










Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite question liminaire : êtes-vous farou-chement opposé au tutoiement ?
Non, soyons fous!
Merci à vous... enfin à toi!
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, pas-sions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans?)
J’ai 40 ans et je vis près de la frontière Suisse ,mais je n’ai pas encore de compte là bas.
J'ai hésité entre des études musicales ou des études aux Beaux Arts, les deux branches étant hautement professionnalisantes (comme chacun sait) et offrant de très bon débou-chés (huhu).
J’ai eu mon diplôme des Beaux arts d'Epinal à la fin du siècle dernier et après quelques circonvolutions j'ai commencé à décrocher mes premiers contrats d’illustration pour divers supports et divers éditeurs, avant de travailler pour soleil sur quelques pages d'un album collectif (« Légendes de La table Ronde »).
Ensuite Jean Luc Istin m'a proposé de travailler sur la série ARAWN avec Ronan Le Breton au scénario, sur 6 tomes et presque 10 ans de vie.

Après une pause ou j'ai essentiellement réalisé des peintures pour des collec-tionneurs, nous avons mis en chantier le projet « Cathédrale des Abymes » avec Jean Luc au scénario.
Concernant mes « à côtés » beaucoup de voyages , avec une prédilection pour l’Irlande, l’Ecosse, l’Espagne/Portugal et surtout l’Egypte (et sa barrière de corail), où , avec ma compagne, nous passons beaucoup de temps.
Je joue de la guitare électrique depuis l'adolescence, dans diverses formations au fil du temps dont l’actuelle se nomme The Charles Ingalls (Stoner rock/metal).
Et j'essaie de garder du temps pour faire du sport, natation, plongée/snorkelling, et pas mal de randonnées (nous avons effectué les 1800 km du chemin de Compostelle). Quand tu as un travail sédentaire, c'est important si tu ne veux pas devenir une grosse paupiette...

Enfant, quel lecteur étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs de chevet et quels sont-ils aujourd’hui?
Comme tout le monde ou presque j'ai grandi en lisant Tintin e Astérix ,que j'adore tou-jours autant. A l' adolescence j'ai commencé à m’intéresser au comics/mangas.
Akira fut déterminant dans mon envie de faire de la Bande dessinée, ainsi que les oeuvres de A.Jodorowski.
En dehors de la BD,j'ai dévoré quasiment toute la production de Stephen King, Ken Fol-lett (les piliers de La terre) m'a beaucoup marqué également .
Dernièrement j'ai adoré « La Religion » de Tim Willocks.
Je lis peu de fantasy même si j'apprécie les romans d'Abercrombie (« Servir froid »)
« Gagner la Guerre » (de Jaworski) fut un grand moment de lecture.
Fut un temps où je lisais « Game of Thrones ».
Devenir dessinateur de BD, étais-ce un rêve de gosse? Un dessinateur ou un album en particulier vous ont-t-il donné envie de passer de l’autre côté de la bar-rière?
Comme tous les enfants je dessinais, sauf qu’a l’inverse de la plupart, je n’ai pas arrêté. Il était alors évident d’en faire mon métier , je n’avais pas d’autres plans de toutes fa-çons (à part peut être la musique).
Visuellement, on peut dire que les travaux de Frank Frazetta et de ses « héritiers » (Val-lejo, Bisley, Brom, etc…) ont achevé de me convaincre que là était ma voie.

Quelles sont les grandes joies et les grandes difficultés du mé-tier ?
Ma grande joie et de pouvoir vivre de ma passion, payer mes factures, partir en voyage etc... et ce grâce au dessin, c'est un vrai luxe.
Le fait de pouvoir travailler à la maison est également source de joie.
Mais cela peut s'avérer également difficile :
Quand on arrive à l'échéance d'un contrat, les choses se compliquent car il faut rendre l'album complet prêt à l'impression. Il s'agit de périodes délicates et stressantes.
Vous faites vos premières armes en compagnie des chevaliers de d’Arthur, dans les Légendes de la Table Ronde proposant plusieurs histoires courtes signées Ronan Le Breton et mises en images par de talentueux dessinateurs… Vous retrouvez le scénariste pour la formidable saga d’Arawn, personnage tiré des légendes… Comment l’avez-vous rencontré et qu’est ce qui vous a donné envie de travailler avec lui?
C'est Jean Luc Istin ,directeur de collection « Soleil Celtic » (entre autres) qui nous a mis en relation.
« Légendes ... » était un contrat de 5 pages, très court donc, et je ne pensais pas retra-vailler avec Ronan.
Mais Jean Luc m'a proposé le scénario écrit par Ronan pour Arawn, se disant que ca m’intéresserait.
Et j'ai effectivement adhéré au concept : il faut dire que ce projet à la « Conan sous am-phétamines » ne pouvait que me plaire, à ce moment-là.

