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Entretien avec James Tornade
Interview accordée aux SdI en décembre 2017


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien. Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Pas du tout ! J’adore le tutoiement, et j’espère que lui aussi m’adore.

On est deux dès lors… Merci bien… Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Alors, je m’appelle James Tornade. J’aime les petits carnets couverture cuir et les gens qui disent « comme si que ».

Sinon aujourd’hui, je suis auteur en freelance : j’écris pour un site internet le jour, et des jeux de rôle la nuit. Les JdR sont ma grande passion, et pour l’instant, j’ai pu en écrire deux : Brigandyne, du médiéval-fantastique « gritty », qui a pour l’instant 4 suppléments, et Sherwood, le petit nouveau, qui comme son nom l’indique, invite les joueurs à jouer des hors-la-loi de la bande de Robin Hood.

Je ne suis pas encore exilé fiscal, mais croisons les doigts !

Sherwood, le Jeu de Rôle, illustration du jeu © James TornadeMais James Tornade, c’est un pseudo… Pourquoi caches-tu ton véritable nom pour assouvir cette passion obscure qu’est le JdR ? Et pourquoi James Tornade d’ailleurs?
Tous les métiers artistiques permettent l’usage du pseudo, alors je n’allais pas me priver ! En plus je ne l’utilise pas que dans le JDR figure-toi, mais aussi dans mes autres missions d’auteur.
James Tornade, c’est un peu entre le catcheur, l’acteur de films érotiques, et le héros de série Z. Je n’ai pas d’autres explications!

Enfant, quel joueur étais-tu? Comment es-tu tombé dans la marmite du JdR ?
C’est mon grand frère qui m’a initié. On jouait à Terres de Légende, AD&D, et on lisait des tas de livres dont vous êtes le héros. Disons qu’enfant, j’étais un joueur… bourrin ? Oui bourrin. Je prenais systématiquement le barbare s’il y en avait un, et je mettais le max en Force. J’en profite pour dire que comme bon nombre d’enfants, j’adorais la violence dans la fiction (films de bagarre, dessins animés, jeux vidéo et jeux de rôle), et que les images de monstres ruisselant de sang sous les coups d’aventuriers me donnaient tout de suite envie d’acheter !
On a tendance à croire qu’il ne faut absolument pas mettre d’images sanglantes sur les produits destinés aux débutants, alors qu’enfant je voulais voir du combat épique et violent, et j’étais déçu quand j’ouvrais un jeu de rôle et qu’il n’y avait rien à se mettre sous la dent !

Sherwood, le Jeu de Rôle, extrait © James TornadeQuels étaient tes jeux de rôle de chevet et quels sont-ils aujourd’hui ?
Il y en avait pas mal : j’adorais AD&D2, Thoan, Warhammer, Château Falkenstein, Bloodlust, Rêve de Dragon… Aujourd’hui, je ne sais pas trop lequel choisir : le choix est tellement vaste ! En plus je change les règles 90% du temps. Je dirais quand même Warhammer V2 parce que j’y reviens tout le temps.

Si tu devais en quelques mots expliquer ce qu’est le jeu de rôle à ma grand-mère, que lui dirais-tu?
D’aller voir une vidéo explicative sur YouTube. Il y a des gens qui se sont mis en quatre pour faire des vidéos claires, drôles, efficaces et bien produites, qui donnent en plus envie d’essayer. Le tout en français, et qui durent moins de 10 minutes. Comme ça, je la laisse devant la vidéo, je vais boire un café, et je reviens en lui demandant si elle a compris. Si elle n’a pas toujours pas compris, je demande une mise sous tutelle.

Peux-tu nous raconter ton pire et ton meilleur souvenir de rôliste ?
Le pire souvenir : j’hésite entre deux trucs. La fois où ado, j’avais bossé à fond un scénar Elric paru dans un magazine, et où dès le début, un joueur me prend à part pour me dire qu’il l’avait déjà lu et qu’il s’en souvenait très bien… Partie annulée. Ou la fois où j’ai testé le jeu en club, avec un MJ nullissime et dirigiste, qui avait tué un PJ sur un jet de dés raté, et qui intéressait si peu les joueurs qu’une joueuse s’était endormie sur sa feuille. C’était vraiment ce que le JDR pouvait donner de plus médiocre. Allez, je prends le club !

Le meilleur : la campagne « La Grande Nuit » pour La Brigade Chimérique. Quelle campagne! On était que trois (1 MJ + 2 joueurs, la config idéale pour finir les grosses campagnes si vous voulez mon avis) et c’était magique! Tout y était : de l’aventure pulp, du roleplay de haut vol, des musiques qui collaient parfaitement avec les scènes… et une fin mémorable et très émouvante.

