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Entretien avec Stéphane Fert
interview accordée aux SdI en avril 2016


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Bonjour, et merci à vous !

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Arf… hum … bon, si vous insistez… ( non bien sûr !)

Merci bien!
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)

Eh bien j’ai 31 ans, je suis né à Paris mais j’ai grandi à Pau dans le sud-ouest de la France, entre la campagne et la ville. J’ai fait une prépa à Bayonne, un rapide passage aux Beaux-Arts d’Angoulême (très très rapide ) et j’ai terminé par une école d’animation à Paris. Un parcours plutôt chaotique donc, mais éclectique. Au final je me suis rendu compte que je n’étais pas trop fait pour les études. J’intriguais les profs mais je ne faisais jamais ce qu’on attendait de moi !
Sinon j’ai un lourd passé de geek accro aux mangas et aux jeux vidéos que j’assume complètement mais je m’intéresse à tout dans la culture. J’aime la peinture, l’histoire de l’art, le théâtre, la poésie, la littérature…
A titre personnel j’aime la nature, la montagne, le café en perfusion et les sports de combats ( que je pratique à un tout petit niveau ) et je vis en collocation avec un furet tueur en série.

Pour mon numéro de carte bleue alors c’est le 45028… euh… non attends… je suis vraiment obligé de le dire ?!

Morgane, illustration  © Stéphane FertOui, obligé, sinon les critiques seront moins dithyrambiques pour les chroniques de tes prochains albums smiley
Rah mince… je le savais !

C’est trop tard pour regretter… Mais je me laisse facilement corrompre ^^

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?

Enfant je dévorais d’abord du Comics (Spiderman, X-men … ). Toutes les semaines je chipais 20 francs à mes parents pour aller chez le marchand de journaux. Et puis un jour, j’ai découvert le système de « reboot « des comics. C’est à dire que l’histoire de Spiderman que je lisais s’est arrêtée brutalement et ils en ont recommencé une autre légèrement différente (en fait, dans les comics, on fait constamment cela ). J’ai vécu ça comme une immense trahison dans mon petit cœur d’enfant fragile et j’ai décroché! (aujourd’hui j’ai vraiment du mal avec les super-héros ). Ensuite on m’a fait découvrir la BD franco-belge avec Moebius, Gimenez, Bilal, mais aussi l’heroic-fantasy de Lanfeust, Chroniques de la Lune noire, etc … J’adorais ces univers sombres sans héros standards avec de la violence et un peu d’érotisme. Je n’ai jamais accroché à la BD classique (Tintin, Astérix, Gaston … ). J’y viendrais sûrement un jour, mais enfant, ça ne m’a pas du tout intéressé. Ensuite j’ai eu une grosse période manga ( Otomo, Oda… ) et puis à la fin, vers mes 25 ans, je suis revenu à la BD par ce qu’on appelle le roman graphique avec des auteurs comme Sfar, Sattouf, Larcenet, et tant d’autres.

Bref, c’est difficile de nommer des livres de chevet comme on dit. Je suis vraiment passé par tous les styles et aujourd’hui encore je lis de tout.

Morgane, illustration  © Stéphane FertDevenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
C’était clairement un rêve de gosse ! Mais j’avais décroché de la BD dans les études car ça n’y était pas du tout valorisé. Et puis, se lancer en se disant « je vais être auteur » , ce n’est pas facile. Il faut une certaine dose de naïveté ou de prétention, ou les deux… Mais j’y suis revenu quand j’ai réalisé que je dessinais avant tout pour raconter des histoires.

Je ne suis pas un dessinateur compulsif. Si je n’ai rien à raconter ou si le sujet ne m’intéresse pas c’est très dur pour moi de prendre le crayon. A l’inverse, si je suis motivé par une histoire cela devient vraiment un jeu dont je ne me lasse jamais.

