Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Farouchement pour. Donc, bonjour et go !
Merci, ça simplifiera, un « tu » m’aurais tôt au tard échappé…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux îles Caïmans?)
Rien en Suisse ni aux îles Caïmans, qui en passant m'évoquent La Firme et ces moments de grâce entre Gene Hackman et Jeanne Triplehorn. Pour l'âge, les documents officiels disent que j'ai 55 ans, je m'en donne le plus souvent plutôt 16 dans la tête, et à en croire ma chérie je me comporte souvent comme si j'en avais 8. Je suis passé en Lettres Supérieures, Latin Grec à 18 ans puis une fac de Psycho, qui m'a permis de me perfectionner à la guitare et aux échecs, et sur le tard une formation en comptabilité gestion, le tout entrecoupé d'années en usine, de tout un tas de petits métiers comme on dit, puis un long séjour au Brésil pour y planter des tomates, suivi de 20 ans dans un grand groupe international, et d'une expérience passionnante de coaching, notamment de basketteurs pro.
Avec le recul, cet itinéraire un peu déjanté avait un but très cohérent : me faire voir le monde, dans des expériences les plus diverses, et selon le plus grand nombre de points de vue possibles. En tout cas, c'est ce que je me raconte aujourd'hui.
Quant à l'écriture, c'est une fidèle compagne depuis toujours, mais je l'ai longtemps assimilée à une lubie, une porte dangereuse vers une part de ma noirceur qui me faisait peur. Je voulais me voir positif et équilibré... Le pire ennemi pour un auteur, c'est de vouloir se croire normal, de croire qu'on peut rester en contrôle. Mais dès qu'on comprend que c'est foutu, on trouve une forme de liberté. Et surtout, on débarrasse les personnages et les histoires de notre ego et de nos oeillères.
Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Je lisais relativement peu à l'époque. Mais j'ai des souvenirs forts de St Exupéry, Vol de Nuit en particulier. J'étais déjà sensible à la musique des voix intérieures, une sorte de mélopée, un peu hypnotique, qui brasse émotions et réflexions dans un même océan de mots. J'ai retrouvé cette veine, avec une approche totalement différente chez Henry Miller, qui m'a beaucoup marqué, puis chez Paul Auster ou Thomas Mann. Et puis Vian, et quasiment tout Raymond Queneau comme beaucoup d'ados de mon âge. Mais ce que je lisais le plus c'était encore Pilote. C'est en signant l'Art du Crime que me sont revenus ces souvenirs, la variété des styles qu'on y trouvait. La BD était une racine oubliée qui m'est remontée en mémoire et avec elle toute une période de ma vie.
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse? Qu’est-ce qui t’attire dans ce médium?
Au fil des ans, c'est la dramaturgie, quasiment la théorie pure du récit, qui m'a fasciné intellectuellement. Ma porte d'entrée dans le monde des histoires. Le scénario est un objet d'étude d'une complexité abyssale en vérité. Films, livres, contes, nouvelles, romans, c'est plutôt par là que j'allais chercher mes nourritures ou mon expression. Et je ne pensais pas du tout à la BD pour être franc. Deux tomes de l'Art du Crime sont issus l'un d'une nouvelle, l'autre d'un projet de film.
C'est en les pitchant à Olivier Berlion que lui a saisi le potentiel BD de ces histoires. Et là, ça a été la révélation. La BD offre une liberté narrative totale, elle oblige à se poser tous les choix créatifs, elle démultiplie le plaisir du récit, car une trame d'ensemble doit s'incarner dans chaque réplique, chaque case, chaque page, chaque choix d'angle, de couleur. Et la puissance visuelle alliée au texte offre là aussi un langage unique, un mariage aux possibilités infinies. Elle est donc à la fois un art en soi, et le terrain de prédilection où un auteur peut déployer une histoire dans toutes ses dimensions. Bref, je suis mordu...
Quelles sont selon toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de scénariste?
Les joies tiennent au fait de voir vivre le récit dans toutes ses étapes, depuis la bribe d'idée jusqu'à l'album édité. C'est une aventure qui procure un sentiment d'accomplissement. Faire un album BD peut vraiment donner un bien-être physique et mental extraordinaire. Elles tiennent aussi à l'échange avec les dessinateurs, ou le coauteur. Contrainte en un sens car il faut partager l'histoire et les personnages, mais à l'arrivée c'est la vie qui infuse les pages grâce à la richesse des collaborations. J'ai toujours pensé qu'il faut plusieurs cerveaux pour produire une grande histoire, mais il faut aussi beaucoup donner de soi pour que tous ces cerveaux travaillent en harmonie...