Sherwood, le Jeu de Rôle, illustration du jeu © James TornadeDe joueur à créateur, comment et pourquoi avoir franchi le pas ?
En fait j’ai toujours eu envie de créer. Depuis toujours, je griffonnais mes règles, mes univers, sur des carnets, et on jouait avec nos systèmes de jeu bricolés. C’est le grand avantage du jeu de rôle par rapport aux jeux de société ou aux jeux de cartes : ici on peut jouer des heures avec nos propres créations rédigées sur deux ou trois feuilles blanches. Pas besoin de matériel : quelques dés suffisent.

Pour éditer Brigandyne, tu es passé par des chemins de traverses… Pourquoi ne pas avoir envisagé le financement participatif, voire une édition « classique » par un éditeur déjà en place?
Je crois que quand j’ai vu plusieurs auteurs sortir leur jeu en auto-édition, je me suis dit que ça ne devait pas être très sorcier et que je pouvais le faire aussi…. Et j’ai vite déchanté quand j’ai vu la masse de travail que ça représentait. Passer de quelques feuilles de brouillon à un livre entier est un énorme boulot. Mais je me suis accroché !

Comme j’étais inconnu dans le milieu, je ne me voyais pas faire un financement participatif. Qui me ferait confiance? Et puis, lorsqu’un « crowdfunding » est réussi, cela met une pression folle. Il faut répondre à tous les impatients, tenir les délais, rédiger rapidement les bonus (en cas de déblocage de bonus lors de la souscription…), contacter un imprimeur compétent, procéder aux envois… Bref, je ne ferme pas la porte à cette option aujourd’hui, mais à l’époque, ça me paraissait impossible.

Restait l’édition classique : pour Brigandyne, je n’ai envoyé le manuscrit à aucun éditeur parce que je pensais que ça n’allait pas les intéresser. C’est avant tout un système de jeu pour jouer du médiéval-fantastique dur, low fantasy, mais livré sans univers (comme D&D !). Éditer un système de jeu, c’est un peu le marché de niche dans le marché de niche.

Alors l’auto-édition était ce qui me paraissait le moins stressant, et le plus honnête.

Sherwood, le Jeu de Rôle, Maerwynn, un personnage prétiré © James TornadeMais Brigandyne t’as permis de te faire un nom et les excellent retours ne t’ont-ils pas donné envie de te tourner vers un éditeur pour publier Sherwood, ton second jeu dont le livre de base vient de paraître?
Une fois lancé dans l’autoédition, j’ai vu qu’elle présentait pas mal d’avantages. Le premier, et ça peut paraître fou, est qu’un auteur de jeu de rôle est un peu mieux payé en autoédition qu’en étant édité par un pro. Le fait de tout gérer permet de se passer des intermédiaires (éditeur, distributeurs, boutiques) et tout ça donne une meilleure marge pour l’auteur. Lorsqu’on est auteur, on passe des centaines d’heures sur un livre, c’est un boulot monstre. Et voir qu’au final on est moins payé sur chaque livre que la boutique qui le met en rayon, ou le distributeur qui le livre dans la boutique, ça m’aurait fait mal, j’avoue.
Le second est la totale liberté de contenu : proposer un jeu à un éditeur c’est aussi le voir retoqué ici et là, voire transformé pour qu’il rentre éventuellement dans un créneau décidé par la maison d’édition. Pour Sherwood par exemple, je voulais y mettre deux niveaux de lecture du monde : un lumineux et féérique, et un autre plus dark et dur. Chaque MJ peut choisir sa vision du mythe. C’est typiquement le genre de postulat où un éditeur peut te dire de choisir entre l’un ou l’autre pour que le produit rentre dans une case par exemple.

Peux-tu nous présenter Brigandyne en quelques mots? Qu’avais-tu en tête en créant ce système semble-t-il très apprécié par tous ceux qui l’ont testé?
Brigandyne est un jeu de rôle médiéval-fantastique axé « chair et sang », où les PJ vont en baver. Vous en avez marre de voir vos joueurs massacrer vos PNJ ? Essayez Brigandyne.

