









Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…
Tu fais comme tu veux ! Voilà bien une question que les américains ne se posent pas…
Ah… alors si j’ai champ libre j’opte pour le tutoiement…
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)
Au moment où je rédige ces lignes, j’appartiens encore à la caste très réduite des trentenaires qui ont connu les années 70 (certes, de peu, mais quand-même). Mais nooooooooooooon, pas ça ! Cette année au ping-pong je passe vétéran, ça fait trop bizarre ! Tandis qu’aux échecs ce n’est pas avant 65 ans.
Quant au vélo, je n’en sais rien, je ne fais pas de compétition, j’utilise mon VAE tous les jours pour les trajets du quotidien, pour me rendre notamment au boulot où je développe des applications android. Les enfants en revanche pratiquent au Vélo Club Ruthénois, route et cyclocross. Vive le vélo !
À part ça, ma CB actuelle expire dans peu de temps, donc le numéro ne servira pas à grand-chose…

Oh, quel dommage… Fais-moi signe quand tu auras reçu la nouvelle 
Sans indiscrétion, dans quelle branche développes-tu des appli pour Android ?
La boîte dans laquelle je bosse vend des solutions informatiques professionnelles pour la distribution, la location et la réparation, et dans l’agricole aussi. Donc si un jour tu te retrouves en rade avec ta moissonneuse-batteuse, il y a des chances que le gars appelé en urgence pour la dépanner utilise une de ces fameuses applis sur sa tablette.
Comme tu peux le constater, on est, disons… à 2 ou 3 années lumière des jeux de société ^^
Il n’empêche qu’il m’arrive régulièrement de programmer des mini IA, des scripts, des outils perso, pour le besoin de mes créations, cela s’avère bien pratique. L’informatique est un outil formidable.
Enfant, quel joueur étais-tu et quels étaient tes jeux de chevet ? Quels sont-ils aujourd’hui ?
Issu d’une famille de joueurs à la pratique légèrement au-dessus de la moyenne, j’ai grandi avec les fameux encarts de Jeux & Stratégie, des grands classiques de chez Ravensburger comme le lièvre et la tortue, mais aussi les jeux de lettres, les jeux de logique, les livres-jeux, ainsi que les jeux de piste en plein air que j’adorais organiser...
Je me rappelle avoir passé des journées entières à élaborer la position de départ idéale au Stratégo.
Un premier événement marquant fut l’arrivée d’un PC à la maison quand j’avais 11 ans au début des années 90. S’ensuivit une insouciante période consacrée à la programmation, la composition musicale (je suis clarinettiste), la synthèse d’images, et bien entendu aux jeux vidéo sur PC (dune, civilization, lemmings, flight simulator, etc.)
Ces mêmes jeux vidéo pour la plupart « mono-joueur » – les week-end Lan party ce sera 10 ans plus tard – que j’essayais d’adapter en jeux de plateau multi-joueurs, avec des règles et une jouabilité imbuvables, mais l’intention y était...
Une autre découverte essentielle fut le jeu d’échecs, grâce à un copain du collège. J’intégrai donc à 13 ans le club d’échecs de la MJC de Rodez, club dont je suis encore aujourd’hui le responsable.

N’as-tu jamais cessé de jouer ou un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans le jeu de société « moderne »?
Le jeu d’échecs a été une sorte de fil conducteur, qui m’a fait découvrir assez jeune le monde associatif, les coulisses fédérales, l’organisation d’événements et des tas de rencontres formidables. Un déclic s’est sans doute produit lors des premières éditions du festival Alchimie du Jeu à Toulouse, où j’œuvrais sur le stand échecs de la ligue Midi-Pyrénées, dans le secteur des jeux dits traditionnels. La frontière avec les jeux de société « modernes » est assez mince, je lorgnais pas mal vers les tables d’auteurs, d’autant plus que des joueurs de ma connaissance y présentaient quelques prototypes.
C’était décidé : l’année prochaine je changeais de secteur !
Simultanément, je développai mes premiers jeux à partir d’idées qui me trottaient dans la tête depuis plusieurs années, et je co-fondai le club de Jeux de Société de la MJC de Rodez, avec l’intention non dissimulée de pouvoir tester et partager ces créations autour de passionnés.
À cette époque Dixit venait juste de sortir, mais j’adorais Objets Trouvés, Formule Dé, ou Full Metal Planète, sans oublier Tempête sur l’échiquier et Quarto dont je ne compte plus les parties.
Comme tu vois, je n’ai jamais cessé de jouer, de manière éclectique.
Aujourd’hui, j’enchaîne les parties de Love Letter avec mon épouse et mes deux enfants, je décortique au calme les règles de Space Alert et du 7e Continent. Avec le club, récemment j’ai joué à Linko, à Chakra, à 30 carats, à Flamme Rouge, à Secret Hitler, à Caylus et à El Grande.

