Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Le tutoiement, pourquoi pas?
Merci beaucoup, il était de toute façon probable que je passe au « tu » par inadvertance…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Je suis née en 1961 dans la Nièvre (le plus beau pays du monde) et à 15 ans, j'ai été admise aux Arts Appliqués de Paris.
6 ans plus tard, un BTS de création textile en poche, impossible de trouver du taf: Les studios délocalisaient, du moins ceux qui n'étaient pas en faillite.
Mais puisqu'il s'agissait avant tout de dessiner, j'ai cherché ailleurs et trouvé, dans l'édition et la presse.
Le nouvel Obs, Historia, Science & vie, éditions Bayard, Fleurus, Hachette, Bordas & Larousse...
Beaucoup de dessin animé aussi, et en 2011 me voilà catapultée dans la BD par pur hasard, grâce à un copain rencontré 10 ans auparavant dans un studio d'animation.
Il s'agissait de l'adaptation en BD du Petit Prince, dont j'ai dessiné les décors dans 12 albums, sur la série de 24.
Le gars qui chapeautait l'équipe du Petit Prince m'a ensuite orientée sur Marie-Antoinette.
J'ai la passion du jardinage et de l'opéra Baroque.
Une œuvre en particulier pour aiguiller le lecteur désireux de découvrir l’Opéra baroque?
L'Orféo de Monteverdi serait le tout 1er opéra de l'histoire de la musique, composé sous la forme qu'on connait, avec plusieurs actes: Même si cette paternité est contestée, l'Orféo est une œuvre somptueuse, à découvrir de préférence dans l'édition K617.
Après, on peut embrayer sur le couronnement de Poppée, mais il est absolument indispensable d'écouter les opéras de Vivaldi, qui en était prolifique, et a composé des pages virtuoses: L'Olimpiade, Griselda, Farnace...
Enfant, quel lectrice étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
J'ai grandi avec Tintin, Lucky Luke & Astérix, mes parents étaient eux-mêmes lecteurs de BD.
Mon héros fétiche reste Gaston: Cet humour décalé, cet art de la flemme poussé à la plus haute technologie, rien ne peut égaler ça.
La découverte de Giraud et de son Blueberry a été un choc visuel, surtout les 2 albums "la mine de l'allemand perdu" et "le spectre aux balles d'or", une aventure inoubliable.
J'ai énormément d'admiration pour François Bourgeon, son univers fantastique et historique.
Hermann est un auteur parfait, qui réussit tout ce qu'il touche: Le Western, la Sf...Un grand monsieur.
Si, aujourd'hui, je veux rigoler, je prends un "Calvin & Hobbes", ou alors "le retour à la terre".
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
J'ai toujours dessiné, depuis toute petite: Faire un éclaté de château-fort pour une encyclopédie me convient, descendre 124 pages de BD aussi.
J'ai, tout-à-fait spontanément, commis 2 tomes de BD sur mon déménagement et la découverte de ma nouvelle région: Financer, puis s'occuper de la diffusion d'une BD dont personne n'a entendu parler permet de voir la vie avec philosophie.
La difficulté principale dans ce métier est d'ordre économique: les auteurs sont sous-payés, et déconsidérés: Pourvoir aux dépenses croissantes (Loyer, EDF, retraite complémentaire mais obligatoire...) implique de prendre un autre taf mal payé qui permet de surnager, mais entraîne un retard inévitable dans la livraison des planches: Ainsi, chacun peut dire que les auteurs sont des feignasses.
Depuis quelques temps, au fil des entretiens, la situation des auteurs de BD semble s’aggraver de façon vertigineuse… Qu’est ce qui a changé selon toi pour que la situation empire à ce point?
Au commencement d'une BD, l'éditeur paye à l'auteur une avance sur droits, un forfait qui permet à l'auteur de ne pas travailler un an gratui-tement, et qui représente le coût de fabrication de, par exemple, 12000 exemplaires.