Le jeu est né de réflexions sur le système de Warhammer, et de ma lubie de créer un vrai système de jeu dur, aux combats vraiment rapides, voire expéditifs. Je m’étais aperçu que c’était la promesse de pas mal de systèmes, mais qu’en vrai, autour de la table, les combats prenaient toujours des plombes : un PJ attaque, l’ennemi se défend, le joueur tire des dommages, voire une localisation, puis on refaisait la même chose pour son adversaire… Et je ne parle même pas des fois où PJ et ennemi passent leur temps à se rater. Avec 4 ou 5 joueurs, la moindre escarmouche jouée dans les règles (sans coupe du MJ) prenait facilement une demi-heure. Pour moi c’est l’enfer. J’ai donc beaucoup bossé sur des règles qui permettraient d’émuler les combats rapides et sanglants type « Game of Thrones », tout en conservant l’esprit low fantasy et « boueux » de Warhammer. Et puis je voulais réhabiliter le D100, qui pâtit encore trop souvent du syndrome « Ah c’est du D100 ? Donc le Basic system » alors que c’est juste une forme de dés, et que les pourcentages parlent à tout le monde.

Bon et puis vous trouverez aussi dans Brigandyne plein d’autres idées, comme les archétypes animaliers qui personnalisent rapidement un héros ou un PNJ, ou les formules magiques en alexandrins pour lancer les sorts… J’en profite pour dire un grand merci à ceux/celles qui en parlent autour d’eux et qui ont posté leur avis sur le net, c’est grâce à eux que le projet a pu se développer.
Sherwood, le Jeu de Rôle, l'écran du jeu © James Tornade
Sherwood vient de débouler sur les étals numériques… Comment est née cette idée folle de faire incarner des gens de la bande à Robin?
Je m’étais rendu compte en voyant un film sur Robin Hood, que le thème n’avait quasiment jamais été traité en JDR depuis les années 80. Alors qu’il existe des films, des séries, des jeux vidéos, des comédies musicales, des jeux de société, des dessins animés, et aucun JDR récent n’était sorti sur ce thème alors qu’il est vraiment porteur d’aventures passionnantes et connu de tous!

Dans Sherwood, les joueurs incarnent des hors-la-loi ayant rejoint la juste cause de Robin, et ils auront du pain sur la planche : voler aux riches pour donner aux pauvres, affronter les soldats du Sheriff de Nottingham, échapper au chasseur de primes Guy de Gisbourne, délivrer leurs compagnons prisonniers, survivre aux dangers de la forêt de Sherwood qui semble maudite depuis quelques temps… En effet, comme beaucoup d’adaptations du thème de Robin des Bois, Sherwood comporte du fantastique, et même si la magie est discrète, elle existe bel et bien. On dit même que des monstres rôdent dans la forêt.

Sherwood, le Jeu de Rôle, extrait © James TornadeParmi les nombreuses versions et déclinaisons de Robin des Bois, laquelle se rapproche le plus de ton Sherwood?
Je dirais quand même le film avec Kevin Costner : il est héroïque, il y a de la magie (la sorcière !) mais ça l’empêche pas d’être assez dur aussi : on voit bien que les Normands amputent les Anglais, les torturent, leur crèvent les yeux pour la moindre rébellion. C’est crade, mais c’est le Moyen-Age.

Pour l’occasion, tu as créé un nouveau système de jeu… Mais pourquoi donc n’avoir pas utilisé celui de Brigandyne? Peux-tu en quelques mots nous parler de ton nouveau moteur…
Sherwood est beaucoup plus « lumineux » que Brigandyne : on y joue des héros, qui réussiront souvent leurs actions, et il me fallait donc un système qui reflète bien cette vision plus héroïque. Et pour être honnête, j’aime beaucoup créer des systèmes de jeu. C’est ce que j’écris en premier et ce qui me motive le plus dans l’écriture.

Un personnage est défini par 5 Attributs et 4 Talents, notés en dés (D4, D6, D8…). Quand un test est demandé, on jette le dé d’Attribut et l’éventuel dé de Talent, et on garde le meilleur. Si le dé choisi est supérieur ou égal à la difficulté, le test est réussi. Il y a tout de même une ressemblance avec Brigandyne, car le combat fonctionne sur le même principe de « passe d’armes », et non d’ « à toi à moi », ce qui accélère les rounds. C’est un système qui pourra rappeler celui de Savage Worlds aux connaisseurs.

Le contexte général de Sherwood faisant désormais partie de la culture populaire, à qui s’adresse le jeu? Débutants ou joueurs aguerris?
« Les deux mon capitaine! » Les joueurs expérimentés découvriront un thème mine de rien original en JdR, et un système de jeu facile à prendre en main, qu’ils pourront même réutiliser pour faire du médiéval-fantastique classique. Mais Sherwood a aussi été rédigé de façon à guider un joueur débutant à initier ses amis : on y trouve une explication de ce qu’est le jeu de rôle, un exemple de partie, des passages « à lire aux joueurs » dans les scénarios, tout un chapitre de conseils pour maîtriser une partie… Je voulais un peu retrouver ce que je ressentais en lisant Terres de Légende, et faire de Sherwood un produit d’auto-initiation.

