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Entretien avec Mathieu Reynès
interview accordée aux SdI en mars 2016


Bonjour et merci de te (re)prêter au petit jeu de l’entretien…

Tout d’abord, un petit mot sur le festival de BD d’Angoulême 2016 qui vient de se clore?

J’y étais en off puisque Dupuis n’y a pas de stand. Du coup j’ai dédicacé à la librairie Cosmopolite et je ne m’en plains pas, c’est moins étouffant et moins bruyant que sous les bulles « officielles ».
Je n’ai pas d’affection particulière pour ce festival que je trouve trop gros et « sans âme »…
Habituellement j’évite d’y aller mais cette année je ne pouvais pas faire l’impasse, outre la sortie d’Harmony, je ne voulais pas rater l’année « Otomo » !

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’auteur de BD?
Pour ce qui est des joies c'est surtout de vivre de ma passion : dessiner et raconter des histoires, gérer mon temps comme je le veux, sans véritablement devoir rendre de compte à qui que ce soit. Pouvoir travailler chez moi, dans mon environnement, mon univers. C'est cette liberté que j'apprécie particulièrement.

Mais pour l'obtenir il faut être motivé ! Auteur de BD n'est pas un métier qui paie bien et pour arriver à en retirer un revenu tout juste raisonnable il faut travailler sans compter les heures. C'est une activité qui demande un investissement personnel considérable. Je suis à mon bureau environ 10 heures par jour, 5 à 6 jours par semaine. Et le reste du temps, quand je ne dors pas, j'ai le boulot en tête, je pense à la page que j'aurai à dessiner le lendemain ou au scénario que je suis en train d'écrire.

Ce n’est pas simple de trouver la motivation et l'énergie tous les jours pour être "créatif" surtout que la situation financière et sociale des auteurs est de plus en plus précaire...

J'essaie de ne pas trop penser à tout ça et d'avancer en regardant droit devant !

Harmony © ReynèsPeux-tu nous dire quelques mots sur ton travail sur la Peur Géante inspiré de l’œuvre de Stefan Wul que tu as mis en image… Connaissais-tu l’œuvre de l’auteur avant de te lancer dans son adaptation avec Denis Lapière qui en signe le scénario? Quelles furent les principales difficultés rencontrées pour cette adaptation résolument (et salutairement!) moderne?
J’avais lu Niourk au collège, en classe de 5ème je crois, et j’avais adoré. Plus tard j’ai été l’élève de René Laloux qui a réalisé les adaptations des Maitres du Temps et de la Planète Sauvage en animation.

Je ne connaissais pas La Peur Géante et j’avoue que la première lecture ne m’avait pas enthousiasmé… autant je trouvais les thèmes abordés très modernes et inspirants, autant le ton et l’approche un peu datée, parfois macho et même colonialiste me gênaient un peu. Rien de scandaleux à l’époque où Wul a écrit le roman mais un peu en décalage avec nos valeurs actuelles. Denis Lapière était d’accord et a tout de suite proposé d’adapter tout ça et de se concentrer essentiellement sur ce qui nous plaisait dans le roman.

Harmony, planche 51 © ReynèsTantôt scénariste, tantôt dessinateur, tantôt seul maître à bord… Sais-tu déjà lorsque tu écris un scénario si tu vas ou non le mettre en image? Qu’en est-il pour Harmony notamment?
Je n’ai qu’une petite expérience en tant que scénariste mais je sais dès le départ si j’écris pour moi ou pour quelqu’un d’autre parce que je veux écrire un scénario sur mesure pour le dessinateur. Je ne veux pas lui livrer clé en main, je veux savoir quel univers il aimerait dessiner, quel ton, quel genre de récit, etc. Je veux que le dessinateur prenne autant de plaisir à dessiner que moi à écrire et surtout qu’on soit en phase sur le projet.

Harmony est une fusion de plusieurs scénarios que j’avais écrit pour moi. Par manque de temps pour la dessiner à l’époque où je travailler encore sur Alter ego et La Peur Géante, j’ai hésité à chercher un autre dessinateur mais finalement j’ai préféré attendre 2 ans de plus et m’y coller moi-même.

Comment est né le concept d’Harmony, série fantastique prévue en trois tome, dont le premier vient de paraître et qui, avouons-le, nous a particulièrement enthousiasmé?
Harmony © Mathieu ReynèsMerci ! smiley

Comme je le disais, le projet Harmony date déjà de quelques années. C’est un mixe de différents scénarios qui tournaient autour des mêmes thèmes. Je l’ai nourri de toutes mes influences comics, mangas, films, séries, romans. C’est la série que je rêve de dessiner depuis longtemps, et comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !…

Le rythme de la narration, la façon dont le lecteur est immergé dans cette ambiance oppressante, le découpage formidablement cinématographique et la bande-son signée Thomas Kubler évoquent une (excellente) série TV… de celle dont le premier épisode s’achève sur la délicieuse frustration de devoir patienter pour connaître la suite… La façon dont tu as abordé cette série diffère-t-elle de des précédents albums?

