Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’interview…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposée au tutoiement?
Non
Ouf, me voilà rassuré, merci… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Alors, j’ai eu 40 ans en mars dernier. Je fais de la BD professionnellement depuis plus de 15 ans au sein de l’atelier 510 ttc à Reims… Je collectionne grâce (ou à cause!) de Philippe Buchet les jouets depuis maintenant 15 ans aussi, de toutes sortes, avec une grosse préférence pour le lego…
Comment es-tu tombé dans la marmite de la BD ? Enfant, quelle place occupaient-elle dans vos lectures?
Finalement assez tard… Je lisais très peu de BD ou de livres. Je dessinais beaucoup mais surtout de l’univers des dessins animés. J’étais fasciné par eux (merci Dorothée)… et puis un jour les mangas de Dragon Ball sont apparus… Ce fut le drame pour ma vie social et pour mon argent de poche. J’ai commencé à lire tous les mangas qui sortaient à ce moment quand un beau matin, dans mon Virgin Megastore, j’ai commencé à regarder le rayon juste à côté, celui des bd franco-belge… la révélation…
Devenir dessinateur de BD, étais-ce un rêve de gosse ?
Un rêve d’ado… Enfant je rêvais de tout sauf de travail et d’avenir… par contre le dessin faisait partie de moi. Je dessinais beaucoup et de tout… Je me racontais des histoires, je faisais des décors pour mes musclors, bref le dessin était déjà là.
En 2003, tu reprends le dessin de Troll, succédant à Olivier Boiscommun... Peux-tu nous en dire plus sur vos premiers pas dans le neuvième art ?
Ce fut angoissant, compliqué, fou, re-angoissant, magique, un sentiment de liberté, des rencontres qui ont bouleversé ma vie, bref je suis entrée dans un monde adulte par une porte étrange…
Tout a commencé sur Angoulême quand j’ai rencontré JD morvan et que je lui ai montré mon travail… (Il a fallu aller là-bas pour que je lui parle, alors que nous sommes de la même ville…
. Il m’a donc dit de passer au 510 pour regarder mon dossier… un RDV était posé 15 jours plus tard je crois…
En parallèle j’avais envoyé un ultime dossier de dessin, sans planches, juste des dessins aux éditeurs en leur demandant si ils n’avaient pas un truc pour moi n’importe quoi, ma préférence étant de l’HF… et c’est en rentrant d’Angoulême que Guy Delcourt en personne m’a téléphoné pour me demander si cela m’intéressait de reprendre la série Troll et si oui, je devais contacter JD morvan, pour voir s’il était ok… Ce qui venait d’être fait quelques jours avant… les planètes étaient en train de s’aligner pour moi…
J’ai ensuite rapidement intégré l’atelier, mais les premiers mots de Philippe ont été : « maintenant on va t’apprendre à dessiner et à faire de la BD. »
Et cela a duré 2 ans avant que je ne commence la réalisation de la première planche de Troll… ce fut 2 TRES longues années… mais aujourd’hui avec le recul j’en aurais bien eu besoin de 2 autres de plus…
Le second tome d’Aliénor Mandragore est paru il y a quelques mois de cela. Avec Severine Gauthier, vous entraînez le lecteur dans l’imaginaire arthurien, à la suite de Merlin et de sa fille… Graphiquement, comment aborde-t-on une série mettant en scène des personnages emblématiques tels que Merlin, Vivianne, Morgane ou Lancelot, tous profondément inscrits dans l’imaginaire collectif ?
En fait ce projet est finalement le plus personnel que j’ai fait dans mon travail graphique. J’ai essayé de ne pas me mettre la pression, de juste faire ce que je voulais faire depuis longtemps et qu’en commençant je ne savais pas faire… et ensuite que je n’ai jamais eu l’occasion de faire… de l’HF comme je l’imaginais gamin, un monde luxuriant, simple, joyeux et fou… pleins de petits trucs partout, comme pouvais être ma chambre de gamin quand je jouais avec mes toys.
