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Entretien avec Philippe Charlot
Interview accordée aux SdI en septembre 2018


Bonjour et merci de te (re)prêter au petit jeu de l’entretien…
Peux-tu te présenter en quelques mots?

Je m’appelle Philippe Charlot, je suis né à Nice par hasard, j’ai vécu ma jeunesse à Angers, ma vie d’adulte dans les Pyrénées et voyagé le plus possible, mais au final je me définis comme Breton, de par mon père… par nostalgie d’un ancrage..

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de scénariste?
Les deux grandes joies, c’est l’instant fragile ou un petit quelque chose te dit que tu tiens peut-être une idée et c’est aussi le moment fugace où le projet est accepté par ton éditeur… les difficultés c’est tout le reste. Ecrire, monter le dossier, le défendre, trouver un dessinateur, réaliser l’album…. Et le pire du pire : ce sont les résumés et les textes explicatifs qu’il faut faire pour les forces de vente, les quatrièmes de couv, les « Previously in… » (7 tomes du Train des Orphelins en 500 mots… horrible !). Une vie de forçat !

Dans quel état d’esprit étais-tu lors du bouclage du dernier album du Train des Orphelins qui racontait l’incroyable destin d’une bande d’orphelins déracinés dans l’Amérique des années 20?
Quand j’ai mis le mot Fin dans la dernière case du découpage… je n’arrivais pas à y croire. Nous venions de faire huit tomes. A l’heure actuelle, rares sont les éditeurs qui laissent un projet se développer ainsi sur le long terme, gloire à Grand Angle. C’est le personnage de Joey qui me manque le plus, j’y pense souvent. Je crois que je le remettrai dans une histoire, sous un autre nom et une autre apparence, mais pour moi ce sera ce vieux grognon de Joey.

storyboard de la planche 11 © Xavier Fourquemin / Philippe CharlotLe second tome du Cimetière des Innocents vient de paraître sur les étals, refermant le premier cycle des aventures de Jonas et Oriane dans un Paris déchiré par les guerres de religion… Comment a germée l’idée de cette nouvelle série?
Un peu comme toujours, de la réunion de deux envies : parler du Cimetière des Innocents qui me fascine depuis longtemps et imaginer le destin d’une recluse. J’ai lu un jour que certaines de ces dernières avaient été enfermées dans le fameux cimetière ( paf… grande joie… éphémère ;0)

En évoquant les recluses, on parle évidemment du rapport à la religion… l’époque a suivi naturellement, et ça nous a semblé un sujet de préoccupation assez actuel. L’avènement d’Henri IV (je vis à Pau), les guerres de religions, la place des femmes dans la société de la Renaissance, la pierre philosophale… plein de choses à raconter.

Peux-tu nous parler de ta fascination pour le Cimetière des Innocents?
Les premières traces remontent à l’an mil. Des siècles à y entasser les cadavres des malheureux flottants sous les ponts, pourrissants dans les ruelles, à l’Hôtel Dieu… et bien sûr les massacrés de la Saint Barthélemy dont les restes ont été récupérés sur les berges de la Seine avant d’être jeté dans les fosses communes. Avec le temps, le niveau du cimetière avait monté de deux mètres par rapport aux rues environnantes (dont la célèbre Rue de la Ferronerie où Ravaillac poignardera Henri IV quelques années plus tard). C’était l’un des seuls lieux de Paris éclairé la nuit, un chouette endroit pour venir compter fleurette ou faire un mauvais coup. On raconte qu’un corps s’y décomposait en quelques jours et pour accélérer le processus des greniers à cadavres avaient été construit au dessus des galeries entourant le cimetière. Le bon air de Paris achevait de consumer les restes. A la révolution, l’insalubrité y était telle ( pourtant ils n’étaient pas très chatouilleux sur le sujet en ces époques reculées, on peut donc imaginer ce que ça devait être), les caves des maisons environnantes éclatant sous la pression, il a été décidé de vider les lieux. Les monceaux d’ossements furent triés par catégories et installés joliment dans les catacombes, on peut encore aller les y admirer. Au-delà du macabre, ces témoins restent fascinants.

crayonné de la planche 42 © Xavier Fourquemin / Philippe CharlotL’écriture de l’histoire a-t-elle nécessité de longues recherches documentaires? Quel ouvrage conseillerais-tu aux lecteurs désireux d’en apprendre davantage sur ce fameux cimetière?
J’ai beaucoup lu, on trouve des tonnes de choses sur internet, des articles scientifiques, des chiffres, des gravures d’époque…

J’évite de lire de la fiction traitant du sujet sur lequel je travaille, par peur d’être impressionné par lune idée trop géniale. Par contre une fois fini, je ne me prive pas. Le cimetière est évoqué dans le « Je, François Villon » de Jean Teulé, il y parle aussi d’une recluse, mais le plus beau au niveau fictionnel et poétique c’est : « Du domaine des murmures » de Carole Martinez. Un bijou.

