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Entretien avec Fabrice Linck
interview accordée aux SdI en juillet 2019


Bonjour et merci de te (re)prêter au petit jeu de l’entretien…
Bonjour et merci à toi...

Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Je suis graphiste et scénariste et, à l'occasion, j'adapte des dialogues de bandes dessinées traduites en français. Je suis un libraire repenti, j'ai donc eu la chance de travailler sur une bonne partie du circuit du livre. Je n'ai pas de relation privilégiée avec un quelconque paradis fiscal, je suis passionné de sport (même si je n'en pratique quasiment plus), de polars en tout genre, de BD et j'ai toujours une fâcheuse tendance à rentrer tard des rares apéros auxquels je participe encore.

Enfant, quel lecteur de BD étais-tu ? Quels étaient alors tes auteurs favoris et quels sont-ils aujourd’hui ?
Gamin, j'ai rêvé être le 6eme membre du Club des Cinq, le 7eme des Six Compagnons et les 8eme du Clan des Sept (bibliothèque rose et verte). Et puis j'ai décidé qu'il fallait arrêter les bêtises : je me suis mis à lire de la BD. J'ai commencé par les classiques de mon époque : Tintin, Gaston Lagaffe, Astérix... En kiosque, je ne loupais jamais les revues En piste, qui regroupaient des séries dans le monde du sport. Je dévorais notamment les aventures de Trois Pommes (un petit footballeur surdoué), sous le regard éberlué de mon frangin, grand lecteur de Strange. Ado, j'ai pris une grande claque à la lecture de La Quête de l'Oiseau du Temps et du Grand Pouvoir du Chninkel et aujourd'hui, je lis un peu de tout en BD, des romans policiers et le magazine So Foot.

Puzzler, Work in Progress © David Soyeur / Fabrice LinckA quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Je ne sais pas si on peut parler de parcours du combattant, mais ce qui est sûr, c'est qu'il m'a fallu patience et persévérance. Il est clair que le fait d'avoir une activité de graphiste m'a permis d'avoir le temps d'atteindre certains de mes buts.

J'ai toujours écrit des histoires, mais je n'avais jamais clairement formulé mon envie de devenir scénariste. C'est venu naturellement, petit à petit...

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier de scénariste? Comment définiriez-vous ce métier?
Ma grande joie de scénariste BD, c'est de voir un personnage, une case, une scène, un album se matérialiser de la main du dessinateur, conformément ou pas, à ce que j'ai écrit. Ça peut paraître bateau, mais je crois que, quand on a toujours été une buse en dessin, comme moi, il y a une véritable fascination à voir ce que certains sont capables de faire à partir des mots qu'on a aligné sur une page.

J'ai l'impression que scénariste bd reste un métier un peu obscur dont le grand public a du mal à définir les contours... Je ne m'étendrai pas sur les « Ah bon, vous ne faites pas que remplir les bulles ? Mais le dessinateur, il sert à quoi s'il ne fait que dessiner ce que vous lui demandez ? ». Au-delà de cette question de la reconnaissance du grand public, qui est très loin d'être cruciale, le principal problème du métier est celui que connait l'ensemble des auteurs : une situation précaire pour une grande partie d'entre eux, pourtant « fournisseurs » de la matière première sur un marché dont on nous dit qu'il se porte bien.

Puzzler, Work in Progress © David Soyeur / Fabrice LinckI]Puzzler, le Pink Rudolf, vient de paraître sur les étals… Comment est né ce polar à la narration si originale qui semble s’abreuver aux meilleures séries TV ?
Puzzler est né sur une plage de la Mer du Nord un après-midi de début septembre... ça, c'est pour le folklore. Sinon, c'est une histoire qui est effectivement le résultat de plusieurs influences, dont des séries TV, mais pas que ! Par exemple, depuis la sortie de l'album, plusieurs lecteurs m'ont assez logiquement dit que le principe du narrateur s'adressant directement au lecteur faisait immanquablement penser à House of Cards... qui n'était pourtant pas mon inspiration sur ce coup-là (c'est la lecture de l'excellent album BD Adam Clarks de Régis Hautière et Antonio Lapone qui m'a décidé à avoir recours à ce type de narration).