Es-tu plutôt ameritrash ? eurogame ? membre de la très secrète LIdJA (ndlr : Ligue Intégriste Des Jeux d'Ambiance) ?
Pas vraiment ameritrash, même si je reste curieux. Tout me convient quand le plaisir est au rendez-vous.
A quel moment l’idée de devenir inventeur de jeu a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité votre vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
En fait, j’ai toujours inventé des jeux, tout petit déjà.
Quand je me suis lancé dans la création « sérieuse », l’état d’esprit était orienté vers la compétition, le concours. J’ai d’ailleurs démarré avec ceux de Parthenay (FLIP) et Panazol.
Puis la bascule a vraiment opéré avec la rencontre déterminante des membres de la toute jeune agence Forgenext (ils étaient 5 à l’époque) à l’occasion de la deuxième édition du concours de création Ludix, près de Clermont-Ferrand. Gaëtan Beaujannot a très vite accroché à la plupart de mes productions ludiques du moment, me faisant comprendre qu’il y avait du potentiel, comme on dit.
Puis j’ai découvert la partie un peu plus laborieuse de l’activité d’auteur, les remises en question, les contraintes budgétaires, matérielles, ergonomiques, thématiques, commerciales, les délais, la concurrence...
Un auteur que j’admire particulièrement : Alex Randolph.

Pourquoi Alex Randolph ? Quel jeu conseillerais-tu à quelqu’un désireux de découvrir cet immense auteur ?
En fait, sans le savoir, j’étais déjà un grand fan de ses jeux. À l’époque où le nom de l’auteur était écrit en tout petit sur une boîte de jeu (et encore, quand il était écrit) je ne me préoccupais absolument pas de qui était à l’origine de ces merveilles.
Fantômes (Geister) fut un des tout premier jeu dont j’avais développé une version PC avec un semblant d’IA, je me rappelle c’était en QuickBasic sous MS-DOS 5, j’avais autour de 14 ans. Je n’avais pas le jeu, mais il était bien expliqué dans le magazine Jeux & Stratégie.
Son jeu
Buffalo, très curieux car asymétrique, était aussi connu des amateurs de variantes d’échecs, car on pouvait l’adapter sur un échiquier.
Je dois également citer
Foxy, assez peu connu, découvert bien après que je n’invente un jeu avec un principe légèrement approchant, Bulbe, qui a remporté un prix au concours de Boulogne-Billancourt.
Aussi, je retrouve beaucoup de similitude entre mes idées et les siennes, très (trop) souvent.
Enfin, LE jeu génial que j’aurais voulu faire et que je ne saurais que trop conseiller : Ricochet Robots. J’adore ! Après, j’en conviens, il ne peut pas plaire à tout le monde...

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Tous les joueurs d’échecs connaissent les problèmes de mat, avec des diagrammes, où on te dit par exemple que les blancs jouent et matent en 3 coups. Tu peux y sécher parfois des heures, mais c’est une forme de stimulation intellectuelle.
Sur un nouveau projet je me régale tout autant dès lors que se pose un problème d’ordre mécanique ou matériel. Comment faire en sorte que dans une configuration à 4 joueurs ce ne soit pas toujours le même qui puisse réaliser telle action ? Comment réussir à caser tous ces mots sur une seule carte ? Comment passer le jeu sous la barre des 30 minutes ? Comment virer ce point de règle tout en conservant l’équilibre ?
Une succession de petits défis.
Ça peut paraître bizarre, mais parfois lorsqu’un jeu est à peu près terminé et tourne correctement, la motivation faiblit par manque de challenge. C’est pour cela que j’ai une multitude de chantiers en cours, pas facile alors de définir des priorités.
Mais quelle joie d’entendre le public rire, s’amuser, se prendre la tête, s’engueuler, ou débattre des heures autour d’un jeu de ton invention ! Tu offres du temps de plaisir et de convivialité, tout est là.
Comment est né l’excellent Welkin qui vient de paraître sur les étals ?
Je ne peux que t’inviter à lire le journal d’auteur qu’Ankama m’a demandé et publié, afin notamment d’éclairer les lecteurs de TricTrac sur la genèse de Welkin. J’ai donné 24 pages et ils ont réduit un peu, faut dire qu’il y en avait une tartine...
Sinon en deux mots, Welkin est le fruit d’un cheminement relativement classique, partant d’une mécanique que je m’étais imposée : le flip de jetons à toutes les sauces. Je voulais en mettre partout !
Welkin est aussi issu de plusieurs réflexions autour de jeux vites abandonnés individuellement, mais qui servent de tremplin ou qui ensemble aboutissent à quelque chose de plaisant et d’élégant.
La thématique a-t-elle évoluée entre les premiers protos et la version finale ?
Et oui. Comme presque à tous les coups, l’éditeur qui connaît bien son métier sait adapter l’univers du prototype afin de coller davantage à sa cible.
Le jeu s’appelait au départ Flip Planet, on contrôlait des compagnies minières pour exploiter le sous-sol d’une planète lointaine. Il y avait du caillou et du vaisseau spatial, du contrebandier de l’espace !
Welkin (qui signifie en vieil anglais « la voûte céleste ») nous parle plutôt d’architectes, de maisons volantes et de ressources un peu magiques. Un bien belle adaptation, magnifiée par la main de maître de Sylvain Sarrailh.
Perso j’aime toujours autant les deux versions.
Que ressent-on en tant qu’auteur quand on voit son jeu sublimé par un éditeur et le talent d’un illustrateur, en l’occurrence Ankama et Sylvain Sarrailh qui ont fait un formidable travail sur ce jeu ?
Il y a de quoi rester humble. On se dit que c’est l’aboutissement d’un travail d’équipe cohérent, chacun faisant valoir ses compétences. J’ai donné l’impulsion et tout le reste s’est mis en branle. Au final je ne pense pas me tromper en partageant avec tous les acteurs du projet un sentiment de satisfaction.
Je suis très content pour Sylvain car j’ai cru comprendre qu’il s’agit pour lui de son premier gros travail sur un jeu de société de cette ampleur. Et le résultat est quand-même remarquable, personne ne dira le contraire.
Il est clair cependant qu’en tant qu’auteur, quand tu vois de quelle manière on arrive à transformer un prototype artisanal en un bel objet qui en jette sur les étals des magasins, tu te dis « wahou ! » et tu te prends à rêver sur les prochains projets :)