Et Séverine m’a proposé ce scenario, on l’a travaillé ensemble, et je ne me mets aucune pression sur la créa des personnages. Je rentre dans ma bulle et je laisse aller le crayon… Je prends pas mal de ref en amont, de pleins de choses que j’aime bien, je mélange tout ça je les réinvente, je les fais vivre dans ma tête et seulement à ce moment, je ferme tout et je pose des trucs sur le papier quand j’ai le tout dans ma tête…
Je ne sais pas si je suis bien clair…
Donc forcément dans mes dessins et mes persos, on peut retrouver tout pleins de choses, venant de films, BD, jeux videos, toys… cependant j’ai sur ce projet une énorme influence par le travail de J.L.MUNUERA, C.WENDLING, STAN MANOUKIAN et grosse influence du jeu TRINE… ils correspondent chacun à leur façon a l’univers que j’aime pour Aliénor …
Après la musique a une part énorme pour moi, pour mon dessin.. Je me fais régulièrement des playlists en relation avec la séquence sur laquelle je travaille…
A-t-il été facile de se détacher des multiples représentations de Merlin que l’on a pu voir dans de nombreux films ou albums ?
Oui, mais par contre ce fut dur de trouver le Merlin qui allait nous plaire pour nos aventures… Aliénor a été posé sur le papier en environ 10 minutes après que Sev m’ait proposé le scénar… Pour Merlin il a fallu quelque mois, et puis le premier film du hobbit a tout débloqué… grâce au personnage de Radagast le Brun… Au cinéma j’ai eu le flash et Merlin est apparu…
Brocéliande apparaît comme un personnage à part entière de l’album, respirant de vie et de magie… Comment as-tu abordé cette forêt légendaire?
Comme je voulais le faire depuis très longtemps… Cette forêt elle est dans ma tête depuis que je suis gamin, depuis que je me fais des histoires, quand je jouais avec des jeux en 8 bit sur les consoles ou sur mon Amstrad, je voyais cet univers… quand je me balade en forêt, je vois des trucs de fou partout. La forêt m’angoisse et me rassure… Bref elle est là depuis longtemps…
Et non je ne me drogue pas et je ne bois (pas trop)…
J’avoue que la question m’a effleuré l’esprit
Est-ce justement cette envie de coucher sur le papier ce qui te trotte dans la tête qui t’a donné envie de faire ce métier?
Oui j’ai toujours aimé raconter des trucs avec des dessins, cela fait partie de moi depuis longtemps… mais en faire un métier est venu assez tard. Je n’ai jamais trouvé mon dessin top au point d’en faire mon travail, c’est grâce à Séverine, ma femme aujourd’hui que j’en suis là, c’est elle qui avait envoyé et présenté mes dessins à certains éditeurs sur Angoulême la première fois et qui m’a poussé pour avancer dans cette voie…
Aujourd’hui cela reste un besoin de dessiné de raconter des choses et j’ai encore la chance de pouvoir continuer à en faire mon métier…
Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du métier de dessinateur?
Les joies, la liberté de pouvoir s’évader comme on veut, quand on veut, et de donner cette évasion au lecteur…
Les difficultés résident aujourd’hui dans les conditions, qui pour moi stressent et gangrènent doucement « la joie »… Je dois toujours courir à ce que va être la suite dans 6 mois ( car je ne vends pas assez pour vivre de mes droits d’auteurs comme 90 pour cent des auteurs), le repos n’est pas permis et après 20 ans de taf, parfois c’est très dur, car tu sacrifies beaucoup pour ce travail dans ta tête et dans ton entourage… ce travail tu aimes mais parfois que tu détestes à cause de ce qui est autour finalement…
Comment as-tu organisé ton travail avec Séverine sur Aliénor Mandragore… De son synopsis à la planche finalisée, quels sont les différentes étapes de votre travail?
On parle énormément de l’histoire en amont, des légendes qu’on aime, par exemple pour le 3 je voulais absolument un personnage (sur lequel je ne vais pas m’étendre
) surtout d’un point de vue graphique, auquel je pense depuis le tome 1, mais il nous a fallu tout ce temps pour le trouver et pouvoir le placer dans un contexte une légende…
Une fois qu’on a tout ça, Séverine se met à écrire un très long résumé super détaillé… D’ailleurs si un jour on devait faire un tirage spécial, j’aimerai beaucoup mettre en avant son travail, car on ignore souvent le travail des scénaristes… Bref. Ensuite une fois son synopsis terminé on relit puis c’est au tour de l’éditeur. On retouche, on ajoute, on enlève si besoin! Et lorsqu’on est tous d’accord, elle passe à l’écriture des planches en détails toujours case par case…
Une fois fait mon travail commence je board plus ou moins en détail, je ne respecte pas toujours le découpage du scénariste, si jamais je trouve qu’il y a mieux à faire… On en cause et on voit… ensuite je fais mes planches crayon puis noir et blanc et colo…et on finit par le lettrage…
Est-il possible de savoir quelle musique accompagnait alors tes crayons?
