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Entretien avec Stéphane Betbeder
Interview accordé aux SdI en mai 2019


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots en nous disant quel type de lecteur vous étiez enfant et quels étaient vos auteurs de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ? A quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la BD. il se raconte même qu’enfant (j’avais à peine trois ans), j’aurais dit à un docteur, qui me demandait ce que je voulais faire plus tard, et qui s’attendait certainement à la réponse classique : pompier, vétérinaire ou cosmonaute : dessinateur de BD.

C’était comme qui dirait une vocation, même si je ne l’ai pas scrupuleusement réalisée, puisque je ne fais qu’écrire les histoires & ne suis qu’un moignon d’auteur. Je ne désespère pas un jour de dessiner, je peux me targuer d’avoir un bon œil ; maintenant, ma main a du mal à reproduire ou interpréter ce que mon œil voit, encore moins ce qu’il a vu. J’admire la capacité des dessinateurs qu’ils ont de dessiner ex nihilo, par la seule force de la volonté, des souvenirs ou de l’interprétation qu’ils ont de la réalité en 3D devant eux.

Un dessin qui m’a aidé à imaginer la préciosité de l’oncle.Gamin, j’étais abonné au journal Tintin. Il arrivait le mercredi, j’attendais le facteur chez mes grands-parents, il venait le livrer là-bas. Le même jour, le livreur de boissons amenait la limonade Ogeu. Et j’ai le souvenir prégnant de lire Thorgal, Tetfol, les Clins d’œil d’Ernst, Papillon, Jugurtha, Rork etc… tout en sirotant ma limonade orange préférée et en faisant des rots sonores. J’avais à l’époque une préférence pour les dessins dits réalistes qui m’impressionnaient par la vigueur de leur trait, la précision de leurs visages, la justesse de leurs attitudes. Et j’appréciais particulièrement les histoires fantastiques.

J’ai fait les beaux-arts d’Angoulême pour suivre cette vocation, mais le dessin m’ayant paru fastidieux, j’ai abandonné peu à peu l’idée de m’y mettre. C’est par les contacts et les amitiés que j’ai tissés lors de ces années de formation que j’ai pu entrer dans le métier.

En janvier 2018, à Nantes, des auteurs de BD ont manifesté Place Royale pour alerter contre la précarisation du métier. Y étiez-vous ?
Oui, en effet ; mais ce n’est pas le combat qui me préoccupe le plus aujourd’hui. Malgré les grignotages intolérables de nos revenus pour remplir les caisses mal gérées de l’état mal dirigé, je me considère encore comme un privilégié, certains dans notre métier n’ont pas cette chance, certes, mais honnêtement, je suis plus choqué par la façon dont les gouvernements traitent les migrants, chômeurs en fin de droits, SDF, retraités touchant le minimum retraite, handicapés etc… Eux n’ont pas seulement du mal à joindre les deux bouts, ils sont en mode survie. Et certains laissés pour compte meurent parce que l’état ne sait / ne veut plus redistribuer ses recettes aux plus démunis. Voilà vraiment ce qui me révolte profondément.

Quelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définiriez-vous le métier de scénariste ?
Je me considère comme un raconteur d’histoire.
Ce que je fais dans la joie : trouver un nouveau concept, mettre le point final à un séquencier, suivre les personnages dans l’univers que j’ai créé & les laisser diriger l’intrigue.
Ce que je fais dans la douleur :
Commencer une histoire, trouver les enchainements, les enjeux, la morale. Trouver la petite musique qui fait que tout va s’enchainer et couler de source. Avant il faut faire ses gammes, jouer faux & sans passion, et c’est toujours douloureux, long, démoralisant.
Ce qui m’enrage :
Quand j’ai l’impression d’avoir une bonne idée et que le projet se fait bouler par mon éditeur.
Ce qui m’attriste :
Qu’un bouquin dont je suis fier ne trouve pas son chemin jusqu’au lecteur et reste perdu au milieu de l’offre pléthorique en librairie.
Un visage qui a beaucoup de présence & de vie. Il m’a inspiré pour visualiser Isabelle jeune, même si son interprétation graphique par Djief ne lui ressemble pas.
En exergue au tome 1 des Liaisons dangereuses préliminaires, vous racontez que c’est l’agent de John M(alkovitch ) qui vous a commandé l’adaptation en Bd du roman de Laclos. Alors genèse fantasmée ou réelle ? Et comment êtes-vous passé de la simple adaptation au préquel ?
Ben non, ce n’est pas fantasmé. L’agent de John M m’avait bien proposé d’écrire une adaptation en BD. Je séchais totalement, j’ai eu l’idée de faire un pas de côté et de proposer la jeunesse des deux personnages principaux. J’en ai parlé à une amie qui m’a donné les prémisses de cette histoire et ceci m’a permis d’écrire la première mouture. A l’époque ça s’appelait « les nouvelles liaisons dangereuses », je m’étais inspiré du titre de Rousseau « la nouvelle Héloïse ». Djief n’aimait pas ce titre car il pouvait laisser croire à une suite, pas à une préquelle. Je me suis laissé convaincre. Pourtant, je le regrette, je le trouvais plus simple et plus impactant.
Pour revenir à John M, son agent n’arrivait pas à lui faire lire ce que j’avais écrit, je m’impatientais, et en plus j’avais cru comprendre que cette co écriture serait en fait un travail de ghost writer (je n’aime pas le mot « nègre », hérité de notre culture coloniale certainement), je n’ai jamais eu la preuve absolue qu’il en aurait été ainsi, mais ça a participé au fait que je jette l’éponge. Puis, des années plus tard, je reparle de ce projet autour d’une bière à mon éditeur de chez Glénat à Angoulême et il dit bingo !

Une poupée du 17ème siècle qui symbolise Isabelle dans sa rage de voir Valmont lui échapper entre les doigts.Djief et vous semblez partager de nombreux points communs : vous avez tous deux travaillé sur les mythes (Inlandsis et Le Crépuscule des dieux), l’anticipation et la science-fiction (2021, White crows), des bds historiques (l’Apache et la cocotte, Broadway). Est-il arrivé tout de suite sur le projet ?
Franck Marguin me proposait plusieurs dessinateurs que je ne jugeais pas assez bons pour relever ce challenge. Et nous avons pensé à Djief simultanément, puisqu’il avait déjà bossé avec Glénat. De mon côté, j’avais vu son travail sur Broadway peu avant, j’avais trouvé dans son dessin une sensibilité, une subtilité & une grâce qui me semblaient bien correspondre au projet. Je l’ai contacté via son site, il était intéressé par le projet, mais il avait un album à faire pour Soleil, j’ai donc attendu qu’il soit libre. D’ailleurs, une anecdote pour donner un aperçu des gens qui bossent dans ce métier, le directeur de collection qui l’avait engagé pour son bouquin chez Soleil m’avait reproché de lui avoir « piqué » Djief. Puis, il avait intercédé par la suite pour le débaucher de la série qu’on faisait ensemble après le tome 1, au mépris de toute éthique professionnelle. Comme si Djief n’était pas assez grand pour décider de ses projets et de la suite qu’il comptait donner à sa carrière. Ce sentiment d’appartenance de certains scénaristes / éditeurs m’a toujours surpris, et révèle que les petits jeux de pouvoir et de manipulation insidieuse existent aussi dans notre chère activité.

Nantes est un véritable vivier de dessinateurs et scénaristes de bande dessinée (Gwen de Bonneval, Cyril Pedrosa, Fabien Velhmann, Eric Sagot, Hervé Tanquerelle, etc …). Vous avez également la chance d’avoir un lieu de rencontre, la maison Fumetti ; est-ce que vous vous retrouvez parfois entre vous pour échanger ?
Non, je ne prends pas le temps de le faire. J’ai bêtement du mal à mêler mon activité au lieu où je vis. Même si je me souviens d’un voyage en train entre saint Malo et Nantes avec Gwen de Bonneval, Eric Sagot et Raphael Beuchot très agréable, où nous avions bien ri, parlé de choses passionnantes sans temps mort jusqu’à Nantes. Je devrais peut-être revoir mes principes débiles.


