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Entretien avec Pierre Alary
Interview accordée aux SdI en mars 2018


Bonjour et tout d’abord merci de vous (re)prêter au petit jeu de l’entretien.
Bonjour, je vous en prie. Merci à vous.

Alors, quoi de neuf depuis notre dernier entretien (2013)? De nouvelles passions? L’ouverture d’un compte numéroté aux îles caïmans ou à Panama?
Ha bah non, tu sais en bd, les résultats financiers ne sont pas au prorata du nombre de projets , ni des chouettes critiques , malheureusement... Donc, de caïmans, juste des photos, de Panama , juste des chapeaux ….Sinon , depuis 2013 quelques chouettes projets et de jolies aventures professionnel.

Et de bien chouettes albums !
Devenir dessinateur de BD a-t-il relevé du parcours du combattant?

Pas spécialement non. C’est surement dû au fait que jusqu’à mes 18/19 ans, je n’avais pas vraiment envisagé le futur… J’aimais dessiner, depuis toujours, mais je n’avais jamais envisagé d’en faire un métier...

Mon Traître, page 40, work in progress © Pierre AlaryDe fait tout s’est déclenché quand je suis allé aux portes ouvertes à l’Ecole des Gobelins , car on m’avait dit que c’était une école de bd... Ce qui est faux, bien entendu… Dépité, j’allais pour abandonner ma visite quand un élève m’a rattrapé pour m’inviter à, quand même, jeter un œil... Bien m’en pris (et lui aussi ), puisque depuis, je vis de ma passion… Mais sans préméditation…. Mais de la chance!

Après vous être attaqué avec un talent saisissant à Moby Dick en compagnie d’Olivier Jouvray, vous vous êtes lancé dans l’adaptation de Mon traître basé sur le roman de Sorj Chalandon dont vous signez seul l’adaptation… Comment avez-vous rencontré ce roman et à quel moment est née l’envie de l’adapter?
L’envie de l’adapter est née pendant la lecture du roman... Ma première « rencontre » avec l’œuvre de Sorj Chalandon. Un coup de foudre en quelque sorte, mais, a des lieues de ma « zone de confort »... Mais, la beauté de l’écriture, la force des émotions qu’il y avait dans ces pages et aussi l’envie de rencontrer l’homme derrière ces mots. Je connaissais un peu la carrière de journaliste de Chalandon , et de le lire comme ça, se livrer de cette façon, cela m’a vraiment touché...

Quelles furent les grandes joies et les grandes difficulté de votre travail sur cet album particulièrement bouleversant?
Ma grande joie a été de travailler avec ces mots, d’avoir la chance de pouvoir les mettre sur mes images. La joie aussi de la rencontre avec Sorj... De sa confiance... D’avoir, en quelque sorte, « partagé » cette émotion avec lui.

Mon Traître, page 41, work in progress © Pierre AlaryPar contre, comme je le disais précédemment, c’est vraiment l’envie de raconter cette histoire qui m’a motivé. En termes de dessin, j’étais vraiment dans un environnement qui m’est complètement étranger et que j’ai pris soin d’éviter jusqu’à aujourd’hui. A savoir, un milieu contemporain, des gens assis, peu de mouvement, et en essayant de rester à hauteur d’homme... Une « caméra » très proche des visages qui essaye de traquer l’émotion dans les moindres regards....

Il est vrai que tes précédents albums étaient marqués par ton trait dynamique et ta maîtrise du mouvement, sans doute héritée de ton travail dans l’animation… Mais sur cet album, c’est la justesse et la force des émotions que tu parviens à retranscrire d’un seul regard qui m’a littéralement bluffé…
C’était l’idée… Merci alors .

Ton approche de l’histoire semble très cinématographique… N’es-tu pas attiré par la réalisation?
Je pense que beaucoup d’entre nous, auteurs de bandes dessinées sommes attirés par la mise en scène « live »… Après, c’est un autre métier, un autre media, d’autres codes, un métier de contact, savoir travailler avec d’autres, savoir-faire énormément de compromis… Il faut être prudent, être sûr de ne pas tout mélanger, être sûr que c’est à travers ce medium que l’on veut dire quelque chose . Mais, en soi, oui, ce doit être quelque chose de super excitant!

