de la Marne, aperçu du matériel © Coktail Games / Dutrait / Caplanne
un personnage de BD: Garulfo
un personnage mythologique: Sun Wukong
un personnage de roman: Otori Takeo
une chanson: Les bêtises de Renan Luce
un instrument de musique: La batterie
un jeu de société: un prototype de Richard Garfield
un mécanisme de jeu de société : le hasard
une découverte scientifique : La télétransportation
une recette culinaire: Le poulet à l'estragon
une pâtisserie: Le Paris-Brest
une ville: Simcity
une qualité : la discrétion
un défaut: l'exigence
un monument: Monument Valley
une boisson: un milkshake vanille
un proverbe : Plus ça rate, plus on a de chances que ça marche


Un dernier mot pour la postérité ?
En deux : Respect et robustesse

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé!
Le Korrigan