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Entretien avec Olivier Milhiet
Interview accordée aux SdI en juillet 2017


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Mais de rien.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Pas du tout, au contraire.

Merci bien… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
J'ai 45 ans et j'habite à Orléans. Après quelques circonvolutions scolaires, j'ai réussi à avoir mon bac ( A3 à l'époque); ensuite j'ai fait 3 ans dans une école de communication visuelle, option illustration, j'en suis sorti avec 2 idées en tête: ne pas bosser dans la pub et essayer de faire de la bd.
Je fais l'impasse sur mes qualités, j'suis bien trop modeste pour te les jeter à la figure.
J'aime les bouquins, les films et les séries télé , les bonnes bouffes entre copains et le vin, le poker aussi, quoique que ça se perd un peu ces derniers temps... et j'ai joué à WOW pendant quelques années...
Ta dernière question me fait beaucoup de peine car elle me rappelle que j'ai raté ma vie ... à mon âge... ni compte offshore...ni Rolex...tristesse.
recherches  pour Caravane © Olivier Milhiet
Désolé… je ne le referai plus… pas taper…
Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?

En BD, j'ai commencé par les classiques, Les Schtroumpfs, Tintin, Lucky luke et Astérix, puis les Tuniques Bleues, Blueberry, Thorgal et mes premiers comics avec Strange ... Un fait marquant, je suis tombé sur un album de Druillet quand j'avais 6 ans, ça m'a un peu mis un coup de pelle dans la tronche!

Plus tard, J'ai découvert les manga avec Akira et Gunm et puis je me suis mis à lire tout ce qui me tombait sous la main, de Trondheim à Alan Moore... Quand j'étais étudiant, j'ai pris une grosse baffe visuelle avec le Xoco d' Olivier Ledroit , il fait partie des dessinateurs qui m'ont vraiment motivés à faire ce métier.

Concernant les livres sans image, c'est surtout de la SF, de la fantasy et des polars, j'aime bien Dan Simmons, James Ellroy...Olivier Péru m'a bien scotché avec son "Martyrs" et dernièrement Scott lynch avec l'excellente saga "Les salauds Gentilshommes."
recherche de persos pour Caravane © Olivier Milhiet
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Je crois que j'ai toujours eu envie de faire ça sans en avoir vraiment conscience, et j'ai toujours dessiné, mais pas assez, trop occupé que j'étais à faire le con avec des potes pas très reluisants... Je ne m'y suis mis sérieusement qu'après avoir terminé mes études. Ça m'a pris à peu près trois ans avant de signer mon premier contrat, et ça n'a pas été très facile, j'ai dû pas mal travailler pour pondre mes premières pages publiables, je partais de loin... Après c'est côté scénar que j'ai dû améliorer mes différents projets, et j'ai raté un essai pour reprendre une série aussi...arf !

Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
Le bonheur dans ce métier c'est la liberté qu'on ressent lorsqu'on construit un univers et ses personnages, il y'a un côté petit dieu pas dégueu : Muhahaha! Vous allez tous crever, sauf toi et toi... non, pas toi, gros blaireau, elle!...Ahem... .......Je m'emballe un peu là, non?
recherche de persos pour Caravane © Olivier Milhiet
Non rassure-toi… J’ai juste téléphoné à des amis en blouse blanche qui vont venir avec une jolie chemise avec des sangles… smiley

Les difficultés ... je dirais, la précarité du métier, mieux vaut ne pas se retrouver sans un album signé, les auteurs de BD n'ont aucune assurance chômage et n'ont pour la plupart pas de droits d'auteurs qui tombent grâce aux ventes… Donc avant de finir une série, il faut déjà avoir un autre projet en route. Le fait de travailler seul, chez soi et de s'imposer un rythme de travail n'est pas toujours facile non plus.

En 2001 paraissait Kougna, premier tome de Spoogue… Comment est née cette série drôle, violente et décalée mettant en scène un fossoyeur amoureux?
A l'époque, je travaillais sur un projet de SF avec un scénariste, on en était à la deuxième ou troisième version et on n'arrivait pas à le signer, j'ai dessiné Spoogue la première fois pour me détendre. L'étrange Noël de monsieur Jack de Tim Burton a eu une influence certaine sur la création de ce personnage, puis sont venus se rajouter les autres protagonistes et l'univers, ça m'a permis de voir que j'étais beaucoup plus à l'aise graphiquement avec le médiéval fantastique qu'avec la science-fiction.
recherche de couverture pour Caravane © Olivier Milhiet
Le projet a eu 3 versions et connu quelques péripéties avant d'être signé chez Delcourt. J'ai toujours beaucoup d'affection pour ce fossoyeur acariâtre et franchement moche.