Comment vous est venue l’idée géniale (je pèse mes mots) des jetons réversibles, principal rouage du système de cotation et du mécanisme de collecte de ressource ?
Le flip, ce principe de retournement, s’exprime à trois niveaux : le marché de cotation, l’atelier de production, et dans une moindre mesure les cartes qu’on retourne une fois leur pouvoir utilisé.
Ce geste figurait dans ma liste des concepts à explorer. Je fonctionne souvent ainsi : dans un magasin ou un vide-grenier je tombe sur une babiole à 2 euros, je me dis qu’il y a un truc à faire avec ça, je note… Une bulle d’air qui remonte à la surface en se frayant un chemin le long des fausses algues de l’aquarium, je note... En voiture, en vélo, à table, au boulot, à la piscine, en tondant le gazon, en comptant un fonds de caisse, en vacances, sous la douche, chez le docteur, en cuisinant, il suffit d’un petit geste anodin analysé sous un regard différent et je me dis que ça pourrait peut-être s’exploiter pour un jeu, alors je note…
Retourner des jetons bifaces, machinalement, à la limite du compulsif, c’est venu durant un creusage de cervelle post-sieste estivale autour d’un énième prototype foireux, minimaliste, composé de quelques cartes et jetons. À la manière du joueur qui tripote et empile ses meeples qu’il a sous la main en attendant vaguement qu’arrive son tour de jeu. Tout simplement.
Combien de temps s’est-il écoulé entre ce creusage de cervelle et l’édition du jeu ?
Deux ans tout rond, mon capitaine !

Peux-tu en quelques mots nous parler de tes projets ludiques présents ou à venir ? Quel concept à explorer agite en ce moment tes neurones ?
En ce moment je consacre pas mal de temps sur des co-créations avec des ami(e)s auteurs qui gravitent autour de Forgenext. Essentiellement du familial.
Si tout se passe bien, j’ai un jeu un peu bizarre, avec des tubes des billes et des machines, qui devrait sortir en 2020… ou 21, qui sait.
Après, dans le genre concept fumeux qui nécessite un programme informatique pour démontrer que ça marche (ou pas), je planche sur un jeu solo à base de labyrinthe.
Tous médias confondus, quels sont tes derniers coups de cœur ?
Ailefroide : altitude 3 954, la dernière BD de Jean-Marc Rochette, artiste que j’adore depuis son
Transperceneige. Du coup en fouillant un peu j’ai appris que le tome 2 du Tribut était enfin sorti, après 20 ans d’attente ! Je me suis donc plongé dans l’intégrale en 2 tomes, superbe, ainsi qu’une relecture de
Requiem Blanc, tous conçus avec son comparse Benjamin Legrand. Du grand art.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Est-ce que la température de l’eau est bonne ?
Réponse : un peu fraîche, mais une fois qu’on y est ça va, le plus dur c’est d’y rentrer.
Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Si tu étais…

un personnage de BD[/B]: Gaston Lagaffe
un personnage mythologique: Icare
un personnage de roman: Wendell Urth
une chanson: L’orage, de Brassens
un instrument de musique: la clarinette
un jeu de société: Ricochet Robots
un mécanisme de jeu de société : la combinatoire à information parfaite
une découverte scientifique : le mouvement perpétuel
une recette culinaire: harengs fumés marinés à l’huile d’olive, oignons carottes et pomme de terre
une pâtisserie: tartelette au citron meringuée
une ville: Rodez
une qualité : l’optimisme
un défaut: la paresse
un monument: l’Atomium
une boisson: le Génépi
Un dernier mot pour la postérité ?
Sourire
Un grand merci pour le temps que tu nous as accordé !
Avec plaisir.