Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ?
Du tout.
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
Après des études secondaires générales avec option art, j’ai fait des études supérieures à l’institut Saint Luc à Bruxelles, option bande dessinée - illustration. J’ai ensuite commencé à monter des petits projets BD avec Jean-François Di Giorgio ce qui nous a amené chez l’éditeur Nucléa2 avec la série Mygala en 2003. Suite à de grosses galères et par faute de paiement de la part de cet éditeur, nous sommes ensuite passés chez Soleil avec la série Samurai en 2005, dont j’ai réalisé les 9 premiers tomes. J’ai alors senti le besoin de faire une petite pause, j’ai donc fait un crochet par l’illustration de jeux de société et de jeux de rôle. Pour revenir ensuite à la BD en tant qu’auteur complet avec l’adaptation de Gagner la Guerre.
J’ai actuellement à la fois 15 ans et 40 ans. Je suis passionné de jeux de société et de jeux de rôles, de bricolage en tous genres, de musique rock, de flippers, de films et de séries télé, et de temps en temps j’utilise mon cerveau pour lire un livre ou l’autre.
Sur quels jeux de rôle et de société a tu notamment travaillé?
Mon travail le plus important est l’illustration complète du jeu de société Kumo Hogosha édité par Morning Players.
Pour le jeu de rôle, mon travail d’illustration était très variable (allant de la couverture, à de simples têtes de chapitre). J’ai notamment participé aux illustrations de Skull & Bones, Shaan, INS/MV et le magazine Di6dent.
Si tu devais en quelques mots expliquer ce qu’est le jeu de rôle à ma grand-mère, que lui dirais-tu?
Il s’agit d’une histoire dont la narration dépend des actions des joueurs.
Chaque joueur interprète un personnage principal du récit (défini chacun par un éventail de caractéristiques plus ou moins détaillé). Le narrateur du jeu plante le décor et les évènements, et les joueurs interviennent au fur et à mesure pour énoncer leurs actions et réactions par rapport à ces évènements.
Quel est ton jeu de rôle préféré (et accessoirement pourquoi)?
Warhammer (2e Ed.), le premier jeu de rôle auquel j’ai joué et probablement celui auquel je jouerai encore quand je serai en maison de retraite. J’aime cette fantasy sombre, un peu « sale », pleine de fourberies. On peut y jouer des évènements grandioses et épiques, mais on peut aussi y mourir en marchant sur un clou rouillé. J’adore.
Quel est ton dernier coup de cœur ludique?
Il date un peu, mais je l’ai redécouvert il y a 3 ans, c’est Blood Bowl. Une confrontation tactique et délirante aux possibilités infinies, avec un mécanisme très retord de la gestion perpétuelle du risque.
Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Gros lecteur de BD quand j’étais enfant, je dévorais les aventures d’Astérix et de Tintin en boucle. Actuellement je lis très peu de BD et dans des styles très variés, je n’ai pas d’auteur de chevet en particulier à ce niveau là. En littérature par contre j’ai mes petites préférences : JP Jaworski (évidemment), Julien Gracq, Fred Vargas, Fabien Cerutti, Jim Harrison, Scott Lynch…
Devenir auteur de BD, étais-ce un rêve de gosse? Un auteur en particulier vous a-t-il donné envie d’en faire ton métier ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant?
Je voulais faire un métier dans le dessin, mais je n’ai jamais rêvé d’être auteur de BD en particulier. C’est grâce à Jean-François Di Giorgio que j’ai mis le pied à l’étrier. Je me suis évidemment pris quelques vents avec mes premiers projets refusés. JF et moi sommes passés par de grosses galères avec Mygala. Ça n’a heureusement pas trop duré. Les choses se sont ensuite enchainées assez naturellement depuis le tome 1 de Samurai.
Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier?
Les grandes joies sont pour moi de faire un métier que j’aime et de pouvoir créer quelque chose en étant relativement libre. Les difficultés sont évidemment les phases de doutes et de remise en question et la rigueur qu’implique un métier de solitaire comme celui-là.
Comment avez-vous rencontré Jean-François Di Giorgio avec qui vous avez travaillé sur Mygala et Samuraï?
Il était mon professeur de bande dessinée en cours parascolaire quand j’étais en secondaire.
Comment as-tu découvert l’œuvre de Jean-Philippe Jaworski et dont tu viens d’entamer l’adaptation? Qu’est ce qui t’a séduit dans ce roman et à quel moment est née l’envie de réaliser une adaptation?
C’est un livre qui m’avait été recommandé par un ami, et que j’ai lu alors que je voulais moi-même me lancer dans mon propre scénario. J’y ai découvert tous les ingrédients qui me tenaient à cœur : un anti-héros, un univers de low-fantasy, des intrigues politiques, de l’action, le tout tinté d’un certain cynisme… C’était parfait ! Je n’ai pas hésité longtemps avant de contacter Jean-Philippe Jaworski.
Comment a-t-il réagi lorsque tu lui as proposé ton projet d’adaptation?
Très positivement. Il a regardé mon travail sur Samurai et m’a tout de suite fait confiance.
Premier tome de Gagner la Guerre Ciudalia est le premier album dont vous signez à la fois dessins, couleurs et le scénario… Qu’est ce que cela procure d’être seul aux manettes?
Beaucoup de liberté, mais aussi beaucoup de pression puisqu’on est le seul responsable du résultat final.
Heureusement je bénéficie d’une super équipe au Lombard qui me donne leurs points de vue à chaque étape de la réalisation de l’album. Cela m’aide énormément pour faire les bons choix.
