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Entretien avec Fred Duval
interview accordée aux SdI en juillet 2019


Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? (âge, passions, études, parcours …)

Fred, 54 ans, j’ai suivi une formation d’historien, après l’obtention d’une maîtrise je me suis consacré à la bande dessinée, cela fera bientôt 30 ans que ça dure. Je suis passionné de littérature, cinéma, peinture, musique… « Curieux » est le bon mot je crois.


Enfant, quel lecteur étiez-vous et quels étaient vos auteurs de chevet ? La BD a-t-elle toujours occupée une place de choix ?
Les BD, Tintin, Astérix, Lucky Luke, et aussi PIF avec Rahan, Docteur Justice etc. Ensuite, assez jeune, vers 12, 13 ans, j’ai découvert Pilote et Métal Hurlant et là ce fut la révélation…

Côté littérature, j’ai dévoré très jeune Le Club des cinq et puis j’ai découvert Jules Verne, Conan Doyle, Agatha Christie, et puis San Antonio, et ensuite la SF américaine, Dick, Herbert etc.

Parallèlement, j’adorais le Français au collège et lycée et lisais avec plaisir les classiques du théâtre et de la littérature, la poésie également. J’étais curieux.

 Nymphéas noirs, Fred Duval  et Michel Buss © Didier CassegrainA quel moment l’idée de devenir auteur de BD a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
Sans blague, aussi loin que remonte mes souvenirs de rentrée scolaire et ses fameuses fiches « que veux-tu faire plus tard ?» j’ai toujours répondu dessinateur de BD ; avec l’âge j’ai revu mes ambitions et suis devenu scénariste. Au-delà de la blague, c’est « raconter » des histoires en dessin qui m’a toujours intéressé.

Avoir une formation d’historien, ça a été un atout pour devenir scénariste?
Incontestablement, cela donne une méthode pour aborder un sujet, mais ce n’est pas suffisant, il faut apprendre à maîtriser la dramaturgie et cet art n’a rien à voir avec la rigueur méthodologique de la recherche historique.

 Nymphéas noirs, le bureau de Fred Duval  © Fred DuvalQuelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ? Comment définiriez-vous le métier de scénariste ?
J’ai des idées d’histoires et des goûts graphiques. A moi de trouver les dessinateurs qui seront bien placés pour mettre en scène et image mes projets, à moi aussi de réfléchir au dessin d’un dessinateur et de lui écrire sur mesure une histoire dans laquelle il pourra briller, s’amuser.


Comment est né le projet d’adaptation de Nymphéas noirs ?
Michel Bussi avait des idées de scénario BD et n’avait rien contre des adaptations de ses romans ; nous vivons dans la même ville et il est venu à la rencontre des auteurs BD. Nous avons discuté, sympathisé et quelques mois plus tard, un éditeur de chez Dupuis, rouennais lui aussi, me proposait de me lancer dans l’adaptation. J’ai lu le roman, pris conscience des difficultés, et puis rencontré Michel pour cette fois lui dire comment je voyais l’adaptation, il a bien aimé mes propositions et depuis nous travaillons à plein de choses ensemble !

du repérage à la case
 Nymphéas noirs, repérages, le Moulin de Chennevières © Fred Duval  Nymphéas noirs, le Moulin de Chennevières © Didier Cassegrain / Fred Duval


Vous avez l’habitude de travailler sur des scénarios originaux et la seule adaptation que vous aviez réalisée jusqu’alors était celle du Tartuffe de Molière avec Zanzim au dessin. Alors plus facile de travailler sur l’œuvre d’un dramaturge mort ou sur celle d’un romancier vivant ? La collaboration avec Bussi s’est-elle bien passée ? A-t-il joué un rôle dans l’adaptation?
Oui, avec Michel ce serait difficile que les choses se passent mal, c’est quelqu’un qui écoute, analyse et donne sa confiance. Quand j’adapte, nous avons pris l’habitude qu’il soit le premier lecteur, ce qui lui permet de retoucher un peu les aménagements que je fais des dialogues. On s’amuse bien, et depuis quelques mois nous écrivons un scénario de BD original qui sera publié chez Dupuis.

Vous aviez déjà travaillé avec Didier Cassegrain sur les cinq albums retraçant la jeunesse de Carmen dans Code Mc Callum. C’était un univers très éloigné de Giverny ! Pourquoi avez-vous pensé à lui ? D’autres dessinateurs ont-ils été pressentis ?
Didier s’est vite imposé comme le plus à même pour moi à mener ce projet. Il a juste fallu patienter car il avait un projet en cours.

du scénario à la planche
 Nymphéas noirs, scénario de la page 1 © Fred Duval Nymphéas Noirs, planche de l'album © Dupuis / Cassegrain / Duval / Bussi

Nymphéas noirs était réputé inadaptable comme le rappelle Michel Bussi en exergue de l’album. Qu’est-ce qui vous a semblé compliqué ? La trame narrative complexe et le coup de théâtre final ont-ils été difficiles à retranscrire ?

Les codes et techniques particulières de la BD ont, en fait, apporté assez vite les solutions aux défis visuels. La BD, ce n’est pas le cinéma. La vraie difficulté était de retranscrire l’ambiance du roman : Didier a fait sa part grâce à la qualité de ses dessins, de ses couleurs ; de mon côté, il fallait que les lecteurs du roman aient le sentiment que j’avais repris entièrement les dialogues de Michel Bussi. Je suis content d’avoir réussi ce tout de passe-passe là.

