Bonjour et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? (âge, passions, études, parcours …)
Oui alors, il faut que je fasse court ! On va dire que je dessine depuis tout petit. Je ne faisais que ça. J’étais même dans une bulle. II a fallu que je sorte de cette bulle un jour pour comprendre que je ne ferais rien à la l’école et qu’il fallait que je trouve un travail dans le dessin et j’ai cherché… (et j’ai même l’impression de chercher encore aujourd’hui !) et je suis passé par le dessin animé -- c’est mon métier en fait à la base -- pendant 15 ans et ensuite j’ai rencontré des gens qui faisaient de la bd et je suis arrivé dans la bd comme ça par rencontres.
C’était Vatine, c’est cela ?
Oui, Olivier Vatine.
Quels sont vos « maîtres » en bande dessinée ?
J’en n’ai pas trop bizarrement parce que je ne lis pas beaucoup de bds, pour ne pas dire pas du tout. Je suis avant tout attiré par le dessin depuis toujours, depuis le moment où j’ai commencé à m’intéresser à tout un tas de gens qui dessinaient. Il y a en a bien évidemment dans la bd mais ce n’est pas forcément ceux qui m’intéressent le plus …
Alors j’enlève « maîtres en bd », et je remplace par « maîtres en peinture » peut-être ?
Oui, peinture comme John Singer Sargent et des illustrateurs américains des Rockwell, des N.C Wyeth et Howard Pyle, Heinrich Kley des gens comme ça…
Vous aviez déjà travaillé avec Fred Duval sur les cinq tomes de Code Mc Callum mais c’était un univers bien éloigné de Giverny ! Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet ?
Oh, c’était le fait de pouvoir me remettre à la peinture parce qu’en bd on n’a pas forcément toujours le loisir de faire de la couleur directe, parce que souvent on est pressé par le temps. Ma toute première bd je l’ai faite en couleurs directes et ensuite je suis passé au numérique mais ce n’est pas ce qui me plaisait le plus… et ensuite je suis passé de commande en commande. J’ai un peu travaillé comme cela en bande dessinée. Fred est venu me chercher un jour pour
Code Mac callum, j’y suis allé limite à reculons parce que justement c’était de la SF et je suis loin de mon univers dans la SF… je suis plus proche bizarrement de ce que j’aime faire dans Nymphéas.
Vous connaissiez le roman ?
Avant de bosser sur ce projet, non du tout. Je connaissais Michel Bussi de nom, comme ça, mais ça n’allait pas plus loin.
Le roman est situé dans des lieux réels puisque l’office du tourisme de Giverny propose même une visite guidée sur les pas de « Nymphéas noirs ». Vos ouvrages précédents se déroulaient dans un cadre beaucoup moins réaliste. Mais vous venez de me dire que ça a été plus facile pour vous ou correspondant plus à votre tempérament finalement de vous ancrer dans le réel ?
Ce qui me plaît dans ce réel là justement c’est d’avoir de l’organique, c’est ce que j’aime bien dessiner. En général j’essaye d’éviter tout ce qui est technologie, machines ou autres ; j’aime bien dessiner les humains, les animaux …
… Les nénuphars ?
(Rires) Les nénuphars entre autres ! Je n’ai pas une passion pour les nénuphars mais en tous cas j’aime bien dessiner les paysages. Et là les paysages me plaisaient bien. Après la seule difficulté avec ce réel là c’était d’être raccord avec le village et ce à quoi il ressemble au niveau topographique.
Vous étiez déjà venu à Giverny ? Avez-vous travaillé d’après photos ou bien êtes-vous venu en repérage ?
On est allés sur place voir le lieu. C’est toujours mieux d’être sur place, de voir les choses, de sentir les choses et puis l’intérêt du repérage c’est de faire en sorte que topographiquement l’église soit bien à sa place et que quand il y a un champ contrechamp il y ait bien ce qu’il y a en face de l’église et pas autre chose !