Publier Morgane a effectivement été un parcours du combattant. A l’image de mon parcours d’étudiant, les éditeurs étaient très intrigués par ce projet mais aussi très méfiants de par son originalité. Mais finalement cela s’est très bien déroulé chez Delcourt. Grégoire Seguin, mon éditeur, a vraiment sut voir les points faibles et les points forts du projet tout en nous laissant une liberté totale. On a vraiment put faire tout ce qu’on voulait (oui, même la scène avec le dieu Cerf … ), et ça, c’est une chance.

Morgane, illustration  © Stéphane FertQuelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
La grande joie, c’est de se lever le matin pour dessiner ses petits personnages et rester toute la semaine dans son univers. J’adore ça. Ensuite petit monde qu’on juste imaginé devient un livre et finalement quelques choses de collectif, de vivant. Ca, c’est vraiment magique.
Ne pas avoir de réveil aussi, c’est un grand luxe !
La grande difficulté, c’est que c’est un métier génial qu’on est beaucoup trop à vouloir faire… Du coup cela entraîne qu’il est difficile de négocier un contrat et d’être ensuite visible en librairie parce qu’on se noie dans la masse.
Heureusement les journalistes et les petits libraires font leur travail et permettent que des choses peu connues soient plus visibles (et merci à eux!)
D’ailleurs on est très très heureux de la presse sur Morgane jusqu’à présent et on espère que cela va pousser des curieux à ouvrir le bouquin.

Comment est né Morgane, votre premier album, que tu cosignes avec Simon Kansara et qui séduit d’emblée par son identité graphique forte?
C’est très difficile de répondre à cette question tant le projet est né de plein de petites choses au fil des années mais allons-y.
Au départ c’était un projet solo.

Morgane, illustration  © Stéphane FertIl se trouve que ma première commande d’illustrateur était de faire la Fée Morgane pour un livre pour enfant. Par ailleurs, j’avais eu un prof de français génial au collège qui nous avait fait faire de la BD sur la Table Ronde (ma première planche de BD, en fait) en nous montrant le film des Monty Python ( je crois qu’il ne respectait pas du tout le programme, ce prof là, et il avait bien raison … ). Et enfin, j’avais une amie féministe qui me parlait de sorcières …

Bref à un moment tout cela s’est mélangé dans ma tête et avec l’alignement des planètes j’ai finis par avoir l’idée de raconter cette histoire. A la lecture des textes médiévaux, il était évident pour moi qu’elle constituait LE personnage moderne du récit et qu’elle ne pouvait être que l’héroïne dans une version contemporaine. ( En fait, je suis étonné d’être le premier à avoir eu l’idée… je ne serais pas étonné de voir un film ou une série sur Morgane un de ces jours. )

Cela dit, avoir des idées et un crayon ne suffit pas. Il fallait organiser tout cela autour d’un scénario et c’est là que Simon Kansara qui avait déjà écrit une série BD a bien voulu accepté de se greffer au projet. Il y a apporté une structure, du sens et une touche personnelle. Et pour moi, cela a été un vrai stage de scénario sur 2 ans. Il a été très précieux à ce projet et je le remercie bien fort !

Morgane, illustration pour l'ex-libris de la librairie Bachi-Bouzouk © Stéphane FertLe style très personnel, à la fois élégant et stylisé, que tu as adopté pour mettre ce récit en image s’est-il imposé d’emblée?
J’ai vraiment travaillé ce style pour ce projet en particulier. Je voulais que ce soit un conte de fée pour adulte avec un côté très théâtrale. Comme une pièce shakespearienne ( d’ailleurs tu l’as très justement souligné dans ton article : Morgane est une Lady Macbeth ) Je n’étais pas intéressé par une représentation réaliste du mythe du Graal ou même semi-réaliste. Cela a été fait de nombreuses fois en BD ou en série. Je voulais faire autre chose.