Scénarisé par Jean-Luc Istin, les deux premiers tome de la Cathédrale des Abymes vient de paraître, nous entraînant dans un univers d’heroic-fantasy sanglant et violent… Pouvez-vous en quelques mots nous parler de la genèse de cette nouvelle série?
Aprés Arawn , j’ai eu besoin d'une pause (de bande dessinée) et j'ai vécu presque un an en ne faisant que des commandes de peintures pour des collectionneurs.
J’avais besoin d’un projet qui me remotive vraiment, et la tâche fut compliquée. On est parti (avec Jean-Luc) sur plusieurs pistes, de l'historique, du Post- Apo et même un pro-jet de Science Fiction... Merci à lui pour sa patience et son écoute, car j’ai eu bien du mal à me remettre en selle.
Je ne pensais pas refaire d'Heroic Fantasy.
Mais « Game of Thrones » est passé par là, relançant mon intérêt pour le genre.
Jean-Luc connaissant mon enthousiasme pour cette série, (ainsi que pour des romans tels que « Les Piliers de La Terre ») m’a proposé une première mouture de « La Cathe-drale des Abymes » (qui s 'appelait alors « … des Immortels »), et qui se présentait comme un mélange d'influences Heroic Fantasy et de contextes historiques variés, com-pilés dans un ensemble cohérent avec des élément originaux (la terre coupée en 2 (!!) Une héroïne templière, faire coexister des élément médiévaux, renaissance et antiques dans un même univers, etc...)
Après plusieurs versions, le projet est devenu ce qu’il est aujourd’hui. J’étais vraiment enthousiaste, mais le défi graphique était immense...
Je devais passer de l'univers d'Arawn,relativeemnt « simple » dans son approche vi-suelle, à la créations de civilisations gigantesque avec un background trés développé et étendu, et surtout des architectures, des cités, et des perspectives complexes.
Les premières pages ont été douloureuses, le temps de trouver mes marques, mais le jeu en valait la chandelle.

Concrètement, à partir de quels éléments a tu donnée vie à l’univers concocté par Jean-Luc Istin?
Les bases et références visuelles sont multiples. Je suis parti en premier lieux sur le de-sign des armures templières qu'il fallait recréer. Pour se faire je me suis basé sur les ar-mures du XVIème siècle, pour donner une cohérence avec les designs d'armures con-quistadores et sarrazines, elles meme transformées. L'idée etant de donner une unité visuelle et temporelle à l'ensemble de l'univers développé.
A partir de quelle « matière » crées tu l’apparence de tes personnages? Celle de Sinead s’est-elle rapidement imposée ou est-elle passée par différente phase pour revêtir celle qu’on lui connaît?
L'univers décrit est une sorte de XV/XVIeme siècle fantasmé. Donc la plupart des réfé-rences viennent de cette période même si la doc se base aussi sur le Haut et Bas Moyen âge .Un gros travail de documentations est nécessaire, en amont, pour donner le plus de crédit possible aux visuels, aussi fantaisistes et baroques soient ils !
Pour Sinead, il y avait une évidence quant à son apparence physique, je l'ai imaginée comme une lointaine descendante de Siamh (issue de Arawn). Semblable et différente.
Elle représentait le pont entre Arawn et La Cathédrale... Le lien entre les 2 séries s'arrê-tant là. Malgré tout , son apparence actuelle (physique et costumes)est passée par plu-sieurs versions préalables.

Du synopsis à la planche finalisée, quelles ont été les principales étapes de la réalisation de l’album? Comment s’est organisé ton travail avec Jean-Luc Istin cette série?
On travaille toujours de la même manière :
Jean Luc m'envoie les pages découpées avec descriptions et dialogues.
Je lui envoie les storyboards qu'il valide (ou pas) et j'enchaine sur les pages en grands formats, crayonnés, encrages et peintures.
Quelle étape te procure le plus de plaisir ?
Aujourd'hui je dirais que c'est l'étape du storyboard : il y a une magie à mettre en images, meme abstraites , l'histoire imaginée par le scénariste.
Je n'aurais pas imaginé dire cela un jour, d'autant c'était plutôt une contrainte à mes dé-but, je dirais même que c’était ce que je détestait le plus...mais toutes les étapes ont leur attraits quoique j'aimerais me passer de l'encrage, que je ne faisais pas avant sur Arawn, mais force est de constater que tu gagne en précision et lisibilité.
Et une chose que j'adore peindre ce sont les scènes de neiges. Comme je vis en altitude (dans le haut Doubs, vers la Suisse) les paysages sauvages deviennent fantastiques en hiver, dignes des décors de Skyrim. Sur ces ambiances-là, je suis assez véloce et effi-cace, vivant dans cet environnement là une bonne partie de l'année.
les étapes de la réalisation d’une planche
Etape 1: Le storyboard