L’œuvre source est très érudite : elle évoque Monet bien sûr et d’autres peintres de la même mouvance moins connus (Murger, Robinson…). Différentes époques sont également convoquées dans le roman et certains détails paraissent, à la relecture, essentiels pour comprendre le coup de théâtre final en fonctionnant comme des indices… Je pense particulièrement aux vinyles écoutés par l’héroïne et à l’édition d’Aurélien qu’elle confie à Laurenc. Il y a aussi bien sûr toutes les tenues vestimentaires et la double page fabuleuse sur la cathédrale de Rouen On pressent que vous avez dû vous soumettre à un titanesque travail de recherche … Quelles furent vos principales sources documentaires? Auriez-vous un ouvrage en particulier à conseiller aux lecteurs désireux d’en apprendre davantage sur Monet et le courant impressionniste ?
Non, tous les petits détails sont présents dans le roman et Fred, lui-même, a tout cherché ! C’est lui qui me demandait de faire apparaître les petits indices qui sont dans la bd. Et je faisais ce qu’il me demandait dans la case où ça devait être !
Comment avez-vous travaillé l’apparence des protagonistes? Est-ce que là aussi tout était d’emblée donné par Fred ou Michel Bussi ou est-ce que vous vous avez eu votre mot à dire ?
C’est déjà décrit par Michel Bussi évidemment et ensuite c’est ma vision à moi en fonction de ce que je lis mais on pourrait être dix, quinze, cinq cents à lire le bouquin on en a tous une vision différente… on s’imagine ... Enfin faut croire que quand j’ai commencé à dessiner les premiers personnages ça n’a pas fait tiquer Michel … c’est lui qu’il fallait toucher. Il fallait qu’il s’y retrouve ! Tout s’est fait simplement. On n’a jamais eu de discussion avec Michel qui me disait « non écoute là tu es vraiment à côté de la plaque » (rires)
Il faudrait qu’il soit difficile !
Il faut croire que le bouquin est suffisamment bien écrit, on se glisse facilement dedans, on s’imagine facilement les personnages …
Il n’y a pas un personnage qui vous a donné du fil à retordre tout de même que vous avez eu des difficultés à mettre en scène ?
Non, non ! La trouille c’était vis-à-vis de Michel, que lui il me dise « écoute celui-là ça va pas » ou « t’as rien compris au personnage ». Non, ce n’est pas le cas, les principaux personnages, Stéphanie ou l’inspecteur, ça a marché tout de suite et ensuite les secondaires pareil. On se fait plaisir….
Et lequel avez-vous eu le plus de plaisir à mettre en scène justement ?
Oh … Stéphanie ! J’adore dessiner les femmes et puis cette héroïne-là elle est extrêmement intéressante à dessiner mais je ne veux pas tout dévoiler et puis ce n’est pas trop à moi d’en parler !
Oui, elle est très belle, très protéiforme et extrêmement réussie !
L’album est présélectionné pour le prix des libraires, il a reçu au le titre de BD RTL du mois en janvier, est lauréat du prix « Hors les murs » et les critiques sont excellentes. Au sein de ces dernières, tout le monde est unanime sur votre tour de force : vous réussissez à rendre « l’esprit » de l’impressionnisme sans pour autant effectuer de viles copies de Monet. On peut par exemple citer la première page qui s’ouvre sur le fameux étang aux nymphéas ou nombre de vos ciels... Comment avez-vous procédé ? Sur quels tableaux en particulier vous êtes-vous appuyé ? Quelles caractéristiques avez-vous retenues ?
Et bien j’ai essayé justement de ne pas faire de l’impressionnisme ! de ne pas faire du Monet justement ! Je connais Monet ; je n’en suis pas un spécialiste non plus mais je l’apprécie. Mais je ne suis surtout pas allé me replonger dans les peintures de Monet en me demandant comment peignait Monet ou comment il aurait peint cette scène là…. Je n‘ai surtout pas essayé de faire du Monet !
Donc vous n’êtes absolument pas retourné voir les tableaux de Monet et vous ne procédez pas au petit jeu de la citation ? Vous en avez juste gardé une « impression » et pris un camaïeu de couleurs ?