Une fois la BD terminée, s'il veut percevoir un jour les mythiques droits d'auteurs (pourcentage sur les ventes), l'auteur n'a qu'à prier que son album se vende à plus de 12000 exemplaires: En-dessous de ce chiffre, il ne touchera pas un sou, puisqu'il "rembourse" son avance sur droits.
Or, depuis quelques années, les éditeurs de BD publient en moyenne un album par jour: Cette abondance de nouveaux titres fait qu'une BD reste très peu de temps en librairie, remplacée par d'autres nouveautés, qui à leur tour ne resteront en rayon qu'une semaine, etc, etc.
En clair, dans la vraie vie, un auteur recevra un an de salaire réduit au minimum, et c'est tout. Quelques jours après sa sortie, son bébé dispa-raîtra des librairies et des esprits, et dans un mois ou deux, tout le monde l'aura oublié.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
En BD comme en jardinage, le résultat est souvent gratifiant: On arrive, en faisant ce qu'on aime, à produire un objet réel, concret: un album dont tout le monde profite.
Pour continuer, le regard des autres est capital, et c'est là que ça devient drôle;
D'une part, il est entendu que les auteurs sont des guignols qui ne travaillent pas vraiment.
Dans cette catégorie, le romancier exerce un métier plus noble et respectable que le dessinateur de BD, qui ne fait que gribouiller des petits Mickeys quelques heures par jour.
Après, tout le monde sait que les auteurs auto-édités sont des pauvres types dont aucun éditeur n'a voulu, simplement parce que leur manuscrit ne vaut rien.
Imaginez maintenant la place que peut tenir un dessinateur de BD auto-édité dans l'échelle sociale, et ajoutez à ça que c'est une fille: Vous arrivez à un statut proche de celui du ver de terre.
Comme je ne sais rien faire d'autre que dessiner, je continue, mais je sais pourquoi, et surtout pour qui:
Les lecteurs contents qui me racontent comme ils ont rigolé en me lisant, et réclament la suite.
Le gentil couple qui me roucoule que mon style leur rappelle Will Eisner, rien que ça.
Les fidèles fonçant sur mon stand: "Ah, vous avez du nouveau !"
Le curieux qui ouvre une BD, éclate de rire, va chercher un copain, fait un achat groupé.
Les lecteurs qui m'attendaient hier soir à la librairie, leur exemplaire en mains, souriants, ouverts, passionnés.
Grâce à ces personnes, le doute et l'angoisse se font moins présents.
Comment as-tu rencontré Noël Simsolo qui signe le scénario des Mémoires de Marie-Antoinette?
Comme dit plus haut, c'est Glénat qui m'a contactée sur le conseil de Didier Poli, qui m'avait fait bosser sur le Petit Prince.
J'ai rencontré Noël lors d'un déjeuner organisé par l'éditeur, et nous nous sommes tout de suite bien entendus; Nous avions apparemment la même vision du personnage et de l'époque. Son scénario était déjà terminé quand je suis arrivée sur ce projet, et nous n'avons eu aucune difficulté à travailler ensemble.
Comment travaille-t-on en amont d’un album historique ? Quelles furent tes principales sources documentaires et iconograpiques?
J'ai visité Versailles deux fois, et rapporté un reportage-photos consé-quent à la maison.
Le musée Carnavalet est une mine d'or pour cette époque, je l'ai arpenté deux fois aussi, on a le droit d'y prendre des photos.
Mon bureau croule sous une montagne de livres, la plupart achetés chez Emmaüs, tous hérissés de post-it. J'ai aussi commandé des revues chez Faton, qui édite de beaux magazines d'art et d'archi.
Je suis un rat de bibliothèque, au sac constamment rempli de livres, et si vraiment je ne trouve pas ce que je cherche...Alors là, il me faut aller sur internet. Sachant que si vous tapez "sans-culotte" dans Google-images, le résultat ne sera pas forcément pertinent.
