










Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Non! surtout si on le demande au début
Merci bien… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Alors j’ai un parcours un peu atypique puisque je suis diplômé Ingénieur Conception et gestion de cycle de vie de produits. Diplôme obtenu après un bac S, un DEUG Sciences de la matière, une licence Mécanique des fluides et une Maitrise Mécanique des fluides.
Et donc deux jours après avoir eu mon diplôme, je signais le contrat de BLOCK 109. Car oui, depuis que j’ai 6 ans je dessine, et à 18 ans je rencontre Vincent Brugeas. On décide de faire de la BD ensemble. Et on décide aussi qu’on sera édité un jour et même les rois du monde. Espoirs piétinés et noyés dans le caniveau le jour où nous sommes sortis de chez Vent d’Ouest avec nos premiers projets. Mais on avait 19 ans. Et on avait reçu de solides critiques constructives. Alors on a continué.
Et en septembre 2008, on signe BLOCK 109 chez AKileos. Et là je me dit : ok mets-toi à ton compte, fais du dessin, sinon à 40 ans tu auras l’impression d’avoir gâché ta vie, là paumé dans un bureau d’étude….
Donc voilà. Aujourd’hui j’ai 31 ans, je vie pleinement de la BD et de l’illustration (ce fut long et dur - malgré ce que dit ma femme - mais aujourd’hui c’est joie et bonheur. et débordé de boulot aussi.
Ma passion première c’est, of course le dessin. J’en ai besoin intimement. Comme de respirer. Tout tourne autour de ça. Après comme tout un chacun je suis un gros consommateur de BD, de romans, de films et de séries. Mais à l’inverse de pas mal de collègues, je ne suis pas musicien. Loin de là. Mais alors à des années lumières. Il ne faut pas d’ailleurs. Si le mot “sonne faux” à bien un qualificatif, c’est moi
Et puis mon numéro de carte gold : 1234 5647 4356 7658, la date d’expiration : septembre 2080, le code à 3 chiffres : 879
Voilà.

Merci… on vient d’acheter trois maisons et une Aston Martin DBIII avec…
Enfant, quel lecteur étiez-vous? La BD occupait-elle déjà une place de choix? Quels étaient alors vos auteurs de prédilections?
Et oui, la BD a toujours été présente à la maison, sous forme de grand classiques : Tintin, Buck Danny, Barbe Rouge, Jérôme K Jérôme….Que du franco-belge. Mon père était abonné à Spirou pendant toute son enfance et son adolescence. Puis à Mad. Mais ça je l’ai découvert bien plus tard, en dépoussiérant tous ces journaux qui avaient été bien conservés.
Baignant dans un milieux familial où le dessin a une certaine importance, et bien naturellement j’ai commencé à recopié les BD à la maison. Mon père m’a également initié à l’aquarelle, au fusain, à la sanguine.
Et puis, ado, j’avais une passion dévorante : l’aviation. Du coup Bergèse était mon dessinateur préféré...puis la plupart des auteurs estampillé “avions” comme Loutte, Renaud Garetta….Hubinon of course….
Puis j’ai évolué vers d’autres aspirations. Rosinsky a été également une forte inspiration, puis Mathieu Lauffray (gros choc). Denis Bajram également….bref toute l’époque Soleil de la fin des années 90 et du début des années 2000.

Depuis que tu en as fait ton métier, lis-tu toujours autant d’albums?
Je suis toujours un gros lecteur en effet. Généralement je fais mon plein d’album quand je vais en dédicace. Mais maintenant que je suis installé au Mans, j’ai également THE plus belle librairie de France à domicile : la librairie Bulle. Et donc oui je fais régulièrement mes petits achats

