Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Pas s'il y a du respect...
Je me permets d’embrayer sur le « tu » alors… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Je m'appelle Stéphane GIRARD mais on me connait mieux sous le pseudo de GESS. J'ai 56 ans et je fais de la BD. Surtout connu comme dessinateur, j'ai aussi fait des histoires complètes (Scenar, dessin, couleur) dont mon dernier bouquin, « La malédiction de Gustave Babel ».
Sans indiscrétion, pourquoi avoir choisi d’écrire sous ce pseudo plutôt que sur votre véritable nom?
Ma première BD (Teddy Bear) je l'ai signée chez Zenda dans la collection poison où étaient déjà Stan, Vince et Siro. Les éditeurs mon demandé de me trouver un nom moins franchouiard que Stéphane Girard, j'ai donc pris mes initiales (G.S.) et transformé ça en Gess...
Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Je lisais tout ce qui me tombait sous les yeux, romans et Bds, c'est à l'adolescence que j'ai commencé à faire des choix et reconnaître des auteurs. Wrightson, Corben, Kirby...
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse?
Non, c'est venu plus tard... quand j'étais gamin ce métier me paraissait inaccessible.
Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
J'ai passé dix ans à aller voir tous les éditeurs chaque année... pour me faire bouler. A 30 ans, enfin, un a accroché, c'était Zenda.
Est-ce le dessin qui t’attirait dans le métier ou l’envie de raconter des histoires grâce au dessin?
L'envie de raconter des histoires !
Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier d’auteur de BD?
Mes joies sont d'être content d'un dessin, d'une page, d'un album et de voir les yeux des lecteurs briller quand ils parlent de mes albums, ça c'est la grande récompense.
Les difficultés, c'est l'appauvrissement des auteurs, d'années en années on est de moins en moins bien payé et donc, obligatoirement on passe moins de temps sur les pages, c'est parfois frustrant...
Comment avez-vous rencontré Serge Lehman et Fabrice Colin avec qui vous avez signé les incroyables Brigades Chimériques? Qu’est-ce qui vous a donné envie de mettre en images ce scénario iconoclaste et fascinant?
Je travaillais déjà comme illustrateur pour les éditions L'Atalante, quand ils ont décidé de faire de la BD, j'ai voulu en être c'est alors qu'ils m'ont parlé de Serge et Fabrice et de la Brigade, j'ai discuté avec Serge et très vite l'idée m'a séduit. C'était parti.
L’univers des Brigades Chimériques a été adapté en jeu de rôle pas une pléthore d’auteurs talentueux (Fabrice Colin, Laurent Devernay ou Willy Favre pour ne citer qu’eux…). Es-tu toi-même rôliste? Comment as-tu été intégré à l’équipe de développement du jeu?
Non, je ne suis pas rôliste. Je n'est pas intégré l'équipe à proprement parlé, je n'ai fait qu'illustrer l'encyclopédie. Par contre ça a été un vrai bonheur de rencontrer toute cette bande à l'imagination bouillonnante, comme beaucoup de rôlistes j'ai l'impression.
Après avoir dessiné l’Homme Truqué et l'Œil de la Nuit, vous signez scénario et dessins de la poétique et troublante Malédiction de Gustave Babel, un projet ancien qui arrive enfin sur les étals… Comment est né cet album original où le lecteur est entraîné dans la psyché d’un tueur agonisant?
J'ai commencé à travailler dessus en 2006, bien sur, le travail avec Serge Lehman m'a fortement influencé, mais l'idée de gens avec des talents était là depuis longtemps (Bien avant de travailler sur La Brigade, j'avais lu et illustré « les chroniques d'Alvin le Faiseur » de Scott Card, l'histoire de gens qui ont des talents dans l'Amérique des pionniers) et cette idée me plaisait bien.
En faisant des recherches de docs sur internet pour La Brigade Chimérique, j'étais tombé sur plein de photos du début du siècle et je suis tombé amoureux de cette période. A un moment tout a fait sens et c'était parti. J'ai écrit les pitch de 4 histoires tournant autour de la Pieuvre, et en premier celle de Gustave Babel.
Tu parles de quatre histoires… Aurons-nous la joie de lire d’autres Contes de la Pieuvre?
Je l'espère bien, oui ! Une deuxième est en court d'écriture.
En voilà une excellente nouvelle!
Bien d'accord !
Peux-tu nous parler en quelques mots de tes projets en cours ou à venir ?
Je suis reparti sur un projet au long cours avec Serge Lehman, plus de 200 pages, dans l'esprit de ce qu'on a fait jusque-là ensemble... je ne peux/veux pas en dire plus.
