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Entretien avec Théo Rivière
interview accordée aux SdI en janvier 2020


Bonjour et merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien…
Question liminaire : êtes-vous farouchement opposé au tutoiement ? Si oui, je me ferais violence mais je sais qu’un « tu » risque tôt ou tard de partir tout seul pendant que je nettoierai mon clavier…

Bien au contraire. Le milieu du jeu de société est un milieu de « cool kids » on se tutoie allégrement.

Merci à vous, enfin à toi !
Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ? (parcours, études, âge et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de comptes numérotés en Suisse ou aux Îles Caïmans ?)

Je m'appelle Théo, j'ai 28 ans, je suis auteur de jeux et co-créateur de la Team Kaedama. Au sein de la Team (avec Antoine Bauza, Corentin Lebrat et Ludovic Maublanc) on accompagne des éditeurs dans le développement de leurs jeux et on réalise des jeux de commande. J'habite depuis 5 ans à Bruxelles bien que je sois français d'origine. J'ai fait des études de lettres et j'ai bossé chez quelques éditeurs de jeux avant de me lancer (IELLO, Yoka et Repos Production). Lorsque je ne créé pas des jeux et que je ne joue pas (ça arrive), j'aime beaucoup bouquiner, cuisiner et aller au cinéma.

Naga Raja, le protoEnfant, quel joueur étais-tu et quels étaient tes jeux de chevet ? Quels sont-ils aujourd’hui ?
Je n'ai pas tant de souvenir de jeux lorsque j'étais enfant. J'ai un peu joué à La Bonne Paye, au Monopoly et à MAD avec ma sœur aînée, mais ce n'était pas mon activité préférée. L'adolescence a tout chamboulée avec l'entrée dans ma vie de Magic (au collège) puis du jeu de rôle (au lycée avec Warhammer et Vampire La Mascarade). Ce sont les deux jeux qui ne m'ont jamais quittés.

N'as-tu jamais cessé de jouer ou un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans le jeu de société « moderne » ?
C'est Magic qui m'a fait entré pour la première fois dans une boutique de jeux. Je pense que les deux premiers jeux qui m'ont vraiment donné le goût du jeu de société sont Elixir et Horreur à Arkham, dans deux styles très différents.

Es-tu plutôt ameritrash ? eurogame ? membre de la très secrète LIdJA ?
Je n'ai pas trop de préférence, je peux m'éclater sur la plupart des jeux, même pour enfants, tant qu'on attend pas trop son tour. Je déteste attendre mon tour.

Naga Raja, le protoA quel moment l’idée de devenir inventeur de jeu a-t-elle germée ? Un auteur en particulier a-t-il suscité ta vocation ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
J'ai conscience d'avoir eu beaucoup de chance pendant mon parcours puisque je me suis lancé avec succès assez rapidement. Shinobi Wat-Aaah ! est mon deuxième prototype et mon premier jeu édité, seulement quelques mois après sa création. Sea of Clouds a mis un poil plus de temps à être créé et à trouver un éditeur, mais j'ai également eu la chance que tout se passe assez vite. Aujourd'hui, je vis pratiquement de mes créations, c'est devenu un parcours du combattant permanent, mais le jeu en vaut la chandelle.
C'est en fréquentant les locaux de Libellud à Poitiers que mon envie de devenir auteur de jeux à germée. C'était (et c'est toujours même si elle a beaucoup changé) une équipe pleine de gens formidables et ils m'ont tous donné envie de créer mes premiers jeux.

Quelles sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Je pense que quand on est créatif, notre vie est remplie de haut et de bas. Il y a beaucoup de joies différentes. Recevoir les premières illustrations, trouver une idée qui corrige un problème, voir des gens jouer à son jeu sont autant de moment que j'adore avec passion.
Il y a aussi beaucoup de difficultés, qu'elles soient dans la création (et dans ses échecs) et dans les aléas financiers de ce boulot.

