Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Bonjour Monsieur…
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Bien qu’ayant reçu une éducation très stricte chez les Jésuites, je suis conscient d’évoluer dans un milieu où la fantaisie est de rigueur. Même si cela heurte mes convictions et mon sens de la bienséance, je vous autorise à me tutoyer…
Merci… Je peux me faire violence et poursuivre le vouvoiement ^^… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Non. Je suis flatté que vous me demandiez ça, mais je ne suis pas sûr que cela intéresse vos lecteurs… Je suis quelqu’un de banal, lisse, sans aucune aspérité. Mon « parcours » n’a rien d’inspirant pour vos lecteurs et le fait que mon nom apparaisse dans la liste des Panama Papers ne signifie rien.
Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Comme la plupart des gars de ma génération, j’ai été bercé par la bande dessinée (et le Club Dorothée) sous toutes ses formes.
Je dilapidais mon argent de poche en journaux (A l’époque ce type de média était très répandu. Il s’agissait de publications imprimées sur du papier et que l’on devait payer avec de l’argent) : Strange, Pif Gadget, Super As avant de basculer sur Fluide Glacial… Je lisais avec avidité Franquin, Gotlib mais aussi Tintin, Boule et Bill, Astérix… Je suis entré dans la « vraie » BD très tard, grâce notamment à Loisel, Vatine, Moebius…
Aujourd’hui j’ai un peu lâché la BD… je suis plus porté sur la littérature. A la maison de retraite il n’y a pas de BD, j’ai dû me réadapter.
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse?
Pas vraiment. Je ne croyais pas en être capable. J’ai vite compris que mon style graphique n’était pas à la hauteur de mes icônes (En ce temps-là, pour faire de la BD il était indispensable de bien dessiner.) En fait, je rêvais d’aventure… C’est sans doute pour cela que je me suis dirigé vers le journalisme et le reportage.
Un métier que tu as quitté sans regrets?
Le premier que j’ai exercé pendant deux ans. J’étais « dessinateur » dans une petite agence de pub.. C’est là que j’ai connu ‘Fane et Bar 2. Je n’étais pas fait pour ce métier, et (mal) dessiner à côté de ces deux génies m’a définitivement démontré que je n’étais pas doué…
Quelles sont pour toi les plus grandes joies et les plus grandes difficultés du métier de scénariste?
Trouver une bonne histoire, la mener au bout et rencontrer des lecteurs… C’est une joie indescriptible. L’impression du « devoir accompli » se mêle à celle d’avoir été « compris ». Tout à coup, un truc personnel, sorti de votre tête, se met à exister, c’est un sentiment unique.
Le boulot de scénariste BD, demande beaucoup d’endurance, d’engagement et surtout, de renoncement : Renoncer à mener au bout un projet auquel on croit parce qu’on n’a pas trouvé de dessinateur (ou l’éditeur), renoncer à la reconnaissance, renoncer à tout maitriser, renoncer à en vivre décemment… et accepter de ne pas être écrivain. Non, franchement, ne faites pas ce métier !
En 1992 paraissait Les passeurs d'Egyd, ton premier album aux ambiantes évoquant Mad Max (et le JdR Bitume MK5!)… Devenir scénariste de BD a-t-il relevé du parcours du combattant?
Le titre de la série était « Skud » (En hommage aux missiles). Nous étions très inspirés par Mad Max certes, mais plus encore par Dune. Publier cet album n’a pas été compliqué. A l’époque ça ne l’était pas autant qu’aujourd’hui… Avez-vous remarqué quand même que notre héroïne, qui conduisait un gros camion à fond les balles dans le désert, ressemble furieusement (hu hu hu !!!) au personnage de Furiosa dans le dernier Mad Max ? Hasard ou coïncidence… je ne crois pas!
Troublant, effectivement :-P
J’avoue t’avoir redécouvert avec l’édifiant Kersten, médecin d’Himmler qui mettait en lumière un héros méconnu de la seconde guerre mondiale… Comment as-tu rencontré ce personnage et qu’est-ce qui vous a donné envie d’en écrire l’histoire?
Ne vous en excusez pas… Moi-même j’ai l’impression d’avoir découvert la BD à ce moment-là.
J’ai connu cette histoire il y a longtemps grâce au merveilleux bouquin de Kessel (Les mains du miracle). Le personnage m’a beaucoup touché et j’ai immédiatement flairé le potentiel financier… Je me suis dit : « Humm… il y a moyen de se faire plein d’argent sur son dos, d’autant qu’il est mort ! ».
Comment as-tu rencontré Fabien Bedouel qui signe les dessins de ce diptyque et ceux de l’excellent Forçats?
Nous avons fait partie de l’expérience 12bis… le naufrage d’une maison d’édition cela rapproche les auteurs. Fabien et moi étions simplement ami, jusqu’au jour où nous avons décidé de travailler ensemble. La relation scénariste/dessinateur est assez similaire à la vie de couple. C’est d’ailleurs pour cela que ça finit souvent assez mal… Mais, pour le moment, Fabien et moi vivons assez bien cette proximité.
