Haut de page.

Entretien avec Bertrand Galic
interview accordée aux SdI en février 2016


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…

Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Je suis farouchement pour, vois-tu.

Moi de même… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans) ?
Je suis né à Lorient, dans le Morbihan, en 1974. Ma scolarité s'est globalement bien passée, malgré une certaine appétence pour le chahut et la grosse déconnade. Là, j'évoque à la fois le collège, le lycée, la prépa et la fac... J'ai étudié l'Histoire jusqu'à l'obtention d'une maîtrise, puis du CAPES. En plus de mon travail en tant que scénariste, j'exerce aussi l'activité d'enseignant, à mi-temps.
Pour mon numéro de carte bleue, tu peux toujours courir.

le Cheval d'Orgueil, crayonné de la page 1 © Soleil / Lizano / Galic Tant pis, j’aurais au moins essayé smiley
Enfant, quel lecteur étiez-vous? Quels étaient alors vos livres de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?

J'étais du genre lecteur-dévoreur, ingurgitant toutes sortes d'ouvrages : romans, poésie, théâtre... et bandes dessinées, bien sûr. Mon père m'achetait régulièrement des albums de Tintin, Lucky Luke, Astérix, Johan et Pirlouit... Lui-même a grandi avec le Journal de Spirou. Aujourd'hui, je me dis que tout cela m'a sans doute conditionné.
Mes livres de chevet ont, la plupart du temps, un rapport avec les scénarios que je bâtis. Parmi eux se trouvent donc de nombreux récits historiques ou documentaires, des biographies, des témoignages. La Revue dessinée figure en bonne place, également.
En ce moment, je lis La Jungle, d'Upton Sinclair. Pour le plaisir, mais aussi parce qu'il sera question de Chicago, dans l'une de mes prochaines histoires.

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse?
Le gosse que j'étais a toujours voulu écrire et s'y est essayé, dès le plus jeune âge : projets de pièces de théâtre, nouvelles, poésies ont rempli de nombreux cahiers. Par contre, au départ, je ne pensais pas nécessairement à la bande dessinée. Ce rêve-là n'a surgi que très tardivement, comme une évidence, à l'âge de 35 ans. Sans rentrer dans les détails, je peux toutefois affirmer que ce sont les retrouvailles avec Kris et Arnaud Le Gouëfflec, après une période où nous avons été éloignés, qui ont été déterminantes.

le Cheval d'Orgueil, crayonné de la page 122 © Soleil / Lizano / Galic Comment avez-vous rencontré Pierre-Jakez Hélias et son Cheval d’Orgueil?
Je l'ai rencontré pour la première fois à Brest, chez mes grands-parents maternels, à l'âge de 18 ans. Il m'a mis une claque.

Comment est née l’envie d’adapter le roman en bande-dessinée?
Elle n'est pas née chez mes grands-parents. A l'époque, je n'envisageais absolument pas de faire de la bande dessinée. Ceci dit, cette première lecture m'a profondément marqué et les souvenirs ont naturellement ressurgi, plus tard, lors de ma rencontre avec Marc Lizano. Le thème principal de l'œuvre de Pierre-Jakez Hélias est, pour moi, celui de la transmission. Le livre développe cette idée que l'on doit apprendre pour grandir, que l'on grandit grâce à ce que les autres veulent bien nous léguer. L'auteur insiste notamment sur le rôle primordial, en matière d'éducation, tenu par ses deux grands-pères, les conteurs Alain Le Goff et Alain Hélias (dit « Jean des Merveilles »). Mon propre grand-père, qui aime tant raconter des histoires « de l'ancien temps » et qui compte tellement pour moi, est la personne pour laquelle j'ai adapté Le Cheval d'Orgueil.

le Cheval d'Orgueil, page 122, couleur © Soleil / Lizano / Galic Et qu’en a-t-il pensé?
Pour la première fois, mon grand-père a lu une bande dessinée... A 95 ans, il était temps ! Il m'a révélé que certains passages lui avaient rappelé sa propre enfance et a été particulièrement ému de constater que l'album lui était dédié.

Sans doute est-ce pour toi la plus belle des récompenses…
Oui, en effet. J'ai vécu un moment fort, que je ne suis pas prêt d'oublier.

A-t-il été aisé d’en obtenir les droits?
Pierre-Jakez Hélias a deux enfants, Claudette et Yves. Ceux-ci nous ont reçu avec bienveillance, fait confiance, laissé carte blanche. Comme leur père avant eux, ils déclarent n'avoir « aucun goût pour la censure ». Et je peux t'assurer qu'il ne s'agit pas de paroles en l'air. Ces personnes sont d'une honnêteté, d'une droiture, d'une humanité à toute épreuve. Marc et moi-même avons eu énormément de chance de faire leur rencontre, de pouvoir les côtoyer lors de la conception de l'album, de les revoir au moment de la sortie. Un lien précieux s'est créé, entre eux et nous. J'ai le sentiment d'être un privilégié.

le Cheval d'Orgueil, scénario de la planche 47  © Soleil / Lizano / Galic Comment avez-vous rencontré Marc Lizano qui met votre scénario en images?
En 2012, Marc a participé à la seconde édition du festival « Loperhet en ébullition », organisé par l'association « Brest en Bulle ». Il est venu dans le Finistère pour dédicacer ses albums, notamment L'Enfant cachée et L'Île aux trente cercueils, mais aussi pour présenter une exposition autour de ce dernier album. A l'époque, j'étais très impliqué dans l'association et le festival cités ci-dessus. Avec Marc, nous avons donc largement eu l'occasion de sympathiser et d'échanger, sur toutes sortes de sujets. Au cours d'une conversation, nous avons évoqué la place de la Bretagne dans la bande dessinée. Et je lui ai posé cette question : « Comment se fait-il qu'un monument comme Le Cheval d'Orgueil n'ait jamais été adapté ? ».
Et là, cela a fait « Tilt », dans l'esprit du dessinateur. Ses yeux ont brillé.
Quelques temps plus tard, il m'a recontacté et proposé de m'associer à lui. La grande aventure allait pouvoir commencer.