C’est important je trouve.
On travaille dans ce milieux c’est crucial de s’intéresser à ce qui se fait. et pas d’acheter que les BD des potes.
Et puis lire reste un très grand plaisir.
Pas que de la BD d’ailleurs. Je lis aussi pas mal de roman.
Bref j’en ai besoin.
Devenir dessinateur de BD était-il un rêve de gosse ?
Plus ou moins même si il n’était pas clairement formulé. Mais au final je savais que j’en ferais quelque chose….
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
On peut résumer par la phrase bateau suivante : tout est dur, mais une fois réalisé ce qui est dur, c’est là qu’on y trouve une certaine joie
Pour développer un peu, on pourrait comparer le dessin et l’art narratif comme une course à la haie, où chaque haie à sa petite particularité et sa difficulté. Mais une fois passé cette haie, là il y a de la satisfaction. J’essaye toujours d’améliorer mon trait, de trouver des solutions en décortiquant le travail des “anciens”. Idem en art narratif pur.
L’avantage de la Bande-Dessinée c’est que c’est un condensé de ce que représente pour moi le dessin. Il faut raconter quelque chose de la meilleure manière possible. De la manière la plus lisible et efficace. C’est un langage universel.
Quand on y arrive on est content.
Enfin, évidemment, une des grandes joies du métier, c’est également la sortie d’un livre. Recevoir le petit nouveau tout frais sortit d’imprimerie. Voir se concrétiser “en vrai” quelque chose qui reste malgré tout “virtuel” pendant toute sa conception, c’est très fort.
J’ai toujours l’impression de redécouvrir mes pages.
Dans la même veine d’ailleurs, c’est aussi une des peine du métier : voire à ce moment précis les détails qui t’ont échappé à la réalisation, et qui là dans les pages te sautent aux yeux. Mais il faut toujours surmonter ça et se dire “on fera encore mieux dans le prochain”

En 2010 paraissait Block 109, premier tome d’une uchronie sur la second guerre mondiale qui fit d’emblée sensation. Comment avez-vous rencontré Vincent Brugeas qui en signe le scénario?
Comme mentionné plus haut, avec Vincent c’est une longue histoire de sex...d’amitié. hem..
On s’est rencontré au Lycée. Il dragouillait ma sœur en lui montrant ce qu’il écrivait. J’ai lu, j’ai eu l’impression qu’un mec écrivait ce que j’avais envie de de dessiner. J’ai illustré certaines parties de son projet de roman d’alors. Une sorte de grande fresque dans un monde de Dark Fantasy intitulé “le sang des dieux”.
Ca a matché.
Et on a décidé de devenir les rois du monde. Du moins dans la BD.
Alors on a développé projets sur projets pendants nos études. On a été voir les éditeurs. On s’est mangé des baffes. Constructives. Mais des baffes quand même. On a évolué. Et puis un soir de décembre 2007, Vincent me dit. Hey! et si je reprenais mon histoire “le sang des dieux” et j’en faisais une BD. Mais dans un univers uchronique pour poser de suite mon univers très sombre….là j’ai joui. Et j’ai dit oui.
Et depuis BLOCK 109 on a fait 11 albums ensemble et ça risque pas de s’arrêter.
En créant des projets ensemble il y a une vraie résonnance. Quelque chose d’immatériel. On se comprend sans forcément se parler. On pense à des trucs en même temps. Et l’écriture de Vincent me complète complètement.

Avec votre compère, vous avez signé Le Roy des Ribauds, un récit médiéval sombre et passionnant. Comment est né ce nouveau projet?
C’est une vieille idée également. Elle date de 2004. A l’époque on était parti en vacances ensemble, et ces deux semaines nous permettaient de développer à mort des idées de projets. A l’époque je lisais le Trône de fer. Vincent avait terminé ce qui était édité et s’était mis sur les Rois Maudits.
Et dans le livre 7 , celui que personne ne lit, il tombe sur une citation qui parle d’une charge créée par Philippe Auguste : le roi des ribauds. Et là déclic.
Cependant il a fallu 11 ans pour le porter à maturation.
Depuis la sortie de Block 109 je le tannais régulièrement pour qu’on le fasse. Et il s’est trouvé le bon moment. L’échec commercial de Chaos Team, notre état lamentable après ça. Il nous fallait un regain de motivation. Et on s’est mis sur le Roy des ribauds. J’avais besoin de me mettre à l’encrage, de changer mes habitudes. Et c’est sorti tout seul. Chez l’un comme chez l’autre.
Au final le Roy des Ribauds nous ressemble bien plus que tout ce qu’on a pu faire depuis BLOCK 109.
Car cette série regroupe également pas mal de choses développé pour une très vieille idée de thriller polar sombre matinée de western, qu’on avait intitulé
Sons of street, et qui se déroulait dans les bas-fonds de Londres, un an après Jack L’éventreur. Un duo d’enquêteurs borderline et improbable, des gangs, des manigances politiques se répercutant dans les bas-fonds….
Et du coup beaucoup de choses développées alors ont été rebasculées dans le Roy des Ribauds. Les arbalètes et les épées ont remplacé les canons sciés et les flingues. Mais l’esprit est le même...