Ce qui est super, sur internet, ce sont les vidéos qui vous permettent de visiter un lieu sous tous les angles: Très bien quand il s'agit d'un endroit fermé au public.
Marie-Antoinette a ceci de particulier qu’aucun des tableaux la représentant ne se ressemble vraiment. Comment as-tu travaillé son apparence?
Antonia se trouve affligée du gros nez et du double menton caractéristique de la famille des Habsbourg sur de rares portraits. Vigée-Lebrun, plus diplomate, nous a laissé des portraits sereins, délicats et sophistiqués, à l'atmosphère très douce, particulièrement dans les scènes familiales. Vigée-Lebrun, qui habitait Versailles et peignait tout l'entourage de sa protectrice, a d'ailleurs réussi le prodige de garder sa tête, mais c'est une autre histoire...
Les chroniqueurs s'accordent à dire que la reine était très jolie, et elle est morte si jeune que le temps n'avait fait que peu de dégâts.
Mais elle s'était rendue si impopulaire qu'à la fin de sa vie, on la représentait sous les traits d'une ogresse-voir le croquis de Louis David qui est resté dans les livres scolaires.
Au moment où l'histoire commence, Antonia a 14 ans: Elle se prépare à quitter l'Autriche pour aller se marier à un parfait inconnu. J'avais à ce moment une jolie jeune fille de 14 ans, blonde aux yeux bleus, en magasin: Il m'a été facile de l'observer, de lui dire au besoin de s'asseoir, de tendre la main, etc. Elle s'est d'ailleurs pliée de bonne grâce à l'exercice, et n'est pas peu fière de se "reconnaître" dans mon album.
Ta Marie-Antoinette s’avère particulièrement expressive et ses attitudes et son regard s’avèrent plein de subtilités. Que connaissais-tu d’elle avant de te lancer dans ce récit? Ton regard sur cette reine si controversée a-t-il sensiblement évolué durant ton travail?
Je suis ravie de lire que "ma" Marie-Antoinette semble réussie:
Que se passe-t-il quand le peintre a fini son tableau ? La souveraine en-lève sa robe de sacre et sa traîne d'hermine, et redevient, peut-être pas une ado lambda, mais une ado tout de même, avec des réflexes humains, loin de l'image officielle, figée...Et souvent faussée.
Comme tous les collégiens, en cours d'histoire, j'avais entendu parler de Madame Déficit, Madame Véto, l'épouse capricieuse et dépensière d'un roi mollasson...
Stefan Zweig décrit la reine de France comme un gamine catapultée dans une cour impitoyable, y subissant une pression constante, s'y adaptant difficilement et trop tard.
Voilà, je crois, la particularité de cette personne: Se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, pile à l'heure ou le peuple, exaspéré par plusieurs générations de Monarchie guerrière et coûteuse, décide de tout foutre en l'air.
Si tu devais décrire Marie-Antoinette en quelques mots, comment t’y prendrais-tu?
Marie-Antoinette était un être humain, avec ses insuffisances et ses pa-radoxes:
Pas le monstre des livres d'histoire, mais pas une sainte assassinée non plus; Une petite fille gâtée censée tenir un rôle pour lequel elle n'était pas faite. Une jolie fille qui aimait s'amuser, pas gouverner, mais inca-pable de la moindre méchanceté, ni d'aucune intrigue.
Comment s’est organisé ton travail avec Noël Simsolo? A partir de quelle «matière» as-tu travaillé pour créer tes planches et redonner vie à cette époque?
Noël, au moment de notre rencontre, avait déjà un découpage du tome 1 tout prêt.
J'ai commencé en toute originalité par la page 1...à mettre en images son scénario, qui détaillait parfaitement les protagonistes, actions, points de vue, l'heure du jour ou de la nuit, ainsi que l'importance des cases: Plan général, gros plan ou autre.
