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Entretien avec Florent Calvez
interview accordée aux SdI en mai 2016


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?

Au contraire, camarade.

Merci bien camarade… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
J'ai 41 ans, suis brestois, j'habite dans le patelin le plus à l'ouest de France métropolitaine. Mes qualités sont trop nombreuses pour les lister ici. Je n'ai guère le temps d'avoir des passions, mon métier est trop accaparant...

Des comptes numérotés en Suisse ou aux îles Caïmans ? Je rappelle que je n'édite pas de bandes dessinées, je ne fais que les dessiner...

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Gamin, j'ai très peu joué au foot, donc, la lecture et le dessin, c'étaient mes trucs. Tintin, Astérix, les Schtroumpf, Verne, Boule, Dumas, Stevenson, Kipling, London.

Aujourd'hui, c'est plus Junger, Céline, Arendt, Lordon... En bande dessinée, les classiques, Moebius, Miller, Sienkiewicz...

La dernière bande dessinée qui m'a retourné, c'est Rebetiko, c'est dire si je ne suis pas très assidu...

Mousquetaires, d'Artagnan © Florent CalvezDevenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse?
Ouaip. Je pensais même assez cyniquement reprendre les Schtroumpfs quand Peyo passerait l'arme à gauche (Les enfants sont cruels, ou alors c'est moi).

En 2005 paraissait U-29, remarquable adaptation de la nouvelle de HP Lovecraft, sur un scénario de Rotomago… Devenir dessinateur de BD a-t-il relevé du parcours du combattant?
Non, pas vraiment, parce qu'Akileos l'a accepté avec enthousiasme très vite, et puis, j'ai enchaîné aussi vite chez Delcourt. J'ai eu beaucoup de chance.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
Les moments de joie, c'est quand on monte un dossier, quand on bâtit un projet, quand on envisage le truc, quand on prépare, on est complétement dans l'enthousiasme. Et puis quand l'album part à l'impression, le truc est fini, on a tout dévalé, on est souvent fourbu, cassé, fatigué, mais heureux.

Les difficultés du métier, hé ben... On se rend chez son banquier avec les mains moites, à chaque fois. Quand on doit trouver une maison à louer, et que les visages se ferment quand on dit qu'on est auteur de bd...Quand on dédicace une bd en librairie, et quand on entend du rayon BD quelqu'un dire à son gamin « tu veux pas un vrai livre, plutôt ? »

Mousquetaires, Batailel navale © Florent CalvezLe premier tome de Mousquetaire est paru début 2016… Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce scénario historique signé par Fred Duval, avec vous avez déjà signé de nombreux albums?
Avec Fred, on a déjà travaillé sur 7 personnages, même époque, donc. On a accumulé pas mal de trucs qui n'ont pas été utilisés, et on s'est dit qu'il y avait matière à faire une série... Une histoire de cape et d'épée, mais avec un pas de côté, un angle un peu différent, et qui me permettait aussi de tester des choses graphiques.

Comment s’attaque-t-on à un album se déroulant dans un cadre historique précis ? Graphiquement, quelles furent tes principales sources documentaires ?
Hé bien : google images, le très chouette catalogue de l'expo mousquetaires au musée des armées, et puis quelques lectures, quelques films, aussi. Souvent, des films intéressants pour les costumes et les décors, plus que pour leurs qualités cinématographiques. J'ai soigneusement évité de lire ou relire des bd d'époque ou traitant de mousquetaires, histoire d'avoir au max ma propre interprétation de l'époque, justement. Ensuite, graphiquement, les gravures d'époque. Ça m’a désinhibé, j'ai travaillé pour faire une synthèse entre mon style habituel et le style hachuré/crayonné que j'utilisais pour mes albums personnels.

Mousquetaires, personnages © Florent CalvezLe moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est magnifique!
Avec votre complice scénariste, un peu à la façon d’Arturo Pérez-Reverte et son Capitaine Alatriste, vous vous détachez de l’image romantique du mousquetaire pour en brosser un portrait plus âpre, moins lisse et sans doute aussi plus conforme à ce que furent ces soldats. Pourquoi avoir pris l’option de vous détacher de l’icône?