Sherwood, le Jeu de Rôle, Owen © James TornadePeux-tu nous parler des illustrateurs qui ont travaillé sur Sher-wood?
Pour les illustrations, en plus d'avoir quelques illustrations du maître N.C Wyeth (1882-1945), j'ai fait appel à Hibbs, un illustrateur rencontré sur le forum Casus NO. C'est lui qui a dessiné les onze archétypes du jeu par exemple, ainsi que la carte de Sherwood. L'illustration de couverture a quant à elle été réalisée par Gulavisual, un illustrateur mexicain contacté sur Deviant Art.

A l’instar de Brigandyne, des suppléments pour Sherwood sont-ils dores et déjà prévus? Quelle en sera la teneur?
Oui, et ta question tombe bien car l’Écran du Meneur de Jeu vient juste de sortir ! En plus de présenter une grande illustration d’ambiance et les tables du système au verso, il est accompagné de 3 scénarios qui donneront un aperçu de la variété d’aventures qu’on peut faire dans Sherwood.

As-tu déjà d’autres JdR sur le grill?
Yep ! J’ai plein d’idées, de projets commencés qui n’attendent qu’une chose : que je me retrousse les manches. Comme une version futuriste de Brigandyne par exemple…
Sherwood, le Jeu de Rôle, illustration du jeu © James Tornade
Quel est actuellement ton jeu de rôle de chevet?
En ce moment j’ai repris ma campagne Werewolf, alors c’est celui-ci. Avec sa tripotée de suppléments gavés de remplissage. Et je vais citer Soleil Noir aussi ! J’en dis du bien dès que j’en ai l’occasion.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Pas facile ça… En série, j’ai beaucoup aimé « The Handmaid’s Tale » (série 100% féministe !). Et en musique, le dernier Body Count, « Bloodlust », est un petit bijou.
En jeu de plateau, j’adore les jeux de plateau « Dungeons & Dragons » (Castle Ravenloft, Wrath of Ashardalon…) qui permettent de faire du dungeon crawler sans Meneur de Jeu, avec son lot de pièges, de monstres, et de trésors. Si comme moi, vous êtes rôliste avant tout, et que vous aimez sortir un dungeon crawler de temps en temps, c’est une valeur sûre.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Nope!

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Sherwood, le Jeu de Rôle, la feuille de perso © James Tornadeun personnage de BD: Cobra, il a la classe quand même.
un personnage de roman: Holden Caulfield ! (L’attrape-cœurs)
un personnage de cinéma: El Topo (d’Alejandro Jodorowsky)
un personnage de JdR: SAMUEL HAIGHT, le perso le plus grosbill du Monde des Ténèbres. Un humain qui chasse des vampires pour se nourrir de leur sang, qui a tué des loups-garous pour en devenir un lui-même via un rituel, et qui a accès aussi à la Magye des Mages… Ce perso est comme un doigt d’honneur à tous ceux qui pensent que le WOD est un jeu d’ambiance.
une chanson: WOULD ? d’Alice in Chains
un instrument de musique: Sans hésiter une Fender Jazz Bass signature Marcus Miller !
un jeu de société: RISK, le jeu qui cause des divorces
une découverte scientifique: une « étude très sérieuse » d’internet qui dit que les avocats ou le saumon sont très dangereux pour la santé
une recette culinaire: le couscous qui a causé le départ de Florian Philippot (cf le « couscous gate »)
une pâtisserie: le pain au chocolat à 15 centimes qui a causé la chute de Jean-François Copé
une boisson: Un SMECTA donné à un enfant, et qui met 2 heures pour le boire parce que c’est dégueu
une ville: Springfield, meilleure ville imaginaire jamais créée
une qualité: Savoir la fermer au bon moment (ça m’a sauvé plus d’une fois)
un défaut: Le perfectionnisme, cité avec entrain dans un entretien d’embauche.
un monument: L’éléphant géant de la place de la Bastille (allez voir son histoire sur internet et replacez-le dans un scénar victorien !)
un proverbe: Le seul qui me vient est « Donne un cheval à celui qui dit la vérité pour qu’il puisse s’enfuir » (proverbe afghan).


Un dernier mot pour la postérité ?
J’ai été bien éduqué alors je voudrais dire MERCI pour cette longue interview.

Merci à toi pour le temps que tu nous as accordé! Et longue vie à Robin et au Roi Richard!
Le Korrigan