Mon Traître, page 54, work in progress © Pierre AlaryLes personnages que tu as dessinés s’inspirent de personnages réels… Cela a-t-il modifié ton approche dans tes recherche graphiques? Sont-ils conforme à la vision que tu en avais en tant que lecteur du roman ou ont-ils considérablement évolué?
La aussi, « mes » visages me sont clairement apparus à la lecture du livre. Tout se mettait en place, le montage, les « cuts », les visages. De la réalité, je ne connais que les visages de Sorj (Antoine) et de Dennis Donaldson (Tyrone)... L’entreprise était déjà suffisamment complexe, pour ne pas, en plus , essayer de faire leurs portraits... J’avais besoin d’être avec « mes » acteurs……

Peux-tu nous parler de ta première rencontre avec Sorj Chalandon? A-t-il accepté d’emblée de confier son récit à un autre auteur? Appréhendais-tu le regard qu’il porterait immanquablement sur ton travail?
La rencontre s’est faite, à l’image de l’homme: très simplement. Nous nous sommes donnez rendez-vous chez Grasset, son éditeur. Il connaissait mon travail. Nous avons parlé, enfin, surtout moi, de mes motivations. Je pense que convaincre son éditeur a dû être plus sensible que de le convaincre lui. Mon Traître, page 55, work in progress © Pierre AlaryAprés 10 mn, c’était tapé. A aucun moment il n’a cherché à me « coincer » ou ne m’a fait part de choses négatives. Il a eu confiance... Cela m’a évidement touché. Venant de quelqu’un que j’estime capable de pouvoir assez rapidement cerner un être humain, cela m’a énormément touché en fait.

Peux-tu nous parler de la façon dont tu as abordé la couleur qui souligne subtilement les émotions des personnages…
Je voulais travailler sur l’émotion aussi au niveau de la mise en couleur. Essayer d’exprimer ce que les personnages pouvaient avoir en eux… leurs « lumières » en quelque sorte. Et puis, comme je tenais vraiment à tout faire sur ce livre, cela tombait bien car ça correspond à ce que je fais généralement quand je colorise moi-même, à savoir que je n’ai pas le talent d’un Nob, je travaille généralement dans des teintes bichro ….cela correspondait très bien ici .

As-tu bousculé la structure du roman pour cette adaptation? La narration entrecoupée d’extraits d’interrogatoire qui confère à l’ensemble un rythme si particulier était-elle déjà présente dans le roman?
Mon Traître, page 56, work in progress © Pierre AlaryQuasiment pas… J’ai « remodelé » mais pas changé… Ainsi, l’idée de l’interrogatoire est dans le roman, sous forme de 2/3 chapitres plus proche de la fin du livre. J’ai simplement « récupéré » l’idée et l’ai étendue pour l’adapter un peu plus au rythme d’un format bd... J’ai d’ailleurs procédé ainsi sur l’ensemble du livre. Mon idée n’étant pas de réinterpréter le roman, puisque ce que, justement, je voulais garder et retrouver, c’était l’émotion liée au texte. Je n’allais pas essayer de changer ça! Je me suis mis plus en position de « passeur », un peu comme de dire a des gens qui n’aurait pas lu le roman: « tenez, j’ai aimé, je vais essayer de vous faire aimer à votre tour ». Il fallait donc, surtout, que je retrouve cette force et cette émotion passée dans une structure plus « bande-dessinée ». A un moment, dans l’idée de « changer » justement, j’ai essayé de remettre les séquences dans un ordre chronologique. Histoire de dire que c’était « différèrent » ... Alors oui, c’était différent, mais ça ne marchait pas. Surtout que je tenais absolument à commencer par la séquence des pissotières, qui est aussi la première séquence du livre, et que je trouve bouleversante. Car tout est là: le rapport père / fils... Quoi de plus élémentaire qu’un papa qui apprend à faire pipi correctement à son garçon! Tout est là! Et c’est tellement « simple » et évident... Je trouve ça magnifique !