J’avoue avoir pensé à House of Cards itou…
Peux-tu en quelques mots nous faire le pitch de l’album ?

C'est l'effervescence à l'Hôtel de Police. Grâce à un plan concocté par le Capitaine Guichard, un vieux flic près de la quille et Lemasson, un imbuvable responsable de la sécurité, on vient de mettre le légendaire voleur Baptiste Peyrac sous les verrous. Le piège est si bien ficelé, que des Baptiste Peyrac... les flics en ont arrêté trois : une femme calme et déterminée, un beau parleur et un type qui ne s'exprime qu'avec ses poings ! Lequel des trois est le fameux cambrioleur ? Lequel des trois a juré de s'emparer du Pink Rudolf, un diamant rose d'une très grande valeur ?

L’album est dessiné par David Soyeur, un jeune dessinateur particulièrement prometteur… Comment vous êtes-vous rencontrés ? Nous nous sommes rencontrés il y quelques années à Strasbulles, le festival BD de Strasbourg. David, installé depuis peu dans la ville, se baladait sur les stands. On a discuté un bon moment et on a décidé de se retrouver pour une bière. On s'est vus régulièrement autour de quelques mousses et on est devenus potes. Ça nous a bien pris deux ou trois ans avant qu'on parle de bosser ensemble. J'ai fini par lui proposer trois projets et il a choisi Puzzler.

Puzzler, Work in Progress © David Soyeur / Fabrice LinckComment as-tu créé les différents protagonistes de l’intrigue ? D’ailleurs, comment construis-tu généralement tes personnages ? A partir de quelle « matière » David Soyeur a-t-il composé leur apparence ?
J'ai l'habitude d'établir une fiche signalétique pour chacun des personnages. Elle contient en général quelques éléments concernant leur apparence et de nombreux détails sur le passé et la psychologie du protagoniste. Pour Puzzler – Le Pink Rudolf, David a créé les personnages à partir de ces différents éléments, en apportant sa propre touche. Il me les a soumis et ensemble, nous avons décidé de leur apparence définitive.

Comment as-tu choisi les lieux et les décors où se déroule ton récit ?
L'idée de départ, c'était de ne pas ancrer l'histoire dans un lieu spécifique. Le récit se déroule dans une grande ville française. Laquelle ? Peu importe. Je ne voulais embarquer le lecteur dans des détails géographiques pouvant perturber le rythme de l'histoire. Elle est censée l'amener à faire son propre cheminement et dans ce parcours, situer précisément le récit n'a aucun intérêt. Les différentes scènes de l'album se déroulent donc dans des lieux qui n'existent pas pour certains et qui nous ont été inspirés par des endroits que nous connaissons pour d'autres. La scène finale, notamment, a lieu sur une place que je connais bien pour l'avoir longuement fréquentée...

Comment avez-vous organisé votre travail à quatre mains sur l’album ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les grandes étapes de la réalisation de l’album ?
Après le synopsis, mon travail a consisté à écrire l'histoire, scène par scène. Chacune d'elle contenait de 2 à 5 planches et était décrite case par case, organisée selon un premier découpage. Pour chacune des scènes, je faisais parvenir un document complet à David qui s'en imprégnait, avant qu'on se rencontre pour élaborer ensemble un storyboard. C'est à ce stade qu'étaient intégrées les modifications proposées par David, au niveau du découpage notamment. Puis il préparait ses crayonnés (parfois poussés) avant de passer à l'encrage. Enfin, les planches numérisées partaient chez Amélie Lefèvre, qui s'est chargée de la couleur.