Les difficultés sont multiples et à la hauteur du plaisir. Créativement, il faut d'abord résoudre tous les choix créatifs : imaginer la trame, les personnages, les rythmes et l'ampleur du récit, les moments charnières, puis les poser en décidant quand et où dans la page. La moindre erreur peut casser la musique et envoyer le récit dans le mur. Humainement il faut être ouvert aux autres, c'est très exigeant de rester ouvert et dispo à la vision d'autrui, bien expliquer ses intentions, savoir quand l'autre a raison, pour le bien du projet. C'est une dimension essentielle.
La dernière des difficultés, mais non la moindre, consiste à pouvoir payer ses factures, et accepter les angoisses et les incertitudes de la vie d'auteur. Elles sont livrées avec la passion, dans le monde actuel, l'une ne va pas sans l'autre. Mais il faut savoir que faire le voyage de la BD signifie aussi trembler, s'angoisser, lutter pour continuer. Tout créatif est aussi un héros quelque part, car il est avant tout porté par sa passion et accepte d'en payer le prix.
Tu entres dans la BD avec une ambitieuse série concept : l’Art du Crime… Comment est né ce projet et comment as-tu rencontré Olivier Berlion avec qui tu cosignes le scénario?
Nous nous sommes rencontrés en 2012 au Festival des scénaristes qui se déroulait à Valence. D'emblée, le courant est passé entre nous. Le projet est né au fil des restos et des bières partagées pendant 3 jours. J'ai pitché deux récits à Olivier et très vite il a eu l'idée du titre et de la ligne éditoriale : 9 arts, 9 crimes, 9 histoires. Comme toutes les bonnes idées, elle s'est imposée comme une évidence. Ça claquait bien. Nous étions tous les deux un peu enivrés par le challenge et la joie de trouver un partenaire de qualité pour nos rêves d'écriture. Conscients aussi de la masse de travail qui nous attendait. Penser qu'on allait signer 9 scénarios d'un coup, dans le climat morose de l'édition, relevait un peu de l'inconscience. Mais en vrai nous ne doutions pas du projet. Nous savions qu'il pouvait tout emporter. Et ce fut le cas. Quelques mois plus tard, nous avions les neuf trames des albums, un contrat avec Glénat. Et là, le vrai boulot a commencé. Olivier est fan de vélo, et pour nous ça a été un peu l'ascension de l'Alpe d'Huez pendant les quatre ans qui ont été nécessaires pour préparer les albums en amont, de façon à avoir des sorties en cascade dès 2016.
Comment est né le personnage de Rudi Boyd Fletcher dans la tête de qui vont naître ces neuf meurtres?
Quelle belle question...la naissance d'un personnage est une chose mystérieuse, tu sais. Entre les premiers « flashes », puis tout le travail pour cerner le personnage, le comprendre, l'accepter parfois, jusqu'à la version définitive, le chemin est souvent long ! Personnellement, je fais partie des auteurs qui pensent que l'histoire et les personnages se révèlent librement, selon leur désir propre. Qu'ils se livrent à celui qui saura les voir et les magnifier parce que l'histoire veut vivre. Je ne pense donc pas que l'on « construise » ou que l'on crée un personnage.
Le cas de Rudi est encore plus fort puisque nous avons été deux à qui son appel est venu. Disons que je suis celui qui a eu le premier appel, et ce prénom, Rudi. Celui d'un tueur quasiment touchant, émouvant. Et si tu veux une idée du chemin parcouru, imagine seulement que je pensais le récit en scénario cinéma et que, pour le rôle de Rudi, l'acteur idéal me semblait...Morgan Freeman ! C'est dire à quel point Olivier a apporté à ce personnage, avec qui il a noué un lien intense. C'est lui qui a entendu le nom, Boyd Fletcher.
Donc Rudi a changé de couleur de peau, d'âge, d'allure, de voix intérieure, au fur et à mesure qu'Olivier et moi avancions ensemble pour l'entendre et même le défendre. Il incarne au fond un homme totalement coupable et totalement innocent. Je ne peux pas en dire plus pour ne pas spoiler la suite des albums à venir, mais je peux te dire que nous nous sommes vraiment sentis guidés, portés par Rudi, tout au long de l'écriture.