Pour certaines scènes de réception, j’imaginais des personnages écrasés dans un décor imposant, aux hauts murs ornementés.Dans le même registre, pouvez-vous nous dire si la résidence de deux mois en France de Djief l’an passé au Lieu Unique a changé votre manière de travailler avec lui ? Est-ce que cela vous a permis d’initier de nouveau projets ?
Oui, ce fut une opportunité et une aubaine. On a pu confronter nos points de vue, faire des tempêtes de cerveaux sur notre nouvelle série Créatures à paraitre en 2020 chez Dupuis. Et nous avons fait bouger les lignes, ainsi aujourd’hui je me permets de faire des remarques ou de proposer des idées sur ses planches, comme il se permet de faire des remarques ou de proposer des idées sur mon scénario. Je ne suis pas certain qu’on se serait permis d’être aussi intrusifs si on n’avait pas eu ces longs moments à travailler de visu. Et je suis convaincu que Créatures sera une meilleure série que si nous avions travaillé par mails interposés, avec nos 6000 kms de distance et nos 5 heures de décalage horaire. Comme je dis souvent, deux cerveaux valent mieux qu’un. Quatre yeux que deux.

Pour en revenir aux Liaison dangereuses préliminaires, Vous rendiez-vous compte que vous vous attaquiez à un monument national ? Etait-ce facile à gérer ? En effet, si peu de gens ont effectivement lu le roman de Laclos, un grand nombre de lecteurs ont vu les différentes adaptations cinématographiques ; est-ce difficile de s’en détacher ?
Oui bien entendu, j’en avais conscience. Et c’est l’idée de relever ce défi qui m’excitait. Ce n’est pas difficile de s’en détacher, puisque le concept permettait d’adopter un point de vue inédit et original. Au contraire, j’ai l’impression que ces œuvres postérieures à Laclos venaient nourrir notre projet.

Quelle adaptation préférez-vous ? Dangerous Liaisons de Frears ? Valmont de Forman ? Les liaisons dangereuses 1960 de Vadim, Sex intentions de Kumble?
J’ai été très marqué par la version de Frears qui est vraiment brillante, mais j’ai une affection particulière pour le Valmont de Forman, cette version est imparfaite mais a le mérite de proposer une nouvelle interprétation du drame, là où celle de Frears suit scrupuleusement les péripéties du roman de Laclos.

La maestra de Fragonard pour la frivolité, l’innocence & le badinage dans des décors bucoliques, a certainement inspiré la scène de la forêt entre Valmont et sa cousine dans le tome 1. On retrouve dans les deux tomes parus la thématique chère à Laclos du masque et de la dissimulation à travers les bals masqués, les somptueuses doubles pages sur le théâtre d’ombres chinoises et, bien sûr, le traité de physiognomonie de Lebrun. Comment vous est venue l’idée (absente du roman) d’utiliser cette théorie du XVIIeme ?
Quand j’écris, je fais énormément de recherche. Cette partie souterraine qui pose les soubassements du récit à venir est capitale et c’est lors de mes différentes lectures que je suis tombé sur le traité de physiognomonie de Lebrun. J’ai aussitôt su que j’allais en faire un élément central du récit, il était à même de former son ossature, c’était visuel, ça disait quelque chose de l’époque & ca permettait de s’immerger dans le récit en lui donnant une couleur particulière.

Le tome II reprend en l’amplifiant la fameuse lettre 81 du roman épistolaire dans laquelle Mme de Merteuil explique à Valmont comment elle est devenue celle qu’elle est. On a pu dire que c’était un texte féministe. Est-ce ainsi que vous l’interprétez ?
Féministe pour l’époque, peut-être. Progressiste – Je n’aime pas ce mot, mais je n’en trouve pas de meilleur -certainement.

Aujourd’hui, le combat pour l’égalité des sexes prend d’autres formes et le féminisme défendu par Laclos peut paraître aujourd’hui rétrograde, voire encore empreint de machisme.