Comment as-tu construit cet intrigant personnage? L’idée de commencer par le tuer dès les premières pages s’est-elle d’emblée imposée?
Oui, je ne voulais pas de suspens. Pour moi « La malédiction de Gustave Babel » est un roman noir. Certe mixé avec du fantastique mais la base de l'écriture vient du noir.
A-t-il d’emblée eu l’apparence qu’on lui connaît ou est-il passé par différente étapes avant d’adopter sa physionomie?
Non, il était tel qu'en lui-même d'emblée.
Du scénario à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de réalisations de l’album?
Quand j'ai commencé, c'était un pitch de trois pages. J'ai attaqué les pages de Bd d'entrée, à raison d'une par semaine car je faisais ça en dehors de mon travail (à l'époque je travaillais sur le Jour J). Les pages ont coulées toutes seules, j'en ai fait 50 avant de déclarer forfait et de ranger tout ce travail dans un dossier. J'ai eu la chance de pouvoir les montrer aux potentiels lecteurs via le site gratuit 8comix, disparu depuis. Pour que ça colle au format écran, je décomposais en demi-pages avec du texte additionnel comme vous pouvez voir sur cette preview de BDGest de l'époque : http://www.bdgest.com/preview-823-BD-la-malediction-de-gustave-babel-un-recit-tire-des-contes-de-la-pieuvre.html
L'année dernière j'ai ressorti tout ça et en ai parlé avec David Chauvel, déjà fan de Babel. On s'est mit d'accord sur un 200 pages. J'ai repris le scénar et fait un découpage séquence par séquence. J'ai rajouté quelques pages aux 50 déjà réalisées et je suis reparti comme en 14. J'avais assez l'histoire en moi pour que les pages coulent toutes seules.
Sur Babel j'ai travaillé au format A4. Parfois, je commence par un petit board de 5cm sur 3, puis je fais un crayonné, j'encre, je gomme, je scanne. J'ai un format pré-établit dans Photoshop, j'y introduits ma page, je fais les dialogues et les bulles.
Ensuite j'y intègre un fond (des buvards sales d'imprimeurs que j'avais scannés il y a quelques années), ensuite je vais piocher dans mes photos de nuages, j'en prend un bout que j'agrandi au format de la page, je passe ça en « courbes de transfert de dégradés » pour obtenir la couleur de mon choix. Puis je pose des gris, pas plus de deux différents et enfin un réhaut de blanc et voilà !
Quelle étape te procure le plus de plaisir?
C'est variable, l'étape du dialogue m'éclate particulièrement, mais celle du dessin aussi, bien sûr !
La couverture de l’album est particulièrement belle, à la fois élégante et intrigante… Peux-tu nous parler du processus créatif qui t’y a conduit?
J'ai d'abord fait le dessin de Babel regardant son flingue avec cet air interrogatif, mais sans penser alors à en faire la couv. Et puis ça m'a paru très vite évident. J'avais besoin d'y ajouter deux autres choses : la Pieuvre et Charles, l'arbre où Babel vient se recueillir. L'arbre devait être proche de Babel et la Pieuvre englobait le tout. Ainsi la symbolique de l'histoire était posée. Le vieil or de l'arbre et du titre apporterait un côté « arti » qui collait bien aux livres d'époque et faisait comme une barrière virtuelle entre la Pieuvre et Babel.
D'où te vient cette passion pour l'ouvre de Charles Baudelaire?
Baudelaire m’accompagne depuis mon adolescence. J'aime sa poésie sur la forme comme sur le fond et l'idée de ce tueur aimant Baudelaire me trottait dans la tête depuis un bon moment….
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Jessica Jones, Peacky Blinders, L'Homme à tête de vis, Gus, le Black moose des Dead Brothers, Harold Martinez, Ils vivent la nuit... et des tas d'autres choses...
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Pas particulièrement...
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Hell Boy
un personnage de roman: Jack Bird dans « Le train du Diable » de Sumner
un personnage de cinéma: L'ange dans « Les ailes du désir » de Wenders
une chanson: Dead man d'Harold Martinez
un instrument de musique: la clarinette
un jeu de société: Le Tarot
une découverte scientifique : L'électricité
une recette culinaire: Le Couscous
une pâtisserie: Le flan
une boisson: l'Americano
une ville: Brest
une qualité : la pugnacité
un défaut: La pugnacité...
un monument: Les alignements de Carnac
un proverbe: « N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondit. » Cioran
Un dernier mot pour la postérité ?
« Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins... »
Tiré de « Élévations » de Charles Baudelaire.
Un grand merci pour le temps que vous nous avez accordé et pour ce superbe album!