Chacune de tes séries est dotée d’un background étoffé, dense et foisonnant et on a souvent la furieuse impression que ce qui est exploité dans l’histoire n’est que la partie émergée de l’iceberg… Qu’en est-il?
Concernant Spoogue, j'ai l'impression d'avoir fait le tour, bon, après il y a toujours moyen d'élargir en introduisant de nouveaux intervenants et des endroits inexplorés mais ça n'est pas forcément souhaitable... Pour Caravane, c'est différent, l'univers me paraissait plus vaste, j'avais une vingtaine de personnages et j'aurai vraiment aimé faire plus de tomes, les ventes de la série n'ont pas suffi à m'en donner la possibilité.

Venosa c'est pareil, tout s'articule autour de la ville et il ya pleins de choses sur lesquelles je pourrai m'attarder et aller plus en profondeurs, la politique, certaines guildes, le commerce...Bon, je vais déjà essayer de faire 3 bons albums et on verra bien...

recherches pour les véhicules de Caravane © Olivier MilhietUne question qui m’est venue en lisant chacune de tes séries : le jeu de rôle a-t-il ou fait-il partie de tes loisirs?
Et bien pas vraiment, j'ai dû en faire 2 ou 3 quand j'étais étudiant car un pote de mon école de com visuelle était maître de jeu, mais ça n'était pas spécialement mon truc de jouer un personnage devant une assemblée...

Cinq cadavres sur le pavé, premier tome de Venosa, vient de paraître sur les étals… Peux-tu en quelques mots nous faire le pitch de cette nouvelle série pour le moins enthousiasmante?
Merci pour le compliment :).
Donc Venosa c'est : Un Roi attéré, une Princesse camée, un taxidermiste contrarié, un voleur acculé, un flic chanmé et un régent désespéré...bref, c'est la trajectoire de plusieurs personnages clés dans une ville singulière et assiégée, du rire, du mystère, de l'aventure, du sexe...ah nan, pas de sexe... mais promis, dans le tome 2 y'en aura!
En résumé, une bd absolument indispensable! si j'osais... allez j'ose : OBLIGATOIRE!
... Je me vends bien, hein!? Au top de la win! Prêt pour vivre en Macronie quoi...

recherhce de personnages pour Venosa © Olivier MilhietLorsque tu te lances dans l’écriture d’une nouvelle série, suis-tu un modus operandi bien défini? Commences-tu généralement par la trame, l’univers, les personnages ou tout se construit-il de concert?
En fait ça dépend, comme dit plus haut pour Spoogue, tout est vraiment parti du personnage et de son métier (fossoyeur, ça donne une direction), pour Caravane, l'idée de base était de raconter une histoire de freaks nomades dans un monde assez hostile, les persos sont venus après, surtout Mila qui n'est arrivée qu'à la 2eme écriture du scénario.

Pour Venosa, c'est la ville et son commerce qui se sont imposés en premier, puis la guilde de voleurs, Gargarine et le Régent etc...une fois que certains éléments sont en place, les idées et les autres personnages qui enrichiront l'univers arrivent assez facilement.

Mais dans tous les cas avant d'écrire quoique ce soit de structuré, je remplis toujours quelques pages de croquis avec personnages, véhicules, architecture, etc..

Comment conçois-tu généralement l’apparence de tes personnages?
Je pars généralement d'un trait de caractère, d'une particularité, d'une fonction ou parfois d'un nom, ensuite, il y a une part instinctive difficile à analyser.
rough pour Venosa © Olivier Milhiet
Dans ce premier opus, quel personnage as-tu le plus pris de plaisir à mettre en scène?
Je dirais Ibzik, c'est un personnage qui peut vraiment être affreusement méchant et à la fois attachant je trouve... toujours prêt à déconner quelle que soit la situation!

Comment as-tu organisé ton travail sur Venosa ? Du synopsis à la planche finalisée quelles furent les différentes étapes de ton travail?
Après mes recherches graphiques, j'ai écrit un petit descriptif de la ville et de son fonctionnement politique, puis le synopsis du scénario qui tient sur, en gros, 3 pages , ensuite je me suis attaqué au story-board, c'est pendant cette phase que je développe les scènes et que je fais les premières versions des dialogues.