Work in Progress, planche 33
Puzzler, scénario de la planche 33 © Fabrice Linck Puzzler, crayonné de la planche 33 © David Soyeur / Fabrice Linck
Puzzler, encrage de la planche 33 © David Soyeur / Fabrice Linck Puzzler, colorisation de la planche 33 © David Soyeur / Fabrice Linck


Quel personnage as-tu pris le plus de plaisir à mettre en scène ?
Charlie et Clara qui, dans Puzzler, forment un duo un peu improbable. Le premier est un escroc, une grande gueule au propre comme au figuré. La seconde est une jeune femme déterminée et chambreuse... Ils ne sont pas les personnages les plus importants de l'histoire, mais je les aime beaucoup.

Puzzler, Work in Progress © David Soyeur / Fabrice LinckBaptiste Peyrac, alias Puzzler, est un cambrioleur de haut vol habité par des valeurs humanistes peu communes… Comment as-tu créé ce personnage haut en couleur et particulièrement attachant ?
La difficulté était d'en faire un personnage « consistant » même si on ne le rencontre finalement que très tard dans l'histoire. Je ne voulais pas non plus en faire une sorte de « Robin des Bois » des temps modernes, manichéen et sans faille. Au final, Baptiste Peyrac est un homme de son temps, avec ses certitudes et ses défauts, dans lequel beaucoup de gens peuvent se retrouver et dont nous n'avons finalement pas encore exploré toutes ses facettes...

Dans quel environnement sonore travailles-tu habituellement ? Silence monacal ? radio ? musique de circonstance ?
Ça dépend des jours... Parfois, j'écoute Couleur 3, une radio suisse romande, avec une programmation musicale vraiment sympa... Il m'arrive aussi de me mettre de séries TV, récentes ou anciennes, en fond sonore. Mais je ne bosse jamais dans le silence... ça me stresse.
Aurais-tu une B.O. à conseiller pour accompagner la lecture de l’album ?
Pas précisément... Ou alors peut-être un de ces instrumentaux façon années 70 qu'on peut entendre dans Amicalement Vôtre (même si Puzzler se déroule dans un cadre totalement contemporain)...

Le Pink Rudolf est-il un one-shot ou l’amorce d’une série de longue haleine ?
Pour l'instant, c'est un one-shot... Mais idéalement, nous aimerions en faire une série de trois ou quatre tomes. On va en discuter avec l'éditeur qui devrait prendre rapidement une décision à ce sujet.

Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
La série TV Killing Eve et la bd Dans la tête de Sherlock Holmes de Lieron et Dahan.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Non.

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…

Puzzler, Work in Progress © David Soyeur / Fabrice Linck
un personnage de BD: « Le Chuchoteur » qui, à sa manière, essaie de réveiller les consciences dans le roman graphique Aujourd'hui est un beau jour pour mourir de Colo. J'ai eu la chance d'apporter une petite contribution à ce projet et j'ai vraiment adoré ce personnage.
un personnage mythologique: Ulysse, avec une petite préférence pour sa version du 31ème siècle.
un personnage de roman: Harry Bosh, le flic un brin torturé créé par Michael Connelly.
une chanson: Don't look back in Anger d'Oasis
un instrument de musique: la batterie, dont je n'ai jamais joué mais qui me fascine depuis toujours.
un jeu de société: les triominos... nos parties en famille sont endiablées.
une découverte scientifique : le « procédé héliographique », à l'origine de l'invention de la photographie par Nicéphore Niépce.
une recette culinaire: l'escalope de veau à la crème.
une pâtisserie: le mille-feuilles
une ville: Séville, que j'adore malgré le 8 juillet 1982...
une qualité : la fidélité
un défaut: la susceptibilité
un monument: la cathédrale de Strasbourg.
une boisson: un petit vin rouge du Languedoc qui ne paie pas de mine...
un proverbe : un bon coup de coussin fait mieux que le médecin.


Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Merci à toi !
Puzzler, Work in Progress © David Soyeur / Fabrice Linck

Photo © Claude Truong-Ngoc
Le Korrigan