Le fameux salon de madame Geoffrin, où les plus illustres figures des Lumières se pressaient pour débattre de la place de l’homme – et de la femme – dans l’univers.Vos deux albums me paraissent également féministes : si le premier tome est consacré à Valmont, c’est finalement la comtesse de Senanges qui emporte l’intérêt du lecteur. Quant au tome II, il illustre et développe la fameuse lettre 81. Vous y ajoutez une confrontation imaginaire entre Isabelle de Merteuil et les trois principaux philosophes des lumières qui tourne à l’avantage de cette dernière…
Oui, cette scène à laquelle vous faites allusion m’a demandé énormément de boulot et j’ai bien cru que je n’arriverai pas à l’écrire. Elle est en effet centrale et permet de montrer une Isabelle de Merteuil capable de ferrailler avec les plus grands penseurs de l’époque et de les mettre KO.
Une anecdote qui me fait relativiser le féminisme prétendu de ces deux albums, une amie septuagénaire, très féministe et engagée, m’a dit ne pas avoir apprécié ce tome 2 car elle sentait qu’il avait été écrit par un homme et qu’il ne révélait pas assez selon elle le combat de De Merteuil pour son individuation, sa libération de la domination masculine. Elle n’y a vu que l’interprétation d’un homme qui essaie d’incarner le combat d’une femme avec ses préoccupations d’homme. Ca m’a fait relativiser et m’a questionné.
Ça me dérange toujours qu’un homme se dise féministe, on peut être sympathisant, soutien, mais on ne peut comprendre un combat que si on est physiquement impliqué. Selon moi, c’est valable pour tout.

Je digresse. Disons que j’essaie d’apporter ma modeste contribution, par le filtre de mon interprétation masculine (je fais avec ce que je suis) à un combat que je trouve indispensable et que je soutiens sans réserve.

Olympe de Gouges vous a-t-elle également servi à nourrir le personnage d’Isabelle ?
Non, car je ne l’ai jamais lue.

Une maison de poupées hollandaise du 15ème siècle, objet central de la partie consacrée au père d’Isabelle dans le tome 2 des Liaisons.Dans le tome II, Isabelle consacre une de ses lettres à son père qui n’apparait jamais dans le roman (seule sa mère y est évoquée ) et cela donne de très belles pages « métaphoriques » avec la maison de poupée sur l’éducation des jeunes filles à l’époque. Quant à Adélaïde dans le tome 1, elle semble reprendre le personnage de Cécile de Volanges et servir à dénoncer l’éducation au couvent. Thème cher à Laclos. Aviez-vous lu son Traité sur l’éducation des femmes ?
Oui bien sûr, et j’ai le vague souvenir d’avoir repris certains de ses arguments dans des répliques mises dans la bouche d’Isabelle de Merteuil ou de la Comtesse de Senanges. Ce qui est surprenant quand on picore dans des dizaines de documents des réflexions, des expressions, des démonstrations, des phrases entières, on ne sait plus à qui on l’a piqué, on se demande même si on n’en serait pas l’auteur. La schizophrénie du scénariste dans toute sa splendeur !

En développant également le personnage du mari et en créant celui de l’oncle mentor ainsi qu’en découpant le tome II en chapitres titrés comme un livre de morale (paradoxale !) vous restituez bien le côté libertin et le « catéchisme de la débauche » de l’œuvre source. Quelles ont été vos sources documentaires et iconographiques ?
En regardant dans ma bibliothèque au rayon « liaisons dangereuses » je vois les œuvres de Crébillon, les égarements du cœur et de l’esprit ; les lettres de madame de Sévigné ; Les Maximes et pensées de Chamfort ; Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau ; Point de Lendemain de Vivant Denon. Mais aussi en vrac des lettres de Beaumarchais, Rilke, Voltaire, marquise de Deffand etc… etc…

Peintures rococo & kitsch qui a servi à concocter certains décors traversés par les personnages, ou habits de lumière dont ils se vêtent. Je croise quelques titres parcourus lors de l’écriture de ces 3 tomes (le prochain devrait paraitre sous peu), et qui sont tout un poème. Par exemple : « les Femmes, leur condition et leur influence dans l’ordre social chez différents peuples anciens & modernes » par le Vicomte J.A. De Ségur ; « Essai sur le caractère, les mœurs et l’esprit des femmes dans les différents siècles » par M. Thomas de l’académie française.
Un petit dernier pour la route ?
« De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral, où l’on voit l’importance de se défaire des préjugés » par François Poullain de la Barre.
On ne s’en lasse pas !