Mon Traître, page 57, work in progress © Pierre AlaryEnsuite, en effet, des séquence ont sautés, d’autres ont bougées... Notamment la dernier de la bd, qui est ailleurs dans le livre, mais que je voulais comme réponse à la grande question d’Antoine « finalement, est -ce que tu m’aimes vraiment ? »... Je voulais fermer l’arc.

Et à présent vous allez vous attaquer au revers de la médaille, Retour à Killybegs, roman où Sorj Chalandon nous raconte l’histoire vu par les yeux du traître… A quel moment l’idée de mettre cette suite en image s’est-elle imposée?
Aprés avoir terminé « mon traitre ». En fait, au départ, j’avais l’intention de n’adapter que « mon traitre ». Puis, après des discussions avec Sorj, j’ai compris que pour lui les deux roman étaient indissociables . C’est sa vie, sa douleur. D’un côté, ce qu’il a vécu, d’un autre, la réponse qu’il a voulu donner afin d’essayer, non pas de faire son deuil, mais de comprendre, et d’une certaine façon d’accepter. Et, finalement, je pense que les lecteurs qui auront apprécié « mon traitre » ont eux aussi ce droit. D’autant que, depuis, pas mal de personne m’ont demandé, ou se sont demandés, à travers des articles lu à droite à gauche, « pourquoi ? »… Pourquoi Tyrone a-t-il trahi. Je vais donc essayer de « boucler la boucle », de donner la parole au traitre.

Mon Traître, page 58, work in progress © Pierre AlaryGraphiquement, vas-tu interpréter ce second album de la même façon?
Oui , étant donné qu’il s’inscrit presque comme une suite, je ne veux pas « perturber » le lecteur en partant sur d’autres repères graphiques. Je vais rester, comme pour le « traitre », sur le fond et sur la même ligne graphique. Je pense que le passage de l’un à l’autre se fera ainsi de manière plus équilibré et logique.

Lors de tes rencontres avec Sorj Chalandon, avez-vous parlé du Brexit qui rend la frontière Irlande / Irlande du Nord plus imposante encore?
Pas plus que cela… Je lui ai posé quelques questions, afin d’avoir son avis, son regard. Mais n’étant pas toujours à la pointe de l’actualité, qui est son quotidien, je préfère parler d’autres choses quand nous nous rencontrons.

Dans quel état d’esprit étais-tu lors de la sortie de cet album?
Très curieux et inquiet d’avoir les retours de lecteurs. M’étais-je fourvoyé dans mon ressenti pour ce texte ? Allais-je en retranscrire toute l’émotion? Les lecteurs du roman y retrouveraient-ils eux aussi cette émotion qu’il avait eu a la lecture du livre? etc etc…
Work in Progress
Mon Traître, storyboard de la planche 30 © Pierre AlaryMon Traître, crayonné de la page 30 © Pierre AlaryMon Traître, version finale de la page 30 © Pierre Alary

Indéniablement, l’émotion est là, à fleur de page! C’est un livre qui nous a particulièrement touché et bouleversé…

l'atelier de Pierre AlaryTous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?

Alors, mes « derniers » coups de cœur ne correspondent pas toujours (pas souvent en fait)a l’actualité… Je suis toujours en retard sur mes piles de romans / bd / films… Donc , cela peut être un artist édition (chez idw ) avec des fac similé de pages de Berni Wrightson (une de mes idoles ), le très chouette second tome de Paco les mains rouges, des bons vieux films de la Hammer réédité en beaux blu-ray, ou un bon vieux Argento en 4k chez arrow video, un super cd pirate de la tournée Sound and vision de Bowie…….


Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Non (rire)

Un dernier mot pour la postérité?
A bientôt.

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé et rendez-vous à Killybegs! smiley
Un grand merci à vous… et le rendez est pris, avec plaisir.
Le Korrigan