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Entretien avec Gaëlle Hersent
interview accordée aux SdI en janvier 2020


Le Boiseleur, Lettrine © HersentBonjour Gaëlle et tout d’abord merci de vous prêter au petit jeu de l’entretien et de nous consacrer une partie de votre temps si précieux en cette période d’exposition, de promotion et de défense des auteurs (Gaelle fait partie du SNAC Bd)!

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? (âge, études, parcours…)

Comme je disais dans l’ancienne interview qui date de quatre ans maintenant (déjà !), on m'a mis un crayon entre les mains comme tout enfant, et j'ai commencé à tracer des lignes, des cercles, des bonshommes, des maisons, des poneys. Depuis je n'ai juste jamais arrêté : lycée option arts plastiques puis Beaux-Arts d'Angoulême et EMCA afin de suivre la formation en cinéma d'animation… Suite à ça, j’ai travaillé dans quelques studios d’animation que ce soit à Angoulême ou Paris, avant de signer « Sauvage, une biographie de Marie-Angélique Leblanc » avec Bévière et Morvan au scénario, parue en 2015. J’alterne donc entre le monde du cinéma d’animation, la bande-dessinée et l’illustration !

Le Boiseleur, la dessinatrice en dédicace © bd.otakuEnfant, quelle lectrice étiez-vous et quels étaient vos auteurs de chevet?
Mes parents m’ont habituée très tôt à la bibliothèque, et lire a été vite un plaisir, que ce soit parce que mes parents me lisaient des histoires ou juste parce que la distinction roman/bande-dessinée importait peu ! J’avais autant de « Mickeys », « Picsou » (celui de Don Rosa particulièrement), « Yakari » que du roman type « Etalon Noir », « Les Quatre filles du Dr March » ou « l’île au trésor » de Stevenson .

Dans « Le Boiseleur » vous rendez un hommage à Dulac -- un illustrateur français expatrié à Londres très célèbre à la fin du XIXe -- en faisant apparaître un de ses livres d’étrennes dans la chambre de Flora. Vos illustrations évoquent également celles d’Arthur Rackham pour le traitement des personnages et de l’illustrateur danois Kay Nielsen pour la composition. Quels sont vos « maîtres » en illustration mais aussi en bande dessinée ?
De façon assez étonnante, je n’ai découvert que récemment Rackham, Dulac et Nielsen grâce à Hubert. Je connaissais évidemment l’immense Gustave Doré, mais au final ce n’est que sur le tard que je découvre ce pan historique de l’illustration, avec notamment les illustrateurs du « Golden Age » américain tel que Leyendecker ou N.C Wyeth. Enfant, j’ai été subjuguée par la maîtrise de Michel Faure quant à ses illustrations de chevaux dans la série de « l’Etalon Noir » (on y revient !) J’aime beaucoup le travail de James Jean et trouve sa démarche artistique vraiment intéressante.

Le Boiseleur, une (superbe) dédicace © HersentQuelles sont pour vous les grandes joies et les grandes difficultés du métier ?
Pour les grandes difficultés c’est arriver à en vivre correctement et surtout le décalage incroyable entre le temps investi et la rémunération. Rares sont ceux qui sont encore rémunérés pour le temps travaillé (prix fixe à la page), nous sommes en majorité payés en avance sur droit avec un forfait pour l’ensemble du livre à réaliser . Et il est devenu difficile d’en vivre correctement sans autre commande ou aide. Ces derniers jours est paru le Rapport Racine, rapport qui dresse un constat du statut d’artiste auteur en France, qui n’est pas forcément des plus reluisants. Il propose cependant diverses recommandations afin d’améliorer le statut et j’espère que le gouvernement saura les prendre en considération.

Après ce constat, évidemment qu’il y a de grandes joies, déjà juste l’acte de dessiner. De se plonger dans la feuille blanche et faire apparaître, trait après trait, une case puis une autre puis la planche en entier, et arriver des fois à un état méditatif où plus rien autour de soi n’existe...


Le Boiseleur, rough de la page 9 © HersentVous avez commencé par un ouvrage de 206p fondé sur des faits réels (bien qu’incroyables !) : la biographie de Marie Angélique Leblanc au XVIIIe siècle dans « Sauvage » puis vous avez continué avec « A la table du roi soleil » dans la série « Les cuisines de l’histoire » et avec votre dernier album vous mélangez diverses époques vous avez une prédilection pour les histoires d’époque en costumes ? (rires)
Tout à fait ! Cela m’amuse beaucoup plus que de devoir dessiner l’époque contemporaine (comme ça, pas de voitures à dessiner!) Cela doit être aussi en rapport avec mes lectures d’enfance qui pour beaucoup se passaient dans d’autres époques !

Comment avez-vous rencontré Hubert ? Et comment est né « Le Boiseleur » ?
Nous travaillions dans le même atelier et grâce à ça, j’ai pu lui soumettre à relecture deux textes. L’un d’eux est la base du « Boiseleur ». Il l’a lu, a commencé à prendre des notes, tant et si bien qu’il en était même à imaginer des dialogues. Cela ne lui est pas habituel et il m’a soumis cette idée : que nous réalisions « Le Boiseleur », chose que j’ai acceptée quasi immédiatement. Le texte final est de son fait mais je trouve ce début de collaboration plutôt amusant !


le Boiseleur, Flora © HersentL’album est un peu « hybride » alternant entre des illustrations en pleines pages contenant des encarts de texte et des passages en bande dessinée avec des dialogues dans des phylactères. Pourquoi ce choix ?
Le projet de base devait être une nouvelle mais nos éditrices ont préféré quelque chose de plus « classique », nous sommes donc revenus au média bande-dessinée tout en gardant cette idée d’encart de texte et d’illustration pleine page voire en double page.