Concrètement, comment s’attaque-t-on à un tel livre, dense, passionnant et foisonnant de détails?
C’est un énorme travail de lecture et de découpage des séquences. J’ai dû déconstruire tout le roman et reclasser chaque arc narratif et chaque indice de l’intrigue. Il y a un gros travail de synthèse pour isoler et mettre en avant les moteurs du récit et les points de bascule.
Mais le plus ardu est de restituer les dialogues. Jean-Philippe Jaworski écrit des dialogues très organiques, ils évoluent et se développent de façon très subtile, ils glissent d’un sujet à l’autre très naturellement. Comme je n’ai pas la place pour tout mettre, le travail d’analyse et de synthèse à ce niveau là est assez important.
Et puis il faut faire des choix (malheureusement), comme je suis dans un format de bande dessinée classique, je ne peux pas toujours m’étendre comme je le voudrais sur certaines séquences. Je suis très attentif aussi à garder un certain rythme tout au long des albums et de la série.
L’apparence de Benvenuto Gesufal s’est-elle d’emblée imposée ou est-elle passée par différents stades avant d’être celle que l’on sait ?
Oui, chaque personnage s’est à peu près imposé de lui-même.
Sauf peut-être le Podestat qui m’a posé certaines difficultés. Il est décrit comme étant de corpulence et d’apparence très banale, mais qui dégage une aura charismatique. C’est évidemment impossible à faire en dessin. J’ai donc dû forcer un peu le trait au niveau du visage et des cadrages pour que ce charisme soit apparent dans chaque case où on le voit.
Peux-tu nous parler des décors foisonnants qui servent de cadre au récit… Quelles furent tes principales sources d’inspiration?
J’ai fait énormément de recherches sur internet, mais je me suis aussi beaucoup servi de photos que j’ai prises durant mes voyages. Et j’ai complété le tout avec des livres d’architecture sur la renaissance et des films. Cela m’a pris plusieurs mois pour compiler et classer tout ça.
Mais comme notre héros va beaucoup voyager et que l’univers de Jean-Philippe Jaworski est très riche, c’est un travail qu’il faut renouveler pour chaque album.
Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce personnage fascinant?
Principalement le fait qu’il soit un anti-héros, mais aussi sa vision cynique du monde qui le rend à la fois drôle et détestable. Ce n’est définitivement pas à un personnage unidimensionnel, tout comme la majorité des personnages créés par Jean-Philippe.
Du synopsis à l’album finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation de l’album?
Il y a d’abord un découpage des séquences du roman. Je résume chaque séquence en une ou deux phrases. J’y attribue alors un certain nombre de pages en fonction du rythme du roman, mais aussi en fonction du rythme de la BD à venir.
Ensuite j’écris le scénario et je réalise un story board très basique, qui à pour seule vocation de lire le scénario avec la pagination définitive de l’album. Pour ce tome 1, il y a eu 3 versions consécutives du story board afin de régler la lisibilité et les détails importants.
Puis je passe au crayonné, durant lequel je retravaille chaque séquence et dialogue en détail.
Et finalement viennent l’encrage et la couleur.
Quelle étape te procure le plus de plaisir?
Le scénario et le travail sur les dialogues pour la gymnastique de synthèse à la quelle je suis contraint, je trouve ça extrêmement créatif.
Et aussi le dessin des séquences « bavardes » car j’adore jouer avec les expressions des personnages.
Je suppose que tu travailles déjà à la suite? As-tu d’autres projets sur le grill (Jeux de rôle, jeux de société…)
Tout mon temps est consacré à Gagner la guerre.
J’ai des ébauches de projets dans mes carnets, mais comme j’ai tendance être paresseux, je n’en travaille qu’un à la fois.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Les groupes de musique « The devil and the almighty blues » et « Da Captain trips ».
En lecture, la fantasy burlesque de Terry Pratchett que je découvre seulement maintenant (oui, honte à moi, mais il n’est jamais trop tard). Et « Le batard de Kossigan » de Fabien Cerutti dont je viens de terminer le 4e et dernier tome.
La saison 1 de la série « Glow » qui, tant dans le fond que dans la forme, est du très beau travail. Sans prétention, et plein de qualités et d’intelligence.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non, ça m’a l’air bien complet.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…
un personnage de BD: Georges et Louis (oui, les deux à la fois) de « Georges et Louis romanciers » par Goossens
un personnage de roman: Adamsberg de Fred Vargas
un personnage de cinéma: Llewelyn Moss de « No country for old men »
une chanson: « Child in time » de Deep Purple
un instrument de musique: un synthé des années 70
un outil de dessinateur: le pinceau
un jeu de société: Blood Bowl
un modèle de société: pas d’idée précise, le plus simple, respectueux et proche de la nature qui soit. Les tribus traditionnelles à travers le monde fonctionnaient très bien avant qu’on vienne les emmerder.
une découverte scientifique: les prothèses intelligentes
une recette culinaire: la saltimbocca (dans la version améliorée par ma femme)
une pâtisserie: beurk !
une boisson: le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles
une ville: bof, un village plutôt. N’importe lequel qui soit agréable et bien situé.
une qualité: un peu de franchise
un défaut: trop de franchise
un monument: le manneken pis, qui est quand même la meilleure blague belge de portée international.
un proverbe: un tien vaut mieux que deux tu l’auras
Un dernier mot pour la postérité?
Sur ma tombe on pourra écrire : « ah ! je vous l’avais bien dit qu’il n’y avait rien de ce côté-ci ! »
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…
Merci à toi.