En musique j’écoute beaucoup de BO, voir tout le temps quand je bosse…
Pour la page je penche sur la chanson de Rob Roy : Ailein Duinn
Voila un petit …
Quelle étape te procure le plus de plaisir?
Le story-board : réfléchir à comment raconter, ça j’adore! Mais ça reste plus cérébral que technique, car en fait je lis et réfléchi pendant plusieurs jours à la scène avant de faire quoi que ce soit… J’aime me perdre dans mes films, je retourne tout, je cherche quoi mettre en second plan… Ce travail se fait la nuit, en marchant, bref n’importe quand je pars dans mon monde…
Ensuite c’est l’encrage mais je le déteste tout autant que je l’aime, c’est très étrange… Sur l’encrage je ne peux pas tricher, je me connais bien mes qualités et mes défauts et je dois composer avec tout ça, parfois c’est dur, mais j’adore…
Masochiste va
Peux-tu nous donner quelques bribes du prochain tome d’Aliénor Mandragore que nous attendons avec impatience?
Le titre : Les portes d'Avalon
Ça en dit déjà beaucoup…
…
On va être sur une aventure qui va vraiment toucher Aliénor et Merlin… un chouilla plus sombre mais qui normalement finira par un numéro de l’Echo de Broceliande très drôle…
Je suis très impatient de lire ce que Séverine va écrire…
En septembre 2015, tu signais le quatrième et excellent tome de Détective, un album très éloigné des récits d’Heroic-Fantasy… Qu’est ce qui t’a séduit dans cette série concept signée Herik Hanna?
C’est que Herik Hanna et David Chauvel me proposaient un emploi à contrepied et que l’écriture de HH m’avait touché… Je leur ai demandé plusieurs fois s’ils étaient sûr que ça le ferait, et David m’a dit de lui faire confiance…
J’ai dit a HH aussi que bon, moi, et les voitures c’est pas mon truc, et là il m’a dit t’inquiète il n’y en a pas beaucoup… et puis j’ai reçu le découpage et première planche: Bec sort de sa voiture. J’ai à ce moment angoissé. J’ai mis beaucoup de temps à commencer me demandant pourquoi je faisais ca… J’ai fait 3 – 4 planches sans vraiment y croire et puis à un moment il a fallu y aller : j’ai arrêté de penser et j’ai laissé faire l’instinct… parfois ça fait du bien aussi… et ça a débloqué pas mal de truc…
Aujourd’hui, j’en suis à me dire que je ferai bien un truc de SF type Alien, ou du Space Opera, avec tout plein de véhicules, ce que je déteste faire…
… pour un futur projet…
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes projets en cours?
Pour le moment je suis sur Alienor le tome 4 va commencer et le 5 en réflexion… d’autres projets sont en gestation, mais pour le moment rien de fait…
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Pfiou mes derniers coup de cœur…
Le snowspeeder UCS lego…Le dernier art of de Claire Wendling, « Forget-me-not »… les monstres du lundi « a monster a week » de Séverine Gauthier et Stan manoukian, la série TV « the OA », la série « The Crown » et pour finir le dernier ZELDA…
Un petit mot sur l’avenir du métier?
J’espère que les conditions de travail des auteurs vont avancer dans le bon sens pour que l’on puisse continuer à faire notre métier…
Et à nous faire rêver!
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD:Songoku
un personnage de roman:Cyrano… (même si c’est un personage de théatre)
un personnage de cinéma:Luc Skywalker
une chanson: Carrying You ( Chorus Version ) de Hisaishi pour le film de Laputa
un instrument de musique: le piano
un jeu de société:le monopoly
une découverte scientifique : que la terre est ronde !
une recette culinaire: des spaghettis à la bolognaise
une pâtisserie: le 1000 feuilles
une boisson: le rhum
une ville: Tokyo
une qualité :la fidèlité
un défaut:un râleur
un monument:Machu Picchu
un proverbe :Mieux vaut donner sans promettre que promettre sans tenir.
Un dernier mot pour la postérité ?
Merci d’avoir lu toutes mes bêtises…
Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé! Et c’est peu dire que nous avons hâte de nous aventurer à nouveau avec Aliénor et Merlin dans les brumes de Brocéliande et d’Avalon!
Et si je te savais fan de Légo, j’ignorais que c’était à ce point-là… Respect…
L’incroyable atelier de l’artiste…