Pour les sources iconographiques, j’ai inondé Djief (ca me fait bizarre de l’appeler par son pseudo, je le nomme par son vrai prénom : Jean François ) de visuels, dont beaucoup d’œuvres rococo italiennes, françaises et espagnoles de la fin du 19ème début du 20 ème, d’artistes qui fantasmaient un 18ème siècle coloré, foisonnant & précieux. Leurs interprétations de ce 18ème siècle a nourri la direction artistique de la série, surtout du Tome 2, dans ces choix colorés et dans le faste des décors, vêtements, un peu comme ce fut le cas pour le Marie Antoinette de Sofia Coppola.


Pour les scènes bucoliques & sexy, sans conteste : Fragonard.

Et vraiment beaucoup, beaucoup de peintures du 18ème siècle sont venues enrichir les scènes, pour nous permettre de visualiser Paris en 1750, comment était meublé un boudoir, quelles étaient les toilettes à la mode etc … etc…


Des fois le scénariste a recours à des schémas pour permettre de visualiser la mise en scène d’une scène. Ici isabelle et sa mère dans les appartements du comte qu’elles occupent.  Le tome I a bénéficié d’une édition de luxe aux Sculpteurs de Bulles dans laquelle on trouve en bonus une dizaine de lettres échangées par les personnages. On retrouve ainsi la structure épistolaire du roman originel. Pourquoi ne pas les avoir insérées dans l’édition courante ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que réservera le tirage de tête du tome II ?

Tout simplement parce que ces lettres ont été écrites APRES l’édition courante et qu’on voulait vraiment créer, avec Benoît Prieur des Sculpteurs de Bulles, un concept qui venait enrichir et prolonger le récit.

Et c’est avec plaisir que je vous « spoile » ici le prochain complément du tirage de luxe, car je viens juste de le terminer, ça a été un travail long et fastidieux, mais je pense que ça en vaut la chandelle : au livre sera joint un carnet format à l’italienne de 32 pages qui contiendra le carnet secret d’Isabelle de Merteuil et qui narrera les secrets inavouables des personnages principaux de ce tome 2 sous la forme d’un récit licencieux à la première personne. Il sera agrémenté de dessins coquins concoctés par Djief. Ce qui y sera raconté est issu de scènes s’étant déroulées entre les scènes de l’album.

Pour respecter la tonalité du roman de Laclos, il n’y a pas ou très peu de scènes de cul dans l’édition courante ; pour ce second tome de l’édition de luxe, nous rendons hommage aux romans libertins, « licencieux » disait-on jadis, qui fleurissaient à l’époque. On pense bien sûr à Sade, mais des auteurs comme Mirabeau s’y sont aussi collés. Et le moins que l’on puisse dire est que ça ne manque pas d’esprit, de vice et de perversion assumés.

Elle, de Gustav-Adolf Mossa, peint en 1905. Ce tableau m’a donné l’idée des scènes dites « oniriques » d’Isabelle géante jouant avec des hommes miniatures. L’intrigue étant contemporaine du Gulliver de Swift, jouer avec ces rapports d’échelle métaphoriques s’imposait. Après la création des récits originaux ou des participations à des séries concepts vous venez de vous livrer coup sur coup à deux adaptations : Les Liaisons (même s’il s’agit d’un préquel, on a vu qu’il y avait tout de même une cohérence avec l’œuvre source à respecter !) et Mémoires d’un paysan bas-breton. Quel exercice préférez-vous et pourquoi ?

J’aimais bien l’idée d’investir et de s’approprier, ou plutôt de se projeter dans une autre vie que la sienne. Et se projeter dans un autre univers, une autre façon de penser et de concevoir le monde, a quelque chose de rafraichissant, voire de grisant.

Ceci dit, maintenant que j’ai vécu des expériences originales et que j’ai bien évolué dans ma façon de penser depuis maintenant deux trois ans, j’ai hâte à me remettre à la fiction, qui n’est qu’une autre façon de projeter un vécu en lui donnant une forme.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos projets présents et à venir et plus particulièrement sur votre prochain album?
Chaque nouveau projet d’écriture représente un défi dans lequel je m’impose d’aborder un genre différent. Je sais que certains auteurs préfèrent se cantonner à un genre en particulier, pour ma part, j’aime bien arpenter de nouveaux domaines.