Pour le premier tome, j'ai alterné phase de story-board et réalisation des pages, pour le tome 2, j'ai storyboardé tout l'album avant d'attaquer les pages. Je ne l'avais jamais fait et j'avais tort, ça donne une vision globale très précise et ça laisse la possibilité d'améliorer pas mal de trucs.

recherches pour Venosa © Olivier MilhietQuelle étape te procure le plus de plaisir? Y en a t–il une qui te semble particulièrement douloureuse?
Pour moi, le plus plaisant c'est le story-board, y'a du dessin, de la narration et de l'écriture : c'est la plus grosse partie de création.

Avec Venosa, j'ai abandonné la couleur directe pour l'encrage et...bin je tartine du blanco, je découpe des rustines et je recommence pas mal de cases, à défaut d'être douloureux, c'est énervant.

Une fois le scénario écrit, t’arrive-t-il parfois (souvent ?) de retoucher telle ou telle scène ou tel ou tel dialogue en cours de réalisation?
Les modifications de scènes se font la plupart du temps pendant la phase story-board, notamment si mon éditeur met le doigt sur un truc bancal, ou un nœud graphique (hinhin!) c'est plus rare une fois les pages terminées mais ça peut arriver: sur le tome 1 de Venosa, j'ai dû rajouter 3 cases sur une page pour mettre un peu plus l'accent sur un personnage. Concernant les dialogues, j'essaye d'améliorer jusqu'à ce que l'album parte pour l'impression.

Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser les différentes étapes de réalisation d’une planche afin de mieux comprendre ta façon de travailler?
Bien sûr, je vais t'envoyer ça: (roulement de tambour) et maintenant ladies and gentlemen, en avant-première sur SDI, la planche 1 du tome 2 de Venosa! : story-board, crayonné et encrage avec table lumineuuuuuseuh!

J’en suis tout ému, merci, c’est trop d’honneur! smiley
Planche du tome 2, pas à pas
Venosa, storyboard de la planche 1 du tome 2 © Olivier Milhiet Venosa, crayonné de la planche 1 du tome 2 © Olivier Milhiet Venosa, encrage de la planche 1 du tome 2 © Olivier Milhiet

recherches de personnages pour Venosa © Olivier Milhiet
Travailles-tu généralement dans un silence monacal? Avec la radio? Avec des musiques en phases avec la scène sur laquelle tu travailles?
C'est assez variable, j'ai des périodes de silence, d'autres où je mets des CD à la chaîne et en ce moment, j'écoute plutôt la radio, je ne crois pas que ça soit en rapport avec les scènes de l'album mais plutôt avec les phases de travail, pour le story-board, j'ai besoin de silence, concernant les crayonnés ou l'encrage, peu importe.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Au cinéma: Mademoiselle de Park-chan wook.
En série télé: The handmaid's tale de Bruce Miller
En bouquin: La guerre du bruitde Patrick Ness
En Bd: Jupiter legacy de Millar et Quitely

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Mmmh...Ok, voilà la réponse, a toi de deviner la question: Certainement pas à droite en tout cas!

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


recherches de personnages pour Venosa © Olivier Milhietun personnage de BD: Lobo.
un personnage de roman: Lupin Arsène.
un personnage de cinéma: Le bon
une chanson: "Rat race" de Bob Marley.
un instrument de musique: un fender rhodes.
un jeu de société: Le poker, ça rentre dans la catégorie? Non? Bin le poker alors...
une découverte scientifique: Le remède contre la connerie humaine.
une recette culinaire: Brochette de poulet thaï avec salade composée et sauce qui va bien.
une pâtisserie: Un Paris-Brest
une boisson: Un bon petit rouge du Languedoc.
une ville: sans pollution.
une qualité : Chuis sympa...
un défaut: Mais faut pas m'faire chier.
un monument: A la mort du capitalisme. (dessiné par mes soins hin!hin!)
un proverbe: « Pas d'bras, pas d'chocolat! »


Un dernier mot pour la postérité ?
J'veux pas finir dans une boîte, cramez-moi.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé! ... et pour le plaisir que nous avons eu à nous promener dans les ruelles tortueuses et dangereuses de Venosa!

autour de Spoogue
rough de couvertures pour Spoogue © Olivier Milhiet recherches pour le tome 2 de Spoogue © Olivier Milhiet recherches pour le tome 3 de Spoogue © Olivier Milhiet


Le Korrigan