J’ai donc pris deux références principales très éloignées : Mary Blair ( illustratrice mythique de Disney ) pour le côté conte de fée. Et Mike Mignola pour le côté sombre. Ensuite bien sûr beaucoup d’autres références s’y sont greffés.

D’autres choses ont été complètement improvisées. Par exemple le côté comique des chevaliers n’était pas prévu mais il s’est imposé car je me suis rendu compte que j’aimais vraiment dessiner des têtes de crétin…

Bref, maintenant cela me fait bizarre car beaucoup de gens m’associent à ce dessin exclusivement… C’est bien, parce que ça montre que le style percute les gens. Mais à la fois j’espère ne pas y rester bloqué.

Morgane, illustration  © Stéphane FertConcrètement, comment s’est organisé votre travail à quatre mains sur l’album? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album?
Question difficile… Comme je l’ai dit l’idée venait de moi. Ensuite on a décidé de tout le synopsis à deux en discutant et en prenant des notes.

Après Simon s’occupait de rentrer dans la rédaction des dialogues et là on en discutait à chaque fois. J’ajoutais ou j’enlevais des choses. Parfois je me suis lancé dans des dialogues qu’il a repris. Parfois c’était l’inverse.

Comme on était colocataires c’était assez facile de collaborer sur ce projet.

Quelle étape te procure le plus de plaisir?
Je ne saurais dire. Toutes les étapes sont intéressantes. L’écriture et le storyboard sont des phases « casse-tête « où on fait chauffer le cerveau. C’est chouette mais fatiguant. Le dessin, ensuite, on se repose …c’est du plaisir mais je peux vite m’y ennuyer si j’ai la sensation que l’image n’est pas pertinente.

Quels outils utilises-tu pour donner vie à tes histoires?
Gouache, huile, posca, feutres, crayon … et beaucoup d’ordinateur.

Morgane, illustration  © Stéphane FertAs-tu d’ores et déjà d’autres projets sur le grill?
J’ai plein d’idées ! Toutes très différentes. C’est dur de choisir.
Je n’ai rien signé pour le moment alors je préfère ne pas trop en parler.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Je lis actuellement un livre fabuleux qui s’appelle L’homme qui savait la langue des serpents, de Andrus Kivirahk. Une histoire fantastique poétique, terriblement drôle et très intelligente sur la nature et l’absurdité de la société moderne.

Je viens de voir la dernière pièce de François Morel (la fin du monde est pour dimanche) et c’était génial.

La série Peaky Blinders.

Topaze de Marcel Pagnol.

En BD, Sunny de Matsumoto et Bots de Ducoudray et Baker.

En musique Hindi Zahra.

Morgane, illustration  © Stéphane FertY a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Stéphane, prévois-tu de faire des dédicaces prochainement ?

Oui, merci, très bonne question ! Je serais à Tarbes, Agen, Toulouse, Bordeaux, Paris, Niort et Clermont Ferrand ! J’espère y voir plein de lecteurs et faire de belles rencontres !

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Morgane, illustration  © Stéphane Fert
un personnage de BD: Kaneda
un personnage de roman: Long Jhon Silver
un personnage de arthurien: Morgane !
un personnage de cinéma: Helen Ripley
une chanson: J’ai dix ans
un instrument de musique: La trompette de Maalouf
un jeu de société: Heroquest
une découverte scientifique: Le darwinisme
une recette culinaire: Les pâtes bolognaise
une pâtisserie: La civet de lapin de ma grand-mère.
une boisson: Une bière belge ( la Rochefort 8 … voir la 10 )
une ville: Lescun
une qualité: L’oisiveté
un défaut: L’impatience
un monument: La sagrada familia
un proverbe: « Tu n’as pas encore vu le loup péter sur la pierre de bois


Un dernier mot pour la postérité ?
« Plus on rentre dans le moule, plus on ressemble à une tarte » .

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé… et pour ce superbe album!
Merci à toi!
Le Korrigan