Le prochain qui me tient vraiment à cœur aujourd’hui est la nouvelle série réalisée avec Djief, Créatures qui paraitra aux éditions Dupuis. C’est la première fois que je conçois une série jeunesse et je me suis tellement amusé à l’écrire que je pense investir une nouvelle fois ce segment éditorial. Quoi de plus stimulant pour un auteur de BD, finalement, que de s’adresser à un jeune lectorat et lui faire part de ce qu’on a compris de ce monde dans lequel ils arrivent, ingénus. Car je crois en l’utilité de ‘l’art’, dans son sens le plus large, pour partager une vision originale et pour permettre d’appréhender notre quotidien, notre environnement différemment. Certaines œuvres ont eu ce pouvoir sur moi, j’espère qu’un jour certaines de celles que j’aurai écrites auront-elles aussi ce pouvoir sur de jeunes lecteurs.

Créatures a cette ambition, mais est avant tout un grand récit d’aventure, avec une bonne dose d’humour, qui suit un petit groupe d’enfants soumis à eux-mêmes, dans un univers qu’on pourrait qualifier de post apo, mais qui est davantage que cela…
Créatures, planche 9 du T1 qui en fera 70 © Dupuis / Djief / Betbeder
Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur?
J’ai de plus en plus de mal avec la fiction en tant que lecteur ou spectateur, je trouve qu’aujourd’hui on vit une époque passionnante, bien qu’anxiogène, où la réalité est plus riche que la fiction. Je lis beaucoup d’essais, d’articles, d’études, de bouquins théoriques, politiques, ou écoute beaucoup d’émissions radio ou web, ce qui ne me laisse que trop peu de temps pour les récits des autres.
Ceci dit récemment, j’ai été très touché par la grâce et impressionné par la maitrise du film Cold War.
En musique, le dernier album d’Altin Gun, ces reprises de pop disco 70’s turque m’enchantent à chaque écoute et il tourne en boucle sur mes platines.

Et j’ai découvert récemment un documentaire de Herzog qui s’appelle Gashernum, la montagne lumineuse. Sur l’ascension sans oxygène de deux sommets à plus de 8000 m de deux alpinistes. Magnifique, stronger than life & bouleversant.
Et un essai lucide à ne pas mettre entre toutes les mains, ou alors en connaissance de cause : Ne plus Se mentir de Jean-Marc Gancille.

Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si vous étiez …
« L’oiseau mort » de Jean-Baptiste Greuze. Est une allégorie de la perte de virginité. Cette toile est au musée des beaux arts de Nantes, où je vis. Et je n’ai pu m’empêcher de la placer dans la scène de la défloration d’Isabelle par son époux le Marquis de Merteuil.
un personnage de BD : Je ne me retrouve dans aucun. Disons que je suis à la croisée de tous les personnages que j’ai créés. Bon, je sais que je ne réponds pas à la question. Alors si je me laisse prendre au jeu et sans réfléchir : je dis Rantanplan et je dis Jonathan (je me rêve en aventurier grand voyageur).
un personnage de roman: Siddharta.
un personnage de cinéma: Donnie Darko.
une chanson: God only knows.
une découverte scientifique: La roue.
une recette culinaire: Le mafé végétarien aux carottes et PST (ce que je cuisine au moment où j’écris).
une boisson:Jus d’ananas frais (à siroter en Asie du sud par 35 degrés à l’ombre).
une ville: Istanbul.

Quel(le) est votre principale qualité
La droiture.

votre principal défaut
La droiture.

votre devise
« S’il y a une solution à ton problème, ça ne sert à rien de t’inquiéter ; s’il n’y a pas de solution à ton problème, ça ne sert à rien de t’inquiéter. »

Merci encore une fois d’avoir pris le temps de nous répondre ! Nous attendons avec impatience la conclusion de ce passionnant triptyque et la confrontation des deux héros !
Merci à vous et rendez-vous est pris pour le dernier tome de la série !



: Commentaire de Djief à S. Betbder après avoir lu cet entretien :

"En passant, Djief est plus qu’un simple pseudo dans mon cas car tout mes amis m’appellent Djief depuis la petite école. Il n’y a que mes parents et ma famille qui m’appellent Jean-François… et toi. "

bd.otaku