Travailler à nouveau avec Xavier Fourquemin s’est-il d’emblée imposé? Comment définirais-tu son style inimitable?
Nous travaillons bien avec Xavier, nous nous comprenons vite, et partageons la même vision sur bien des choses (même si Xavier ronchonne plus que moi, j’ai l’avantage de l’âge et de la sagesse donc, son tour viendra ;0). Après le très bon accueil public du TDO, nous voulions rebondir sur un autre projet.

Le style de Xavier : semi-réaliste, soigné, vif et expressif. Il fait des storyboards très poussés et digne de l’encrage de certains de ses collègues. Il a un grand sens de la narration, ne se laisse pas impressionner par son propre dessin et reste toujours au service de l’histoire. Un grand professionnel.

Il est vrai que les storyboard de Xavier sont absolument somptueux et plein de vie! Tout comme ses planche par ailleurs!
Oui, je lui demande parfois pourquoi il s’embête à faire des crayonnés et des encrages !;0)

storyboard de la planche 42 © Xavier Fourquemin / Philippe CharlotComment sont nés les différents personnages de l’histoire, Jonas et Oriane en tête? Construis-tu généralement les acteurs en amont du récit ou les deux se construisent-ils de concert?
En fait, ils se construisent un peu d’eux-mêmes. Une recluse pendant les guerres de religion, il lui faut un amoureux transi- Il y a plus d’amoureux transis que comblés, statistiquement, non ? - Dans un cimetière catholique, lui sera protestant, donc. Nous sommes dans un lieu de mort, le père aurait été tué pendant le massacre de la Saint Barthélemy, l’autre aurait fini à Montfaucon… petit à petit se construisent le passé des personnages, leur caractère, leurs faiblesses, leurs forces… et au bout d’un moment, ils prennent leur autonomie et ce sont eux qui m’indiquent alors le chemin à suivre.

A partir de quelle « matière » Xavier Fourquemin a-t-il créé ses personnages? Lui as-tu donné des instructions précises sur leur physionomie a-t-il eut carte blanche?
Je lui donne une description du caractère des personnages, ça aide à leur trouver un physique. Je lui fournis parfois des documents comme dans le cas du lansquenet. Xavier interprète tout ça à son idée.Il va passer énormément de temps avec ces personnages, il faut qu’il les aime.

Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène?
J’aime beaucoup le lansquenet, il s’est forgé sa propre morale et s’y tient envers et contre tous. C’est un drôle de mercenaire. Il se met au service de quelqu’un, quelque soit sa place dans la société, bon ou mauvais, juste pour voir ce qui va se passer, pour vivre de nouvelles aventures. Il ne demande qu’à être nourri en échange, mais malheur à son « employeur » quand il commence à s’ennuyer… J’aimerai bien reprendre ce personnage, un jour, en le changeant d’époque peut-être.

Comment s’est organisé le travail avec Xavier? Lui fournis-tu le scénario complet ou séquence par séquence?
Le scénario est écrit en amont, bien sûr. Après je fais un séquencier que Xavier lit, puis je fournis le découpage page à page par petits paquets de 8 / 10 planches, j’aime travailler ainsi, je suis plus réactif au dessin, à l’interprétation et aux propositions de Xavier. Il m’est arrivé parfois de fournir le découpage entier d’un album… je n’aime pas trop ça, j’ai l’impression de quitter le navire alors que l’on vient tout juste de sortir du port. Comme si j’avais fait le repérage et que le voyage, l’aventure, se faisait sans moi.

storyboard de la planche 48 © Xavier Fourquemin / Philippe CharlotDans quelle ambiance sonore travailles-tu généralement? Radio ? Musique de circonstance? Silence monacal?
Je suis musicien, c’est difficile pour moi de me concentrer s’il y a de la musique, je finis toujours par l’écouter et j’arrête alors de bosser, pire je prends ma guitare pour jouer… Alors, non ! Pas de musique ! Hélas !

Peux-tu nous parler de tes projets présents et à venir? Peut-on espérer un second cycle au Cimetière des Innocents?
Nous sommes en train de terminer le tome trois qui fera office de deuxième cycle et conclura l’histoire du Cimetière des Innocents. Nous laisserons là, Oriane et Jonas, en leur souhaitant bonne route.

Concernant les autres projets… je finis un one hot avec Stéphane Heurteau, ça devrait s’appeler : « L’Ultime épopée des Terre-Neuvas », la couverture pourrait représenter un grand-père, breton d’opérette, perdant tripes et boyaux par-dessus le bordage d’un bateau pour touristes… sous le regard stupéfait de son petit fils. …

Grégory Charlet nous mijote le tome deux des « Sœurs Fox », j’ai sur le feu un projet avec Miroslaw Urbaniak (dit Miras) qui se passera sur Ellis Island, je bosse aussi sur un scénario dans l’esprit de « Bourbon Street » et qui parlera de jazz dans les années 30, l’époque et le milieu me fascinent.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur?
Madmen (série), Hoagy Carmichael (musique), Albert Londres (littérature), le Paris Brest (patisserie)

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu aimerais néanmoins répondre?
Non, c’était très bien, merci !

Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé!
Le Korrigan