Le scénario est une partie essentielle de la documentation: C'est à-partir de ce découpage que j'ai su ce qu'il me fallait trouver comme iconographie. Et il est également assez précis pour guider le travail de la coloriste.
Si je décidais de changer une case, de "bousculer" un peu le script, mes propositions étaient toujours acceptées.
Serait-il possible, pour une planche donnée, de visualiser les différentes étapes de sa réalisation ?
Je commence par un croquis très rapide et de tout petit format, de fa-çon à avoir une vue d'ensemble de la planche.
Je passe ensuite au "bleu", au brouillon de la page au bon format: Pour ça, il me faut la documentation que j'ai compilée auparavant: Person-nages historiques, monuments...Sont mis ensemble, et je visualise l'em-placement de la bulle. Ce brouillon est envoyé à l'éditeur et à Noël pour validation.
Et enfin, peut-être l'étape que je préfère, je mets au propre la planche, en intégrant les corrections demandées. C'est là que mes héros de-viennent vivants: Ils parlent, marchent, éprouvent de la joie ou de la peine, évoluent dans un monde disparu; C'est là que je me les appro-prie.
A part Marie-Antoinette, as-tu d’autres projets sur le grill?
Continuer mon carnet de croquis « Et sinon, c'est quoi, votre vrai métier ? », qui raconte mes souvenirs de dédicaces: Il y a toujours de nouvelles situations, absurdes, cocasses et surprenantes...
Si Glénat (ou un autre éditeur) était d'accord, une bio de, par exemple, Rosa Bonheur, Frida Kahlo, ou de musiciens comme Vivaldi ou Monteverdi.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En romans:
Je découvre Craig Johnson, et son shériff à quelques jours de la retraite, qui fait des kilomètres dans une tempête de neige pour démasquer des assassins.
J'aime beaucoup David Lodge, qui écrit des histoires de profs en université avec un humour irrésistible: Dans ses mémoires, il raconte avoir été séduit par Kingsley Amis et son roman « Lucky Jim », que du coup j'ai emprunté à la bibliothèque, et ça en valait la peine.
Comme j'ai toujours beaucoup aimé les polars médiévaux, Ellis Peters en est un exemple fameux, j'ai commencé récemment les histoires de Jean D'Aillon, très documentées et passionnantes.
En BD:
Je relis sans me lasser tous les « BlackSad », au somptueux dessin et aux scénars très sombres.
Les 2 tomes « Autobio » de Cyril Pedrosa sont proprement hilarants.
En tournée en Belgique, j'ai découvert le travail de Vincent Bailly: Quand on se reverra, j'espère pouvoir lui acheter « Un sac de billes » !
En musique:
En-dehors de ma passion pour les opéras Baroques ?
Il m'arrive aussi d'écouter de la musique de djeuns; Par exemple, j'aime Lana Del Rey, Charlie Winston, les Daft Punk et la regrettée Amy Winehouse.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Le dessinateur Lebrac dans « Gaston ».
un personnage de roman: Miss Marple.
un personnage de cinéma: Laurent Grévill dans « comme une image ».
une chanson: « Requiem pour un con ».
un instrument de musique: Le violoncelle.
un jeu de société: Le Pictionary.
une découverte scientifique: La conservation des aliments.(Nicolas Appert, 1795)
une recette culinaire: Poulet ou poisson à la sauce aigre-douce.
une pâtisserie: Disons une confiserie: Le Négus, spécialité de ma ville natale: Un bonbon de chocolat au caramel.
une boisson: Le café grec.
une ville: La Valette, capitale de Malte.
une qualité: La ténacité.
un défaut: L'impatience.
un monument: La Sagrada Familia.
un proverbe: La peur n'ôte pas le danger.
Un dernier mot pour la postérité ?
Achetez mes BD, lisez-les et dites-moi ce que vous en pensez !
Celle-ci est en tous cas une réussite ! un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!