Du tout, ce que j’aime bien faire quand je travaille sur quelque chose, c’est d’être spontané et faire ce qui me vient tout de suite à l’esprit. Bon, il se trouve qu’on est à Giverny. C’était pas du tout mon intention de faire du Monet. Ça m’étonne parfois qu’on puisse faire le parallèle, le seul parallèle c’est le lieu et le fait que ce soit fait à la peinture. Alors en Bd ça peut peut-être étonner parce qu’il n’y a plus souvent de couleurs directes mais j’en suis très loin de Monet ; ce n’est pas du tout la même façon de faire : Monet c’est de l’impression justement, c’est des taches, des taches de lumière, il ne dessine pas les choses, il ne fait que les suggérer. Quand on voit les « Nymphéas » présentés à l’Orangerie, il ne dessine pas des troncs ni de l’eau ni des feuilles c’est juste des taches de lumière et de couleurs qui suggèrent un environnement. C’est aussi ça la beauté de son travail ! Mais nous on n’est pas du tout dans ça. C’est fait à le peinture effectivement mais ça s‘arrête là ; ça reste assez précis ensuite, il y a même un contour au trait noir une fois que la peinture est achevée, ce qu’aurait détesté Monet lui qui n’aime pas le noir ! On ne met pas de noir dans la peinture mais là je cerne au trait noir parce que j’aime bien le crayonné et que ça aide à donner de la précision à l’histoire, aux personnages voire aux indices. On est quand même dans du polar donc il faut tout de même être assez précis mais en même temps flou tout de même grâce à la peinture car on est tout de même dans un univers assez magique …je voulais être spontané et faire mon truc quoi…
des Nymphéas à la planches
Et bien c’est bien réussi ! Personnellement, je trouve aussi que vous avez bien su (ainsi que Fred Duval) rendre un aspect assez présent dans le roman mais peu relevé par la presse : celui de la satire sociale. Bussi n’est tendre ni avec le conservateur imbu de lui-même ni avec les touristes grégaires. Or, vous rendez très bien cela dans un style semi-réaliste proche de la caricature qui fait parfois penser à Daumier…
J’adore Daumier mais encore une fois ça vient du roman de Michel retranscrit par Fred qui me demande de lui donner cet air froid, cet air hautain que j’essaye de mettre en images. Je m’amuse beaucoup avec ça… à faire jouer ce personnage. Tous les personnages en fait. Ce que j’aime avant tout dans le dessin, c’est les faire jouer.
Vous m’avez dit que l’un des intérêts principaux que vous avez trouvé dans l’adaptation des « Nymphéas » c’est de retravailler en couleurs directes. Vous n’avez pas utilisé le numérique sur cet album ?
Non, c’est un crayonné, je peins dessus et ensuite je rehausse en couleur noire.
Comment s’est organisé le travail avec Fred Duval?
Il fait tout le découpage case par case avec des plans assez précis ; il précise s’il a besoin d’une grande case, d’une petite case, les dialogues…
Il n’y a pas de story-board , vous passez directement à la planche ?
Si bien sûr, une fois que j’ai toutes ces indications, je fais le story-board case par case. Ensuite — c’est peut-être la seule partie numérique de mon travail — une fois que j’ai ce board là je place des petites cases dans ma page, ça je le fais sur ordi et puis je place de façon un peu rough la lumière avec du noir, du blanc, du gris pour savoir tout de suite où seront mes lumières. C’est hyper important, je ne peux pas attaquer la peinture ni mes couleurs sans savoir où sera ma lumière. Ça je l’envoie à Michel et à Fred.
Work in Progress, planche 68
Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser l’album ?
Pour moi dix-huit mois…
C’est à la fois beaucoup et peu puisqu’il fait quasiment 140 pages donc bravo !