Du synopsis à la planche finalisée, comment s’est organisé votre travail sur cet album ? Quelles furent les différentes étapes de sa réalisation ?
En ce qui concerne le Roy des Ribauds, il est le fruit de 10 ans de travail avec Vincent. On a une technique bien rodée maintenant. Vincent me décrit ce qu’il se passe double page par double page (ou scène par scène, cela dépend en m’indiquant le nombre de page qu’il prévoit pour la scène en question) avec les dialogues. A moi de “découper”, de storyboarder, les pages. Une fois le storyboard réalisé, on échange dessus. Vincent m’y rapporte les améliorations qu’il verrait, précise aussi certaines de ces intentions. C’est là où l’album prend forme et c’est bien là le moment le plus intéressant dans une BD. Entre nous il y a alors un vrai pingpong créatif et narratif.
On envoie également à l’éditeur pour avoir son œil extérieur. Richard Saint-Martin d’Akileos a un œil assez exercé, et surtout de lecteur. Il va donc aussi nous valider ou nous invalider la lisibilité d’une séquence.

Enfin je passe à l’encrage, puis à la couleur. La partie la plus longue, mais au final la moins importante
Si un découpage est bien fait, tout le langage est bien en place et il n’y a plus qu’à repasser dessus. Je fais peu de crayonné, ou du moins je repasse par-dessus mon storyboard pour affiner deux trois détails. Mais tout prend forme à l’encrage.
Travaillant en numérique, cela facilite beaucoup de choses. Mais même quand il m’arrive de travailler sur papier je fonctionne ainsi. Cela me permet de garder un certain dynamisme, et de trouver des solutions en direct, à l’encrage. Le numérique me permet de corriger facilement si je me goure. Mais à force de plancher sur les pages, on finit par exercer de mieux en mieux son œil, et avant d’aborder l’encrage je vois ma page finalisée, de fait je sais où je vais.
Sur le Roy des Ribauds, l’encrage est le corps. Il structure tout. Il est donc aussi très important. Je le gère essentiellement en masse narrative, en éclairage. La couleur vient accompagner cet encrage, elle doit rester légère et surtout narrative.

Quelle(s) étape(s) préfères-tu dans la réalisation d’un album?
Le storyboard, clairement. Mais également l’encrage qui est pour moi une vraie jouissance. Surtout depuis que je suis passé au numérique.
Avant j’avais tendance à me monter des murs insurmontables. L’encrage me faisait peur et j’en étais venu à me dire que je ne savais pas encrer.
Puis je me suis mis au numérique, et ce mur est devenu une simple barrière en bois facilement abattable. J’ai essayé, recommencer, testé, etc…..
Bref. Les vannes se sont ouvertes. Et je m’amuse énormément à cette étape.
Pour résumer, disons que le storyboard est la partie intellectuelle du métier, et l’encrage est pour moi la partie organique, intuitive.
Enfin la couleur reste aussi un plaisir. Mais sur le Roy des ribauds, elle reste une touche finale, qui formalise le tout. Même si j’y prends plaisir, je n’y mets pas autant que sur l’encrage. Si mes albums pouvaient être publiés en noir et blanc, cela serait parfait.
Seulement, intervient aussi l’aspect commercial; et dans ce sens, la couleur, c’est mieux

… Mais je n’aime pas faire de la couleur pour faire de la couleur, d’où, là aussi, une réflexion sur sa portée narrative.
Les Différentes étapes d’une planche