Déjà, il nous a semblé que l'image d'Epinal, romancée du mousquetaire était faussée, trop roman-tique, et d'emblée, on a voulu ancrer la figure du mousquetaire dans un sorte de réalité historique, en tout cas, telle qu'on l'imagine. Le D'Artagnan de Dumas est naturellement romantique à souhait, instrumentalisé pour son récit, avec les cœurs purs d'un côté, et les méchants de l'autre. En tout cas, dans le récit originel. On a choisi une autre piste moins manichéenne, plus trouble, mais qui me semble aussi plus vraisemblable. Et puis, c'est toujours bien de dézinguer les icônes.

Comment crées-tu généralement l’apparence de tes personnages?
C'est souvent une fusion de visages d'acteur qui endosseraient le mieux le rôle. La structure du visage, l'attitude générale, le regard. Ensuite, pour les personnages « historiques » je les confronte aux iconographies existantes, et j'en fais un mix.

Mousquetaires, rough de la planche 14 © Florent CalvezDu synopsis à la planche finalisée, comment organisez-vous votre travail avec Fred Duval et Delf, le coloriste?
Fred m'envoie la page scénarisée, dialoguée, avec des propositions de plans et de découpage. La plupart du temps, je respecte le plus possible ses indications et j'adapte pour obtenir un déroulement fluide et si possible narrativement pertinent. Je soumets le storyboard au feu de ses critiques, ainsi qu'à celles de Fred Blanchard. Et je passe à la réalisation de la page. Quand le noir et blanc est fini, j'envoie aux Freds, et si c'est validé, hop direction Delf à qui je laisse toute liberté pour la mise en couleurs. Il est rare que je lui demande des modifications.

Parmi ces différentes étapes, laquelle te procure le plus de plaisir?
Le storyboard, parce que c'est le moment où on pose les choses, et où on raconte. C'est l'instant où l'on réfléchit. Après, c'est de la mécanique, de la technique et de la sueur, un temps long, avec ses joies et ses souffrances.

Combien de tomes sont d’ores et déjà prévu pour cette série?
On a prévu un premier cycle de 4 tomes. Si les dieux de l'édition nous prêtent vie au-delà, on pourra alors envisager une seconde époque.

Mousquetaires, crayonné de la planche 14 © Florent CalvezAs-tu d’autres projets sur le grill?
Les journées ne faisant que 24 heures... ça n'empêche pas d'avoir des idées qui mûrissent, mais rien de tangible. On verra après le premier cycle de Mousquetaire.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Les équinoxes, de Cyril Pedrosa.
Histoire de la sainte russie de Gustave Doré.
Et une redécouverte complète de Diamond Dogs, de Bowie.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Tu n'as pas évoqué la revue Casier[s], une revue en bande dessinée, initiée et bidouillée par des auteurs brestois, sur Brest. Une grande aventure, très chouette : de l'auto-édition locale et collective, assez passionnant et pour ce que j'en vois, ça va être pas mal.
Le premier numéro sort fin septembre, toutes les infos sur revue-casiers.fr


Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Mousquetaires, mise en couleur de la planche 14 © Florent Calvez
un personnage de BD: Corto Maltese
un personnage de roman: Ferdinand Bardamu
un personnage mythologique: Le sphinx (poser les questions sans avoir à y répondre)
un personnage de cinéma: le Colonel Kurtz.
une chanson: Candidate (de David Bowie, donc)
un instrument de musique: Le piano
un jeu de société: Space Hulk
une découverte scientifique: Le Micro onde (le hasard fait bien les choses)
une recette culinaire: le kig ha farz.
une pâtisserie: le far nature.
une boisson: le café
une ville: Brest, naturellement.
une qualité: La probité
un défaut: La procrastination
un monument: un temple indonésien abandonné, envahi par la jungle
un proverbe: La liberté des uns COMMENCE là où commence celle des autres.


Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!
Le Korrigan