Bon ce n'est pas le meilleur storyboard que j'ai pu faire, mais il a le mérite d'être encore présent dans mon ordi.
Ici plusieurs idées de compositions.
Il s'agit d'une des premières pages de Cathédrale, et je tâtonnais encore pas mal.
Aujourd’hui les compositions sortent plus naturellement et plus efficacement.
L'un des avantages à travailler avec Jean Luc Istin c'est qu'il est lui-même dessinateur, donc il a une capacité d'abstraction, et il est capable de se rendre compte du résultat que peut donner une compo, aussi abstraite et brouillonne soit elle.
Etape 2 : Le crayonné, ou j'essaie d'être le plus précis possible.

Plus la structure est solide et moins j'aurai de difficultés au moment de passer à la pein-ture, comme pour une architecture.
Etape 3 : L’encrage
Je n'ai pas scanné cette étape, mais elle est nécessaire pour pousser encore la précision des dessins.
Ce n'est pas une étape qui m'enchante, d'autant que tout est recouvert par la peinture, mais l’expérience m'a appris que c'est une étape nécessaire pour consolider la structure de l'ensemble.
Etape 4 : La peinture

L'étape la plus fun mais aussi la plus stressante. (c'est pour ca que l'étape des storyboards reste mon étape préférée: il n'y a pas de risque d'échec (ou peu) puisqu'il ne s'agit que d'ébauches. Les enjeux sont alors minimes.)
Tout le travail réalisé en amont peut s'écrouler si l'application de la peinture n'est pas méthodique et mûrement réfléchie.
C'est comme une bataille où il faut mettre en place une stratégie.
Il y a toujours un temps de réflexion plus ou moins long avant de poser les premières touches. C'est un jeu d'équilibriste et cette mise en danger peut faire peur et demande beaucoup d'énergie et de concentration.
Je travaille chaque image séparément comme une illustration à part entière. Les formats sont grands pour plus d'aisance pour travailler les détails. Les plus grandes cases dépassent les 76X60cm.
Une page complète montée fait presque 2 mètres de longueur.
Chaque case est ensuite scannée est mise en page numériquement. Ne reste plus qu'à mettre les dialogues.
Cette méthode peut paraître laborieuse mais le temps et l'expérience aidant, je gagne en efficacité et une page me prends plus ou moins 4 jours à réaliser.

C’est absolument somptueux en tous cas… Deux mètres de haut… ça laisse songeur en tous cas…
En combien d’album la série est-elle prévue ?
4, normalement.
As-tu déjà d’autres projets en ligne de mire?
Des idées mais rien de vraiment précis.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur (BD, romans, jeux vidéo, jeux société…)?
En série j'ai adoré Maniac et Babylon Berlin.
J'ai également fini par voir la premiere saison de True Detective qui malgré les travers de HBO, est magnifique.
Et en roman le dernier Abercrombie (La mer éclatée).
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Là tout de suite je vois pas...
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD : Lobo
un personnage de roman: Le poulpe
un personnage de cinéma: La denrée (ou alors Han Solo mais pas très original)
une chanson: Ace of Spades
un instrument de musique: une guitare électrique avec un gros son
un outil de dessinateur: Un crayon mécanique a mine de 2mm
un jeu de société: Hero Quest
une découverte scientifique: Le pourquoi dans The Walking Dead (ou alors la découverte d'une énergie propre et pérenne et gratuite pour tous les peuples de la terre)
une recette culinaire: Le Poulet Coco
une pâtisserie: Le fondant au choclat (C'est bon ça!)
une boisson: La biere
une ville: Bruxelles (pour les bières)
une qualité: Il yen a trop pour n'en citer qu'une !!
un défaut: pas assez !!
un monument: Les temples de Louxor
un proverbe: « Qui mange une noix de coco fais confiance à son anus »
Un dernier mot pour la postérité?
Chaise.
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé…
Merci à toi !