Comment construis-tu généralement l’apparence tes personnages?
On en parle beaucoup en amont avec Vincent principalement. On part de références d’acteurs généralement. Mais d’acteurs dans tel ou tel rôle. A partir de là je construis une gueule. J’interprète l’acteur à ma sauce. Je m’approprie ses traits pour en construire d’autre et donner vie à un perso.
De plus en plus j’essaye d’être dans une logique de design de silhouette. Qu’un personnage soit emblématique tant dans sa gueule que dans son allure.
Il n’est pas anodin qu’un Tintin, un Asterix, un Batman ou un Tetsuo (Akira) soient si emblématiques. Car ils sont des logos à eux tout seuls

Le dessin permet de sublimer ça, de le synthétiser.

Et quel acteur t’s inspiré pour l’apparence du Roy des ribauds?
C’est Vincent qui m’a mis sur la piste. En m’orientant vers l’excellente serie
ripper street (typiquement l’ambiance qu’on voulait pour
Sons of street d’ailleurs).
L’acteur en question est Joseph Mawles. Qui joue aussi dans
Game of Throne d’ailleurs. Une de nos autres inspirations pour la série.
Comme quoi tout se recoupe.
On voulait un physique atypique. Un regard fort, mais un personnage pas forcément “beau”. Et voilà.

Le Roy des Ribauds est un sombre polar historique qui immerge personnages et lecteur dans les bas-fonds du Paris du XIIème siècle. Comment as-tu abordé le décor de ce récit qui mêle habilement fiction et histoire?
Avec beaucoup de doc, trouvé en bibliothèque ou sur le net. Que ce soit pour les architectures ou les costumes, ce ne sont pas les sources qui manquent.
Les films aussi sont importants, comme
Kingdom of heaven. Car on y voit “vivre” les gens dans les costumes, cela me permet de donner du corps à l’ensemble.
En ce qui concerne Paris, le gros avantage que j’ai c’est qu’il n’y avait pas de plan précis de la ville à l’époque. J’ai plusieurs exemples de maisons à colombage que je décline à l’infini pour créer mes ruelles. Des architectures qui restent très organiques.
A part la cathédrale, le château du Louvres, le Palais Royal et le Grand Chatelet, le reste peut être imaginé à ma sauce.
Ces époques sont pleines de zones d’ombres qu’on peut exploiter à loisir.
En combien d’album est prévu le Roy des ribauds? Quand est prévue la sortie du tome 2 ?
Le tome 2 sort en février prochain. Le 4 pour être précis. Avec une avant-première à Angoulême.
Au final on prévoit un premier cycle de 3 livres. Un cycle une histoire.
Le livre 3 sortira en Avril 2017.
Et puis il risque d’avoir d’autres choses après ce cycle 1. Mais rien ne dit qu’on y reviendra pas pour un cycle 2

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En BD, ces derniers temps, je me suis bien régalé avec
Faire fortune en Juin 40 (Astier, Nury, Dorison).
En comics, c’est
SAGA et Southern Bastard.
EN Manga, ca date un peu, mais c’est
Pluto.
En Roman, je suis en train de me lire
l’hérésie d’Horus, saga de 28 tomes dans l’univers de Warhammer 40 K et c’est très très bien. Sans parler de tous les romans de Dan Abnett que je dévore avec un immense plaisir à chaque fois.
En Film,
Mad Max fury road.
En série, eh bien je suis tellement à la bourre que je n’ai rien de neuf. Mais j’adore
Justified. Je me remate les
Turdors, et je découvre
The Shield. Et puis
Game of throne.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
bennnnnn non.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD: Hellboy
un personnage de roman: Portos
un personnage de cinéma: Mad Max
une chanson: Where ever i may roam (Metallica)
un instrument de musique: guitare électrique
un jeu de société: dessiné c’est gagné ?
une découverte scientifique: la planète Keppler-452B
une recette culinaire: les crêpes
une pâtisserie: le pain au chocolat
une boisson: le jus d’orange
une ville: San Francisco
une qualité: persévérant
un défaut: persévérant
un monument: le lion de Belfort
un proverbe: dessiner tout le temps tu devras, plénitude tu atteindras
Un dernier mot pour la postérité ?
Dessine!
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…