Un phénomène qu'Olivier a vécu encore plus intensément encore quand il a été amené à le dessiner. Une expérience forte pour lui et pour moi, au fur et à mesure que lui incarnait Rudi concrètement, et que de mon côté je découvrais enfin son visage, ses expressions, son allure. Olivier a touché juste d'emblée, et on sent dans le tome 1, comme on le sentira dans le tome 9 à quel point il a été habité tout au long des pages. En résumé, pour nous, Rudi existe, et sa présence est palpable. Une sacrée expérience, pour tout te dire...
Comment s’est opéré le choix de chacune des époques où allait se dérouler chacun ces meurtres et celui des dessinateurs qui allait les mettre en scène?
De façon très naturelle, en fait. Nous nous sommes laissé guider par les envies, l'inspiration. Nous voulions surtout laisser émerger les histoires. Concrètement, nous savions qu'il s'agissait d'illustrer les 9 arts. Pour chaque art, nous nous sommes demandé quel était son « essence », sa dimension humaine unique ou ce qu'il représentait pour nous. De là pouvaient apparaître des images, des situations et quand nous sentions le déclic, nous approfondissions la recherche historique pour mettre en place l'intrigue. Nous voulions aussi explorer les imaginaires et les genres : le polar, le peplum, le romantisme, le western. C'est avant tout un projet où l'écriture est vécue comme un voyage, une exploration. Une aventure en soi.
Un exemple, le tome 4 Libertalia, la cité oubliée. Nous voulions traiter l'architecture, le fait qu'elle est un rapport entre les humains, qu'elle induit une organisation sociale en soi et une certaine conception de la place de l'homme dans la nature. Mais nous avions surtout envie de grand air et de nous faire plaisir! Et l'aventure, la liberté, bien sûr ce sont les pirates. Et puis Olivier a eu un flash : Bornéo. C'était original, inattendu. Nous avons découvert que les pirates naviguaient à l'estime, sur de petits bateaux, que les cartes maritimes valaient de l'or à l'époque. Bingo! Nous avons imaginé des pirates, dans les caraïbes bien sûr, qui rencontrerait un architecte sur un navire anglais. Et lui aurait des cartes pour partir au bout du monde...Tout se mettait en place. Et puis au fil de la recherche, je suis tombé sur le Code Pirate, une sorte de loi égalitaire qu'appliquaient à leurs équipages certains grands noms de la piraterie comme Bartolomew Roberts. De là, nous avons découvert de grandes figures de femmes, telles que Mary Finn. Toute cette partie nous a mené au mythe de Libertalia, figure majeure d'une tentative de société fraternelle, démocratique.
Tu vois, nous prenions le temps de laisser les récits s'agréger de façon organique, entre l'époque, les personnages, les thématiques, les lieux, la recherche, le genre...et bien sûr la cohérence d'ensemble de l'Art du Crime. Chaque album était pour nous une pièce de musique avec sa mélodie propre, mais intégrée à une symphonie d'ensemble.
Quand les scénarios étaient posés, la même dynamique s'appliquait pour la recherche des dessinateurs. Rencontres, affinités, il s'agissait d'inviter à bord des partenaires qui partageaient notre passion et en quelque sorte, nos rêves de gosse !
Pour évoquer les albums parus, Eric Stalner s'est emballé pour le Paris de la terreur, qui se passe dans le Paris Hausmannien. Son style convient à merveille à la ville et à l'époque, qu'il connait très bien. Eric Liberge connait bien l'Antiquité, et il avait envie de traiter ce personnage de femme, Electra, que l'on suit de Corinthe à Rome. Karl T a un style fluide et hyper expressif qui renouvelle le western pour en faire un récit plein de vie et de souplesse, dans le Tome 5 qui vient de sortir, Le rêve de Curtis Lowell. Pedro Mauro rêvait de faire un album sur les pirates, un univers qu'il chérit depuis son adolescence. Idem pour Fabrice Druet, Steven Lejeune et Marc Bourgne, dont les albums paraitront prochainement. Bref, une affaire d'enthousiasme avant tout !
Quel scénario t’a demandé le plus de recherche en amont de l’écriture?
Sans doute le tome 6, Par-dessus les nuages, qui paraitra fin septembre et qui se passe dans la Russie de 1905. Une année charnière pour le régime tsariste, durant laquelle existent déjà en germe tous les ingrédients qui conduiront à la révolution de 1917. Odessa, Potemkine, des attentats violents, une forte agitation sociale, un climat politique complexe...Un pays qui se cherche, tiraillé entre réforme et tradition, entre des forces ultra conservatrices et l'émergence du socialisme, sous ses diverses formes.