Naga Raja, le proto Comment as-tu rencontré le légendaire Bruno Cathala avec qui tu as co-signé l’excellent Naga Raja ?
Lorsque je bossais pour des éditeurs, j'ai eu l'occasion de croiser pas mal d'auteur dont Bruno. Nous nous retrouvons également régulièrement entre auteurs dans l'atelier qu'Antoine Bauza a créé. Nous avons travaillé ensemble lorsque j'étais chez Repos Production sur la première extension pour 7 Wonders Duel, Panthéon. Au fur et à mesure des discussions et des moments, nous avons sympathisé.

Comment est né ce jeu superbement édité par Hurrican Games et magnifiquement illustré par le talentueux Vincent Dutrait ?
Un jour, au détour d'un brunch et d'une partie de jeu, Bruno vient me voir en me disant qu'il a une idée sur laquelle il voudrait qu'on travaille ensemble. Il connaît mon appétence pour Magic et pour les jeux de cartes à combos en général. Il a lui-même une affinité pour ce genre de mécanique et de notre amour conjoint est né cette proposition de collaboration.

Entre les premiers jets et la version finalisée, le jeu a-t-il beaucoup évolué ?
Je pense que c'est un de mes jeux qui a connu le plus de versions différentes. Nous avons rapidement posé avec Bruno la direction et l'expérience de jeu que nous souhaitions proposer aux joueurs. Arriver à concrétiser ces envies nous a pris pas mal d'itérations.

Naga Raja, le protoUn mécanisme en particulier a-t-il longtemps subsisté avant d’être au final rejeté ?
On a longtemps cherché quels objets on allait lancer pour déterminer le gagnant de la tuile. Pendant quelques versions, on lançait des pièces pour des pile-ou-face endiablés. J'aimais beaucoup cet objet, mais on a fini par partir sur les bâtonnets, qui sont bien plus fun !

A quel moment vous êtes-vous dit : ça y est, le jeu est terminé ? N’a-t-on pas toujours envie d’explorer de nouvelles pistes ou de procéder à de subtils changements ?
Clairement, ça fait parti du boulot d'auteur de trouver le bon moment. Bruno décrit souvent, et je le rejoins, ce moment comme étant celui où tu joues au prototype sans plus réellement penser au fait que c'est un prototype. Le moment où le plaisir du jeu et de la partie prend le dessus sur la recherche des modifications nécessaires indique que tu approches de la fin du développement.

Combien de temps a duré la gestation de ce savoureux jeu à deux joueurs ?
J'essaye de prendre des photos de mes prototypes et ma première photo de Nagaraja date du 2 janvier 2017. C'était une version très très différente et je pense qu'on avait dû travailler entre 4 et 6 mois avant de pouvoir jouer.

Après ce travail, est-il encore possible d’attribuer tel ou tel mécanisme à l’un ou l’autre d’entre vous ?
Non, c'est impossible de s'attribuer un morceau de la création ou un autre. Très souvent, on a rebondi sur une idée proposée par Bruno ou par moi. C'est justement toute la beauté de la co-création, ce moment où les idées fusionnent et où on mélange tout ça pour essayer de garder le meilleur.

Naga Raja, le protoA quel moment du processus de création Hurrican Games est-il entré dans la danse ?
Bruno connait très bien Yves, le patron d'Hurrican, Mister Jack oblige. Il m'a rapidement proposé de bosser avec eux et on leur a présenté le jeu dès que la plupart des mécaniques étaient posées.

Entre la présentation du jeu à l’éditeur et sa version finale, le jeu a-t-il connu des modifications majeures ? Quelle fut le rôle de l’éditeur dans la finalisation du projet ?
La plus grande modification fût l'introduction des tuiles et des temples individuels. La version que l'on a présentée et qu'on a signée avec Hurrican était très proche de la version finale. On a surtout travaillé avec eux sur des questions d'ergonomie et de graphisme.

Avec quel créateur de jeu rêverais-tu de travailler ?
J'ai la chance d'avoir bossé avec pas mal de personnes différentes et c'est toujours un plaisir de rencontrer des co-auteurs et de découvrir la manière de travailler des autres. Si je devais choisir quelqu'un, je confesse que je rêverais de travailler avec l'immense Richard Garfield.

Comment définirais-tu le métier ?
C'est pas évident. Le mot auteur est un chouette mot parce qu'il met bien en avant la manière dont on met un peu de soi dans la création ludique.