La principale différence c’est que je suis le scénariste, je fais ce que je veux, comme je veux ! (ou presque, j’ai quand même une éditrice qui surveille tout ça de près). J’ai voulu tenter des choses notamment une narration assez lente au début pour immerger totalement le lecteur, quitte à en dérouter certains. Pour ce qui est du découpage, je ne cherche pas spécialement à le rendre « cinématographique », il se trouve que c’est comme ça qu’il me vient naturellement quand j’écris, sans doute très influencé par les nombreuses séries TV ou films que je regarde.

Harmony est une BD parce que c’est le média que je « maitrise » pour raconter cette histoire mais si j’avais eu l’opportunité j’en aurais d’abord fait une série TV !

L’idéal aurait été de dessiner les 3 tomes à l’avance et de faire des sorties rapprochées voire même directement un seul album de 200 pages… mais après Alter Ego j’avoue que je n’ai plus la patience de travailler comme ça malheureusement ! Ceci dit, les 3 tomes d’Harmony sortiront en moins de 2 ans, c’est déjà pas si mal ! smiley

J’admire vraiment les auteurs de Lastman, d’abord parce que cette série est géniale, mais surtout parce qu’ils arrivent à sortir 2 albums de 200 pages par an !

Harmony, recherche autour de la chambre d'Harmony © ReynèsComment est née l’excellente idée de créer une bande son pour accompagner la lecture de l’album et comment as-tu rencontré Thomas Kubler qui signe la B.O. très immersive d’Harmony?
Je n’ai jamais rencontré Thomas à proprement parlé, on ne communique que par Facebook ! Il m’avait contacté au départ pour me demander la permission d’utiliser un de mes dessins pour illustrer une musique qu’il avait composée, inspirée d’un roman de Maxim Chattam. Mon dessin était également inspiré de ce roman. J’ai trouvé l’idée d’une bande originale inspirée d’un livre très intéressante et je lui ai proposé de faire la même chose pour Harmony. J’en étais alors qu’au tout début de l’album, les 2 projets ont donc évolué en parallèle. C’était une expérience vraiment enrichissante et stimulante !

Je n’ai pas tenté l’expérience de lire l’album en écoutant la BO, je ne sais pas si ça fonctionne ou pas. Ce n’était de toute façon pas l’idée de départ, un livre ce n’est pas un film avec un temps de visionnage déterminé, on ne peut pas précisément coller une musique dessus. Je pense qu’il faut envisager cette musique comme une création à part entière, inspirée d’Harmony. Une adaptation musicale.

Harmony, Storyboard de la planche 16 et 17 © ReynèsDans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement? Silence monacal ? Radio ? musique de circonstance?
Je travaille rarement dans le silence. En règle générale j'écoute la radio le matin et la musique l'après-midi. Principalement du métal (ça me détend !) ou des musiques de films. J'aime bien écouter des musiques assez dynamiques, ça donne de l'énergie et de l'élan pour travailler !

Du scénario à la planche finalisée, quelle étape de la réalisation d’un album te procure le plus de plaisir?
Harmony, Storyboard de la planche 42 et 43 © ReynèsLes deux étapes que j'apprécie le plus sont l'écriture et l'encrage. La première parce que c'est le moment où j'invente l'histoire, où je me la raconte à moi-même, c'est la plus ludique. La seconde parce que c'est une étape assez relaxante qui conclue la partie dessin.

Etrangement, si je devais choisir entre l'une ou l'autre, je crois que l'écriture l'emporterait. C'est pour moi l'étape la plus créative et là moins douloureuse. Peut-être parce que je suis encore "jeune scénariste et je me remets moins en question sur cette partie que sur mon dessin dont je ne suis jamais satisfait.

Dans quel état d’esprit étais-tu à la sortie de ce premier opus?
Heureux, stressé et angoissé... Ma première série en solo quoi ! En plus Dupuis est enthousiaste et met le paquet sur la promo. En soit c'est une très bonne chose, c'est très motivant mais ça me met une pression énorme ! C'est un projet que j'ai envie de faire depuis tellement longtemps que j'y suis très attaché.

Harmony © ReynèsAs-tu d’autres projets sur le grill?
En tant que scénariste seulement, oui. Je suis en train d'écrire un nouveau scénario pour Valérie Vernay avec qui j'avais fait La Mémoire de l'Eau mais c'est encore trop tôt pour en parler.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
En BD, même si ce n'est pas tout à fait une nouveauté, je suis fan de la série Lastman. En série TV je dirais Jessica Jones. En film, Whiplash. En musique, Imagine Dragons. En roman, Daemon de Daniel Suarez.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Sans doute mais elle ne me vient pas là.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…


Harmony © Mathieu Reynèsun personnage de BD: Sangoku
un personnage de roman: Le chien des Baskerville
un personnage de cinéma: un personnage joué par Jason Statham
une chanson: The audience is listening (de Steve Vai)
un instrument de musique: une guitare
un jeu de société: rush hour
une découverte scientifique: comment déplacer des objets par la force de la pensée
une recette culinaire: des lasagnes aux légumes
une pâtisserie: n'importe quoi au chocolat
une boisson: du lait de riz
une ville: Magog
une qualité : patient
un défaut: impatient
un monument: la statue de la liberté (souvenir de gamin)
un proverbe : plutôt une citation : « le monde contient bien assez pour les besoins de chacun mais pas assez pour la cupidité de tous » (Gandhi)


Un dernier mot pour la postérité?
I'll be back !

Un grand merci pour le temps que tu nous a accordé…
Le Korrigan