Le roman fait près de 500p en édition de poche et il est très riche et très érudit. C’est à la fois une biographie de Monet, une histoire de Giverny à différentes époques, un portrait de femme(s), une histoire d’amour et une intrigue policière particulièrement retorse … votre one-shot comporte 140p (ce qui est, il me semble, très imposant pour la collection Aire libre) et parvient à restituer moult détails du récit source (les biographies des peintres Murger et Robinson, le musée de Vernon…). Y a-t-il cependant des éléments que vous auriez voulu inclure et auxquels vous avez dû renoncer ?
Oui, toutes les digressions sur Monet et l’impressionnisme qui dans le roman sont passionnantes ont été considérablement réduites. J’ai dû aussi pas mal retravailler et couper la vie de Sylvio, son pavillon, sa collection de barbecue… Il fallait resserrer l’intrigue tout en préservant des scènes secondaires qui donnent au récit son charme. Il a donc été difficile de hiérarchiser les coupes car certaines scènes « peu narratives » comme le chapitre ou les trois femmes regardent la lune, sont devenues pour moi des points d’ancrage déterminants… Choix de l’adaptateur !
du repérage à la case
 Nymphéas noirs, repérages à Giverny, la maison de Monet © Fred Duval  Nymphéas noirs, la maison de Monnet © Didier Cassegrain / Fred Duval


Vous avez dit que vous aimiez rendre hommage à votre région et que vous mettiez souvent Rouen en scène, sous forme de clin d’œil dans vos albums, vous avez dû vous régaler cette fois, non ?
Oui, bien entendu, on retrouve Rouen et la côte normande, du Cotentin à Dieppe, dans plusieurs de mes bds. J’aime la Normandie, la pluie n’est jamais vraiment un problème, les grands bâtiments gothiques font partie de ma génétique visuelle… J’aime aussi partir dans l’espace ou bien naviguer jusque dans le Pacifique sud, rassurez-vous !

Vous avez apparemment pris goût aux adaptations et surtout à celles des romans de Bussi puisque vous avez deux adaptations en cours : Un avion sans elle avec le jeune dessinateur Nicolaï Pinheiro chez Glénat et Ne lâche pas ma main avec à nouveau Didier Cassegrain chez Dupuis. Pourriez-vous nous en dire plus ? Qu’est-ce qui a présidé aux choix des œuvres et de Nicolaï ?
Emem, le dessinateur de Renaissance, savait que je cherchais un dessinateur pour Un avion sans elle ; il m’a offert l’album Lapa La nuit de Nicolaï paru chez Sarbacane, un éditeur qui défriche beaucoup. J’ai contacté Nicolaï, lui disant que je n’étais pas pressé, que je pouvais même l’attendre une année. Il a accepté de se lancer dans l’aventure quelques semaines plus tard.

du scénario à la planche
 Nymphéas noirs, scénario de la page 2 © Fred Duval  Nymphéas noirs, scénario de la page 2 (suite) © Fred Duval Nymphéas Noirs, planche de l'album © Dupuis / Cassegrain / Duval / Bussi


 Nymphéas noirs, repérages à Giverny © Fred DuvalPouvez-vous nous dire quelques mots sur vos autres projets ?
Nevada paraît chez Delcourt en juin, c’est écrit avec Pécau et dessiné par Colin Wilson, il s’agit d’un one shot de 54 pages qui prend place dans les années 20, au moment des débuts du western made in Hollywood, machine à rêve qui déjà, souvent s’enraye, avec un personnage principal qui sillonne l’ouest pour justement régler les problèmes des studios…

Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur?
En musique j’écoute en ce moment des rappeurs comme Kendrick Lamar, Tyler the Creator, Frank Ocean…

 Nymphéas noirs, Michel Bussi à Giverny © Fred DuvalEn littérature, je me passionne plutôt pour la francophonie, des écrivains haïtiens comme Makenzie Orcel, j’aime Mauvignier, Philippe Forest, gros coup de cœur depuis janvier pour le roman une amie de la famille de Jean-Marie Laclavetine…

Série télé, gros coup de cœur pour la Série Tchernobyl de HBO…

Cinéma, je n’y vais pas, donc je vois les films l’année suivante, j’aime Cuaron, Villeneuve, Jacques Audiard…

Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si vous étiez …

un personnage de BD : Corto Maltese
un personnage de roman: Morel (les racines du ciel)
un personnage de cinéma: Baloo
une chanson: About You (Jesus & Mary chain)
une découverte scientifique : La vie extra-terrestre
une recette culinaire:Les frites (private joke !) les Saint Jacques (en vrai !)
une boisson:Le côte-Rôtie
une ville: Rouen – Austin - Nouméa


Quel(le) est :
votre principale qualité: la patience
votre principal défaut: l’impatience
votre devise : Hey ho ! Let’s go !


Merci encore une fois d’avoir pris le temps de nous répondre ! Et à nouveau félicitations pour ce magnifique album. Ça donne très envie de découvrir vos prochaines adaptations des œuvres de Michel Bussi !
 Nymphéas noirs, Fred Duval, Michel Bussi, Didier Cassegrain  © Chloe Vollmer-Lo
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