Naga Raja, le protoQuelles en sont pour toi les grandes joies et les grandes difficultés ?
J'ai tendance à assez vite me décourager lorsqu'un proto ne fonctionne pas bien du premier coup. C'est toujours assez difficile pour moi de bien définir lorsqu'un prototype fait complètement fausse route et lorsque je dois insister pour l'améliorer. Dans tous les cas, c'est rarement un chouette moment.
La plus grande joie est la concrétisation du projet. Lorsque tu trouves un éditeur, lorsque le jeu commence à prendre forme, lorsque tu reçois les premières illustrations...

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un joueur désireux de faire éditer son premier jeu ?
Il y a beaucoup de chose, mais je pense que mon conseil principal et d'apprendre à jeter des prototypes et à avancer. Lorsqu'on apprend à dessiner, on ne s'attend pas à parfaitement illustrer un truc du premier coup. C'est relativement pareil pour le game design. Un tout premier proto est rarement terrible, un deuxième souvent assez moyen. Pour moi, il faut créer et créer des jeux pour réussir à en créer un satisfaisant.

Peux-tu parler en quelques mots de tes projets présents et à venir ?
J'ai pas mal de choses à venir pour l'année 2020. Pour t'en citer trois.
Le premier serait Flyin' Goblins que j'ai co-créé avec Corentin Lebrat et qui arrive chez IELLO pour Cannes. C'est un jeu de « lancement d'ouvrier » où on incarne des généraux gobelins qui (littéralement) catapulte leurs guerriers dans la boîte du jeu pour déclencher des actions. C'est un jeu qui a mis longtemps à voir le jour et qui m'éclate toujours beaucoup.
Naga Raja, le proto
En deuxième, j'ai envie de te parler de Détective Charlie, un jeu d'enquêtes scénarisés pour les enfants qui arrivera chez Loki en début d'année. J'adore l'univers graphiques et les illustrations (réalisés par Piper Thibodeau) du jeu. Je n'aurais pas pu rêver de le voir aussi beau.

Enfin, je suis très heureux de voir arriver (plutôt pour la fin d'année) The Loop chez Catch Up Games. C'est un jeu coopératif sur le voyage temporel que je co-signe avec Maxime Rambourg. C'est un vrai plaisir de bosser avec Max et avec les Catch Up sur ce projet, certainement le jeu le plus « gamer » (même s'il reste accessible) que j'ai jamais créé.

Naga Raja, le protoTous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur ?
Un de mes gros coup de cœur de 2020 est Return of the Obra Dinn, un jeu vidéo d'enquêtes extraordinaire créé par Lucas Pope. On y incarne un ou une expert(e) en assurance qui enquête sur la mort de tout les occupants d'un indiaman en 1807. C'est pour moi un des meilleurs jeu de ces dix derniers années et certainement un des meilleurs jeu d'enquêtes de tous les temps.

Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
Nope :)

Pour finir et afin de mieux te connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…

Si tu étais…


Naga Raja, le protoun personnage de BD: Naruto
un personnage mythologique: Sisyphe
un personnage de roman: Bob Arctor
une chanson: Christmas in L.A. De Vulfpeck
un instrument de musique: la basse
un jeu de société: Magic
un mécanisme de jeu de société : le draft
une découverte scientifique : aucune idée. Un truc qui n'a pas subit d'effet Matilda de préférence.
une recette culinaire: un curry japonnais végétarien
une pâtisserie: une pasteis de nata
une ville: Bruxelles
une qualité : la détermination
un défaut: la flemme
un monument: est-ce que tous les squelettes de dinosaure du monde ça compte ?
une boisson: le Club Maté
un proverbe : Chacun est l'artisan de sa fortune


Un dernier mot pour la postérité ?
Merci beaucoup pour ta grande patience (j'ai mis BEAUCOUP de temps pour répondre à ces questions). Merci à tous pour votre lecture et au plaisir de vous croiser sur un festival et autour d'une partie !

Pas de soucis, j’ai fait des stages avec un maître yogi (Je retourne d’ailleurs y faire un stage smiley )
Un grand à toi merci pour le temps que tu nous as accordé !

Naga Raja, partie en cours © Hurrican / Dutrait / Riviere / Cathala

Le Korrigan