Oui c’est quasiment 3 albums de 48 pages en fait … donc un album en 6 mois c’était chaud ! En fait, à la base, pour la petite anecdote, on partait même sur des petits formats comme ça se fait souvent en roman graphique et même sur du noir et blanc. Sauf que dès le départ quand Fred m’a parlé du projet, j’ai pensé à ce lieu-là forcément en couleurs, en couleurs et à la peinture et en fait j’y suis allé un peu au culot vis-à-vis de l’éditeur. Je suis venu le voir un jour avec une quinzaine de pages en couleurs directes terminées en lui disant « je vois plutôt les choses comme ça mais pour le moment on ne peut pas aller au bout avec le budget qu’on a et le temps imparti » et là j’ai vu des petites étincelles dans les yeux du directeur de collection qui est parti avec les planches de bureau en bureau et là j’ai compris qu’on allait aller au bout et que ça leur plaisait…
Vous avez visiblement apprécié l’expérience puisque vous poursuivez la collaboration avec Fred Duval et Michel Bussi en adaptant « Ne lâche pas ma main ». Est-ce que c’est vous qui avez choisi le titre que vous alliez adapter puisqu’ils adaptent également « Un avion sans elle » ? Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce nouveau projet ?
On voulait remettre cela tous les trois et je voulais rester dans un univers encore une fois très organique avec, à nouveau, des paysages et des choses comme cela. Or, il y a d’autres romans qui sont très bien aussi mais qui me correspondaient beaucoup moins. Il y en a qui se passent sur des quais, des hangars et ce n’est pas trop mon truc. Là, on est sur l’île de la Réunion, c’est une espèce de road movie à travers l’île et il y a tout un tas de paysages différents, de géographies différentes, pas mal de personnages. Voilà, celui-là me plaît assez. En fait, c’est Michel qui m’a proposé celui-là en pesant que ça collerait plus avec ce que j’aime dessiner.
Là aussi, il y a de beaux portraits de femmes, vous allez vous régaler !
Oui (Rires) aussi !
la Cathédrale de Rouen, par Monnet et Cassegrain
J’ai pu admirer tout récemment chez Maghen les planches originales des « Clous rouges », votre Conan qui sortira à la rentrée ; pourriez-vous nous en parler ainsi que de vos autres projets ?
Il y a ce « Conan », qui date, il a plus de deux ans mais il sort seulement là en septembre. Et en ce moment je suis sur une série avec Olivier Vatine et Dobbs. C’est plutôt de l’héroic fantasy à la « Games of Thrones » avec des animaux hybrides debout en costume. Il y aura trois tomes, je devrais terminer le premier en février-mars. Là je m’amuse bien aussi : il y a des royaumes d’ours entourés de tout un tas de bestioles, il y a des voyages, d’autres royaumes d’oiseaux, de rapaces et autres …les animaux ça me plaît bien !
Conan, les Clous Rouges
Et un art book de l’exposition chez Daniel Maghen ?
Oui ça me dirait bien oui ! Ce serait bien de garder des traces de peintures qui vont s’en aller à droite à gauche ! (rires) Je ne sais pas, il faut que je vois cela avec Daniel. Ça me touchait beaucoup cette exposition parce qu’il y avait les planches de
Nymphéas ou même
Conan mais il y avait aussi tous mes délires de grandes peintures ou même de petites peintures avec une femme et un animal.
Ça c’est beaucoup plus personnel car ce n’est tiré de rien du tout. En fait je ne me suis jamais autant amusé qu’à effectuer cette commande de Maghen. Je m’amusais beaucoup à faire des décors et des petits personnages là-dedans, j’ai adoré ! La galerie m’a demandé de faire d’autres œuvres pour d’autres expos plus tard et ça, ça me touche à cause de ces idées personnelles.
Et un quatrième sketchbook chez Comix Buro ?
Il est question de faire quelque chose qui réunirait les trois premiers dont certains sont épuisés (NDLR : le 2), de le compléter et d’en faire quelque chose de plus important.
Donc un futur bien rempli ! Malgré tous ces projets, vous avez tout de même le temps de faire des découvertes ? Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur?
Des découvertes en musique, il y en a tout le temps mais je ne sais pas quoi vous dire ! En fait, je ne bosse pas en studio, je bosse tout seul alors la musique j’en ai dans les oreilles toute la journée, si je n’ai pas de musique, je ne peux pas bosser. Je ne saurais cependant pas quoi vous citer …
Encore une fois bravo pour ce superbe album et cette magnifique exposition. Merci d’avoir eu la gentillesse de répondre à ces quelques questions. Nous attendons avec impatience de découvrir votre Conan et votre nouvelle adaptation de Bussi !