Le paradoxe, c'est que toute cette phase de recherche, qui a duré plusieurs semaines, est intervenue alors que la trame était déjà écrite et posée avec précision. Nous avions les personnages, leurs relations, la thématique, les événements, la direction émotionnelle. Mais pour faire vivre chaque scène, écrire des dialogues qui sonnent juste, il fallait s'imbiber, « s'enivrer » presque de toutes ces forces invisibles qui fondent l'histoire.
Pas étonnant au fond que ce récit soit celui qui traite de la littérature, et plus précisément de poésie. Les livres sont des ponts entre les hommes, et nous voulions traiter, au cœur de cette période tourmentée, la chaine que constitue la littérature depuis l'auteur, les personnages qui l'entourent et l'inspirent au quotidien, jusqu'à l'éditeur, en passant par tous ceux qui de façon très concrète aident ou empêchent que les pages arrivent au public...
Comment s’est organisé le travail avec les différents dessinateurs de cette série-concept enthousiasmante? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de votre travail?
Pour nous, il s'agissait à chaque fois d'inviter un nouveau regard, un nouvel univers, ceux que portaient chaque dessinateur, pour que chacun apporte non seulement sa patte graphique, mais aussi son souffle, sa sensibilité, sa propre perception de l'histoire. Nous ne voulions pas une simple traduction visuelle de nos récits. Nous voulions les redécouvrir, être emportés par ce qu'en faisait le dessinateur. Nous voulions que le voyage continue en fait ! Et ce fut le cas.
Nous avons essayé de faire en sorte que chacun se sente le plus à l'aise possible dans la méthode de travail. Certains souhaitaient un récit découpé en détail, d'autres éprouvaient le besoin de réaliser leur mise en page. Dans ce dernier cas, nous proposions un page à page très détaillé, avec les dialogues et des notes sur les ambiances ou la psychologie des personnages, la façon dont tel ou tel album s'intégrait à l'architecture d'ensemble de l'Art du Crime. Puis de façon assez classique en BD, ils nous proposaient des roughs, des story-boards, sur lesquels nous faisions ou pas des suggestions. Puis venait la page encrée, avec son lot d'émotions et bien souvent d'émerveillement, et bien sûr la colorisation.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
En littérature, j'ai été emporté par
Le Train de nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier. Un roman éblouissant autour d'un honorable professeur suisse qui part à Lisbonne sur un coup de tête et va peu à peu entrer dans une quête folle sur un écrivain portugais disparu. L'intrigue passe du romantisme le plus pur à l'évocation des années de dictature, et une recherche quasi philosophique sur le sens de la vie, l'oeuvre littéraire, le tout sous la forme d'une intrigue policière. Une vraie découverte. Et puis toute la série des
Bolitho d'Alexander Kent, un classique du roman d'aventures maritimes. Je suis en train de dévorer les trente tomes...Et je fais marrer ma chérie en grommelant dans ma barbe à chaque gros nuage qu'on va avoir « un sacré coup d'chien »
En BD comme tout le monde, j'ai été fasciné par
Le Port des marins perdus de Teresa Radice et Stefano Turconi. Une perle pleine de poésie et d'expressivité graphique avec une immense maitrise narrative. Et les
Pretty Deadly de Kelly Sue DeConnick et Emma Rios pour la folie du scénario et la richesse graphique. Sans oublier
Les Vieux Fourneaux de Wilfrid Lupano et Paul Caueet. Juste à hurler de rire et un trésor de malice et d'intelligence, le bonheur...
Au cinéma, j'avoue faire partie de ces auteurs qui découvrent les films en dvd et s'extasient entre 3 et 5 ans après leur sortie. En BD aussi d'ailleurs, tu l'as remarqué...La dernière grande baffe a été
Interstellar. Rare d'être autant investi émotionnellement. Je crois que ce film incarne la beauté que j'attends du cinéma et en prime, il réussit cela avec une économie d'effets narratifs. Il y a une infinie pudeur dans ce récit. Et la musique, cet orgue envoûtant...
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Bigre.