A-t-il été facile de trouver un éditeur pour cette adaptation d’un roman qui peut sembler à beaucoup désuet?
En réalité, plusieurs éditeurs se sont montrés intéressés par notre projet d'adaptation. Au final, c'est l'enthousiasme de Clotilde Vu, éditrice chez Soleil/Noctambule qui a fait la différence et l'a emporté. Nous n'avons jamais eu à le regretter.

le Cheval d'Orgueil, rough de la planche 47  © Soleil / Lizano / Galic Puisqu’on parle d’adaptation, que penses-tu de l’adaptation cinématographique de Claude Chabrol?
Claude Chabrol a admis lui-même que Le Cheval d'Orgueil n'était pas son meilleur film... Je ne me permettrais pas de le contredire.

Le roman original a un aspect quelque peu décousu, proposant une succession de scènes de vie de l’enfance de l’auteur… Comment avez-vous retravaillé cette matière pour en tirer le scénario de l’album?
Il est vrai que l'œuvre originale ne contient pas réellement d'intrigue. Elle apparaît davantage comme une succession de tableaux, classés de manière plus ou moins thématique. Même si j'ai souhaité conserver un découpage assez morcelé, comprenant des « livres », eux-mêmes divisés en « chapitres », il m'a tout de même semblé essentiel de les lier, en établissant une trame chronologique. Dans l'album, nous nous plaçons du point de vue de l'enfant, à sa hauteur. Et nous grandissons avec lui.
Tout commence en 1913, avec le mariage des parents de l'auteur, qui lui-même naîtra en 1914, quelques semaines avant le début de la « Grande Guerre ». L'album s'achève en 1936 : les premiers congés payés, octroyés par le Front populaire, amènent alors un flot de touristes en baie d'Audierne, ce qui vient largement perturbé le « pays » de Pierre-Jakez Hélias...

le Cheval d'Orgueil, planche 47, version noir et blanc © Soleil / Lizano / Galic Comment s’est organisé ton travail sur l’album avec Marc Lizano ? Du scénario à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album?
La réalisation de l'album a pris du temps : quatre ans se sont en effet écoulés entre notre toute première discussion et la sortie de l'album, en décembre dernier. Je n'ai pas livré mon scénario en un bloc, mais en six fois (l'album est découpé en six “livres“). Avec Marc, les échanges ont été permanents, par mail et téléphone, à partir du moment où le storyboard a démarré. Je devais vérifier, faire corriger ou valider les planches, à chacune des étapes intermédiaires : story, crayonnés, encrage, couleurs.

Le style semi-réaliste s’est-il imposé d’emblée ?
L'écriture de Pierre-Jakez Hélias est très imagée et souvent chargée d'émotions, quoi qu'on en dise. Or, je trouve que le trait de Marc, qui se caractérise notamment par ces fameuses « grosses têtes » données aux personnages, parvient parfaitement à retranscrire les sentiments. Son « semi-réalisme » les sublime, les exalte, dirais-je même.

le Cheval d'Orgueil, planche 47, version couleur © Soleil / Lizano / Galic As-tu d’autres projet sur le grill?
J'en ai effectivement quelques-uns... Un Maillot pour l'Algérie, coscénarisé avec Kris, dessiné par Javi Rey, est programmé pour début avril, dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis. Toujours avec Kris, sur un dessin de Damien Cuvillier, nous aurons une autre sortie à l'automne, aux éditions Futuropolis. Le titre définitif n'est pour l'instant pas arrêté, mais il y sera question de Brest, ma ville de cœur. Ces deux récits sont tirés de faits réels et évoquent d'incroyables destins, ancrés dans la grande Histoire et pourtant méconnus du public. En fin d'année sortira aussi probablement Voyage à Laputa, une adaptation d'après l'oeuvre de Jonathan Swift, dessinée par Paul Echegoyen, de nouveau pour le compte des éditions Soleil/Noctambule. Voilà pour 2016...

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Houlà... Comme cela me vient et dans le désordre le plus intégral : Les Equinoxes (Cyril Pedrosa), Deux frères (Fábio Moon / Gabriel Bá ), Un certain Cervantès (Christian Lax), les séries House of cards et True Detective, La trilogie des confins (Cormac Mc Carthy), le groupe Feu ! Chatterton, le dernier Hoax Taylor, les voix d'Ibeyi, celles de Dom La Nena et Rosemary Standley sur Birds on a Wire...

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Tu ne m'as pas demandé ce que je pensais du dernier Star Wars. Et je t'en remercie.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD: Corto Maltese
un personnage de roman: Alice (au pays des Merveilles)
un personnage de cinéma: Ghost Dog
une chanson: All the world is green (Tom Waits)
un instrument de musique: Une clarinette (j'en ai joué longtemps)
un jeu de société: Risk
une découverte scientifique: La machine à remonter le temps (Comment ça, cela n'existe pas ?)
une recette culinaire: Un Chili con carne (hot)
une pâtisserie: Paris-Brest
une boisson: Le thé, de plus en plus
une ville: Brest
une qualité: La persévérance
un défaut: L'impulsivité
un monument: Le pont de Plougastel
un proverbe : Tout vient à point...

Un dernier mot pour la postérité ?
Merci !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé… et pour ce formidable album!
Le Korrigan