Comment est née cette série dont le premier tome vient de paraître?
Simplement d’une envie mutuelle de raconter cette histoire, de la populariser. Comme pour Kersten, elle contient, en creux, tous les ingrédients qui nous fascinent. Elle parle de l’humain, de ses failles, de solitude, d’injustice. Kersten est un héros médiéval pour moi, tout comme Eugène Dieudonné ou Albert Londres. Des hommes « ordinaires » qui vivent un destin extraordinaire et se métamorphosent presque malgré eux.
Pourquoi t’es-tu intéressé à Albert Londres et qu’est-ce qui t’a attiré dans ce personnage?
Il représente la droiture, l’engagement absolu, une certaine idée de la déontologie… j’admire cet homme tout simplement.
Albert Londres a dressé le portrait de plusieurs bagnards dans ses différents articles. Pourquoi avoir choisi de te center sur Dieudonné?
L’histoire de Dieudonné symbolise toute la cruauté du système. Etre condamné à tort c’est l’une des pires choses qui puisse arriver à un homme. Survivre à ça demande une force de caractère hors du commun… En cela, l’histoire de Dieudonné mérite d’être racontée, et racontée sans cesse. On ne doit pas oublier ces hommes, c’est le moins que nous puissions faire…
Si tu devais conseiller la lecture d’un des ouvrages de la bibliographie à un lecteur désirant en apprendre plus sur la vie des bagnards, lequel serait-ce?
Au bagne évidement… c’est le livre de référence. Mais le bouquin de Dieudonné, préfacé par Albert Londres, apporte un éclairage encore plus fort, parce qu’il est vécu de l’intérieur.
Du synopsis à la planche finalisée, comment s’est organisé ton travail sur l’album avec ton complice dessinateur?
Heu… vous croyez vraiment que je vais vous donner ma méthode ? Non, je ne voudrais pas briser le mythe… Il faut que les lecteurs (ET les éditeurs) continuent de penser que c’est un vrai travail avec des règles précises et une méthodologie compliquée, sinon on est foutu.
Plus sérieusement, j’écris tout d’abord une histoire que j’étoffe avec des éléments du réel pour renforcer la crédibilité du propos et des personnages. Ce qui m’intéresse c’est de jouer avec la réalité historique. Que le lecteur ne sache plus, au final, quelle est la part de fiction.
Ensuite, je fais le découpage au fur et à mesure par fournée de dix pages (Une ou deux scène maxi). Je travaille en direct avec Fabien. On se retrouve presque tous les jours pour avancer ensemble. Ce qui me plaît ce sont les « accidents ». Tu es parti sur une histoire et finalement tu te laisses déborder par les personnages et tu changes tout en cours de route, tu te retrouves ailleurs. Bon, ce n’est pas très orthodoxe comme méthode et surtout pas rassurant pour les dessinateurs et les éditeurs qui ont l’impression que tu improvises au fur et à mesure. Mais j’ai besoin de cette liberté, je déteste quand tout est figé dès le début.
Sur quel(s) autre(s) projet(s) travailles-tu actuellement ?
Nous terminons le tome II de Forçats avec Fabien (sortie prévue en Avril je crois), puis nous enchainons sur un nouveau dytique (Encore une fiction historique) chez Rue de Sèvres. En parallèle je travaille sur deux autres projets. Mais je ne peux pas en dire plus, puisque rien n’est encore signé…
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
J’ai beaucoup aimé le roman de Trevanian « Shibumi », que j’ai découvert par hasard il y a peu (Je crois qu’il est sorti dans les années 1980). Trevanian est un formidable auteur de polar.
Au cinéma, j’ai adoré « Dernier train pour Busan »… un film de zombie qui change un peu.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Quel roman aurais-tu aimé écrire ? La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker ! C’est moderne, brillant… je suis vert de jalousie.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage historique: Albert Londres !
un personnage de BD: Spiderman.
un personnage de roman: Paul Atréides dans Dune
un personnage de cinéma: Joseph Cooper (Mathieu McConaughey) dans Interstellar
une chanson: Gimme shelter des Stones
un instrument de musique: Une guitare Fender Stratocaster
un jeu de société: Le tarot si vraiment je n’ai pas d’autre choix… mais, globalement, je déteste les jeux de société !
une découverte scientifique : Je ne sais pas… Quelque chose de très futile… le fil à couper le beurre.
une recette culinaire: Les pâtes fraîches.
une pâtisserie: La tarte au citron meringuée.
une boisson: le vin rouge.
une ville: New York
une qualité : L’opiniâtreté.
un défaut: L’impatience.
un monument: Le Manneken Pis
un proverbe : Ce serait plutôt une citation : « Ne permets pas aux évènements de ta vie quotidienne de t’enchaîner, mais ne te soustrais jamais à eux. Ainsi, seulement tu atteindras la libération ». Huang-Po
Un dernier mot pour la postérité ?
C’est quand qu’on arrive ?
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!