Si. Peut-être un mot sur le sort des auteurs, des artistes, scénaristes, dessinateurs, co-loristes. Mais aussi les danseurs, les musiciens, les sculpteurs. Tous les artistes. Sur l'infinie tristesse que m'inspire le monde actuel dans lequel nous tremblons tous, pour simplement payer nos factures, sans renoncer à la flamme qui brûle en nous. La chaine créative a ceci d'incroyable que ceux-là mêmes qui la rendent possible sont ceux qui connaissent la plus grande précarité. Comme les agriculteurs au fond. Produire les fruits de la terre, ou produire des histoires ne nourrit pas ceux qui vouent leur vie à ces métiers, dont on se dit pourtant qu'ils sont vitaux, indispensables. Parce que le public a besoin de bonnes histoires comme il a besoin de légumes et de fruits de qualité. Au-jourd'hui à mes yeux les artistes incarnent une forme d'héroïsme moderne. Les cher-cheurs aussi. Ils ont tiré la sonnette d'alarme et eux aussi sont des créateurs. La science et l'art sont infiniment proches dans leur processus mentaux. Nous nous battons tous pour plus que nous-mêmes. Nous nous battons pour le droit à l'imaginaire, à la décou-verte, à l'esprit d'invention, le droit au rêve, au feu sacré, à ce souffle pour lequel chaque être humain a une aspiration éternelle. Alors nous tremblons, chacun dans son coin, nous avons peur, et nous nous battons, pour continuer, pour avancer. Car avec la peur vient le sens du combat.
Je ne sais pas quelle forme prendra une meilleure solution, mais j'ai toujours pensé qu'elle ne peut venir que par la loi. Tout le monde sait que le marché n'évoluera que par des cataclysmes successifs, des drames individuels ou industriels. On peut aussi se poser autour d'une table et décider une fois pour toutes de changer les choses. Il me semble que les pouvoirs publics s'honoreraient de relever ce défi, de donner au monde l'image d'une solution moderne et inventive qui reconnaitrait tout la noblesse que la société devrait accorder à ceux qui créent. Une grande mission interministérielle, et pas seulement le ministère de la culture, mais aussi Bercy, la recherche, l'éducation, l'intégration, les droits de la femme, avec des parlementaires, des acteurs du monde des arts et même du public. Partir pour une fois de « Que voulons-nous vraiment ? Dans quel monde voulons-nous vivre ? » et trouver les moyens de le faire advenir.
Je ne parle pas de révolution, mais d'une transformation intelligente et concertée de la façon nous concevons la culture, aussi bien pour ceux qui la vivent au quotidien que pour le public qui a forcément des limites et des frustrations. Nous voudrions tous pouvoir nous payer plus de livres, de disques, de spectacles, avoir plus de salles de concert, des espaces culturels de diffusion et d'éducation. Un immense chantier.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Gaston
un personnage de roman: allez, d'Artagnan !
un personnage de cinéma: Jack Lemmon ou plutôt CC Baxter dans la Garçonnière
une chanson: Higelin, La Putain Vierge. Et aussi Un aviateur dans l'ascenseur. Impossible de les écouter sans chialer comme une madeleine..
un instrument de musique: une guitare, évidemment.
un jeu de société: c'est marrant cette expression. Je suppose que je suis encore sur la lancée du combat pour la création, mais il me vient à l'esprit qu'aujourd'hui la société joue à « qui perd meurt. » Alors je fais semblant de ne pas comprendre ta question et je réponds qu'il reste un nouveau jeu à inventer. On l’appellerait « qui aime gagne ».
une découverte scientifique : toutes celles à venir qui permettront à l'humanité de se consacrer enfin aux seules vraies questions de la vie, la solidarité, la fraternité, l'amour, la musique de l'âme et du coeur sur notre caillou magnifique.
une recette culinaire: une feijoada et quelques verres de caïpirinha !
une pâtisserie: le tiramisu de ma chérie
une boisson: ah...dilemme cornélien. Rouge, rosé, il y en a tant de bons ! Du vin en tout cas, sans hésiter.
une ville: une ville, je dis non. Un bord d'océan, le vent, le rivage, les oiseaux. Les rochers, la puissance de l'horizon.
une qualité : la persévérance.
un défaut: l'intransigeance
un monument: le cairn de Barnenez forcément, puisque j'habite désormais en Bretagne.
un proverbe : Un mien vaut mieux que deux tu l'auras
Un dernier mot pour la postérité ?
Non !
Un immense merci pour le temps que tu nous as accordé… Et pour cette série-concept particulièrement enthousiasmante!
Merci à toi, je te l'ai déjà dit et écrit. Pour l'espace que tu laisses aux auteurs, pour ta curiosité pleine d'élégance, pour le temps que tu prends et que tu donnes.
Longue vie donc à cette oasis que tu fais vivre. Et vive la BD !
Je suis tout ému là… Merci à toi surtout, pour ta disponibilité et cet échange passionnant…