Considérez-vous ce livre comme un album jeunesse ?
Non pas forcément, il peut être lu par un large public dont un public jeunesse. C’est ce qui me semble être la force de la collection Métamorphoses, on ne s’attache pas à respecter obligatoirement un public cible. Si le livre est hybride tant au niveau de la forme que du public, tant mieux !

le Boiseleur, recherche de personnage © HersentAviez-vous dès le départ envie d’en faire un conte philosophique ?
Ce serait une question à poser à Hubert smiley .

Vous avez en 2015 participé au tome III d’ « Axolot » en choisissant « La statue de Masakichi. C’est une histoire incroyable (mais vraie à nouveau !) : celle d’un artiste japonais de la fin du XIXe qui créa une statue à son effigie plus vraie que nature en étudiant le moindre de ses muscles, sous chaque angle possible, grâce à un système de miroirs, et la dota de ses propres ongles, dents ou cheveux pour en faire don à sa bien-aimée Tomoko parce qu’il se croyait condamné par la tuberculose. Ce rapport entre l’art et le réel n’est-il pas également au cœur du « Boiseleur » ?
Si tout à fait, avec d’autres thématiques, mais ce rapport de l’art au réel est bien présent. C’est quelque chose qui était là dans le texte de base et qui me fascine. En revenant aux classiques sur ce thème, j’avais été marquée, ado, par « le portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde.

Le Boiseleur, oiseaux © Hersent
J’ai été étonnée de voir que presque tous les oiseaux de l’album aux noms et aux caractéristiques si poétiques et étranges existent ! Vous avez donc presque fait œuvre de naturaliste ! Sur quels documents vous êtes-vous appuyée?
Et pourtant quelques-uns sont de la pure invention ! Hubert m’a en premier lieu fourni de la documentation, puis Internet a été une aide précieuse sur laquelle j’ai passé de nombreuses heures.

Quelles sont vos sources d’inspiration pour la ville de Solidor et les costumes des habitants ?
Toujours dans cette documentation fournie, j’ai pu piocher des costumes russes mais aussi m’inspirer des tableaux de Rembrandt , et mélanger avec encore d’autres petites choses . Pareil pour la ville, c’est un mélange, plutôt moyen oriental avec des inspirations indiennes.

Le Boiseleur, mise en couleur © HersentHubert est également coloriste, avez-vous envisagé de lui confier cette partie du travail ?
Nous n’en avions pas parlé, et de fait je ne lui avais pas proposé, ayant déjà réalisé la colorisation de mes précédents ouvrages. Ainsi, il est aussi possible de modifier le dessin pour caler à la colorisation.

Quelles techniques utilisez-vous traditionnelles ou numériques ?
Les roughs et l’encrage ont été réalisés sur papier et la colorisation en numérique. Ceci dit, je n’ai pas hésité à retoucher le trait sous photoshop et certains dessins sont uniquement fait en numérique.

Comment s’est organisée votre collaboration ? Du synopsis à la planche finalisée, quelles furent les différentes étapes de la réalisation?
Hubert m’a envoyé le scénario écrit en entier, histoire de savoir où on va, puis il a fait un découpage page à page, case à case . A partir de ce document, j’ai fait le story board, on a discuté, corrigé, et peaufiné tout le long de la réalisation de l’album. J’alternais phases de storyboard et de roughs / encrage. La colorisation a été réalisée en une seule période afin de redonner de l’homogénéité à l’ensemble. Et là encore, on a corrigé certaines choses, en discussion avec nos éditrices.

Serait-il possible, pour une planche donnée, d’en visualiser les différentes étapes afin de mieux comprendre votre façon de travailler ?
Oui tout à fait, en voici quelques photos
planche 25, étape par étape
D’abord le crayonné, le board © Hersent ensuite, les roughs, toujours sur papier et en grand format © Hersent
vient ensuite l'encrage final © Hersent puis la colorisation ! © Hersent


Il vous avait fallu deux ans et demi je crois pour réaliser « Sauvage ». Combien de temps avez-vous consacré au « Boiseleur » qui fait tout de même 96 pages ?
À peu près autant de temps afin de peaufiner l’encrage et la colorisation !
Le Boiseleur, recherche de couverture © Hersent
Pourriez- vous nous expliquer pourquoi « Le Boiseleur » qui devait être un one-shot sera finalement décliné en trois tomes?
Je pensais aussi au départ que ce serait un one-shot mais quand le récit était encore sous forme de nouvelle, Hubert l’a fait lire à une de ses amies qui est écrivaine et éditrice. Celle-ci lui a fait une remarque qui a eu pour conséquence la suite de ce one-shot !!

Avez-vous d’autres projets ?
Le tome 2 occupe l’essentiel de mon temps en ce moment.

Tous médias confondus, quels sont vos derniers coups de cœur?
Dernièrement, le film de Jérémy Clapin « J’ai perdu mon corps » a été une grosse claque, je le recommande chaudement. « Sorcières » de Mona Chollet est aussi un bel ouvrage !

Merci encore une fois d’avoir pris le temps de nous répondre ! Et à nouveau félicitations pour ce très beau premier tome. Il donne très envie de découvrir la suite de votre trilogie !
bd.otaku